Ça chauffe à Roscoff - Alain Couprie - E-Book

Ça chauffe à Roscoff E-Book

Alain Couprie

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Beschreibung

Accidents ou crimes ? Une ambiance angoissante s'abat sur Roscoff...

Un curiste en thalasso décède brutalement. Son identité et ses activités s'avérant mystérieuses, sa mort devient vite suspecte.
Puis s'enchaînent des événements qui viennent perturber la quiétude de Roscoff : disparition d'une femme médecin, incendies et même affaissement par endroits du sol. Serait-ce une pure coïncidence ou existent-ils des liens entre ces faits inquiétants ? Et que se passe-t-il à la Station biologique ? Une chose est sûre, ça chauffe à Roscoff !
Jouant sa réputation et sa vie, le commissaire Morand enquête dans une cité en proie à l'inquiétude et aux rumeurs. Qui sait si ce qu'il découvrira est ce qu'on imagine déjà…

Plongez-vous dans le premier tome passionnant des enquêtes du commissaire Morand, avec une intrigue qui prend pour cadre le Finistère et qui vous laissera sans voix !

EXTRAIT

Jeudi 2 juin.
Appelé à la demande de Morand, le patron de la SRE – Société Roscovite d’Électricité – qui assure la maintenance des systèmes électriques, arrive aux Thermes peu avant vers huit heures du matin. La thèse de l’électrocution le laisse d’emblée sceptique :
— Un de mes techniciens a vérifié toutes les cabines de bain hydromassant avant-hier. S’il avait détecté le moindre problème, il l’aurait réglé et, dans tous les cas, il m’en aurait parlé… Enfin, allons voir…
Bouton déclencheur, alimentation de la soufflerie permettant le bouillonnement de l’eau, réglage des puissances, isolation des circuits : la vérification ne détecte rien d’anormal.
— C’est bien ce que je vous disais…
— Le médecin légiste dit pourtant que c’est une électrocution.
Le chef d’entreprise secoue la tête en signe de dénégation, consulte sa montre, s’agace du temps perdu à démontrer l’évidence. Mais, avec l’hôpital de Morlaix, les Thermes Marins de Roscoff sont ses plus gros clients…

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton . - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Parisien amoureux du Finistère, Alain Couprie, universitaire à la retraite, se consacre maintenant à l’écriture de biographies et de romans policiers.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

Mercredi 1er juin.

— Tout va comme vous le souhaitez, monsieur Charles ? s’enquiert Michel Le Briant, le directeur du restaurant de l’hôtel Roc’h Kroum.

— Merveilleux, mon cher ! Votre homard au beurre salé et petits artichauts était une splendeur ! Vous connaissez Françoise ?

Âgée de trente ans, Françoise est une brune d’allure sportive, plus jeune de vingt ans que son monsieur Charles.

— Bien sûr ! s’empresse de répondre le directeur.

L’année dernière, c’était Geneviève : « Vous connaissez Geneviève ? » L’année d’avant, Chantal : « Vous connaissez Chantal ? » L’année d’avant encore : « Vous connaissez… » Le directeur cherche, ne s’en souvient plus, enchaîne :

— Madame désire peut-être un autre dessert ?

— Non merci, répond la jeune femme qui ajoute en montrant la vue sur la mer : Quel panorama ! Quel temps !

Voiles déployées, des bateaux de plaisance longent au loin la côte de l’île de Batz et semblent paresser entre ciel bleu et vagues miroitantes sous le soleil.

— Il fait toujours beau à Roscoff ! proclame fièrement le directeur. C’est un temps idéal pour se promener.

— Et c’est ce que je vais faire ! décide Françoise. Tant pis pour ma thalasso ! Il fait vraiment trop beau ! Je ferai peut-être aussi un peu de shopping…

— Moi, réplique monsieur Charles, je suis sérieux ! Je suis venu pour une cure, je suis ma cure… J’en ai d’ailleurs bien besoin…

— Tu manges trop…

— Oh la la ! s’écrie-t-il. Presque quatorze heures ! Je vais être en retard à ma séance d’hydromassage !

Grand, blond, les yeux bleus, monsieur Charles se lève aussitôt de table, titube, se raccroche au bras du directeur :

— Il n’y a pas que votre homard qui fut un délice, mon cher ! Votre chablis grand cru 2001 l’était aussi ! Je lui ai trop fait honneur… mais ça va aller.

De fait, monsieur Charles se redresse et, avec sa Françoise qui le tient fermement par le coude, quitte la salle de restaurant pour sa “chambre-salon avec vue sur mer”, la chambre 215, la meilleure de l’hôtel. Rapidement, il se déshabille, enfile le peignoir blanc de rigueur chez les curistes, prend tout de même le temps de caresser les seins de Françoise, de glisser une main dans son short printanier.

— Pas maintenant ! le repousse-t-elle… Ce soir … tu vas être en retard…

Les veines du front saillantes, monsieur Charles retire sa main à regret.

— Oui, ce soir, tu verras comme je m’occuperai de ton petit cul ! Si tu as besoin d’argent, il y en a dans le coffre… Tu te souviens de la combinaison ? Non ! Tu pourrais quand même faire un effort ! 4422 ! Ce n’est pourtant pas compliqué à se rappeler !

D’agacement, monsieur Charles claque en sortant la porte de la chambre, trotte, autant qu’il le peut, dans le couloir, s’impatiente devant l’ascenseur qui met toujours trop de temps à arriver, finit par prendre l’escalier, descend trois étages à la hâte, parvient au rez-de-chaussée, passe devant la réception de l’hôtel, emprunte enfin le couloir qui relie l’hôtel aux “Thermes Marins”.

Au fond, c’est la piscine et le jacuzzi ; à gauche, un escalier mène aux salles de douche sous affusion, d’enveloppements d’algues et de massage ; à droite, s’alignent les cabines de bain hydromassant.

« Cabine… cabine… » Tout essoufflé, monsieur

Charles consulte son planning : cabine 02.

L’aide-soignante l’accueille dans un sourire :

— Tout va bien aujourd’hui, monsieur Charles ?

Sans attendre de réponse, elle enclenche un énorme bouton noir placé sur le rebord de la baignoire : l’eau s’agite aussitôt, bouillonne de plus en plus vite, de plus en plus fort.

— Voilà ! Vos sachets d’algues sont là, sur la chaise. N’oubliez pas de bien les malaxer quand vous serez dans votre bain. C’est très bon pour la circulation du sang. Je reviens vous voir dans vingt minutes. Comme d’habitude.

Monsieur Charles enlève son peignoir, se glisse avec volupté dans l’eau à vingt-cinq degrés, soupire d’aise, s’abandonne à cette douceur marine pleine de senteurs. Jaillissant du fond et des parois de la baignoire, des jets chauds et iodés lui massent la plante des pieds, les côtes, les fesses, l’entrejambe.

La détente, le bonheur…

La secousse est brutale.

Les jambes se raidissent, la bouche s’ouvre comme pour mieux aspirer l’air, les yeux se dilatent. Et la tête, inerte, s’enfonce dans l’eau.

* * *

Sitôt prévenu du “problème”, Pierre Salvagnat, le directeur général du site, descend au plus vite de son bureau.

— Pas un mot à quiconque ! ordonne-t-il en refermant derrière lui la porte de la cabine 02.

— Mais j’ai six curistes en attente pour cet après-midi ! s’exclame l’aide-soignante. Qu’est-ce que je vais en faire ?

Pierre Salvagnat se tourne vers sa secrétaire, accourue elle aussi.

— Colette, lui dit-il, faites savoir que la cabine 02 est indisponible. Un problème technique… Dites que nous sommes désolés, qu’à la place… Voyez avec l’esthéticienne ce que l’on peut proposer aux femmes. Pour les hommes, séance supplémentaire de massage. Aux frais de la maison… Alors ! Elle vient, Marie-Thérèse !

En attendant l’arrivée de la doctoresse, Pierre Salvagnat s’approche de la baignoire, contemple monsieur Charles qui flotte bizarrement : sa tête est totalement sous l’eau tandis que l’arrondi de son ventre en émerge comme un îlot et que ses doigts de pieds en trouent grotesquement la surface.

— Vous allez voir qu’il n’a pas fini de nous emmerder, celui-là ! murmure-t-il… Non, ne videz pas la baignoire… ne touchez à rien… Ah ! Enfin ! Tu en as mis du temps !

— J’ai fait aussi vite que j’ai pu, explique Marie-Thérèse Gouesnou. Le temps d’expédier mon premier patient et de prendre ma sacoche.

La doctoresse est une belle plante de quarante-cinq ans, encore fort appétissante. Le matin, elle officie aux Thermes Marins, où elle reçoit en consultation les nouveaux curistes, prend leur poids et leur tension, s’informe de leurs diverses affections afin d’adapter au mieux la cure à leur état. Dès midi, elle regagne son cabinet privé dans le centre de Roscoff, rue Laënnec.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demande-t-elle. Un malaise ?

Pour toute réponse, Pierre Salvagnat lui désigne du regard la baignoire. La doctoresse s’en approche à son tour, se penche, réprime un léger sursaut puis sort de l’eau la tête de monsieur Charles et lui rabat la mâchoire inférieure.

— Crise cardiaque, conclut-elle. Mais c’est l’autopsie qui le confirmera à coup sûr. Et tout en lui fermant les yeux : il peut dire qu’il m’aura fait courir jusqu’au bout… Puis à l’attention du directeur général : décès dans un lieu accueillant du public, tu connais la loi, Pierre, il faut prévenir la police.

Pierre Salvagnat soupire à l’idée que cet événement malencontreux puisse entacher la réputation de son établissement. Il n’en appelle pas moins sur son portable le commissaire Morand, un ami de longue date heureusement :

— Oui, une crise cardiaque. Discrète, ta venue, s’il te plaît… Merci.

À peine dix minutes plus tard, le commissaire Morand arrive sur les lieux, seul et en voiture banalisée.

— Tu le connaissais bien ? demande-t-il à Pierre Salvagnat.

— Oui, c’était un client fidèle. Il venait chaque année depuis au moins dix ans.

— Seul ? Avec sa femme ?

— Toujours avec une femme, mais jamais la même. Cette année, c’est Françoise.

— Et elle est où cette… Françoise ?

— Partie faire du shopping, m’a-t-on dit.

— Je vais donc attendre son retour. Pour l’heure, il faut prévenir la morgue de Morlaix. Pour le transport… de ton don Juan… Bien sûr, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, Docteur…

— Aucun. Je suis certaine qu’il s’agit d’une crise cardiaque.

Pierre Salvagnat, lui, se récrie :

— Pas maintenant ! Et pas par le hall ! Les Thermes sont pleins à craquer. Vous imaginez les réactions de la clientèle en voyant passer un mort sur une civière ! Attendons ce soir, l’heure du dîner.

— Bon, l’heure du dîner, concède Morand. Alors, attaquons la paperasse. Il s’appelle Charles comment, ton client ?

— Charles-Édouard de Sevreau. Mais, ici, il est pour tout le monde monsieur Charles. Sauf pour moi… et Marie-Thérèse, bien sûr. Question de tranquillité.

— Pourquoi ? Il était dans le show-biz ?

— Non. Quelque chose dans un ministère. Celui de la Défense, m’a-t-il semblé.

— Un officier ? interroge Morand, soudain soupçonneux.

— Pas vraiment. Il ne me l’a jamais dit ni laissé entendre. En tout cas, il n’avait pas l’allure d’un militaire !

— Alors quoi ? Un ingénieur ? Un conseiller du ministre ?

— Plutôt quelque chose comme ça. Tu sais, il n’é - tait pas très bavard sur ses activités. Juste un mot ou deux, et vagues encore. Mais j’ai parfois eu l’impression que, s’il venait tous les ans chez nous, c’est parce que Roscoff n’est pas très loin de la base de Landivisiau ni des sous-marins atomiques de l’Île-Longue. Mais comme après tout, ce n’était pas mon affaire…

— Je vois… C’est mystère, incognito et emmerdements à la clé… Dis donc, il ne pouvait pas aller clamser ailleurs, ton aristo !

* * *

De retour de sa promenade, vers 18 heures, Françoise, chargée de paquets, s’apprête à prendre les clés de sa chambre à la réception de l’hôtel quand Pierre Salvagnat l’aborde :

— Pourriez-vous me suivre dans mon bureau, Madame ?

— Oui… naturellement… Le temps de déposer tous mes achats dans ma chambre et je…

— Par ici, je vous prie !

Françoise suit le directeur général entre étonnement et incompréhension.

— Que se passe-t-il ?

Pierre Salvagnat s’efface devant elle pour la laisser pénétrer en premier dans son bureau.

— Voilà, dit-il en refermant la porte derrière lui, je vous présente le commissaire Morand. Nous avons… une mauvaise nouvelle à vous annoncer… Pendant votre absence, monsieur Charles a été victime d’un malaise… d’une crise cardiaque… Il est mort.

— Mort !

Françoise en reste un instant incrédule, puis accuse le coup, laisse tomber ses sacs et paquets, s’effondre dans un fauteuil.

— Comment cela s’est-il produit ? finit-elle par articuler.

— En prenant son bain hydromassant…

— Vous le connaissiez depuis longtemps ? intervient Morand.

— Sept mois… Sept mois et demi. Nous nous sommes rencontrés lors d’une réception officielle.

— Vous comptiez vous marier ?

Françoise le regarde comme on s’apitoierait sur un idiot ou un vieux hors du coup.

— Savez-vous s’il a une famille ? À part vous, naturellement ? Pour savoir qui prévenir.

— Il a un fils, je crois, mais je ne l’ai jamais vu… Il n’était pas du genre à raconter sa vie et nous ne passions pas notre temps à échanger nos souvenirs. Si vous voyez ce que je veux dire…

— Je vois, dit Morand, placide. Vous habitiez avec lui ?

— Quelle horreur ! Chacun chez soi !

— C’est-à-dire…

— 201, boulevard Diderot, Paris, XIIe. Je m’appelle Françoise Winter. Je suis esthéticienne et j’ai trente ans. Ça vous va ?

— Pour le moment, oui, réplique toujours placidement Morand. Je vous demanderai toutefois de ne pas quitter Roscoff avant plusieurs jours… ni regagner votre chambre… pour les besoins de l’enquête…

— L’enquête ? Quelle enquête ? Vous venez de me dire qu’il s’agissait d’une crise cardiaque…

— Tout décès dans un lieu public entraîne le déclenchement d’une enquête. C’est la loi, Madame, je n’y peux rien. C’est pourquoi je vous demande de ne pas garder la même chambre.

— Mais j’y ai toutes mes affaires, dans ma chambre ! Comment je vais me changer, moi ? Je ne peux tout de même pas porter éternellement ce que j’ai sur le dos !

Morand et Pierre Salvagnat échangent un regard décontenancé.

— Et, en plus, je vais coucher où, moi, maintenant ?

— Je vais arranger cela, dit Pierre Salvagnat.

— Je… je peux le voir, demande-t-elle enfin.

* * *

À l’arrière des Thermes Marins, peu après 20 heures, durant le dîner des curistes, le commissaire

Morand, la doctoresse et le directeur général assistent à la sortie du corps par les locaux de service. Lorsque s’éloigne vers Morlaix l’ambulance qui l’a pris en charge, Pierre Salvagnat remet de nouvelles clés à Françoise.

— Un studio s’est libéré, juste à côté, à la Résidence des Terrasses de Roc’h Kroum. Vous pourrez y rester autant qu’il le faudra.

— J’y ai fait transporter toutes vos affaires, ajoute Morand qui prend bientôt congé de chacun pour regagner son commissariat, derrière l’hôtel de ville.

Avec le mois de juin débute pour lui la période la plus tendue de l’année. Touristes, curistes, vacanciers et résidents secondaires commencent à affluer. En quelques jours, Roscoff double d’habitants, passant de cinq mille en temps ordinaire à dix mille, avant de doubler à nouveau en juillet et août. Avec ce que cela suppose de problèmes à régler : circulation, stationnement, sécurité, violences diverses, délinquance, même si elle est le plus souvent mineure. Morand et ses policiers ne chôment pas, encore moins le weekend lorsque de jeunes Anglais débarquent des ferries dans le port de Bloscon pour s’enivrer à moindre coût. Wine shop ! Tu parles ! Il faut alors ramasser ces viandes soûles un peu partout en ville, sur les bancs, sur les plages de Traon Erch, de la Croix Rousse ou de Perharidy ! Mais, ce soir, par chance, c’est RAS : rien à signaler. Tout juste un accrochage entre deux automobilistes, rue Jeanne d’Arc. Ancienne cité corsaire, Roscoff aspire au calme et à la douceur de vivre. Et Morand veille à ce que cette aspiration ne soit pas vaine.

II

Nuit du mercredi 1er au jeudi 2 juin.

Dans son pavillon de la rue des Capucins, Morand est tiré de son sommeil vers deux heures du matin par un appel du médecin légiste de Morlaix :

— Je suis insomniaque, explique celui-ci pour s’excuser. Votre touriste…

— Une seconde ! maugrée Morand qui, portable en main, quitte la chambre où dort sa femme Catherine. Vous avez vu l’heure qu’il est ?

— D’habitude, la police est toujours pressée, rétorque le légiste… Mais si ce que j’ai à vous dire ne vous intéresse pas, je peux raccrocher et vous envoyer un courrier demain.

— Ça va, n’en rajoutez pas, réplique, agacé, Morand. Je vous écoute. Je parie que c’est une tuile !

— Tout juste ! Votre bonhomme, il est bien mort d’une crise cardiaque… sauf que ce n’est pas par hydrocution, mais par électrocution !

— C’est-à-dire ?

— Qu’il a reçu une grosse bonne décharge électrique au moment où il faisait trempette. Et ça, ça pardonne rarement…

— Vous… vous en êtes sûr ?

— Certain. Seule une électrocution peut noircir à ce point les tissus cardiaques.

— Ce n’est donc pas une mort naturelle.

— Non. Il faut que les Thermes revoient d’urgence leurs systèmes de sécurité. Sinon ça fera un cadavre par baigneur… Remarquez, ça me ferait des clients… Allez, bonne nuit, Commissaire… À votre service…

Debout sur le palier de sa chambre et en pyjama, Morand se gratte le cuir chevelu, se frotte les yeux pour retrouver au plus vite ses esprits et, malgré l’heure avancée de la nuit, appelle Pierre Salvagnat. Si ce que dit le légiste est vrai, les pépins vont se multiplier en série. Autant prendre tout de suite ses précautions. Une mort accidentelle, c’est fâcheux, plusieurs, ça deviendrait un drame.

— Allô ? Pierre ? Excuse-moi de te réveiller, mais c’est important. Je suppose que tu as prévu de rouvrir ta cabine dès ce matin neuf heures ?

— Évidemment ! J’ai besoin de toutes mes cabines. C’est le début de la pleine saison !

— Ne la rouvre surtout pas ! Au moins pour la matinée… Ni celle-là ni les autres d’ailleurs. Ton client, ce n’est pas une mort naturelle. Mais un accident par électrocution. Il doit y avoir un problème dans tes circuits électriques ou dans tes sécurités.

— Ce n’est pas possible…

— Le médecin légiste est formel. Les Thermes sont-ils en travaux ?

— En travaux, non, ce n’est plus l’époque, mais en maintenance, oui. C’est permanent chez nous, la maintenance. Vérifications, réparations, tuyauteries, câblages… Il faut que tout tienne pour la saison, sans jamais une anicroche.

— Maintenance électrique aussi ?

— Aussi. Tu n’imagines pas la puissance qu’il nous faut pour que tout fonctionne.

— Il faut tirer cela au clair, et vite, sinon tes prochains curistes risquent la noyade… Je serai à sept heures demain matin aux Thermes.

Tout en étant certain de ne pas retrouver le sommeil, Morand regagne sa chambre et son lit :

— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demande Catherine.

— Rien. C’était la morgue. Rendors-toi.

III

Jeudi 2 juin.

Appelé à la demande de Morand, le patron de la SRE – Société Roscovite d’Électricité – qui assure la maintenance des systèmes électriques, arrive aux Thermes peu avant vers huit heures du matin. La thèse de l’électrocution le laisse d’emblée sceptique :

— Un de mes techniciens a vérifié toutes les cabines de bain hydromassant avant-hier. S’il avait détecté le moindre problème, il l’aurait réglé et, dans tous les cas, il m’en aurait parlé... Enfin, allons voir...

Bouton déclencheur, alimentation de la soufflerie permettant le bouillonnement de l’eau, réglage des puissances, isolation des circuits : la vérification ne détecte rien d’anormal.

— C’est bien ce que je vous disais…

— Le médecin légiste dit pourtant que c’est une électrocution.

Le chef d’entreprise secoue la tête en signe de dénégation, consulte sa montre, s’agace du temps perdu à démontrer l’évidence. Mais, avec l’hôpital de Morlaix, les Thermes Marins de Roscoff sont ses plus gros clients…

— Faisons les tests jusqu’au bout, soupire-t-il. D’abord l’essai à vide.

Un souffle puissant s’échappe bientôt des orifices latéraux de la baignoire, que le chef d’entreprise obstrue de sa main l’un après l’autre.

— Aucun problème comme vous pouvez le constater. Maintenant avec la baignoire pleine. Vous avez bien un slip de bain quelque part à me prêter ?

— Vous êtes sûr de vous ? s’inquiète Pierre Salvagnat qui, devant l’insistance du spécialiste, finit par dire : À la piscine, dans l’armoire des maîtres nageurs. Je vais vous montrer…

Quelques secondes plus tard, le chef d’entreprise revient en tenue de bain, met en marche l’hydromas-sage, se glisse dans la baignoire.

— Qu’est-ce que je vous disais ! triomphe-t-il.

Morand et Pierre Salvagnat échangent un regard soulagé. Le chef d’entreprise, lui, se relève. Il est debout dans la baignoire, quand son pied gauche se prend dans le tapis de bain antidérapant. De l’orteil, il s’efforce de le recaler au fond de la baignoire et…

— Qu’est-ce que…

Le chef d’entreprise n’en dit pas plus. Il bondit hors de la baignoire et, dans une bordée de jurons, coupe tous les systèmes électriques, puis soulève doucement le tapis.

Un fil d’une infime épaisseur le relie à la bonde de la baignoire… elle-même reliée par un autre fil presque aussi fin à… le chef d’entreprise se met à quatre pattes par terre, s’allonge… reliée à un accumulateur !

— Accumulateur de lithium polymère, dit-il en se relevant. 24 volts… Vous aviez raison, Commissaire, c’est bien une électrocution, mais, avec ça, ce n’est pas un accident.

— Expliquez !

— Oh ! C’est très simple ! Un courant de 24 volts vous électrocute à coup sûr n’importe quel baigneur. La personne qui a fait ça a même prévu large. Douze-quinze volts auraient amplement suffi.

— Mais pour le déclenchement ?

— Attendez que je regarde de plus près ce tapis… Oui, c’est bien cela… Vous voyez, Commissaire, là, ce tout petit tube incrusté sous le tapis ? C’est une jauge de contrainte et… il était plus gros que moi, votre client ? Oh ! Nom de Dieu !

Le chef d’entreprise blêmit, vacille.

— Ça ne va pas ? lui demande Pierre Salvagnat.

— Si ! Mais je l’ai échappé belle ! Si j’avais été aussi gros que lui, ou plus gros, j’y passais moi aussi ! Cette jauge de contrainte… elle est programmée pour activer l’accumulateur sous une certaine pression. Et la pression, c’est l’eau de la baignoire plus le poids du baigneur…

— C’est donc un assassinat, murmure Morand qui, retrouvant instantanément ses réflexes d’enquêteur, demande à son ami le directeur : Qui pouvait connaître son poids ?

— Notre doctoresse naturellement. Elle pèse chaque curiste à son arrivée.

— Bon, je vous laisse, dit le chef d’entreprise, vous n’avez plus besoin de moi maintenant… Oui, oui, je ne dirai pas un mot de tout cela.

— Un instant, réplique Morand. Où peut-on se procurer ce matériel ?

— Pratiquement n’importe où. On se sert de ce genre d’accumulateur en aéromodélisme, on en monte même sur des vélos électriques. Même chose pour la jauge. N’importe quelle grande surface d’outillage et de bricolage en vend.

— Et votre technicien avant-hier n’a rien vu ? J’aimerais tout de même l’interroger !

— Ça va être difficile ! Il ne travaille plus chez moi depuis hier.

— Comment cela ?

— Ça fait deux mois qu’il m’a prévenu qu’il démissionnerait le 1er juin. Pour rejoindre sa petite amie en Bourgogne, m’a-t-il dit. Et le 1er juin, c’était hier. Je le regrette déjà, vous savez, parce qu’un aussi bon technicien que lui, ça ne se remplace pas facilement.

Sitôt après le départ du chef d’entreprise, Morand et Pierre Salvagnat restent un long moment silencieux.

— Tu peux être tranquille, dit enfin Morand, tes cabines vont merveilleusement fonctionner maintenant. C’est ton monsieur Charles que l’on visait, et exclusivement lui. Pourquoi ? C’est mon affaire maintenant… Mais vu la tournure que prennent les événements et le pedigree du bonhomme, je suis obligé d’en référer à ma hiérarchie… Cette cabine doit rester fermée, et en l’état… Désolé pour ton début de saison.

* * *

Chargé de l’enquête en fin de matinée par le procureur de la République, le doyen des juges d’instruction inspecte dès 14 heures les Thermes Marins, la chambre 215 et la cabine 02.

— Ingénieux ! s’exclame-t-il après s’être fait expliquer le modus operandi du crime. Et diablement habile ! N’importe qui ne peut pas monter un coup pareil… Vous avez une idée, Commissaire ?

— Aucune ! répond Morand. Je n’ai même pas de suspect possible ! Françoise Winter a effectivement fait du shopping. J’ai fait vérifier son alibi. Il tient. Et franchement, je ne la vois pas posséder les connaissances suffisantes en électricité pour concevoir un tel système… Ce n’est pas son quotient intellectuel qui devait séduire son monsieur Charles !

— Le docteur ? suggère le juge.

— Je connais bien Marie-Thérèse Gouesnou. C’est une figure dans Roscoff. Quels seraient d’ailleurs ses mobiles ? Et je ne la vois pas davantage effectuer un tel montage…

— Effectuer… ou faire effectuer. Elle a les données médicales… et ce technicien qui vient de démissionner a, lui, les compétences techniques… À eux deux… Il s’est évaporé au moment opportun, celui-là !

— Je me suis fait la même réflexion que vous ! Mais il a bien donné son congé voilà deux mois. Et encore par lettre recommandée avec accusé de réception… Donc… sauf à imaginer une affaire préparée de longue main… Et pour quelles raisons là encore…

— Ça ne va pas être simple, commente le juge tout en hochant la tête à plusieurs reprises.

— Pas simple. Et délicat, complète Morand.

— À cause de la personnalité de la victime ?

— Oui, j’aimerais bien savoir qui est vraiment ce monsieur Charles. Une demi-heure à peu près avant votre arrivée, la préfecture m’a informé de l’affectation à Roscoff d’un nouvel inspecteur. Un certain Alain Michel. Officiellement pour renforcer mes effectifs durant la période touristique.

— Ça s’est déjà produit ?

— Jamais ! Du moins depuis que je suis en poste ici.

— Et vous en concluez…

— Qu’au mieux, il vient pour suivre l’enquête au plus près et, au pire, pour la cadrer et me cadrer par la même occasion.

Le juge en grimace d’indignation.

— Je ne le permettrai jamais ! En tant que juge d’instruction, je n’ai aucune autorité sur les nominations et affectations dans la police, mais j’ai tout pouvoir sur l’enquête ! Je vous demande donc de ne laisser faire à ce monsieur aucun acte de procédure ! Vous m’entendez, Morand ! Aucun ! Le procureur va m’entendre…

— Soit ! Mais il va me coller aux semelles. “On” m’a d’ailleurs demandé de l’associer à tout mon travail. De quoi a-t-on peur en haut lieu pour qu’on me chaperonne ainsi ?

— Je vais m’occuper dès maintenant d’en savoir un peu plus sur ce Charles-Édouard de Sevreau… Après tout, il faut bien faire rechercher sa famille, la prévenir… Il a un fils… Vous, Morand, en attendant, concentrez-vous sur ce qu’il faisait à Roscoff. Ses habitudes, ses relations…

— En attendant, en attendant, dit Morand, je suis prié de réceptionner mon “renfort” sur la base de Landivisiau. Il atterrit à 17 heures…

— Sur une base militaire. Et pas à Guipavas comme tout le monde…

— Je parie qu’il n’est pas plus inspecteur de police que moi je suis pape !

* * *

Sur le tarmac de la base de Landivisiau, Morand s’impatiente :

— Une demi-heure de retard ! grommelle-t-il. Ça commence bien !

Comme toujours lorsque la nervosité le gagne, Morand serre les mâchoires, accélère le pas et sa respiration. « Ça ne sert à rien de t’énerver, lui dit souvent sa femme, et ça ne te rend pas intelligent… » Intelligent… Il voudrait la voir, Catherine, poireauter dans ce vacarme des atterrissages et des décollages des appareils de l’aéronavale à l’entraînement. Quand le vent vient du sud, on les entend gronder jusqu’à Roscoff. Alors, là, à quelques mètres, dans les odeurs d’huile et de kérosène, c’est tout simplement infernal.

Morand consulte de nouveau sa montre : quarante minutes maintenant… Il arrive, oui ou non ? « S’il daigne arriver ! » Alain Michel… Deux prénoms. Ça ne fait pas forcément un nom. « Plutôt un pseudo ! »

Ajoutant au vacarme, des travaux de terrassement sont en cours sur la gauche, au bout du tarmac. Des pelleteuses monstrueuses excavent des tonnes de terre qu’elles déversent dans des bennes de camions de chantier. La terre se déverse en nuages de poussière qui obligent les ouvriers à travailler avec un masque sur la bouche.

— Dégagez ! Qu’est-ce que vous faites là ? le bouscule presque un géomètre qui transporte sous son bras le trépied de ses instruments de mesure.

Morand se recule et n’en peste que davantage. Et en plus, il se fait engueuler ! Si le Michel n’est pas là dans dix minutes…

— Commissaire Morand ? l’interpelle une voix. Alain Michel !

L’homme est jeune, en tenue d’été plutôt chic, portant à l’épaule un grand sac de toile. La poignée de main est ferme.

— Merci de me réceptionner…

— Vous êtes en retard, bougonne Morand. Venez, ma voiture est par ici.

Les trente kilomètres qui séparent Landivisiau de Roscoff sont parcourus presque en silence. Accueilli fraîchement, Alain Michel feint de s’absorber dans la contemplation du paysage. Morand s’irrite, lui, de s’être irrité. C’est toujours comme ça. « Catherine a raison… »

— C’est la première fois que vous venez à Roscoff ? dit-il enfin par politesse.

— Oui… Vous y êtes en poste depuis longtemps ?

— Trois ans. J’ai inauguré le commissariat. Auparavant, tout dépendait de Saint-Pol-de-Léon.

— Et vous vous y plaisez ? La région a l’air sympa…

— Très. J’approche de la retraite et j’espère bien finir ici ma carrière et mon existence. Sauf mutation, bien sûr… On bouge beaucoup dans la police… C’est comme dans l’armée…

Morand reçoit pour toute réponse un long silence : à l’évidence, son piège était trop grossier. Alors, autant ne plus finasser !

— Qui est ce Charles-Édouard de Sevreau ? lancet-il à brûle-pourpoint. Car c’est bien pour lui que vous êtes là, n’est-ce pas ?

Nouveau silence mais bref d’Alain Michel qui finit par lentement dire :

— Ne venez-vous pas de me dire que vous seriez heureux de terminer votre carrière, ici, à Roscoff ?

Sous cette menace à peine voilée, Morand explose.

De sa vie, il ne s’est jamais laissé intimider. Ce n’est pas aujourd’hui et à son âge qu’il va plier ! Et devant un blanc-bec de… trente ans à peine !

— Mettons tout de suite les choses au point, dit-il. Je ne sais pas qui vous êtes, et je m’en fous ! Je ne sais pas davantage si vous avez le bras long, et je m’en fous également ! J’ai reçu ordre de vous… piloter, j’obéis. Mais il va falloir tout de même éclairer ma lanterne si vous voulez que je vous sois utile. Sinon, je vous dépose à votre hôtel et vous vous dé-merdez !

Troisième silence d’Alain Michel.

— Vous avez raison, Commissaire, concède-t-il enfin. Je ne suis là que pour une chose : les mobiles – enfin les vrais. Et, bien sûr, l’identité de l’assassin. Des commanditaires surtout, s’il y en a.

— Pourquoi, dans ce cas, ne pas faire intervenir la Direction du Renseignement, la section antiterroriste, que sais-je, un service spécialisé ? Ça ne doit pas manquer, les services spécialisés…

— Un : parce que le bonhomme étant mort à Roscoff, l’enquête est juridiquement de votre ressort. Deux : parce que vous en dessaisir pourrait attirer l’attention. Trois : parce qu’on peut faire assassiner pour des tas de raisons qui ne présentent pas toutes le même intérêt. Suis-je clair ?