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À la fin de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand envisage d'élever un «monument à la patrie». Ce monument - l'Analyse raisonnée de l'histoire de France -, il l'érigera durant les dernières années de la Restauration et le publiera directement dans le cadre de ses ouvres complètes (1826). Ce texte, depuis, était devenu introuvable. «C'est entre les fonts baptismaux de Clovis et l'échafaud de Louis XVI qu'il faut placer le grand empire chrétien des Français. La même religion était debout aux deux barrières qui marquent les deux extrémités de cette longue arène. "Fier Sicambre, incline le col, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré", dit le prêtre qui administrait à Clovis le baptême d'eau. "Fils de saint Louis, montez au ciel", dit le prêtre qui assistait Louis XVI au baptême de sang. Le vieux monde fut submergé. Quand les flots de l'anarchie se retirèrent, Napoléon parut à l'entrée d'un nouvel univers, comme ces géants que l'histoire profane et sacrée nous peint au berceau de la société, et qui se montrèrent à la terre après le déluge.»
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Première race
Deuxième race
Troisième race
Hugues Capet
Robert
Henri 1er
Philippe 1er
Louis VI
Louis VII
Philippe II
Louis VIII
Louis IX
Philippe III
Philippe IV
Louis X
Philippe V
Charles IV
Féodalité
Chevalerie
Éducation
Mœurs générales des XIIe, XIIIe et XIVe siècles
Philippe VI, dit de Valois
Perte des Français au combat naval de l'Écluse. Godemar Du Fay. Causes des éprises dans ces guerres du XIVe siècle
Guerre de Bretagne. Les Bretons
Siège de Hennebon. Jeanne, comtesse de Montfort. Aventure de Gauthier de Mauny et de La Cerda
Amours d'Édouard III et de la comtesse de Salisbury
Chute d'Artevelle
Invasion de la France par Édouard
Reddition de Calais
Mort du roi Philippe VI
Jean II
Du roi de Navarre
Les trois États
Bataille de Poitiers
Jean II
Charles V
Charles VII
Louis XI
Charles VIII
Louis XII
François 1er
Henri II
François II
Charles IX
Henri III
Henri IV
Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI
Qu’étaient devenues les trois vérités de l’ordre social quand l’empire d’Occident s’écroula ?
La vérité religieuse avait fait un pas immense : le polythéisme était détruit, et avec le dogme d’un Dieu s’établissaient les vérités corollaires de ce dogme.
La vérité philosophique était rentrée dans la vérité religieuse comme au berceau de la civilisation.
La vérité politique avait suivi les progrès de la vérité religieuse. Les destructeurs du monde romain étaient libres ; ils trouvèrent sur leur chemin une société organisée dans la servitude : la jeune liberté sauvage s’assit d’abord sur cette société, comme le vieux despotisme romain l’avait fait : des républiques militaires, Franques, Burgondes, Wisigothes, saxonnes, gouvernèrent des esclaves à l’instar des anciennes républiques civiles, grecques et latines.
Voilà le point où avaient abouti les faits nés du choc des générations païennes, chrétiennes et barbares, à partir du règne d’Auguste pour arriver à celui d’Augustule.
Maintenant les trois vérités fondamentales, combinées d’une autre façon, vont produire aussi les faits du moyen âge : la vérité religieuse, dominant tout, ordonnera la guerre et commandera la paix, favorisera la vérité politique (la liberté) dans les rangs inférieurs de la société, ou soutiendra partiellement le pouvoir dans des intérêts privés ; elle poursuivra avec le fer et le feu la vérité philosophique, échappée de nouveau du sanctuaire sous l’habit de quelque moine savant ou hérétique. Ainsi continuera la lutte jusqu’au jour où les trois vérités, se pondérant, produiront la société perfectionnée des temps actuels.
J’ai dit que l’empire romain latin était devenu l’empire romain barbare un siècle et demi avant la chute d’Augustule. Cet empire mixte subsista plus de quatre siècles encore après la déposition de ce prince. Les Francs, les Bourguignons et les Visigoths en Gaule, les Ostrogoths et les Lombards en Italie, furent des possesseurs que les populations connaissaient, qu’elles avaient vus dans les légions, et qui, soumis à leurs lois nationales, laissaient au monde assujetti ses mœurs, ses habitudes, souvent même ses propriétés : une religion commune était le lien commun entre les vaincus et les vainqueurs. Ce n’est qu’après l’invasion des Normands, sous les derniers rois francs de la race Carlovingienne, que la transformation sociale commence à frapper les yeux.
Il n’y eut jamais de complète barbarie, comme on se l’est persuadé. On ne peut pas dire qu’un peuple soit entièrement barbare quand il a conservé la culture de l’intelligence et la connaissance de l’administration. Or, l’étude des lettres, de la philosophie et de la théologie continua parmi le clergé ; l’administration municipale, fiscale, publique et domestique demeura longtemps ce qu’elle avait été sous l’empire. La science militaire périt dans la discipline, mais l’art de la fortification ne se détériora point, et même les machines de guerre se perfectionnèrent. Il n’y a donc rien de nouveau à remarquer sous les deux premières races, si ce n’est les mœurs particulières des familles investies du pouvoir, l’achèvement de la monarchie de l’Église, et les hautes sources qui, comme des écluses, lâchèrent sur l’Europe le torrent des siècles féodaux.
Toutefois, deux observations doivent être faites. Le chef du gouvernement était électif sous la race mérovingienne et sous la race Carlovingienne, de même qu’il l’avait été au temps des césars ; mais auprès du gouvernement des Francs se trouvait une institution qui le faisait différer de l’antiquité romaine : des conseils, composés d’évêques et de chefs militaires, décidaient les affaires avec le roi ; des assemblées générales, ou plutôt les grandes revues des mois de mars et de mai, recevaient une communication assez légère de la besogne traitée dans ces assemblées particulières : celles-ci étaient nées de la tradition des états des Gaules rétablis un moment par Arcade et Honorius ; mais elles s’étaient surtout modelées sur l’organisation des conciles. Si l’on veut avoir une idée juste de ces temps, sans y chercher des nouveautés qui n’y sont pas, il faut reconnaître que la société entière prit la forme ecclésiastique : tout se gouverna pour l’Église et par l’Église, depuis les nations jusqu’aux rois, dont le sacre était purement le sacre d’un évêque. Que les laïques fussent admis à siéger avec le clergé, ce n’était pas coutume insolite : dans plusieurs conventions religieuses, les empereurs romains présidaient, et les grands-officiers de la couronne délibéraient. Nous avons vu des philosophes et des païens même assister au concile de Nicée.
La seconde observation sur cette époque historique est relative aux maires du palais. Le premier maire dont il soit fait mention est Goggon, qui fut envoyé à Athanagilde de la part de Sigebert, pour lui demander la main de Brunehaut.
Deux origines doivent être assignées à la mairie, l’une romaine, l’autre franque ou germanique. Le maire représentait le magister officiorum ; celui-ci acquit dans le palais des empereurs la puissance que le maire obtint dans la maison du roi franc. Considérée dans son origine romaine, la charge de maire du palais fut temporaire sous Siegbert et ses devanciers, viagère sous Clotaire, héréditaire sous Clovis II : elle était incompatible avec la qualité de prêtre et d’évêque. Elle porte dans les auteurs le nom de magister palatii, praefectus aulae, rector aulae, gubernator palatii, major domus, rector palatii, moderator palatii, praepositus palatii, provisor aulae regiae, provisor palatii.
Pris dans son origine, franque ou germanique, le maire du palais était ce duc, ou chef de guerre, dont l’élection appartenait à la nation tout aussi bien que l’élection du roi : Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. J’ai déjà indiqué ce qu’il y avait d’extraordinaire dans cette institution, qui créait chez un même peuple deux pouvoirs suprêmes indépendants. Il devait arriver, et il arriva que l’un de ces deux pouvoirs prévalut. Les maires, s’étant trouvés de plus grands hommes que les souverains, les supplantèrent. Après avoir commencé par abolir les assemblées générales, ils confisquèrent la royauté à leur profit, s’emparant à la fois du pouvoir et de la liberté. Les maires n’étaient point des rebelles ; ils avaient le droit de conquérir, parce que leur autorité émanait du peuple, ou de ce qui était censé le représenter, et non du monarque : leur élection nationale comme chefs de l’armée leur donnait une puissance légitime. Il faut donc réformer ces vieilles idées de sujets oppresseurs de leurs maîtres et détenteurs de leur couronne. Un roi et un général d’armée, également souverains par une élection séparée (reges et duces sumunt), s’attaquent ; l’un triomphe de l’autre, voilà tout. Une des dignités périt, et la mairie se confondit avec la royauté par une seule et même élection. On n’aurait pas perdu tant de lecture et de recherches à blâmer ou à justifier l’usurpation des maires du palais, on se serait épargné de profondes considérations sur les dangers d’une charge trop prépondérante, si l’on eût fait attention à la double origine de cette charge, si l’on n’eût pas toujours voulu voir un grand-maître de la maison du roi là où il fallait aussi reconnaître un chef militaire librement choisi par ses compagnons : Omnes Austrasii, cum eligerent Chrodinum majorem domus.
J’ai déjà fait observer qu’il ne serait pas rigoureusement exact de comparer les nations germaniques et slaves aux hordes sauvages de l’Amérique. Dans le tableau général que j’ai tracé des mœurs des barbares, celles des Francs occupent une place considérable : j’ai donc peu de chose à ajouter ici ; cependant je dois remarquer que les Francs passaient encore pour le peuple le moins grossier de tous ces peuples ; le témoignage d’Agathias est formel : Les Francs, dit-il, ne ressemblent point aux autres barbares, qui ne veulent vivre qu'aux champs et ont horreur du séjour des villes. (...)
Ils sont très soumis aux lois, très polis ; ils ne diffèrent guère de nous que par le langage et le vêtement : nihiloque a nobis differre quam solummodo barbarico vestitu et linguae proprietate. Longtemps avant le VIe siècle, leurs relations avec les Romains avaient urbanisé leurs coutumes, sinon humanisé leur caractère. Salvien dit qu’ils étaient hospitaliers, ce qui signifie ici sociables. Dans le tombeau de Childéric 1er, découvert en 1653 à Tournai, se trouve une pierre gravée : l’empreinte représentait un homme fort beau, portant les cheveux longs, séparés sur le front et rejetés en arrière, tenant un javelot de la main droite ; autour de la figure était écrit le nom de Childéric en lettres romaines ; un globe de cristal, signe de la puissance, un style avec des tablettes, des anneaux, des médailles de plusieurs empereurs, des lambeaux d’une étoffe de pourpre, étaient mêlés à des ossements : il n’y a rien dans tout cela de trop barbare. On lit aux histoires que les Germains adoucissaient leur rudesse au delà du Rhin par le voisinage des Francs. Selon Constantin Porphyrogénète, Constantin le Grand fut l’auteur d’une loi qui permettait aux empereurs de s’allier au sang des Francs, tant ce sang paraissait noble.
Mais, quel que fût le degré de sociabilité des Francs, il me semble qu’il n’en faut faire ni un peuple civilisé ni un peuple sauvage, et qu’il faut lui laisser surtout sa perfidie, sa légèreté, sa cruauté, sa fureur militaire, attestées par les auteurs contemporains. Vopiscus et après lui Procope accusent les Francs de se faire un jeu de violer leur foi, et Salvien leur reproche le peu d’importance qu’ils attachent au parjure. Les Francs, dit Nazaire, surpassent toutes les nations barbares en férocité. Un panégyriste anonyme prétend qu’ils se nourrissaient de la chair des bêtes féroces, et Libanius assure que la paix était pour eux une horrible calamité.
L’opinion dominante fait des Francs une ligue de quelques tribus germaniques associées pour la défense de leur liberté : c’est encore une de ces opinions sans preuve, qu’aucun document historique n’appuie. Les Francs étaient tout simplement des Germains, comme le témoignent saint Jérôme, Procope et Agathias. Que nos ancêtres aient reçu leur nom de la liberté ou qu’ils le lui aient communiqué, notre orgueil national n’a rien à souffrir de l’une ou de l’autre hypothèse. Libanius, altérant le nom de Franc pour lui trouver une étymologie grecque, le fait dériver de fractoi, habiles à se fortifier; d’autres veulent qu’il signifie indomptable dans une langue nommée lingua attica ou hattica, sans nous dire ce que c’est que cette langue. Le savant et judicieux greffier du Tillet, frère du savant évêque de Meaux, avance que le nom de Franc vient de deux mots teutons Freien ausen, libres jeunes hommes, ou libres compagnies, prononcés par synérèse Fransen; il remarque qu’un privilège de marchands octroyé par Louis le Gros a retenu le mot anse, société. Une grande autorité (M. Thierry) suppose au mot tudesque Franc ou Frac la puissance du mot latin ferox: nous en restons toujours à la chanson des soldats de Probus pour autorité première. Francus était-il un sobriquet militaire donné par les soldats de Probus à cette poignée de Germains qu’ils vainquirent dans les environs de Mayence ? Que voulait dire ce sobriquet ? Un savant1 l’explique du mot Fram ou Framée, comme si les soldats de Probus avaient entendu les barbares crier : À la lance ! à la lance ! aux armes ! aux armes ! Mais alors les Germains se seraient tous appelés Francs, puisqu’ils portaient tous la framée : Frameas gerunt angusto et brevi ferro, dit Tacite.
Quoi qu’il en soit, les Francs habitaient de l’autre côté du Rhin, à peu près au lieu où les place la carte de Peutinger, dans ce pays qui comprend aujourd’hui la Franconie, la Thuringe, la Hesse et la Westphalie. Ils ravagèrent les Gaules sous Gallien, et pénétrèrent jusqu’en Espagne ; ils reparurent sous Probus, sous Constance et sous Constantin. Constance transplanta une de leurs colonies dans le pays d’Amiens, de Beauvais, de Langres, de Troyes, et conclut un traité avec le reste. Après cette époque, des Francs entrèrent au service des empereurs. On voit successivement Sylvanus, Mellobald, Mérobald, Balton, Rikhomer, Carietton, Arbogaste, revêtus des grandes charges militaires de l’empire. Mais d’autres Francs indépendants, Genobalde, Markhomer et Sunnon, restèrent ennemis, et firent du temps de Maxime une irruption dans les Gaules ; ils paraissaient s’y être fixés pendant le règne d’Honorius, vers l’an 420, et on leur donne pour conducteur le roi Pharamond. Comprenons toujours bien que ce nom de roi ne signifie que chef militaire (coning) de différents degrés sur-roi, sous-roi, demi-roi : ober, under, halfkoning (Thierry).
Il n’est pas du tout sûr qu’il ait existé un Pharamond et que ce Pharamond fut le père de Clodion ; mais il est certain que Clodion, ou plutôt Clodion le Chevelu, était roi des Francs occidentaux en 427, et qu’il s’empara de Tournai et de Cambrai en 445. Aetius le chassa de ses conquêtes en deçà du Rhin. Clodion mourut en 447 ou 448.
Les uns lui donnent deux fils, les autres trois, parmi lesquels se trouverait Auberon, dont on ferait descendre Ansbert, tige de la famille de la seconde race.
On ignore quel fut le père de Mérovée ou Mérovigh, successeur de Clodion : était-il son fils ? avait-il un frère aîné, lequel implora le secours d’Attila, tandis que Mérovigh se jeta sous la protection des Romains ? Il est prouvé que Mérovigh n’était pas ce beau jeune Franc qui portait une longue chevelure blonde qu’Aetius adopta pour fils, et que Priscus avait vu à Rome. Les savants ont fort disserté sur tout cela, sans réfléchir que la royauté, ou plutôt la cheftainerie, étant élective chez les Francs, il n’y avait rien de plus naturel que de trouver des chefs successifs qui n’étaient pas fils les uns des autres. Roriron dit qu’après la mort de Clodion Mérovigh fut élu roi des Francs. Frédégher raconte que la femme de Clodion, se baignant un jour dans la mer, fut surprise par un monstre dont elle eut Mérovigh : fable mêlée de mythologie grecque et Scandinave.
Selon un certain poète, appelé Virgile, dit le même auteur, Priam fut le premier roi des Francs, et Friga fut le successeur de Priam Troie étant prise, les Francs se séparèrent en deux bandes ; l’une, commandée par le roi Francio, s'avança en Europe et s'établit sur les bords du Rhin. L’auteur des Gestes des Rois francs, Paul Diacre, Roricon, Aimoin, Siegbert de Ghemblours, font le même récit. Annius de Viterbe, enchérissant sur ces chroniques, compose une généalogie des rois gaulois et des rois francs ; il donne vingt-deux rois aux Gaulois avant la guerre de Troie. Sous Remus, le dernier de ces rois, arriva la prise de Troie ; et Francus, fils d’Hector, vint épouser dans les Gaules la fille de Remus. On veut que les Francs qui combattirent dans l’armée romaine, aux champs catalauniques, fussent commandés par Mérovigh.
Mérovigh eut pour successeur, l’an 456, Childéric 1er, son fils. Childéric, enlevé encore enfant par un parti de l’armée des Huns, fut délivré par un Franc nommé Viomade. Childéric était un chef dissolu, que les Francs chassèrent. Il se retira en Thuringe, auprès d’un roi nommé Bisingh. Les Francs se donnèrent pour chef Egidius, commandant des armées romaines. Au bout de huit ans, Childéric fut rappelé ; Viomade lui renvoya la moitié d’une pièce d’or qu’ils avaient rompue, et qui devait être le signe d’une réconciliation avec son pays. Le vrai de tout cela, c’est que Childéric était allé à Constantinople, d’où l’empereur le dépêcha en Gaule pour contre-balancer l’autorité suspecte d’Egidius.
Bazine, femme du roi de Thuringe, accourut auprès de son hôte Childéric, et lui dit : Je viens habiter avec toi : si je savais qu'il y eût outre mer quelqu'un qui me fût plus utile que toi, je l’eusse été chercher pour dormir avec lui. Childéric se réjouit, et la prit à femme. La première nuit de leur mariage, Bazine dit à Childéric : Abstenons-nous ; lève-toi, et ce que tu verras dans la cour du logis, tu le viendras dire à ta servante. Childéric se leva, et vit passer des bêtes qui ressemblaient à des lions, à des licornes et à des léopards. Il revint vers sa femme, et lui dit ce qu’il avait vu, et sa femme lui dit : Maître, va derechef, et ce que tu verras, tu le raconteras à ta servante. Childéric sortit de nouveau, et vit passer des bêtes semblables à des ours et à des loups. Ayant raconté cela à sa femme, elle le fit sortir une troisième fois, et il vit des bêtes d’une race inférieure. Là-dessus Bazine explique à Childéric toute sa postérité, et elle engendra un fils nommé Clovis : celui-ci fut grand, guerrier illustre, et semblable à un lion parmi les rois. Voici déjà poindre l’imagination du moyen âge ; elle se retrouve dans l’histoire du mariage de Clotilde ou Chrotechilde, fille de Chilpéric et nièce de Gondebald, roi de Bourgogne.
Le Gaulois Aurélien, déguisé en mendiant, portant sur son dos une besace au bout d’un bâton, est chargé du message : il devait remettre à Clotilde un anneau que lui envoyait Clovis, afin qu’elle eût foi dans les paroles du messager. Aurélien, arrivé à la porte de la ville (Genève), y trouva Clotilde assise avec sa sœur Sœdehleuba : les deux sœurs exerçaient l’hospitalité envers les voyageurs, car elles étaient chrétiennes. Clotilde s’empresse de laver les pieds d’Aurélien. Celui-ci se penche vers elle, et lui dit tout bas : Maîtresse, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer, si tu me veux conduire dans un lieu où je te puisse parler en secret. - Parle, lui répond Clotilde. Aurélien dit : Clovis, roi des Francs, m'envoie vers toi ; si c'est la volonté de Dieu, il désire vivement t'épouser, et, pour que tu me croies, voilà son anneau. Clotilde l’accepte, et une grande joie reluit sur son visage ; elle dit au voyageur : Prends ces cent sous d’or pour récompense de ta peine, avec mon anneau Retourne vers ton maître ; dis-lui que, s’il me veut épouser, il envoie promptement des ambassadeurs à mon oncle Gondebald. C’est une scène de l’Odyssée.
Aurélien part ; il s’endort sur le chemin ; un mendiant lui vole sa besace, dans laquelle était l’anneau de Clotilde ; le mendiant est pris, battu de verges, et l’anneau retrouvé. Clovis dépêche des ambassadeurs à Gondebald, qui n’ose refuser Clotilde. Les ambassadeurs présentent un sou et un denier, selon l’usage, fiancent Clotilde au nom de Clovis, et l’emmènent dans une basterne2. Clotilde trouve qu’on ne va pas assez vite ; elle craint d’être poursuivie par Aridius, son ennemi, qui peut faire changer Gondebald de résolution. Elle saute sur un cheval, et la troupe franchit les collines et les vallées.
Aridius, sur ces entrefaites, étant revenu de Marseille à Genève, remontre à Gondebald qu’il a égorgé son frère Chilpéric, père de Clotilde ; qu’il a fait attacher une pierre au cou de la mère de sa nièce, et l’a précipitée dans un puits ; qu’il a fait jeter dans le même puits les têtes des deux frères de Clotilde ; que Clotilde ne manquera pas d’accourir se venger, secondée de toute la puissance des Francs. Gondebald, effrayé, envoie à la poursuite de Clotilde ; mais celle-ci, prévoyant ce qui devait arriver, avait ordonné d’incendier et de ravager douze lieues de pays derrière elle. Clotilde sauvée s’écrie : Je te rends grâces, Dieu tout-puissant, de voir le commencement de la vengeance que je devais à mes parents et à mes frères3. ! Véritables mœurs barbares, qui n’excluent pas la mansuétude des mœurs chrétiennes mêlées dans Clotilde aux passions de sa nature sauvage.
Avant son mariage, Clovis, âgé de vingt ans, avait attaqué la Gaule. Les monuments historiques prouvent que son invasion fut favorisée, surtout dans le midi de la France, par les évêques catholiques, en haine des Visigoths ariens. Clovis battit les Romains à Soissons, et les Allemands à Tolbiac. Il se fit ensuite chrétien : saint Remi lui conféra le baptême le jour de Noël, l’an 496.
Les Bourguignons et les Visigoths subirent tour à tour les armes de Clovis. Les Armoriques (la Bretagne), depuis longtemps soustraites à l’autorité des Romains, consentirent à reconnaître celle du fils de Mérovigh. Anastase, empereur d’Orient, envoya à Clovis le titre et les insignes de patrice, de consul et d’auguste.
Ce fut à peu près à cette époque que Clovis vint à Paris : Childéric, son père, avait occupé cette ville quand il pénétra dans les Gaules.
Clovis tua ou fit tuer tous ses parents, petits rois de Cologne, de Saint-Omer, de Cambrai et du Mans.
Le premier concile de l’Église gallicane se tint sous Clovis à Orléans, l’an 511. On y trouve les principes du droit de régale, droit qui faisait rentrer au fisc les revenus d’un bénéfice laissé sans maître pendant la vacance du bénéfice. Clovis ne comprit sans doute ce droit que comme un impôt que les prêtres lui accordaient sur leurs biens : quelques legs testamentaires du chef des Francs me font présumer qu’il ne parlait pas latin. Il suffit de mentionner ce droit de régale pour entrevoir les abîmes qui nous séparent du passé : étrangers à notre propre histoire, ne nous semble-t-il pas qu’il s’agisse de quelque coutume de la Perse ou des Indes ? On fixe à cette même année 511 la rédaction de la loi salique, la mort de sainte Genovefe (Geneviève) et celle de Clovis. La bergère gauloise et le roi franc furent inhumés dans l’église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, qui prit dans la suite le nom de la patronne de Paris ; on célébrait encore au commencement de la révolution une messe pour le repos de l’âme du Sicambre, dans l’église même où il avait été enterré. La vérité religieuse a une vie que la vérité philosophique et la vérité politique n’ont pas : combien de fois les générations s’étaient-elles renouvelées, combien de fois la société avait-elle changé de mœurs, d’opinions et de lois, dans l’espace de douze cent quatre-vingts ans ! Qui s’était souvenu de Clovis à travers tant de ruines et de siècles ? un prêtre sur un tombeau.
Clovis laissa quatre fils : Thierry, fils d’une concubine ; Clodomir, Childebert, Clotaire, fils de Clotilde. Le royaume fut partagé selon la loi salique comme un bien de famille ; on en fit quatre lots, qui furent tirés au sort : il n’y avait point de droit d’aînesse ; nous avons vu que les lois des barbares favorisaient le cadet. La France s’étendait alors du Rhin aux Pyrénées et de l’Océan aux Alpes ; elle possédait de plus la terre natale des Francs, au delà du Rhin, jusqu’à la Westphalie ; mais ces limites changeaient à tout moment. Une section géographique plus fixe avait lieu ; le royaume de ce côté-ci de la Loire se divisait en oriental et occidental, Oster-Rike et Neoster-Rike ; l’Austrasie comprenait le pays entre le Rhin, la Meuse et la Moselle ; la Neustrie embrassait le territoire entre la Meuse, la Loire et l’Océan. Au delà de la Saône et de la Loire était la Gaule conquise sur les Burgondes ou Bourguignons et les Visigoths. Les chroniqueurs et les hagiographes disent souvent la France et la Gaule, distinguant l’une de l’autre.
Les quatre rois, pour succéder à la couronne, obtinrent le consentement des Francs. Les quatre royaumes étaient fédératifs sous une même loi politique ; il y avait une assemblée commune qui délibérait sur les affaires communes aux quatre États.
Les fils de Clovis eurent à soutenir la guerre contre Théodoric, roi d’Italie, contre Amalaric, roi des Visigoths d’Espagne, contre Balric, roi de Thuringe, contre Sigismond et Gondemar, rois de Bourgogne. La Bourgogne fut subjuguée et réunie à la France : ce royaume des Burgondes avait subsisté cent vingt ans. Clodomir, roi d’Orléans, fut tué à la bataille de Véseronce près de Vienne.
Il laissa trois fils : Théodebert, Gonther et Clodoald, élevés par Clotilde, veuve de Clovis. Childebert et Clotaire, pour s’emparer de ces jeunes enfants, députent Arcade à Clotilde : c’était un sénateur de la ville de Clermont, homme choisi parmi ces vaincus qui ne refusent aucune condition de l’esclave, et qu’on attache au crime comme à la glèbe. Il portait à Clotilde des ciseaux et une épée nue, et il lui dit : Ô glorieuse reine, tes fils, nos seigneurs, désirent connaître ta volonté concernant tes petits-enfants : ordonnes-tu qu'on leur coupe les cheveux, ou qu’on les égorge ? À ce message, Clotilde, saisie de terreur, regardant tour à tour l’épée nue et les ciseaux, répondit : Si mes petits-enfants ne doivent pas régner, je les aime mieux voir morts que tondus. Arcade ne laissant pas à l’aïeule le temps de s’expliquer plus clairement, revint trouver les deux rois, et leur dit : Accomplissez votre dessein ; la reine étant favorable se veut bien rendre à votre conseil. Paroles ambiguës, qu’on pouvait expliquer dans un sens divers, selon l’événement. Clotaire saisit le plus âgé des enfants, le jette contre terre, et lui enfonce son couteau sous l’aisselle. À ses cris son frère se prosterne aux pieds de Childebert, embrasse ses genoux, et lui dit tout en larmes : Secours-moi, mon très cher père, afin qu'il ne soit pas fait à moi comme à mon frère. Alors Childebert se prit à pleurer, et dit : Je t'en prie, mon très doux frère, que ta générosité m'accorde la vie de celui-ci Ce que tu me demanderas, je te l'accorderai, pourvu qu'il ne meure point. Clotaire obstiné au meurtre, dit : Rejette l'enfant loin de toi, ou meurs pour lui : tu as été l'instigateur de la chose, et maintenant tu me veux fausser la foi ! Childebert entendant ceci repoussa l’enfant, et Clotaire lui perça le côté avec son couteau, comme il avait fait à son frère ; ensuite Clotaire et Childebert tuèrent les nourriciers et les enfants compagnons de leurs neveux : l’un était âgé de dix ans, l’autre de sept. Clodoald, le troisième fils de Clodomir, fut sauvé par le secours d’hommes puissants4. Clodoald, devenu grand, abandonna le royaume de la terre, passa à Dieu, coupa ses cheveux, et persistant dans les bonnes œuvres, sortit prêtre de cette vie (7 septembre 560). Il bâtit un monastère au bourg de Noventium, qui changea son nom pour prendre celui du petit-fils de Clovis. Et Saint-Cloud vient de voir partir pour un dernier exil le dernier successeur du premier de nos rois !
Dans ces crimes de Clotaire et de Childebert, distinguez ce qui appartient à la civilisation de ce qui tient à la barbarie. Le massacre par les propres mains de Clotaire est du sauvage ; le désir d’envahir un trône et d’accroître un État est de l’homme civilisé. Tous les frères de Clotaire étant morts, il hérite d’eux : il livre bataille à son fils Khramn, qui s’était déjà révolté ; il le défait, et le brûle avec toute sa famille dans une chaumière. Clotaire meurt à Compiègne (562).
Ses quatre fils partagèrent de nouveau ses États, toujours avec l’assentiment des Francs ; mais les quatre royaumes n’eurent pas les mêmes limites.
Sigebert épousa Brunehaut, fille puînée d’Athanagilde, roi des Wisigoths : elle était arienne, et se fit catholique. Chilpéric Ier eut pour maîtresse Frédégonde, qu’il épousa lorsque Galswinte, sa femme, sœur aînée de Brunehaut, fut morte.
Les démêles et les fureurs de ces deux belles femmes amènent des guerres civiles, des empoisonnements, des meurtres, et occupent les règnes confus de Caribert, de Gontran, de Sigebert 1er, de Chilpéric Ier, de Childebert II, de Clotaire II, de Thierry Ier, de Théodebert II. Clotaire II se trouve enfin seul maître du royaume des Francs, en 613.
Les Lombards s’étaient établis en Italie (563) seize ans après l’extinction du royaume des Ostrogoths. L’exarchat de Ravenne avait commencé sous le patrice Longin, envoyé de l’empereur Justin. Les maires du palais firent sentir leur autorité croissante dans l’Austrasie et la Bourgogne.
Les Gascons ou Wascons, vers l’an 593, descendirent des Pyrénées, et s’établirent dans la Novempopulanie, à laquelle ils donnèrent leur nom ; ils s’étendirent peu à peu jusqu’à la Garonne. Il y eut guerre avec ces peuples : Théodebert II, après les avoir défaits, leur donna pour chef Genialis, qui fut le premier duc de Gascogne.
Il ne faut croire ni tout le bien que Fortunat, Grégoire de Tours et saint Grégoire, pape, ont dit de Brunehaut, ni tout le mal qu’en ont raconté Frédégher, Aimoin et Adon, qui d’ailleurs n’étaient pas contemporains de cette princesse : c’était à tout prendre une femme de génie, et dont les monuments sont restés. Si elle fut mise à la torture pendant trois jours, promenée sur un chameau au milieu d’un camp, attachée à la queue d’un cheval, déchirée et mise en pièces par la course de cet animal fougueux, ce ne fut pas pour la punir de ses adultères, puisqu’elle avait près de quatre-vingts ans. Si elle avait fait mourir dix rois (ce qui est prouvé faux), il eût été plus juste de lui faire un crime des princes qu’elle avait mis au monde que de ceux dont elle avait délivré la France.
Clotaire décéda l’an 628. Il eut deux fils : Dagobert et Caribert. Caribert mourut vite, et Dagobert donna du poison à Childéric, fils aîné de Caribert. Un autre fils de ce prince, Bogghis, se contenta de l’Aquitaine à titre de duché héréditaire.
Le roi Dagobert menoit toujours avec lui grande tourbe de concubines, c’est-à-dire des meschines, qui pas n'étoient ses épouses, sans autres qu'il avoit autre part, qui avoient et nom et aornement de roynes (Mer des Hist. et chron.). Grégoire de Tours cite trois reines : Nanthilde, Vulfgunde et Berthilde ; il se dispense de nommer les concubines, parce qu’elles sont, dit-il, en trop grand nombre. Les trésors de Dagobert et de Saint-Denis sont demeurés fameux. En chasses le roi se déportoit acoustumément (Mer des Hist.). Il y a une belle et poétique histoire d’un cerf qui se réfugia dans une petite chapelle bâtie à Catulliac par sainte Genofeve, sur les corps de saint Denis et de ses compagnons. Ce fut là que Dagobert jeta les fondements de ce Capitole des Français, où se conservaient leurs chroniques avec les cendres royales, comme les pièces à l’appui des faits. Bonaparte fit reconstruire les souterrains dévastés et leur promit sa poussière en indemnité des vieilles gloires spoliées : il a déçu sa tombe. Louis XVIII occupe à peine un coin obscur des caveaux vides, avec les restes plus ou moins retrouvés de Marie-Antoinette, de Louis XVI, et quelques ossements rapportés de l’exil. Puis s’est venu cacher auprès de son père, le dernier des Condé, devant le cercueil duquel Bossuet fût demeuré muet. Et enfin le duc de Berry attend inutilement son père, son frère et son fils, dans ces sépulcres d’espérance. Que sert-il de préparer d’avance un asile au néant, quand l’homme est chose si vaine qu’il n’est pas même sûr de naître ?
Les deux fils de Dagobert, Sigebert II ou III, roi d’Austrasie, Clovis II, roi de Bourgogne et de Neustrie, gouvernèrent l’empire des Francs. Pépin le vieux avait été maire du palais sous Dagobert ; il continua de l’être sous Sigebert.
Suit l’histoire confuse de Dagobert II et III, de Clotaire III, de Childéric II, de Thierry III. La puissance royale avait passé aux maires du palais après les sanglants démêlés de Grimoald, d’Achambauld, de l’évêque Léger et d’Ébroïn.
Ébroïn est assassiné ; plusieurs maires du palais sont élus : Berther est le dernier. Pépin de Héristal, duc d’Austrasie, petit-fils de Pépin le vieux, père de Charles Martel, aïeul de Pépin le Bref et trisaïeul de Charlemagne, fait la guerre à Thierry, auquel il donnait toujours le nom de roi. Thierry est battu, et Pépin, au lieu de le détrôner, règne à côté de lui sous le nom de maire du palais. Pépin fait rentrer dans l’obéissance les peuples qui s’étaient soustraits à l’autorité des Francs.
A Thierry III commence la série des rois surnommés fainéants. L’âpre sève de la première race s’affadit promptement, et les fils de Clovis tombèrent vite du pavois dans un fourgon traîné par des bœufs.
Pépin continua de régner sous Clovis III, Childebert III, fils de Thierry, et sous une partie du règne de Dagobert III, fils de Childebert III (de 692 à 714). Pépin meurt, et paraît, avant de mourir, ou méconnaître les grandes qualités de son fils Charles (Martel), ou n’oser le faire élire à sa place, parce que Charles n’était que le fils d’une concubine, Alpaïde : il lui substitua son petit-fils Theudoalde. Un enfant devint maire du palais sous la tutelle de Plectrude, son aïeule, comme s’il eût été un roi héréditaire Charles, qui ne portait pas encore son surnom, est emprisonné au désir de Plectrude. Les Francs se soulèvent : Theudoalde fuit ; Charles se sauve de sa prison ; les Austrasiens le reconnaissent pour leur duc.
Les Sarrasins appelés par le comte Julien chassaient alors les Visigoths et envahissaient l’Espagne. Les peuples du Nord se ruaient sur la France.
Dagobert meurt et laisse un fils nommé Thierry ; mais les Francs choisirent Daniel, fils de Childéric II, qui régna sous le nom de Chilpéric II. Il combattit Charles, duc d’Austrasie, qui le vainquit. Celui-ci fit nommer roi Clotaire IV. Ce Clotaire mourut tôt, et Chilpéric II, retiré en Aquitaine, fut rappelé par Charles, qui se contenta d’être son maire du palais.
Thierry IV, dit de Chelles, fils de Dagobert III, succède à Chilpéric II (720). C’est sous ce règne que Charles Martel déploya ces talents de victoire qui lui valurent ce surnom. Les Sarrasins avaient déjà traversé l’Espagne, passé les Pyrénées et inondé la France jusqu’à la Loire, Charles Martel les écrasa entre Tours et Poitiers, et leur tua plus de trois cent mille hommes (732). C’est un des plus grands événements de l’histoire : les Sarrasins victorieux, le monde était mahométan. Charles abattit encore les Frisons, les fit catholiques, bon gré mal gré, et réunit leur pays à la France.
Charles vainquit Eudes, duc d’Aquitaine, et força Hérald, fils d’Eudes, à lui faire hommage des domaines de son père.
Thierry étant décédé, Charles régna seul sur toute la France comme duc des Francs, depuis 737 jusqu’à 741. Il contint les Saxons soulevés de nouveau, chassa les Sarrasins de la Provence. Grégoire III lui proposa de se soustraire, lui pape, à la domination de l’empereur Léon, et de le proclamer, lui Charles, consul de Rome : commencement de l’autorité temporelle des papes.
Charles meurt (741) Carloman et Pépin, ses fils, se partagent l’autorité royale. Pépin, élu chef de la Neustrie, de la Bourgogne et de la Provence, proclame roi Childéric III, fils de Childéric II, dans cette partie du royaume ; Carloman reste gouverneur de l’Austrasie, puis se retire à Rome et embrasse la vie monastique.
Quand le voyageur français regarde le Soracte à l’horizon de la campagne romaine, se souvient-il qu’un Franc, fils de Charles Martel, frère de Pépin le Bref, et oncle de Charlemagne, habitait une cellule au haut de cette montagne ?
Childéric III est détrôné, tondu et enfermé dans le monastère de Sithin (Saint-Bertin). Il mourut en 754. Son fils Thierry passa sa vie à l’ombre des cloîtres, dans le couvent de Fontenelles, en Normandie. Les Mérovingiens avaient régné deux cent soixante-dix ans.
Si les Études qui précèdent sont fondées sur des faits incontestables, le lecteur ne s’est point trouvé en un pays nouveau dans le royaume des Francs ; c’est toujours l’empire barbare romain, tel qu’il existait plus d’un siècle avant l’invasion de Clovis. Seulement le peuple vainqueur, qui s’est substitué à la souveraineté des césars, parle sa langue maternelle et se distingue par quelques coutumes de ses forêts ; le fond de la société est demeuré le même. Au lieu de généraux romains, on voit des chefs germaniques qui se font gloire de jeter sur leur casaque étroite et bigarrée la pourpre consulaire qu’on leur envoie de Constantinople, mais à laquelle ils n’étaient pas étrangers. Tout était romain, religion, lois, administration : les Gaules, et surtout le Lyonnais, l’Auvergne, la Provence, le Languedoc, la Guyenne, étaient couverts de temples, d’amphithéâtres, d’aqueducs, d’arcs de triomphe et de villes ornées de Capitoles ; les voies militaires existaient partout ; Brunehaut les fit réparer. Il est vrai que les rois de la première race et les maires du palais les plus fameux, entre autres Charles Martel, saccagèrent des cites qu’avaient épargnées les précédents barbares. Avignon fut détruit de fond en comble ; Agde et Béziers éprouvèrent le même sort. C’est encore Charles le Martel qui renversa Nîmes (738) ; il y ensevelit ces ruines que nous essayons d’exhumer.
La nature des propriétés ne changea pas davantage sous la domination des Francs ; l’esclavage était de droit commun chez les barbares comme chez les Romains, bien qu’il fût plus doux chez les premiers. Ainsi la servitude que l’on remarque en Gaule devenue franque n’était point le résultat de la conquête ; c’était tout simplement ce qui existait parmi le peuple vainqueur et parmi le peuple vaincu, l’effet de ces lois grossières nées de la rude liberté germanique, et de ces lois élaborées, écloses du despotisme raffiné de la civilisation romaine. Les Gaulois que la conquête franque trouva libres restèrent libres ; ceux qui ne l’étaient pas portèrent le joug auquel les condamnait le code romain, les lois salique, ripuaire, saxonne, gombette et wisigothe. La propriété moyenne continuait à se perdre dans la grande propriété, par les raisons qu’en donne Salvien : De Gub. (Voyez l’Étude cinquième, troisième partie)
Quant à l’état des personnes, le tarif des compositions annonce bien la dégradation morale de ces personnes, mais ne prouve pas le changement de leur état. Les noms seuls suffisent pour indiquer la position des hommes : presque tous les noms des évêques et des chefs des emplois civils sont latins de ce côté-ci de la Loire, dans les premiers siècles de la monarchie, et presque tous les noms de l’armée sont francs ; mais en Provence, en Auvergne, et de l’autre côté de la Loire jusqu’aux Pyrénées, presque tous les noms sont d’origine latine ou gothique dans l’armée, l’Église et l’administration. Lorsque les chefs francs commencèrent à entrer eux-mêmes dans le clergé, et que le soldat devint moine, l’évêque et le moine se firent à leur tour soldats. On voit dès la première race l’évêque d’Auxerre, Hincmar, combattre avec Charles Martel contre les Sarrasins, et contribuer puissamment à la victoire. (Hist. epis. Autis.)
Les sciences et les lettres furent à cette époque dans les Gaules ce qu’elles étaient dans le monde romain, selon le degré d’instruction et le plus ou moins de tranquillité des diverses provinces de l’empire. Fortunat, Frédégher, Grégoire de Tours, Marculfe, saint Remi, une foule d’ecclésiastiques et quelques laïques lettrés, écrivaient alors.
Sous le rapport politique, nous voyons le dernier des Mérovingiens tondu et renfermé dans un cloître : ce n’est point encore là une nouveauté ; l’usage remontait plus haut ; on rasait les derniers empereurs d’Occident pour en faire des prêtres et des évêques.
Mais il ne me semble pas certain que Chilpéric devint moine, bien qu’on lui coupa les cheveux et qu’on le confina dans un monastère. Couper les cheveux à un Mérovingien, c’était tout simplement le déposer et le reléguer dans la classe populaire. On dépouillait un roi franc de sa chevelure comme un empereur de son diadème. Les Germains, dans leur simplicité, avaient attaché le signe de la puissance à la couronne naturelle de l’homme.
Il arriva que l’inégalité des rangs se glissa par cette coutume dans la nation. Pour que les chefs fussent distingués des soldats, il fallut bien que ceux-ci se coupassent les cheveux : le simple Franc portait les cheveux courts par derrière et longs par devant (Sidoine). Clovis et ses premiers compagnons, en revenant de la conquête du royaume des Visigoths, offrirent quelques cheveux de leur tête à des évêques. Ces Samson leur laissaient ce gage comme un signe de force et de protection. Un pêcheur trouva le corps d’un jeune homme dans la Marne ; il le reconnut pour être le corps de Clovis II, à la longue chevelure dont la tête était ornée et dont l’eau n’avait pas encore déroulé les tresses (Greg. Tur., lib. VIII). Les Bourguignons à la bataille de Véseronce reconnurent au même signe qu’un chef franc, Clodomir, avait été tué. Ces chefs, dit Agathias, portent une chevelure longue ; ils la partagent sur le front et la laissent tomber sur leurs épaules ; ils la font friser ; ils l'entretiennent avec de l’huile ; elle n'est point sale, comme celle de quelques peuples, ni tressée en petites nattes, comme celle des Goths. Les simples Francs ont les cheveux coupés en rond, et il ne leur est pas permis de les laisser croître.
On prêtait serment sur ses cheveux.
A douze ans on coupait pour la première fois la chevelure aux enfants de la classe commune : cela donnait lieu à une fête de famille appelée capitolatoria.
Les clercs étaient tondus comme serfs de Dieu : la tonsure a la même origine.
On condamnait les conspirateurs à s’inciser mutuellement les cheveux.
Les Visigoths paraissent avoir attaché aux cheveux la même puissance que les Francs : un canon du concile de Tolède, de l’an 628, déclare qu’on ne pourra prendre à roi celui qui se sera fait couper les cheveux.
Quand les cheveux repoussaient, le pouvoir revenait. Thierry III recouvra la dignité royale, qu’il avait perdue en perdant ses cheveux (quam nuper tonsoratus amiserat recepit dignitatem). Clovis avait fait couper les cheveux au roi Khararik et à son fils. Khararik pleurait de sa honte ; son fils lui dit : Les feuilles tondues sur le bois vert ne sont pas séchées : elles renaissent promptement. (In viridi ligno hae frondes succisae sunt, nec omnino arescunt, sed velociler emergunt.)
La couronne même de Charlemagne n’usurpa point sur la chevelure du Franc l’autorité souveraine. Lothaire se voulait saisir de Charles, son frère, pour le tondre et le rendre incapable de la royauté ; la nature avait devancé l’inimitié fraternelle, et la tête de Charles le Chauve offrait l’image de son impuissance à porter le sceptre.
Mais vers la fin du Vie siècle il y avait déjà des Gaulois-Romains qui laissaient croître leur barbe et leurs cheveux : les Francs toléraient cette imitation, pour cacher peut-être leur petit nombre. Grégoire de Tours remarque que le bienheureux Léobard n'était pas de ceux qui cherchent à plaire aux barbares en laissant flotter épars les anneaux de leurs cheveux. (Dimissis capillorum flagellis barbarum plaudebat, De Vit. Patrum.) Le précepteur de Dagobert, Saudreghesil, avait une longue barbe, puisque Dagobert la lui coupa. Enfin, dans le XIIe siècle, les rois abrogèrent la loi qui défendait aux serfs de porter les cheveux longs. Cette abrogation fut obtenue à la sollicitation de Pierre Lombard, évêque de Paris, et de plusieurs autres prélats. Les ecclésiastiques, en envoyant leurs serfs à la guerre et les donnant pour champions, exigèrent qu’ils eussent l’extérieur des ingénus contre lesquels ils combattaient. Voilà comment la longue chevelure a marqué parmi nous une grande époque historique, comment elle a servi à marquer le passage de l’esclavage à la liberté, et la transformation du Franc en Français. Il faut toutefois remarquer qu’il y avait des Gaulois appelés capillati, crinosi, une Gaule chevelue, Gallia comata; que les Bretons portaient les cheveux longs comme les Francs (Frédégher) ; que dans les vies de plusieurs saints gaulois on voit ces saints arranger leur chevelure. Est-il probable que les Francs en se fixant au milieu de leurs conquêtes aient forcé tous les peuples qui reconnaissaient leur domination à quitter leurs usages ? C’est donc particulièrement de la nation victorieuse qu’il faut entendre tout ce qui est dit concernant les cheveux dans notre histoire.
Je ne m’arrêterai point à l’examen de cette seconde invasion des Francs, qu’on place à l’avènement des maires de la race Carlovingienne, laquelle invasion aurait donné la couronne à cette race : qu’il y eut des guerres civiles continuelles entre les Francs de l’Austrasie et les Francs de la Neustrie, rien n’est plus vrai ; que ces guerres conférèrent la puissance à ceux qui avaient le génie et qu’elles mirent les Carlovingiens à la place des Mérovingiens, rien n’est encore plus exact ; mais dans tout cela, il le faut dire, il n’y a pas trace d’invasion nouvelle. En attendant des preuves qui jusque ici ne se trouvent point, je ne puis penser comme des hommes habiles, dont je me plais, d’ailleurs, à reconnaître tout le mérite.
Il y eut sous la première race, et jusque sous la seconde, dans les familles souveraines barbares un désordre qui n’exista point dans les familles souveraines romaines. Les princes francs avaient plusieurs femmes et plusieurs concubines, et les partages avaient lieu entre les enfants de ces femmes sans distinction de droit d’aînesse, sans égard à la bâtardise et à la légitimité.
En résumé, la société, dans sa décomposition et sa recomposition, lente et graduelle, fut presque immobile sous les Mérovingiens : une transformation sensible ne se manifesta que vers la fin de la seconde race. Il n’y a donc rien d’important à examiner dans les cinq cents premières années de la monarchie, si ce n’est la marche ascendante de l’Église vers le plus haut point de sa domination. Les bas siècles furent tout entiers le règne et l’ouvrage de l’Église : je montrerai bientôt sa position, quand nous serons arrivés à l’entrée même de cette autre espèce de barbarie qu’on appelle le moyen âge ; barbarie d’où sont sorties, par la fusion complète des peuples païen, chrétien et barbare, les nations modernes.
1 Gibert (N.d.A.)
2 Sorte de voiture tirée par des mulets ou des chevaux, et dont l’intérieur était garni de coussins.
3 Hist. Franc., epit. (N.d.A.)
4 Viros fortes... qui postea vulgo barones appellati sunt (N.d.A.)
Traiter d’usurpation l’avènement de Pépin à la couronne, c’est un de ces vieux mensonges historiques qui deviennent des vérités à force d’être redits. Il n’y a point d’usurpation là où la monarchie est élective, on l’a déjà remarqué ; c’est l’hérédité qui dans ce cas est une usurpation. Pépin fut élu de l'avis et du consentement de tous les Francs, ce sont les paroles du premier continuateur de Frédégher. (Cap. XII.) Le pape Zacharie, consulté par Pépin, eut raison de répondre : Il me paraît bon et utile que celui-là soit roi qui sans en avoir le nom en a la puissance, de préférence à celui qui portant le nom de roi n'en garde pas l'autorité.
Les papes, d’ailleurs, pères communs des fidèles, ne peuvent entrer dans ces questions de droit ; ils ne doivent reconnaître que le fait : sinon la cour de Rome se trouverait enveloppée dans toutes les révolutions des cours chrétiennes ; la chute du plus petit trône au bout de la terre ébranlerait le Vatican. Le prince, dit Eghinard, se contentait d’avoir les cheveux flottants et la barbe longue ; il était réduit à une pension alimentaire, réglée par le maire du palais ; il ne possédait qu’une maison de campagne d'un revenu modique, et quand il voyageait, c'était sur un chariot traîné par des bœufs et qu’un bouvier conduisait à la manière des paysans.
Les intérêts, sans doute, vinrent à l’appui des réalités politiques. Il avait existé de grandes liaisons entre les papes Grégoire II, Grégoire III et le maire du palais Charles Martel. Pépin désirait être roi des Francs, comme Zacharie désirait se soustraire au joug des empereurs de Constantinople, protecteurs des iconoclastes, et à l’oppression des Lombards. Saint Boniface, évêque de Mayence, ayant besoin de l’entremise des Francs pour étendre ses missions en Germanie, fut le négociateur qui mena toute cette affaire entre Zacharie et Pépin. Et pourtant Pépin crut devoir demander l’absolution de son infidélité envers Childéric III au pape Etienne, bien aise qu’était celui-ci qu’on lui reconnût le droit de condamner ou d’absoudre.
D’un autre côté, les ducs d’Aquitaine refusèrent assez longtemps de se soumettre à Pépin ; nous les voyons, jusque sous la troisième race, renier Hugues Capet et dater les actes publics : Rege terreno deficiente, Christo regnante. Guillaume le Grand, duc d’Aquitaine à cette époque, ne reconnut d’une manière authentique que Robert fils de Hugues : Regnante Roberto, rege theosopho. On eût ignoré les causes secrètes des rudes guerres que Pépin d’Héristal, Charles Martel, Pépin le Bref et Charlemagne firent aux Aquitains si la charte d’Alaon, imprimée dans les conciles d’Espagne, commentée et éclaircie par dom Vaissette, ne prouvait que les ducs d’Aquitaine descendaient d’Haribert par Bogghis, famille illustre qui s’est perpétuée jusqu’à Louis d’Armagnac, duc de Nemours, tué à la bataille de Cérignoles, en 1503. Ainsi les ducs d’Aquitaine venaient en directe ligne de Clovis ; la force seule les put réduire à n’être que les vassaux d’une couronne dont leurs pères avaient été les maîtres. Il est curieux de remarquer aujourd’hui l’ignorance ou la mauvaise foi d’Eghinard ; après avoir dit que Charles et Carloman succédèrent à Pépin leur père, il ajoute : L’Aquitaine ne put demeurer longtemps tranquille, par suite des guerres dont elle avait été le théâtre.Un certain Hunold,aspirant au pouvoir, excita les habitants... Or, ce certain Hunold était fils d’Eudes, duc d’Aquitaine et père de Waiffer, également duc d’Aquitaine et héritier de la maison des Mérovingiens. Je me suis arrêté à ces guerres d’Aquitaine, dont aucun historien, Gaillard et La Bruère exceptés, n’a touché la vraie cause : c’était tout simplement une lutte entre un ancien fait et un fait nouveau, entre la première et la seconde race.
Pépin, élu roi à Soissons (751), défait les Saxons ; il passe en Italie à la prière du pape Etienne III, pour combattre Astolphe, roi des Lombards, qui menaçait Rome après s’être emparé de l’exarchat de Ravenne. Pépin reprend l’exarchat, le donne au pape, et jette le fondements de la royauté temporelle des pontifes.
Après Pépin vient son fils, qui ressuscite l’empire d’Occident. Charlemagne continue contre les Saxons cette guerre qui dura trente trois années ; il détruit en Italie la monarchie des Lombards, et refoule les Sarrasins en Espagne. La défaite de son arrière-garde à Roncevaux engendre pour lui une gloire romanesque qui marche de pair avec sa gloire historique.
On compte cinquante-trois expéditions militaires de Charlemagne ; un historien moderne en a donné le tableau. M. Guizot remarque judicieusement que la plupart de ces expéditions eurent pour motifs d’arrêter et de terminer les deux grandes invasions des barbares du Nord et du Midi.
Charlemagne est couronné empereur d’Occident à Rome par le pape Léon III (800). Après un intervalle de trois cent vingt-quatre années, fut rétabli cet empire dont l’ombre et le nom restent encore après la disparition du corps et de la puissance.
Une sensibilité naturelle pour l’honneur d’un grand homme a porté presque tous les écrivains à se taire sur la destinée des cousins de Charlemagne : Pépin le Bref avait laissé deux fils, Carloman et Charles. Carloman eut à son tour deux fils, Pépin et Siaghre. Le premier a disparu dans l’histoire ; pendant près de neuf siècles on a ignoré le sort du second. Un manuscrit de l’abbaye de Saint-Pons de Nice, envoyé à l’évêque de Meaux, a fait retrouver Siaghre dans un moine de cette abbaye. Siaghre, devenu évêque de Nice, a été mis au rang des saints, et il était réservé à Bossuet de laver d’un crime la mémoire de Charlemagne.
Ce prince, qui était allé chercher les barbares jusque chez eux pour en épuiser la source, vit les premières voiles des Normands : ils s’éloignèrent en toute hâte de la côte que l’empereur protégeait de sa présence. Charlemagne se leva de table, se mit à une fenêtre qui regardait l’Orient, et y demeura longtemps immobile : des larmes coulaient le long de ses joues ; personne n’osait l’interroger. Mes fidèles, dit-il aux grands qui l'environnaient, savez-vous pourquoi je pleure ? Je ne crains pas pour moi ces pirates, mais je m'afflige que moi vivant ils aient osé insulter ce rivage. Je prévois les maux qu’ils feront souffrir à mes descendants et à leurs peuples. (Moine de Saint-Gall. )
Ce même prince, associant son fils, Hlovigh le Débonnaire à l’empire, lui dit : Fils cher à Dieu, à ton père et à ce peuple, toi que Dieu m’a laissé pour ma consolation, tu le vois, mon âge se hâte ; ma vieillesse même m'échappe : le temps de ma mort approche... Le pays des Francs m’a vu naître, Christ m’a accordé cet honneur ; Christ me permit de posséder les royaumes paternels : je les ai gardés non moins florissants que je ne les ai reçus Le premier d’entre les Francs j’ai obtenu le nom de césar, et transporté à la race des Francs l’empire de la race de Romulus. Reçois ma couronne, ô mon fils, Christ consentant, et avec elle les marques de la puissance...
Charles embrasse tendrement son fils, et lui dit le dernier adieu. (Ermold. Nigel.)
Le vieux chrétien Charlemagne pleurant à la vue de la mer, par le pressentiment des maux qu’éprouverait sa patrie quand il ne serait plus ; puis associant à l’empire, avec un cœur tout paternel, ce fils qui devait être si malheureux père ; racontant à ce fils sa propre histoire, lui disant qu’il était né dans le pays des Francs, qu’il avait transporté à la race des Francs l’empire de la race de Romulus ; Charlemagne annonçant que son temps est fini, que la vieillesse même lui échappe : ce sont de belles scènes qui attendent le peintre futur de notre histoire. Les dernières paroles d’un père de famille au milieu de ses enfants ont quelque chose de triste et de solennel : le genre humain est la famille d’un grand homme, et c’est elle qui l’entoure à son lit de mort.
Le poète de Hlovigh fait venir son nom Hludovicus du mot latin ludus, ou, ce qui est beaucoup plus vrai, des deux mots teutons, hlut, fameux, et wigh, dieu à la guerre. Hlovigh le Débonnaire était malheureusement trop bon écolier ; il savait le grec et le latin : l’éducation littéraire donnée aux enfants de Charlemagne fut une des causes de la prompte dégénération de sa race. Hlovigh hérita du titre d’empereur et de roi des Francs ; Pépin, autre fils de Charlemagne, avait eu en partage le royaume d’Italie.
Hlovigh le Débonnaire associa son fils Lothaire à l’empire (817), créa son autre fils Pépin duc d’Aquitaine, et son autre fils Hlovigh roi de France. Son quatrième fils, Charles II, dit le Chauve, qu’il avait eu de Judith, sa seconde femme, n’eut d’abord aucun partage.
Les démêlés de Hlovigh le Débonnaire et de ses fils eurent pour résultat deux dépositions et deux restaurations de ce prince, qui expira en 840, d’inanition et de chagrin.
Charles le Chauve n’avait que dix-sept ans lorsque son père décéda : il était roi de France, de Bourgogne et d’Aquitaine. Il s’unit à Hlovigh, roi de Bavière, son frère de père, contre Lothaire, empereur et roi d’Italie et de Rome. La bataille de Fontenai, en Bourgogne, fut livrée le 25 juin 841. Charles le Chauve et Hlovigh de Bavière demeurèrent vainqueurs de Lothaire et du jeune Pépin, fils de Pépin, roi d’Aquitaine, dont la dépouille avait été donnée par Hlovigh le Débonnaire à Charles le Chauve.
On a porté jusqu’à cent mille le nombre des morts restés sur la place :exagération manifeste. (Voir la savante Dissertation de l'abbé Lebœuf.) Mais ces affaires entre les Francs étaient extrêmement cruelles, et l’ordre profond qu’ils affectaient dans leur infanterie amenait des résultats extraordinaires. Thierry remporta, en 612, une victoire sur son frère Théodebert à Tolbiac, lieu déjà célèbre. Le meurtre fut tel des deux côtés, dit la Chronique de Frédégher, que les corps des tués, n’ayant pas assez de place pour tomber, restèrent debout serrés les uns contre les autres, comme s'ils eussent été vivants. (Stabant mortui inter caeterorum cadavera stricti, quasi viventes, cap. XXXVIII.)
Un des premiers historiens des temps modernes, M. Thierry, a fixé avec une rare perspicacité à la bataille de Fontenai le commencement de la transformation du peuple franc en nation française. La plus grande perte étant tombée sur les tribus qui se servaient encore de la langue germanique, les vainqueurs firent graduellement prévaloir les mœurs et la langue romanes. Cette bataille prépara encore une révolution par un autre effet : la plupart des anciens chefs francs y périrent, comme les anciens nobles Français restèrent au champ de Crécy ; ce qui amena au rang supérieur de la société les chefs d’un rang secondaire, de même encore que la seconde noblesse française surgit après les déroutes de Crécy et de Poitiers. Ces seconds Francs, fixés dans leurs fiefs, devinrent, sous la troisième race, la tige de la haute noblesse française.
L’empereur Lothaire, retiré à Aix-la-Chapelle, leva une nouvelle armée de Saxons et de Neustriens. Advint alors le traité et le serment entre Charles et Hlovigh, écrits et prononcés dans les deux langues de l’empire, la langue romane et la langue tudesque. Je ferai néanmoins observer qu’il y avait une troisième langue, le celtique pur, que l’on distinguait de la langue gauloise ou romane, comme le prouve ce passage de Sulpice Sévère : Parlez celtique ou gaulois, si vous aimez mieux (In vero celtice vel. si mavis, gallice loquere). Au milieu de ces troubles parurent les Normands, qui devaient achever de composer, avec les Gaulois-Romains, les Burgondes ou Bourguignons, les Visigoths, les Bretons, les Wascons ou Gascons, et les Francs, la nation française. Robert le Fort, bisaïeul de Hugues Capet, et qui possédait le duché de Paris, fut tué d’un coup de flèche en combattant contre les Normands des environs du Mans.
L’empereur Lothaire meurt en habit de moine (855) : prince turbulent, persécuteur de son père et de ses frères.
Charles le Chauve est empoisonné par le juif Sédécias, dans un village au pied du Mont-Cénis, en revenant en France (3 octobre 877).
Hlovigh le Bègue succède au royaume des Francs, et est couronné empereur par le pape Jean VIII. Carloman, fils de Hlovigh le Germanique, lui disputa l’empire, et fut peut-être empereur ; mais après la mort de Carloman, Charles le Gros, son frère, obtint l’empire.
Charles le Gros, empereur, devint encore roi de France à l’exclusion de Charles, fils de Hlovigh le Bègue. Il posséda presque tous les États de Charlemagne. Siège de Paris par les Normands, qui dure deux ans et que Charles le Gros fait lever à l’aide d’un traité honteux. Il avait recueilli autant de mépris que de grandeurs : on l’avait dépouillé de la dignité impériale avant sa mort, arrivée en 888.
Charles, fils de Hlovigh le Bègue, fut proposé pour empereur ; on n’en voulut pas plus qu’on n’en avait voulu pour roi de France. Arnoul, bâtard de l’empereur Carloman, succède à l’empire de Charles le Gros ; Eudes, comte de Paris et fils de Robert le Fort, est proclamé roi des Francs dans l’assemblée de Compiègne : Eudes avait défendu Paris contre les Normands. En 892, Charles III est enfin proclamé roi dans la ville de Laon. Il y eut partage entre Eudes et Charles : Eudes eut le pays entre la Seine et les Pyrénées, et Charles les provinces depuis la Seine jusqu’à la Meuse.
Après la mort d’Eudes (898), Charles III, dit le Simple, recueillit la monarchie entière. Alors commençaient les guerres particulières entre les chefs devenus souverains des provinces dont ils avaient été les commandants. À Saint-Clair-sur-Epte fut conclu (912) le traité en vertu duquel Charles le Simple donne sa fille Gisèle en mariage à Rollon, et cède à son gendre cette partie de la Neustrie que les conquérants appelaient déjà de leur nom. Rollon la posséda à titre de duché, sous la réserve d’en faire hommage à Charles et d’embrasser la religion chrétienne ; il demanda et obtint encore la seigneurie directe et immédiate de la Bretagne : grand homme de justice et d’épée, il fut le chef de ce peuple qui renfermait en lui quelque chose de vital et de créateur propre à former d’autres peuples.
L’empereur Hlovigh IV étant mort, Charles, resserré dans un étroit domaine par les seigneuries usurpées, ne put intervenir, et l’empire sortit de la France.