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"C'était mieux avant, et pourtant..." constitue un périple et des péripéties précipitées à travers le vingtième siècle de la famille Vaican, une famille comme les autres… Vous y retrouverez les piliers, ceux qui sont scotchés dans le cadre photo cerné de noir, puis les pires à lier, ceux qui sont scotchés au téléphone portable tous les soirs. Quatre générations où des pépites seront de mieux en mieux dégrossies. Dans cette histoire, calquée sur l’Histoire, émergerons des êtres de lumières que la société niait, cachait ou ne savait pas reconnaître : c’était leur destinée.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après son premier ouvrage intitulé 1 court, 1 cours, 1 coup,
Sébastien L'Hérondel prend à nouveau la plume pour partager avec nous son observation de notre société du vingtième siècle.
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Sébastien L’Hérondel
C’était mieux avant,
et pourtant…
© Lys Bleu Éditions – Sébastien L’Hérondel
ISBN : 979-10-422-2280-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes arrière-grands-parents
À mes grands-parents
À mes parents
À ma famille
À mon fils
À mes descendants
À ceux que j’aime
À tchoum
Ceci n’est ni un roman ni un essai.
C’est un essai de roman.
Longtemps je me suis posé cette question : qui était nos ancêtres ? Était-ce les Gaulois, ou les Romains, était-ce les Gallo-Romains, le père du voisin, ou les Martiens ?
À la naissance de mon fils, j’ai voulu faire son arbre généalogique. C’est alors que je me suis aperçu que partout dans le monde, on pouvait faire un test ADN pour retrouver d’où nous étions. Partout, sauf en France ! Peur de casser la loi (1) sur la naissance sous X, ou découvrir quelque chose de tabou !
Comme nous sommes les descendants de nos aïeuls, nous avons forcément des traits physiques ou de caractères communs (C.Q.F.D. !). L’atavisme n’est pas un vain mot, tout comme les neurones miroirs ! En d’autres termes, sommes-nous ce que nous ont apporté nos ancêtres, nos gênes ou notre éducation ?
Nos aïeux se plaignaient-ils sans cesse de leurs voisins, du temps, du gouvernement ? Ou étaient-ils plus heureux ; se contentaient-ils de peu, de ce qu’ils avaient, ou alors cherchaient-ils déjà à avoir la plus grosse voiture ou (remis dans le contexte) le plus beau cheval, le plus grand bureau, avoir une Rolex à 50 ans, cherchaient-ils à dépenser 500 € dans un repas ou bien 5000 € pour se saper et pour montrer qu’ils roulaient sur l’or ?
Après maintes recherches (même s’il ne s’agissait pas de mes propres ancêtres), il s’est avéré que leur vie était sensiblement identique à la nôtre, mais avec des moyens différents. La société de consommation n’en était pas encore à ses premiers pas, ni à ses balbutiements. Au début du XXe siècle, plus de la moitié de la population française était rurale (2). Aujourd’hui 33 % des Français sont urbains alors que 88 % des communes sont encore rurales (3).
Cette inversion marquera, effectivement, un changement géographique et des mentalités. Mais le grand changement a été l’avènement de la télévision, du téléphone portable, et autres médias !
Ce qui devait être un progrès, une avancée, fut plutôt un retour en arrière carrément à la case « cro-magnon ». À l’époque préhistorique, la vie sociale avait un sens ; on se réunissait autour d’un feu, d'un véritable foyer [N.D.L.R. C’est ce que disent les archéologues, je ne suis pas allé vérifier !]. De nos jours, le foyer n’a plus le même sens, ce n’est plus le lieu près de l’âtre [N.D.L.R. Vu que peu d’habitations sont pourvues d’une cheminée… en état], mais plutôt une catégorisation faite par et pour les impôts.
Ce préambule dit (et non ce building !), nous allons découvrir qui étaient ces aïeuls quand ils n’étaient encore que des têtes blondes ou brunes.
Oui, pourquoi toujours parler de têtes blondes ? Une réminiscence aryenne, peut-être ? Est-ce que tous nos parents ressemblaient à ceux de la chanson « Ces gens-là » de Jacques BREL ou aux Groseille et Duquesnoy du « Long fleuve tranquille » d'Etienne CHATILLIEZ ?
D’une façon tout à fait empirique et pas du tout sociologique, ni scientifique, j’ai constaté que le célèbre « c’était mieux avant » était une vue de l’esprit. Ou une façon de se protéger comme l’a développé Michel SERRES (4) : « L’Europe vit une période exceptionnelle de paix depuis 70 ans et c’est bien mieux qu’avant ; que les grands-papas ronchons ont peur de l’avenir et se réfugient dans le passé dont ils oublient les abominations ; et que ces grands-papas ronchons qui nous gouvernent nous envahissent de leurs humeurs mélancoliques et barrent la route au progrès ».
L’être humain a besoin de se comparer et de se rassurer. Ces points de comparaison sont principalement dans ses souvenirs, et cela induit une vision subjective des faits. Chacun voit midi à sa porte et déjà JUVENAL dans ses Satires (v. 69-70) écrivait dans son poème « les lamentations » : « Déjà du temps d’Homère notre race baissait. La terre ne nourrit plus aujourd’hui que des hommes méchants et chétifs. »
Dans la littérature, il y eut ZOLA et ses Rougon-Macart, dans le théâtre il y eut les GUITRY père et fils, dans l’Histoire il y a eu tout plein de Rois (François, Louis, Robert, Charles, etc.), dans l’économie il y eut les Chapeaux rouges (les ROTSCHILD), dans le commerce il y eut les LECLERC et bien nous, nous aurons le haut du panier avec « ces bons français ». À l’instar de ces familles qui ont écrit leur nom dans les livres et dans l’Histoire, nous allons découvrir ces Français bien du terroir [N.D.L.R. car ils ne craignent pas la comparaison !] Cette famille multigénérationnelle est l’archétype du « petits bourgeois », c’est-à-dire une famille issue de « petits » par le père et de « bourgeois » par la mère ; on les appellera VAICAN.
Ce siècle en a vu passer quatre générations ; il y aura eu ceux lavant l’écran ou plutôt de « l’avant écran », puis ceux de l’apprêt ou plutôt de « l’après ».Nous verrons les ascendants partis du bas de l’échelle aux descendants qui ont chuté de cette même échelle sociale. Nous allons traverser (sans toucher les rives) la vie, sur plusieurs générations, de ces Français, oui des francs C…
Ma plume devrait même écrire « francais », puisque nous sommes descendants des Francs [N.D.L.R.Pour une minorité d’entre nous] ! Mais la cédille est passée par là, c’est la faute d’un certain Geoffroy TORY (5)… Cet incertain, mais honorable homme de lettres, membre de la cour du roi, est le responsable du fait que notre clavier comporte une touche unique : la cédille, déformation du « e » placé après le « c » [N.D.L.R. à l’origine il fallait écrire « franceais »]. C’est en Ibérie que cette lubie le prit, durant le séjour de François 1er dans les prisons espagnoles, en 1525.
Notre cher roi en prison ? Quoi ? Mais oui, le roi François n’a pas fait que gagner cette célèbre guerre à la date inscrite dans notre inconscient : 1515, MARIGNAN, dernière guerre disputée par les Suisses. Il a aussi perdu des guerres, mais chut ! Ne ternissons pas l’image de ce philanthrope qui permit la venue de Léonard de VINCI et d’avoir la « Joconde », « Sainte Anne » et le « Saint Jean-Baptiste » gratis ! Rien que ça, s’il vous plaît !
Excusez cette digression, le livre en sera émaillé…
L’histoire de cette famille de « bons français » commence au début du XXe siècle pour s’achever, nous l’espérons tous, au début du XXIe ! Enfin, dire qu’elle démarre au début de ce XXe siècle est peut-être faux, elle a plutôt débuté lors du 50e siècle égyptien, ou il y a 4 000 ans, au temps du calendrier chinois. Oui, pourquoi partir de Jésus ? Est-ce logique de faire partir l’Histoire d’un homme qui est né en l’an 0, c’est pas possible ! il est forcément né une année…
J’ajoute même qu’il est/serait né à la fin de l’année qui n’existait pas avant lui. Pile, le jour du solstice d’hiver, décidément, quelle chance ! Pile le jour où le jour se remet à croître !
Pourquoi notre civilisation judéo-chrétienne serait la plus importante ? Pourquoi ce postulat de supériorité qui ignore ceux qui ont inventé les chiffres et les mathématiques, qui savaient embaumer des corps, ceux qui construisaient des pyramides, des lieux de cultes encore visibles aujourd’hui, qui ont découvert les vertus des plantes et de l’intellect à travers la médication, la méditation et la philosophie ?
Après est venue cette question : pourquoi écrire ? Oui pourquoi ? [N.D.L.R. Force est de constater, je me pose beaucoup de questions existentielles ! Vous avez raison de le souligner !]
J’ai trouvé la réponse après maintes nuits sans sommeil, car [N.D.L.R. oui,ça fait toujours bien de montrer cette souffrance intellectuelle, même si elle n’égalera jamais la souffrance des enfants travaillant à l’usine ou dans les champs en Afrique, en Asie, mais peu en Europe ou aux États-Unis ! Ils travaillent pour subvenir aux besoins de leurs parents ou tout simplement pour se nourrir eux et pour (sur)vivre] je dors peu.
Aujourd’hui, si vous avez ce livre entre les mains c’est que je me suis décidé et surtout que vous, vous vous êtes décidé à le prendre en état sur l’étal. Alors merci !
Mon style s’est inspiré, certes, des plus grands, sans jamais les galets (pardon : l’égaler) ; je ne suis pas prétentieux à ce point, quoique ! Mes maîtres (et non mémé) sont les GUITRY, DUMAS, HUGO pour leur maîtrise de la langue, leur précision, leur esprit [N.D.L.R. vous sentez l’emphase ?]. J’aime me gargariser, mais dans un seul but : vous faire sous rire, dés tendre, dit vertir !
Côté humour, je suis redevable à GOTLIB, DESPROGES et DEVOS. Ils ont été les véritables faiseurs de « moi », ou plutôt « mon moi ». Ce n’est pas très français, et pourtant vous m’avez compris. J’adore cette langue qui, malgré ses approximations, nous permet de nous faire comprendre.
Dans mon bagage, j’ai aussi beaucoup appris de tous ces gens que j’ai entendu, à droite et à gauche, proférer des vérités irrévocables, indiscutables, incroyables, vraiment incroyables !
Côté philosophie et connaissance de l’homme, je m’incline devant Frédéric LENOIR, Matthieu RICARD. Je reste leur débiteur même si je ne leur dois pas d’argent. Ce qu’ils m’ont offert vaut bien plus que tout l’or du monde.
Reste un dernier cercle qui mérite ma reconnaissance ; celle qui m’a ouvert à moi-même et celui qui est le fruit de notre union. L’enfant nous apprend tant sur nous qu’on devrait passer plus de temps avec lui pour mieux se connaître et vivre mieux.
Nez en moins (pardon : néanmoins) les vrais héros, et non hérauts, sont ces VAICAN, fruit quasi blet, incestueux et consanguin, dernière génération à l’orée du nouveau siècle, qui n’a fait qu’empirer.
Mais est-ce bien eux qui ont empiré ou la société qui en a fait ces bêtes de somme et de foire ?
Sont-ils « bêtes » à manger du foin quand on ne leur donne que ça à manger, alors qu’ils souhaiteraient sans doute déguster des mets plus fins ?
En filigrane, malgré tous ces déboires, se cache une emprise de la société qui dévoie des esprits supérieurs. Notre Société forme des moutons, et comme dans tout troupeau, il existe des brebis galeuses… Si ces quelques lignes pouvaient nous aider à les accueillir, je serais le plus heureux des hommes !
L’ancêtre, le maillon numéro un, est toujours présent en cette fin de siècle. Il a le droit à sa photo dans le cadre posé sur le guéridon, près de la télé [N.D.L.R : modèle 1970, avec tube cathodique et sans télécommande ! Je vous assure, ça a existé !]avec son napperon bien repassé ; le napperon, pas l’ancêtre. Sur cette photo, on le voit posé en poilu, équipé de la tenue Piou, héritage de la guerre de 1870, avec ses belles couleurs criardes : pantalon rouge garance, veste bleue et képi ; le casque n’arrivera qu’après, comme souvent dans ce genre de situation (6) ; il arbore cette superbe tenue qu’il devait abhorrer tant elle pesait lourd [N.D.L.R. entre 20 et 40 kilos, si, si !] et qui disait à l’ennemi « je suis là ! », alors que ce même ennemi était déjà passé au gris et kaki.
Ce membre fondateur de la famille a le sourire sur la photo. On lui a dit que la guerre n’allait durer qu’un été et qu’il serait de retour pour les travaux des champs ou les vendanges. Quel malheur ! Il croyait ce qu’on lui disait ! Le naïf, l’idiot, le mouton, le bon français quoi ! Et tout ça parce qu’un archiduc (même pas français) se faisait tuer à Sarajevo…
Le prénommé Joseph est donc le pilier de cette lignée. Il est né lorsque ce siècle n’avait pas encore deux ans. Certains sont nés trop tôt dans un siècle, lui pas du tout…
Pour se représenter Joseph, il faut imaginer un homme dans la norme. Mais qu’est-ce que la norme ? Presque 1m70 [N.D.L.R. Ce qui était assez grand à cette époque], des spatules à la place des mains, des planches à la place des arpions et un regard tendre derrière des verres de bouteille. Joseph aime boire, manger, rigoler et baiser ; c’est un homme très primaire comme il en existait avant. Aujourd’hui, il va de soi que cette race a disparu ! Il est né le 9 décembre, mais le docteur, qui venait à la ferme pour l’accouchement, a préféré dire qu’il était né le 10 ! Oui, il n’y avait pas d’horloge qui fonctionnait chez les VAICAN et à quelque chose près, c’était vrai… Les nouvellement parents n’ont rien osé dire. Pensez ! Lui, c’était le docteur, il portait veste et chaussures ; eux étaient des gens de la terre, ils portaient blouses et sabots.
Après de longues recherches dans les archives départementales, il s’est avéré que le nom de famille VAICAN remontait non pas aux Croisades, mais aux Vikings. Ces derniers avaient pour coutumes de laisser le nom de la mère plutôt que du père. Du moins, à la différence des autres parties du territoire, ce n’était pas le patriarcat qui s’imposait à chaque naissance, mais aussi le matriarcat !
Le nom VAICAN venait donc de la mère, elle s’appelait GERDA, ce qui signifie « protection ». Avec le temps et beaucoup de verres d’hydromel puis de bières, le nom s’est transformé en VAICAN. Si la première membre de la famille VAICAN protégeait sa couvée, les suivantes les découvraient. Au début du XXe, il n’y avait plus du tout d’idée de protection, mais plus de fatalisme, alors qu’ils étaient les détenteurs d’un secret, d’un diamant !
De tout temps et dans toutes les sociétés, partout sur cette terre [N.D.L.R. oui, il est bon de limiter le champ d’action], il y a eu une distinction entre les dirigeants et les dirigés, entre les digérants et les digérés, entre les tenants et les aboutissants et aussi entre les gérants et l’égérie ! Cette famille vacant à ses activités et s’appelant VAICAN, élut domicile en Normandie afin de voir des vaches à la robe tâchée (pardon : tachetée) et des prés ver doyen (pardon : verdoyant). Paysans comme l’immense majorité de leurs congénères, ils avaient une ferme posée les pieds dans l’eau. Dans une petite et belle bourgade s’appelant GROSLEY. (7)
§
À l’approche de l’an 2000, la question de l’immigration occupe une grande place dans le paysage français. Il faut savoir que les quarante millions de Français de 1900 occupaient, principalement, les berges de la Seine de l’embouchure à PARIS, pareillement pour la Loire, idem pour le Rhin [N.D.L.R. mais l’Alsace et la Lorraine n’étaient plus françaises depuis 1870 !]. Le reste de la population vivait sur les côtes de Bretagne et sur la Côte d’Azur… Comme des estivants de la fin du siècle, mais eux, restaient toute l’année.
L’industrialisation avait commencé son travail de sape dans les régions rurales. L’hexagone voyait ses quartiers ruraux se dépeupler pour remplir des carrés urbains. Magie de la géométrie ! Dans une forme à six côtés, des quadrilatères cohabitaient avec d’autres, sans sortir du cadre. Les lopins de terre laissaient la place à des lopins résidentiels et d’autres activités industrielles ; l’activité primaire céda le pas à l’activité secondaire. C’est dans les années 30 que la ville l’emporta définitivement sur la campagne.
Cette mutation géographique concernait essentiellement le travail, les Français sont allés là où il y avait du « boulot ». Mais nous verrons que tous n’étaient pas aptes à aller sur la barque de Panurge. Ou plus précisément, parmi ces blancs moutons se cachaient des moutons noirs. Pourtant ils existaient bien, ils portaient le nom d’asociaux, de rebelles, de contestataires, ou de génies [N.D.L.R. suivant le point de vue].
Les avancées en psychologie et neurosciences changèrent ces cas (ratés) en surdoués puis H.P.I., ou encore en êtres de lumières, ou enfants indigo… nous y reviendrons.
Cette frange (de cheveux) de la population existait déjà à l’orée du XXe siècle, et très certainement bien avant ! Le plus étonnant, c’est que ces gens positivement à part existaient aussi chez les « bouseux », oui, même chez les VAICAN ! Le savaient-ils eux-mêmes ?
Fallait-il jeter l’opprobre sur ces êtres différents, comme cela se faisait dans une société où la différence était mal perçue ? Ou fallait-il les protéger, les aider à s’ouvrir pour le bien de cette même société et même du monde ?
Pour s’arrêter une minute sur les parents de Joseph. Il faut prendre en compte que ces derniers étaient paysans, dans le pays d’Ouche [N.D.L.R. non, non, pas « Douche », « d’Ouche ». Ce coin reculé existe vraiment], c’est un pays sage dans un paysage quelque part en retard, et pourtant se trouvant dans l’Eure. Il y avait beaucoup de noblesse dans leur vie malgré une pauvreté avérée. Leur richesse était le travail d’abord, le partage ensuite et le calva enfin.
Joseph était donc le dernier d’une lignée de cinq enfants. Comme depuis juin 1881 Jules Ferry avait rendu l’école obligatoire, le petit Jojo s’y rendait à pied, au vrai sens du terme, car il retirait ses sabots pour ne pas les user. Cinq kilomètres le matin et autant le soir (logique !), qu’il neige, qu’il vente ou qu’il pleuve [N.D.L.R. n’oublions pas que nous sommes en Normandie !]. Et surtout, n’oublions pas de le dire aux enfants d’aujourd’hui et à leurs chers parents qui ne peuvent pas aller au bout de la rue autrement qu’en véhicule polluant, et si possible en S.U.V…
La jeunesse de Joseph était donc une alternance de travaux scolaires (mais pas trop) et travaux des champs (beaucoup plus). Cela lui a permis d’acquérir une force et une forme physiques égales à nos contemporains, enfin à ceux qui mangent des protéines en poudre et qui vont en voiture « à la salle » pour courir sur un tapis devant le miroir en compagnie de congénères [N.D.L.R. En un mot !] bercés par une musique assourdissante, les empêchant de penser !
En 1916 Joseph n’avait pas l’âge, mais il avait déjà la moustache naissante et le jarret dur, cela lui permit d’intégrer cette grande famille de l’armée française. Engagé (très) volontaire, il espérait voir du pays ; il a vu l’est de la France. Comment exprimer son état ? Les mots manquent : joie, extase, rêve ? Tout à la fois.
Il quitta son petit village de GROSLEY pour l’autre bout du pays où les gens ont un drôle d’accent et mangent différemment de chez lui. Il fit ses classes laborieusement [N.D.L.R. il n’aimait déjà pas les classes à l’école, c’était pas pour y retourner !]. Heureusement, on lui demandait juste d’écrire son nom et de calculer deux plus deux. Après, il put être enrôlé dans un bataillon du génie. L’armée utilise des termes vraiment étranges : génie, peut-être pour signifier que chaque soldat est génial ou a du génie ? Il put même aller au front en sueur, la sueur au front [N.D.L.R. Obligé !], mais son séjour sur les lignes de crête et de combat fut bref. En descendant dans les tranchées, il se tordit la cheville et se fit une entorse ! Le malheur, c’est qu’il se mit à crier de douleur, ce qui eut pour conséquence de faire repérer tout son bataillon par l’ennemi. Lui étant le seul à s’être « vautré » à cause de la douleur, il ne reçut aucun tir ennemi à l’inverse de quasiment tous les « géniaux soldats ». Blessé, il fut rapatrié, en grande pompe, avec les honneurs loin des horreurs et avec quelques survivants.
La guerre ayant fini sans lui, il dut rentrer dans son pays natal quelque peu changé [N.D.L.R. Lui, comme son pays]. Il dut se mettre à travailler (eh oui !) à la fabrique de bouteilles de cidre.
Mais notre homme avait des rêves et des ambitions ; il ne voulait pas finir attelé à la fabrique tel un canasson à une charrette. Il lut, ou plutôt il déchiffra les journaux en quête d’un métier valorisant et rémunérateur. Il tomba (mais ne se fit pas mal, cette fois-ci !) sur une petite annonce : un établissement scolaire dans la ville aux cent clochers était à la recherche d’une cloche ! (euh, pardon !) d’un pion. La plupart étaient partis au combat, et comme dans toutes parties d’échecs, les pions vont de l’avant, mais ne reviennent pas !
Le voilà donc engagé chez les bonnes sœurs à faire la surveillance du dortoir des garçons, et pendant qu’il y était, le ménage et le jardinage…
Ses semaines étaient bien remplies [N.D.L.R. il n’était pas question de 35 heures par semaine, alors !]. Cependant, parfois, de temps à autre, il s’autorisait une escapade chez lui, pour saluer sa famille. C’est à la gare qu’il tomba (pour de vrai !), mais cette fois nez à nez avec celle qui deviendra sa femme : Marie.
Germaine, la mère de notre héros, avait les traits marqués par des journées de travail sans arrêt ! Elle mesurait un mètre cinquante-cinq et chaussait du trente-cinq [N.D.L.R. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup (8)].Ce détail a de l’importance, car elle eut cinq enfants. Ce qui confirme que cinq était son chiffre fétiche ! En dehors d’un physique quelconque, intellectuellement, on ne sut jamais ce qu’elle pensait ! Elle ne parlait quasiment jamais. On peut donc dire qu’elle était effacée et introvertie.
Quant à Marie, elle avait la peau diaphane, le nez aquilin, les cheveux dorés, la taille de guêpe, les chevilles frêles, les jambes… impossible de dire, car toujours cachées sous une lourde robe mauve, cette dernière couverte, elle-même, d’une blouse à rayures du plus bel effet. D’un caractère sévère, mais surtout après elle-même, elle respirait (par le nez) la fraîcheur et la candeur. Loisirs et plaisirs n’existaient pas dans son vocabulaire. Femme de rituels et d’habitudes, elle ne mettait jamais le pain à l’envers sur la table, sans savoir pourquoi pour autant (9) ; elle coupait toujours les extrémités du rôti avant de le mettre au four sans en connaître la raison et elle se rendait à la grande ville toutes les semaines pour y vendre le produit de la ferme de ses parents.
Le coup du rôti interloqua Jean plus d’une fois, à tel point qu’il lui demanda une explication. Comme la jeune femme ne savait pas, elle alla voir sa mère pour lui poser la question. Cette dernière ne sut lui répondre… Alors les deux femmes allèrent voir la grand-mère de Marie qui ne sut que répondre non plus. Restait alors une dernière solution : la grand-mère de sa mère… Marie avait la chance d’avoir encore son arrière-grand-mère. Elle vivait encore chez elle, malgré ses 98 ans. Toujours bon pied, bon œil. Quand Marie venait, que ce soit avec sa mère ou sa grand-mère, elle amenait toujours des friands. Un samedi après-midi, les femmes se rendirent chez Ernestine. Dans la conversation Marie posa la question qui lui brûlait les lèves :
— Dis, mamie, tu sais toi pourquoi on coupe toujours les bouts du rôti avant de le mettre dans le four ?
— Ben ! ben sûr, je faisais ça parce qu’il dépassait toujours de mon plat…
Pour revenir à la vie de Marie, son seul écart au train-train (tchou-tchou !) quotidien et routinier était cette sortie au marché. Elle vivait et venait aussi de ce coin de Normandie, précisément de ROMILLY-LA-PUTHENAYE (10), le patelin limitrophe à celui de Joseph ; quelle coïncidence ! Ils ne s’étaient jamais rencontrés avant, vu que lui était dans les champs et elle dans les chambres. Lui était par mon et elle par vos ? [N.D.L.R. Je ne suis pas sûr de l’orthographe ni du sens de l’expression, veuillez m’en excuser ; peut-être est-ce "par monts et par vaux" ?] Elle était cloîtrée à la maison pour faire toutes les tâches ménagères, et quand elle avait fini chez ses parents, elle allait faire le ménage chez sa grand-mère. Son horizon était donc limité aux cuisines, aux remises, au savon de Marseille, aux battoirs, aux lavoirs et autres balais. Sa seule distraction, si on peut appeler ça comme ça, était donc d’aller au marché de ROUEN pour y vendre œufs, poules et canes.
Elle partait tôt et de bon matin (avant que le soleil se lève – c’est pour dire !), bien chargée avec ses gallinacés et ses œufs, et rentrait la nuit (il n’y avait pas d’éclairage public, alors !) et les paniers vides.
Physiquement, Marie était donc une belle jeune femme avec les critères d’alors ; pas de maquillage ni de froufrou, mais un beau giron, un beau chignon et une belle coquetterie : cette verrue au bord du nez.
Pas très grande, mais suffisamment pour faire la poussière au-dessus des meubles en montant sur une chaise en paille, assez forte pour pouvoir déplacer les placards et soulever la bannette de linge. Un caractère effacé par une éducation à sens unique, Marie avait deux yeux, avec une légère coquetterie (encore une fois !) c’est à dire, un léger strabisme. D’aucuns disent qu’on a deux yeux, deux oreilles pour voir et écouter doublement, mais une seule bouche pour parler deux fois moins. Marie était équipée dans les standards, mais n’écoutait que d’une oreille, voyait que d’un œil et parler les jours des saintes glaces !
La rencontre se fit le matin de l’exode rural hebdomadaire, c’est-à-dire le jour du marché, Joseph se trompant de quai, il se retrouva face à Marie. Tiens ! Joseph et Marie, était-ce un signe de Dieu ? Toujours est-il qu’il s’excusât en terme choisi au hasard :
— Merdre alors… j’l’ai pâ fais exprès, s’cuse !
Et cette merveilleuse femme ne reconnut pas toi, mais le patois de chez elle. Un homme bien bâti, qui cause bien le normand, ne peut être le fruit du hasard. De son côté, Joseph fut estomaqué par cette élégante qui le comprenait quand il parlait, malgré sa dentition quelque peu édentée et ses ratiches.
Il l’aida à ramasser ses paniers vides, d’abord, puis la ramassa ensuite. Il avait la classe, l’ancêtre !
Tout émue et chamboulée, Marie se confondit en excuses :
— Désolée, excusez-moi, pardon, c’est ma faute, je regrette ! Lourde, la fille, je vous dis !
De là s’engagea une conversation :
— D’où qu’vous venez, qu’est-ce qu’vous faite ici là toute seule ? C’est dangereux, ma p’tite dame, laissez-moi vous raccompagner (11).
Le rouge aux joues déjà passablement carmin par le travail à la ferme, Marie s’émut d’autant de courtoisie et de prévenance. En plus, cet homme était doté de ce charme dont sont affublés ceux qui ne sont pas beaux, mais qui ont quelque chose, comme on dit ! Jamais, on l’avait considérée ainsi ! Elle se défendit d’avoir besoin d’aide, elle qui portait seule sa bannette de linge, son faitout, ses seaux et sa misère.
Devant tant d’insistance, elle ne put que céder ! L’ennui fut que Joseph était fort et courageux, capable de porter des fagots, sujet aux ragots (?), mais sans coordination aucune. Il était complètement pataud ; ce qui devait à rivet arriva (?), les paniers se retrouvèrent sur la voie ferrée au moment même où un train de marchandises passa… Adieux, veaux, vaches, cochons (euh ! excusez mon lyrisme !) ; adieu cagettes, cageots, caisses, paniers… et la recette ? Non, cette dernière était bien au chaud dans les replis de la robe. Ouf !
Heureusement, Marie le prit bien (dans la figure). Pour une fois qu’un être vivant (à l’exclusion des chiens et des animaux de la basse-cour) prêtait attention à elle, elle n’allait pas bouder son plaisir. Tant pis pour le matériel, elle sera plus légère au retour. En plus, des papillons commençaient à virevolter dans son ventre, c’était la première fois qu’elle connaissait cette sensation, mi-agréable, mi-gênante, mikado.
Cette rencontre fortuite fut l’unique ! Il suffit de cette bousculade pour que Marie trouvât un fiancé, un mari et le père de son enfant. Son nouveau « chez soi » sera la maison des ancêtres de la famille VAICAN ; une maison de maître, et non de « deux mètres », avec un rez-de-chaussée divisé en un salon, une salle à manger et une cuisine. L’étage avait deux chambres et un débarras. Il n’y avait pas de salle de bains ni de douche… La toilette se faisait dans la cuisine, au besoin, et les besoins au fond du jardin. Rapidement, ils s’unirent, en toute intimité et impunité. Rapidement elle tomba enceinte : garçon ou fille, à cette époque il n’était pas question de savoir avant la naissance. Pour ce qui est du prénom, là, ils étaient sûrs, son initiale serait forcément un J. Tradition oblige… Ainsi, si c’était un garçon, il s’appellerait Jean, une fille Jeanne. Finalement, Jean naquit en juin. Le hasard décida que son initiale et son mois de naissance seraient identiques. Mais le hasard existe-t-il vraiment ? Au final, le jeune couple accueillit ce petit mâle dans l’allée GRECE (pardon : l’allégresse !).
Les premiers jours laissèrent la place aux premiers pas qui laissèrent, eux-mêmes, la place aux premiers babillages. Après ce fut la course : les phrases furent de plus en plus complètes avec sujet, verbe et complément et parfois même des compliments, la marche devint de plus en plus assurée… Dans la maison ce ne fut plus que monologues d’un son aigu et des courses sans fin. Il était temps de mettre Jean à l’école.
§
Il est intéressant de savoir que Marie n’avait pas souvent voix au chapitre, mais elle n’en pensait pas moins. Et surtout elle avait des facultés (bien) cachées par une société qui mettait l’homme en avant. Titiou LECOQ explique (12) que ce patriarcat, qui existait depuis plusieurs siècles, devait avoir une raison ! Pourquoi l’Homme plutôt que la Femme ? Pourquoi, lorsqu’on parle de l’ensemble des humains, on parle d’hommes et pas de femmes ? Parce que cela est tiré de « Homo ». Les sectaires ont eu beau rôle, ensuite, de limiter à la gent masculine une supériorité qui n’existait pas. Chez les animaux, la famille bovine n’est pas réduite aux taureaux ! ni aux moutons chez les ovins ?
Marie avait donc des facultés intellectuelles, émotionnelles et pratiques qui étaient volontairement cachées, refusées. Pourquoi, alors qu’elle faisait partie d’une élite, la mettait-on [N.D.L.R. attention, point de rire graveleux, je n’ai pas écrit « mes tétons » !] au rebut de la société alors qu’elle aurait pu, dû en être le fer de lance ?
Ce qu’on a appris, grâce à l’école, c’est que la femme préhistorique était moins costaude, s’occupait de la cueillette pendant que les hommes chassaient le mammouth et qu’elles étaient toujours enceintes. Mais c’est faux ! Le spectre de l’analyse a certainement, et inconsciemment, faussé les analyses.
L’Église, quant à elle, nous a appris qu’il y avait égalité, voire préséance avec la dévotion envers la femme parfaite : Marie. Mais aujourd’hui, au VATICAN, il y a plus d’hommes que de femmes !Ah paradoxe, quand tu nous tiens (13).
Finalement, ces êtres hyper intelligents, sensibles et pratiques sont volontairement cachés, niés (pasniais !) afin de laisser la place aux moins intelligents, moins sensibles et moins pratiques ! Une société se reconnaît par son ensemble. Il est plus facile de couper les têtes qui dépassent que d’élever les autres, semble-t-il !
Marie faisait donc partie de cette élite, mais l’ignorait certainement elle-même.
Le petit Jean était ce qu’aujourd’hui on appellerait un enfant turbulent, voire hyperactif. Il ne restait jamais en place. Toujours l’envie et le besoin d’action, malheureusement à cette époque il n’y avait pas beaucoup d’activités sportives pour endiguer cette énergie, surtout dans ce milieu rural. Le « petit monstre » grimpait aux arbres, grimpait sur les vaches, grimpait sur toi (pardon : sur les toits). Pour dire, avant ses dix ans, il avait déjà collectionné moult fractures et plaies ouvertes. Mais comme disait NIETZSCHE « ce qui ne te tue pas, te rend plus fort ». Certes, il n’avait pas lu le philosophe allemand, mais il appliquait au pied de la lettre sa philosophie.
À la différence de son père, Jean ne prenait pas ses souliers à la main. Curieusement, il les avait aux pieds qu’ils traînaient lourdement. L’envie de pas y aller, quoi ! On pouvait le suivre à la trace, tant ses godasses creusaient un sillon sur le bord de la route. Sur le chemin de l’école, il aimait prendre des mûres mûres sur les murs (14), et chaque caillou était l’objet de tous ses soins : ils les prenaient, les caressaient, les mesuraient, les calibraient et enfin les envoyaient le plus loin possible, si possible dans la direction des fenêtres du père MIS, sur le chien de la mère CANTILE, ou l’âne esseulé [N.D.L.R. non, là il n’y a pas de jeu de mots !]. Un vrai garnement, vous dis-je !
En classe, qu’il soit au premier ou dernier rang, il finissait toujours dehors, sous les applaudissements et bravos de ses camarades. Sa bêtise le rendait fier, car elle faisait rire les autres élèves. Bien souvent c’était à son détriment, mais comme Sacha GUITRY qui était prêt à se fâcher avec sa femme pour un bon mot, Jean était prêt à recevoir un avertissement pour peu qu’il fasse rigoler sa classe. Le résultat de ses études primaires resta primaire… « aux ras des pâquerettes ». C’est un paradoxe que lui-même ne voyait ni ne comprenait : il était capable de trouver des jeux de mots, de bons mots, de faire le marmot, mais se croyait bête parce que l’instituteur le lui avait dit !
Il n’en avait cure, le travail à la ferme des grands-parents l’attendait, sinon il se ferait pistonner pour travailler dans l’usine d’embouteillage du père, ou encore il pourra faire « garde champêtre ». Eh oui, certains rêvent d’être pilote, astronaute, docteur, policier, lui pas. Jean voulait être garde champêtre pour continuer à traîner dans les rues de son village sans qu’on ne puisse le lui reprocher. Il aimait ce métier, il rêvait des chaussées.
Mieux, étant lui-même gardien des voies et des lois, il pourrait reprendre et réprimander les gens. Principalement ceux qui laissaient des bouteilles vides dans les fossés ou sur les talus…
— « Merrde, laissez au moins des bouteilles pleines ! pensez à moi » Se racontait-il !
Sa vie, il la voyait comme ça : errer, traîner, vaquer parfois, boire souvent, dormir encore plus ! Mais la vie l’a rattrapée. Le 2 septembre 1939, Joseph décida (pardon : décéda !) soudainement et sous le coup d’une branche de pommier, qu’il était en train de couper. La guigne ! Marie, qui était déjà fermée et besogneuse, fut marquée définitivement. Son fils dut s’occuper d’elle. Enfin, s’occuper… la vaisselle restait plusieurs jours dans l’évier, les moutons restaient tranquilles sous les meubles, les carreaux laissaient de moins en moins entrer la lumière !
Heureusement la vie, la magie, l’univers ou Dieu (on se sait qui remercier ?) mit sur sa route une femme. Si si ! Vous avez bien lu ! Il ne faut jamais désespérer…
Mauricette, ses (pseudo) copines aimaient l’appeler « Mauricette, celle qui aime les quéquettes ». Heureusement que ses parents ne l’avaient pas appelé « Marguerite », n’imaginons pas le surnom que lui aurait affublé les autres filles ! Si, imaginez…
Elle était l’antibelle-mère ! Autant Marie était prude et réservée, autant Mauricette était extravertie et délurée. Paysanne également [N.D.L.R. comme beaucoup d’habitants dans ce coin perdu !] elle était le type même de la fille à soldat. Elle n’avait pas froid aux yeux, ni ailleurs…
Jean sclérosé chez sa mère voulait voir ailleurs, et ferrailleurs (pardon : faire ailleurs). À dix-huit ans, les choses du sexe commencèrent à le tourmenter, le triturer. Chaque année, il voyait le taureau monter jusqu’à vingt vaches, au printemps et en automne, il yeutait les boucs s’occuper des chèvres. Forcément, ça lui donnait des idées et des endives (pardon ; envies). C’est pourquoi il est là, non, il héla, non, il Allah ! non plus, il alla [N.D.L.R. décidément, quand les doigts sur le clavier ne suivent pas le cerveau !] au bal du 14 juillet dans une intention bien précise : lever une belle Normande comme il allait au marché aux bovins de PONT-AUDEMER afin de trouver une belle génisse pour Mammouth, son plus valeureux taureau. Nous sommes en 1944, par un hasard de la vie [N.D.L.R. mais encore une fois, y a-t-il un hasard ?] Jean se retrouva au fond de la salle communale au moment où Mauricette passa. Avec elle arriva un vent de fraîcheur, de sueur, de parfum, de stupre et de vie. En la voyant, notre Jeannot ne se sentit plus de joie à l’instar du corbeau de la fable, il avait trouvé celle qui partagerait, qui partagera sa vie, ou du moins sa couche, du moins l’espérait-il !
Il fit tout pour se faire remarquer : la moustache était bien coupée, pas comme son pantalon ; la barbe était bien rasée, pas comme ses cheveux filasses ; le béret bien enfoncé tout comme ses godillots. Il était à son avantage, du moins l’estimait-il !
Au début, Mauricette passa devant lui sans le voir. Elle fut aspirée par la musique et la piste de danse où se trouvait un noyau de dandys campagnards. Imaginez un groupe de trois garçons ayant les cheveux gominés avec du cirage à chaussures, mais ayant des chaussures pleines de terre, ayant sorti la tenue du dimanche, mais avec des boules de naphtaline visibles dans les poches et riant fort comme un cri d’âne [N.D.L.R. ce qu’ils étaient du reste], de ce rire guttural, rauque et gras (tout comme eux). Leurs tenues et attitudes signifiaient : venez les filles, on va vous faire rêver ! Certes oui, ils faisaient entrevoir des moments uniques… et heureusement !
Jean de son côté ne se sentit pas de taille de briller devant tant d’élégance. Ceci dit, la soirée ne faisait que commencer. Avec toutes les bêtes de la ferme qu’il côtoyait, il savait que la ronde d’amour se jouait sur la longueur. La séduction est une alchimie qu’il faut provoquer. Après avoir descendu deux, ou trois (ou quatre ou cinq !) calvas dépassant toutes les températures autorisées, il alla plus ou moins fermement et en ligne droite (enfin, le pensait-il !) vers la piste où régnait toujours sa future dulcinée entourée de sa cour. Notre et rôt (pardon : héros) arriva à se frayer un passage en jouant des coudes, et de son haleine fétide pour arriver à hauteur de la belle. Alors, il lança à la cantonade et au musicien :
— Allez R’né, mets-nous un bon coup d’accordéon ! Un truc qui fasse qu’on se trémousse et qu’on se bécote, ah ! ah !
Mauricette le remarqua enfin… Quelle allure que ce luron, il était gai, joyeux et sûrement (un peu) saoul. Ça devait faire son charme, car, indubitablement, elle fut séduite. Il avait quelque chose de timide et d’audacieux. L’alcool était le responsable, à n’en point douter. Ce mélange le rendait attirant, attractif comme le papier mouche qui est dans sa salle à manger, sous le lustre, pour empêcher les diptères de venir dans la soupe.
Finalement il l’aborda tout en postillonnant :
— Euh ! La Mauricette, c’est bien ton nom ? On s’fait un brrin’de danse ensemble, tous les deux ?
Oui, Jean était adepte des pléonasmes sans le savoir, surtout après plusieurs verres. De là à dire qu’il faisait des vers…
— J’dis pas nan !
Ce qui voulait dire oui. Eh oui ! Mauricette aussi faisait des figures de style sans s’en rendre compte, en l’occurrence une litote.
Et ce fut parti pour une forme de bourrée qui n’existait dans aucun manuel de danse [N.D.L.R. Que ce soit classique, contemporain ou moderne !].
La soirée étant déjà bien entamée, et comme la danse tenait un rythme soutenu, les auréoles sous les bras de notre Don Juan commencèrent à former des cercles de plus en plus grands pour finir jusqu’à la ceinture. Avec le train (pardon : l’entrain. Promis, j’arrête !), la chemise prit même ses aises hors du pantalon et le ventre poilu de notre charmeur apparu tel un lever de soleil sur un champ de blé au mois de juillet. Ou plutôt, soyons réalistes, comme une baleine s’échouant sur la plage de galets du Havre, un soir pluvieux. Ce fut un spectacle de formes difformes, de creux et de bosses, de poils posés en touffes et de zones arides. Et bien sûr, le tout, baignant dans une odeur âcre et pestilentielle [N.D.L.R. Les déodorants avec leurs fragrances du pays de GRASSE n’avaient pas encore atteint cette zone on ne peut plus rurale !]
La soirée tirant (dans tous les sens) et à sa fin, notre Don Jean (ah ! ah !) et notre Mauricette se promirent un rendez-vous pour la semaine suivante. Jean étant tout à la fois dans l’excitation et la maîtrise proposa à Mauricette :
— On s’verra à la kermesse du village, c’est la s’maine prochain. On s’dit à quatorze heures d’vant l’église ?
Une semaine, c’est peu et c’est beaucoup. Huit jours pour notre valeureux paysan furent l’occasion de s’occuper des animaux, de sa mère, des champs [N.D.L.R. Dans l’ordre ou le désordre, les trois sont gagnants]. Le jour dit, la « belle » (15) s’apprêta : robe fleurie, escarpins fins, cheveux coiffés, visage maquillé. De son côté, la « bête » (16) fit une « Jean », il oublia complètement son rendez-vous galant ! À sa décharge, cette rencontre fut programmée il y a un long temps : une semaine ! Depuis, beaucoup de choses se passèrent. C’est à seize heures qu’il se rendit compte de son oubli en voyant sa tenue de la semaine passée, toujours étalée sur la chaise de la cuisine…
— Merrd’, nom de Diou ! j’ai la Mauricette à voirr ! pourvu qu’elle soit encore là…
Il se rendit à l’église en courant à toute vitesse [N.D.L.R. ça fait plus crédible, que juste « en courant »] avec ses gros godillots, sa tenue de fermier qui consistait en des braies pendantes sur les talons, une veste de jute très peu ajustée, une chemise misérable. La différence était facile à voir ; le dimanche les vêtements étaient propres (au début de la soirée) alors que là, les tâches de cidre et les morceaux de fromage laissaient sa tenue maculée !
La gourgandine n’était plus là, mais elle n’était pas loin. Ouf ! Elle était au stand du Jacquot, celui du tir au pigeon. Là, un quidam lui démontrait sa précision dans le tir du volatile de plâtre ! Pendant qu’elle s’extasiait et se gaussait du tireur, le prétendant arriva et s’excusa :
— Chui carrément désolé ! l’trâvail m’a débordé et j’ai pas entendu l’église qu’a sonné ! Tu veux bien m’cuser ? Qu’est-ce que je peux faire pour m’faire pardonner ? Un verre à la buvette c’est bon, ça compte ?
Il sortit cette tirade d’une traite sans reprendre son souffle, ce qui libéra quelques postillons. Histoire de le faire marner, la conquête future promise (?) fit une moue qui devait signifier « je ne suis pas contente, mais d’accord » et que notre fier physionomiste interpréta comme un « oui » franc et massif. Trop content, il la prit par la taille, ce qui fit valser sa belle coiffure. Il en résultat qu’une mèche de cheveux de Mauricette alla dans les yeux et le nez du galant, ce qui eut pour conséquence de le faire éternuer. Il faut savoir que lorsque Jean éternuait, tout le village le savait ! Il souffrait d’un réflexe sternutatoire [N.D.L.R. Un joli mot pour dire que la lumière du soleil le faisait éternuer à chaque fois(17)]. Heureusement qu’il vivait en Normandie, imaginez qu’il vécut dans le Sud ! Il embarqua donc sa future moitié (qui sait ?) sur les quelques mètres qui les séparèrent du stand de Gaston.
Durant ce court trajet, il se demanda :
— De quoi que j’vais bien pouvoir lui parler de quoi ?
C’est vrai que sa phrase était redondante, mais c’est cette émotion nouvelle qui provoqua cette erreur grammaticale. Soyons charitables, et pardonnons-lui !
À la buvette, ou plutôt au stand où il y avait quatre chaises bancales disposées sous une tente rapiécée qui laissait passer le jour, et chose incroyable, pas la pluie ce jour ! Donc à la buvette [N.D.L.R. Disais-je avant d’être interrompu par moi-même