La mutilée de Saint-Renan - Alain Couprie - E-Book

La mutilée de Saint-Renan E-Book

Alain Couprie

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Beschreibung

Jeune, intelligente, belle, elle avait tout pour être… assassinée !

Sauvagement mutilée. À vomir. Par qui ? Pourquoi ? Le jeune inspecteur Yves de Kermadec enquête, entre maladresses, craintes et étonnements. Parmi ses suspects figurent de distingués professeurs d’université, un brillant avocat, un jeune homme au parcours chaotique. Sont-ils tous innocents ? Chacun le prétend en tout cas. L’inspecteur, lui, en doute. Mais quant à établir la vérité…

Lancez-vous dans la résolution de ce casse-tête aux accents bretons, avec le troisième tome des enquêtes du commissaire Morand !

EXTRAIT

La voix était pâteuse. Une voix d’ivrogne qui n’aurait pas encore dessoûlé de sa nuit de beuverie ? Un dimanche matin, tout était possible.
— Vous avez eu un accident de voiture ? interpréta le brigadier qui, pour mieux saisir le moindre mot, brancha la communication sur un amplificateur.
Le parasitage devint aussitôt plus strident et la voix – une voix de jeune femme – plus sonore, mais pas plus claire pour autant :
— …coffre… ture…
— Vous êtes dans un coffre ? demanda pour confirmation le brigadier. C’est ça ? Oui… vous faisiez votre jogging… et… vous avez été…
La communication se réduisit à un sifflement. Sans doute, si ce que disait la voix était vrai, la voiture devait-elle rouler entre deux masses verticales, des murs ou des clôtures, qui coupaient la liaison.
— Ici gendarmerie… Parlez, reprit le brigadier soucieux de maintenir le contact.
L’amplificateur déversa une bouillie de paroles d’où soudain – la voiture arrivait-elle dans une zone plus dégagée ? – surnagèrent quelques mots plus audibles :
— …attaquée… bombe…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1945, Alain Couprie est professeur émérite des Universités. Auteur de biographies et d’ouvrages sur le XVIIe siècle ainsi qu’en collaboration de dictionnaires, il partage aujourd’hui son temps de retraite entre la banlieue parisienne, la Bourgogne et la Bretagne. Ce sont d’ailleurs des amitiés bretonnes et de réguliers séjours en Bretagne qui lui ont donné l’idée d’y camper l’action de ses romans policiers.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

Dimanche 1er avril. 7 heures 12.

— Ici, brigade de gendarmerie de Saint-Renan… oui le 17… Plus fort. Parlez plus fort ! répéta le brigadier. Je vous entends mal.

Passée depuis un téléphone portable, la communication était en effet de mauvaise qualité. Caverneuse, parasitée par des sifflements, elle semblait provenir d’un lieu clos, souterrain, ou de quelque chose de ce genre. Un obstacle perturbait en tout cas la liaison. Ou bien la batterie du portable donnait des signes de faiblesse. Ou les deux à la fois.

— Où êtes-vous ? Pourquoi appelez-vous ? Pour toute réponse, le brigadier entendit une respiration apeurée, puis des syllabes mâchonnées :

—…courir… voiture…

La voix était pâteuse. Une voix d’ivrogne qui n’aurait pas encore dessoûlé de sa nuit de beuverie ? Un dimanche matin, tout était possible.

— Vous avez eu un accident de voiture ? interpréta le brigadier qui, pour mieux saisir le moindre mot, brancha la communication sur un amplificateur.

Le parasitage devint aussitôt plus strident et la voix – une voix de jeune femme – plus sonore, mais pas plus claire pour autant :

—…coffre… ture…

— Vous êtes dans un coffre ? demanda pour confirmation le brigadier. C’est ça ? Oui… vous faisiez votre jogging… et… vous avez été…

La communication se réduisit à un sifflement. Sans doute, si ce que disait la voix était vrai, la voiture devait-elle rouler entre deux masses verticales, des murs ou des clôtures, qui coupaient la liaison.

— Ici gendarmerie… Parlez, reprit le brigadier soucieux de maintenir le contact.

L’amplificateur déversa une bouillie de paroles d’où soudain – la voiture arrivait-elle dans une zone plus dégagée ? – surnagèrent quelques mots plus audibles :

—…attaquée… bombe…

Une bombe d’autodéfense ? Une nouvelle fois, le brigadier constata que ces bombes portaient mal leur nom… Destinées en principe à repousser un agresseur, elles servaient tout aussi bien à un agresseur pour neutraliser sa victime. Et celle-là avait dû absorber une bonne giclée de gaz, lacrymogène ou paralysant, pour avoir la voix aussi pâteuse.

— Avec un masque ? s’écria-t-il… De carnaval ?

— C’est une blague, murmura à ses côtés un jeune gendarme. On est le 1er avril…

— Ou une tentative de viol, rectifia son supérieur… ou de meurtre. Puis détachant ses syllabes comme pour mieux se faire entendre : Où ê-tes-vous ? Où…

— Bois…

— Quel bois ? Où ha-bi-tez-vous ? Saint-Renan… c’est ça ?

Sur un signe de son chef, le jeune gendarme pianota sur son ordinateur. La carte de la commune apparut sur un écran mural. Un bois ? Mais lequel ? La commune était entourée de bois : à l’ouest, le bois de Kervéatouz ; au sud-ouest, celui de Ty Devet ; au nord, le petit bois du Moulin de Keranflec’h ; au nord-ouest, celui de Kerlean.

— Précisez… Un lac ?

L’information ne se révéla guère plus exploitable. S’il n’y avait aucun lac dans le bois de Kervéatouz, il restait tous ceux nés de l’exploitation de l’étain, des trous remplis par l’eau de la rivière. Six au total : le lac de Pontavennec, le lac de Ty Colo, le lac de la Comiren, de Tréoualen, les lacs de Poulinoc et de Lannéon.

— Le lac de Ty Colo ? hasarda le brigadier.C’était le plus proche.

Manquant peut-être d’air, la voix n’était plus qu’une suffocation affolée, répétant entre deux saccades :

—…vite… mourir…

— La voiture. Quelle marque ?

Désespérant d’obtenir de plus amples informations, le brigadier alerta ses hommes déjà en patrouille puis les permanenciers des commissariats environnants, de Brest et de Lampaul-Plouarzel.

Il fallait le maximum de voitures pour couvrir la zone. Le brigadier entendit bientôt leur sirène par la liaison radio.

— Non ! ordonna-t-il. Pas de sirène ! Ni de gyrophare !

Il était inutile de prévenir l’agresseur qui, se sentant piégé, pouvait, de rage ou de panique, tuer sa victime. Ce qu’il fallait c’était le coincer par surprise et, si possible, en douceur.

Le brigadier confia à son jeune subordonné le soin de rester en contact avec la voix pour mieux se concentrer sur les liaisons-radio avec les voitures. La salle résonna bientôt d’échanges brefs, croisés.

— Voiture 2 à “Épervier”, arrivons sur Lannéon

— Les secours arrivent… gardez courage… redisait le jeune policier… Parlez…C’est quel lac ?

— Voiture 3 à Épervier. Bois de Kervéatouz. RAS. Rien à signaler.

— Pitié, suppliait la voix… pas mourir…

— Voiture 1. Pénétrons bois de Ty Devet.

— À toutes les voitures, ordonna le brigadier. Patrouillez sous toute futaie accessible par véhicule. Ce sont peut-être des arbres qui perturbent la liaison avec le portable…

— Voiture 2. Véhicule suspect repéré près du lac de Lannéon sur GR 34 F. Une… Renault grise… Préparons interception.

— Attention, voiture 2. L’individu peut être armé…

— Bien reçu, Épervier. Approchons par l’arrière… le véhicule semble à l’arrêt… Immatriculé… 1622 WZ 29…

Sur son ordinateur, le brigadier consulta le fichier national des cartes grises.

— Véhicule déclaré volé le 30 mars, informa-t-il quelques secondes plus tard la voiture 2.

Une agression commise avec un véhicule volé ? La piste se précisait.

— Vous avez été localisée, dit aussitôt le jeune gendarme… Courage… Ça va être bientôt fini… continuez de parler…

— Voiture 2 à Épervier. Le véhicule suspect semble avoir été abandonné… précipitamment… Moteur en marche… Porte du conducteur entrouverte… Berthier descend voir de plus près… me mets en position de le couvrir… et…

— Continuez, voiture 2…

— Berthier revient en courant… Je lui passe la radio…

— Ici Berthier… Le véhicule pue l’essence à plein nez… Tout l’intérieur en est aspergé…

— Pitié ! criait la voix… Vite…

— Le coffre ! tonna le brigadier. Ouvrez le coffre !

Il y eut un long silence, le temps de procéder avec précaution à l’ouverture du coffre.

— Rien, finit par annoncer Berthier. Le coffre est vide… Sans doute des malfrats qui s’apprêtaient à effacer leurs traces en incendiant leur bagnole… et qu’on a dérangés…

— OK, conclut le brigadier. Je préviens les pompiers. Portez-vous en renfort sur Pontavennec. Le lac est grand…

Le jeune gendarme jeta un regard déçu à son chef.

— Maintiens le contact, lui dit ce dernier, tout en exigeant des commissariats concernés l’envoi de patrouilles supplémentaires.

Alertés à leur tour, les gardes forestiers qui étaient d’astreinte ce dimanche matin, furent priés de signaler la moindre anomalie.

La probable proximité d’une borne-relais rendit soudain plus nette la liaison avec le portable.

— Vite, implorait la voix… je vous en supplie… nooonnn…

L’amplificateur répandit le bruit d’un écoulement d’abord puissant et continu puis irrégulier.

— Elle pisse, commenta le brigadier. C’est bon signe ! Tant qu’on pisse, on est en vie.

Le gargouillis cessa. La communication se fit bientôt plus faible, dominée par des bips-bips de plus en plus fréquents. À l’évidence, la batterie du portable s’épuisait.

— Mon bébé ! hurla la voix. Occupez-vous de mon bébé !

Et ce fut le silence. Complet, définitif.

Le brigadier nota l’heure : 8 heures 07.

II

Ce même dimanche, 8 heures 56.

Environ une heure plus tard, la voiture 1 informa la brigade de la découverte d’une nouvelle voiture abandonnée :

— Sud-ouest du lac de Poulinoc… Une Toyota… Prius… dissimulée derrière un mur de rondins et recouverte de branchages… Allons voir de plus près…

Par la liaison-radio, le brigadier entendit des écrasements de brindilles, des bruissements de feuillages, des déplacements de branches…

— La vache ! Elle a été bien planquée… C’est pour ça qu’on n’a rien remarqué depuis la route… On a bien dû passer cinq-six fois par là…

Puis ce fut le bruit de l’ouverture d’un coffre.

Et, pendant peut-être une minute, des crachements, des hoquets, des éructations, une cascade de choses molles.

— Que se passe-t-il ? Parlez !

— Peux pas, Chef ! Je dégueule… je n’ai jamais vu ça… C’est… c’est… de la boucherie…

III

10 heures 05.

Une fois, deux fois, trois fois, le lieutenant de gendarmerie Yves de Kermadec sonna à la porte d’un élégant pavillon au 10, allée des Embruns, à Saint-Renan.

— Voilà, finit par maugréer une voix rogue.

Une clé tourna dans la serrure et le lieutenant vit apparaître un homme d’environ quarante-cinq ans, vaguement sportif, d’un physique plutôt ingrat et manifestement de mauvaise humeur.

— Je me changeais, bougonna-t-il, un bras en l’air pour achever d’enfiler la manche d’un survêtement immaculé, le torse encore à demi découvert.

— Vous êtes monsieur Lebèze ? lui demanda le lieutenant tout en lui montrant sa carte d’officier de gendarmerie. Monsieur Jean Lebèze ?

— Et après ?

— Vous êtes bien le propriétaire d’une Toyota Prius immatriculée AWB 640 DS ?

— L’auriez-vous déjà retrouvée ?

L’ironie laissa de marbre le lieutenant qui reprit :

— Pouvez-vous me suivre jusqu’au poste de gendarmerie, monsieur Lebèze ?

— Comme ça ? Tout de suite ! Et pourquoi donc ?

— Je vous demande simplement de me suivre, insista le lieutenant.

— Mais dites-moi au moins pourquoi ! Vous débarquez chez moi un dimanche matin sans prévenir et il faut que je vous suive, toutes affaires cessantes ! Figurez-vous que j’ai des choses à faire !

— Ne faites pas d’histoire, monsieur Lebèze ! Suivez-moi…

— C’est un comble, ça ! C’est moi qui fais des histoires ! Vous avez un mandat d’amener ? De perquisition ? De je ne sais quoi ? Non ! Bon alors…

De colère, Lebèze referma la porte sur le pied gauche du lieutenant que celui-ci avait glissé par réflexe dans l’entrebâillement.

— Calmez-vous et suivez-moi sans protester…

— Mais si, je proteste ! Je suis chez moi ! Je fais ce que je veux !

Lebèze allait se réfugier dans son bureau, au rez-de-chaussée, à droite, quand Kermadec le retint par la manche.

— Qui vous permet de me toucher ? Lâchez-moi ! Sous la poigne du lieutenant, la manche du survêtement se déchira à la couture de l’épaule.

— Attention ! Voyez ce que vous avez fait ! L’incident eut le don d’énerver plus encore Lebèze qui, pour faire reculer Kermadec, se mit à mouliner des bras.

— Vous êtes fou ! Je vous somme d’arrêter, monsieur Lebèze !

— Vous me sommez, vous me sommez ! Non, mais vous n’allez tout de même pas me donner des ordres chez moi !

Les moulinets se transformèrent en coups de poing offensifs, obligeant le lieutenant à se replier dans le couloir.

— Ah ! On fait moins le malin maintenant ! Alerté par le bruit, le gendarme, resté dans la rue au volant de la voiture de patrouille, rejoignit Kermadec.

En peu de temps, Lebèze fut maîtrisé, immobilisé et menotté au radiateur de son bureau.

— Alors, c’est ça, les flics ! siffla-t-il. Tout de suite des petits SS ! Vous n’avez pas le droit de me traiter comme ça ! Je connais mes droits !

— Vous connaissez donc aussi les articles 53, 63-1 et 73 du Code de procédure pénale, répliqua Kermadec, agacé. Outrage et rébellion à personne dépositaire de l’autorité publique.

Kermadec se recoiffa d’un coup de main dans ses cheveux et rentra un pan de sa chemise dans son pantalon.

— Tiens, ajouta-t-il en avisant un gros sac de sport à même la moquette du bureau, vous faisiez vos bagages ?

Kermadec se baissa, tira sur la longue fermeture Éclair du sac.

— Ne vous gênez pas, faites comme chez vous ! grommela Lebèze. Je vous rappelle que vous n’avez pas de mandat de perquisition.

Du sac, Kermadec retira deux chemises, des chaussettes, un pantalon de toile, des sous-vêtements, un nécessaire de toilette, une édition des Pensées de Pascal.

— Vous vous apprêtiez à partir ?

— En week-end, oui ! Ce n’est pas encore un crime, que je sache !

— Vous partez en week-end un dimanche midi, vous ?

— Oui, parce que ma femme et moi travaillons le samedi mais pas le lundi ! Nous avons une résidence secondaire, un héritage de ma mère. Nous y faisons faire des travaux.

— Où ça ?

— En Bretagne-Sud, dans le Morbihan, près de Locmariaquer. C’est aussi sanctionné par votre article 53 alinéa machin du code de procédure pénale ?

Irrité –« commence à me faire chier lourd, celuilà ! » – mais s’efforçant de conserver son calme, le lieutenant Kermadec hésitait à relever la provocation quand surgit une brune affolée.

— Qu’est-ce qui se passe ? La voiture de gendarmerie, là… devant la maison… Il y a eu un accident ?

Kermadec la balaya instantanément d’un regard froid, vertical : un mètre soixante, la quarantaine, visage avenant, soigné, corps souple, ferme.

« Je prendrais bien mon p’tit déj’ avec elle », pensa-t-il.

Son animosité envers Lebèze s’en accrut aussitôt de plusieurs degrés.

— Ma femme, fit celui-ci.

Tournant la tête dans la direction de la voix, Martine Lebèze découvrit son mari accroupi à même la moquette entre le bureau et le radiateur.

— Jean ! s’écria-t-elle. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? Agenouillée, elle secouait le radiateur comme pour détacher son mari.

— Mais libérez-le ! Pourquoi lui faites-vous ça ?

— Désolé, Madame, votre mari va devoir nous suivre à la brigade… De gré ou de force… Je préférerais de gré… Encore que jusqu’à maintenant…

— Mais pourquoi ?

— Pour… pour vérifications…

— T’as fait quelque chose, Jean ?

— Rien, absolument rien, je t’assure… Ah ! si, ricana-t-il, je suis coupable d’avoir déclaré à la police le vol de notre voiture ! Évidemment, c’est plus facile pour des flics d’arrêter les victimes que de coincer les voleurs…

Kermadec se retint d’écraser Lebèze contre le radiateur. Son collègue fit semblant de n’avoir pas entendu. Toujours agenouillée près de son mari, Martine Lebèze offrait de toute façon à leur contemplation un fessier trop bien sculpté sous son pantalon moulant, pour s’énerver sur le bonhomme. Celle-ci exigeait de nouveau qu’on délivrât son mari quand une chaude odeur de phosphate la fit se relever et se précipiter dans le couloir de l’entrée.

Provenant de la cuisine et du lave-linge, une lave mousseuse se répandait sur le dallage.

— Ça déborde ! s’exclama-t-elle en arrêtant le lave-linge… Il a mis trop de produit, soupira-t-elle… Mais qu’est-ce qui lui a pris de faire la lessive !

Elle ouvrit le hublot de la machine, une Brandt 8 kg à système écothermique :

— Ne touchez à rien, dit dans son dos le lieutenant.

Martine Lebèze se retourna, complètement désemparée par la tournure des événements.

— Mais je dois éponger ! Regardez-moi ça !

— Éponger… soit… lui répondit Kermadec. Mais sortir le linge de la machine, non… Rapide, l’épongeage !

Sur ses instructions, son collègue alla chercher dans la voiture un gros ruban adhésif imprimé « Gendarmerie » tous les dix centimètres. Kermadec en scotcha plusieurs bandes sur le hublot de la machine, en vérifia la solidité et rejoignit Lebèze dans le bureau.

— La moquette ! grogna celui-ci.

Chaque pas de Kermadec y détrempait son empreinte, ornée de petites bulles blanches qui éclataient les unes après les autres. Celui-ci haussa les épaules.

— Vous allez me suivre, dit-il à Lebèze.

— Contraint et forcé…

— Si je vous fais sortir sans les menottes, vous vous tiendrez tranquille ? Vous avez des voisins…

Lebèze ouvrit la bouche pour lui répondre puis la referma et opina simplement de la tête. Il n’allait tout de même pas remercier un flic !

Détaché du radiateur, Lebèze sortit, encadré par les deux gendarmes. Quand il monta à l’arrière de la voiture, des rideaux bougèrent aux fenêtres des pavillons voisins. La portière se referma.

— Attendez ! cria Martine.

Les mains encore mouillées, les cheveux en désordre, des cernes de lessive aux genoux de son pantalon, elle passa la tête par la vitre de la voiture que Kermadec avait baissée et allongea le bras pour tenir, serré, celui de son mari :

— Je préviens Jean-Jacques, ajouta-t-elle. Tout de suite !

IV

13 heures 50.

Plutôt enveloppé, de taille moyenne, crinière d’un blanc soyeux, ne manquant ni de charme ni d’assurance, maître Jean-Jacques Vignault se présenta quelque deux heures plus tard à la brigade de Saint-Renan.

— Je suis le conseil de monsieur Jean Lebèze, dit-il de sa voix de basse au lieutenant Kermadec. Puis-je savoir pourquoi vous retenez mon client dans vos locaux ?

— Outrage et rébellion, répondit le lieutenant.

— Il ne changera donc jamais ! soupira maître Vignault. Je connais monsieur Lebèze depuis le lycée, nous sommes des amis d’enfance. Il a toujours été soupe au lait. Et ça ne risque pas de s’arranger avec l’âge… À quoi a-t-il refusé d’obtempérer ?

— À se rendre ici, à la brigade.

— Qu’est-ce que je disais ! Il suffit qu’on lui dise quelque chose pour qu’il fasse le contraire ! Pour quelle raison, cette audition ?

— Sa voiture avait été volée, nous venions de la retrouver…

— Il n’a pas dû apprécier d’être dérangé un dimanche matin, l’interrompit maître Vignault… Écoutez, Lieutenant, je constate que vous n’avez heureusement pas été blessé… Je vais lui demander de vous présenter des excuses en bonne et due forme. Et nous… pourrions peut-être en rester là… Pour un banal vol de voiture, retrouvée de surcroît grâce à l’efficacité et à la célérité des services de la gendarmerie…

Kermadec apprécia ce fort diplomatique compliment et en sourit. Venant d’un avocat, c’était plutôt rare, même si c’était toujours intéressé…

— Pas si banal que ça, rectifia-t-il. Il n’est pas très fréquent de retrouver dans le coffre d’une voiture volée le cadavre d’une jeune femme, de surcroît atrocement mutilé.

Maître Vignault se figea. Sa lente et majestueuse voix de basse cessa de se vouloir conciliante pour devenir métallique.

— Suspecteriez-vous mon client ? Avez-vous des charges et, dans l’affirmative, lesquelles ?

— Pour le moment, reprit Kermadec, je souhaite auditionner monsieur Lebèze et recueillir son témoignage, le plus circonstancié possible.

— Bien sûr, Lieutenant, c’est votre droit le plus absolu, mais pas avant que je me sois entretenu avec mon client. La loi m’en fait obligation. Article 327-17. Où puis-je m’entretenir avec monsieur Lebèze ?

— Dans la cellule de dégrisement… Je regrette, Maître, mais je n’ai pas d’autre endroit à vous proposer.

— Vous avez bien un bureau libre… Le dimanche, vos effectifs sont réduits…

— Pas pour l’heure, à cause de l’enquête… Suivez-moi.

Maître Vignault douta de la véracité des propos du lieutenant, mais n’insista pas. Il savait trop bien qu’un passage, même bref, en cellule constituait une façon de mettre en condition un suspect. Sans que ce fût tout à fait légal, ce n’était pas vraiment illégal. On cherchait toujours à “préparer la viande” avant, le cas échéant, de “l’attendrir”.

La cellule de dégrisement était en sous-sol et conforme à ce qu’on pouvait en attendre, c’est-à-dire qu’elle était répugnante. Quatre à cinq mètres carrés. Une planche étroite pour couchette. Une couverture nauséabonde, dans laquelle il ne fallait surtout pas s’envelopper, sous peine d’héberger puces et poux. Un seau hygiénique sans couvercle, à l’émail bleu craquelé, trônait sous le néon. Des traces de vomi ou d’excréments formaient des arabesques sur les murs ou sur le sol.

— Tu vois comme on me traite ! lança Lebèze à son ami lorsqu’il l’aperçut devant les barreaux.

— C’est ignoble ! suffoqua maître Vignault. Et indigne de la République ! Je saisirai le Conseil Constitutionnel par le biais d’une QPC* et, s’il le faut, la Cour Européenne des Droits de l’Homme !

Bien qu’il fût encore jeune dans le métier, le lieutenant Kermadec ne se laissa pas démonter par l’évocation indignée de ces recours, avant tout destinée à l’impressionner. Grands mots et grands chevaux faisaient partie du jeu.

— La femme de ménage, expliqua-t-il calmement, ne travaille pas le dimanche. Un pochard est resté ici jusqu’à ce matin. Le temps qu’il dessoûle et redevienne muet…

— On aurait pu au moins laver à grande eau…

— On a été très occupés ce matin… malheureusement… Je vous laisse…

— Pas dans cette… ! s’exclama maître Vignault. Je dois pouvoir m’entretenir avec mon client dans des conditions matérielles décentes ! C’est l’article 327-17 de la nouvelle loi qui vient d’être promulguée ! Peut-être ses décrets ne vous sont-ils pas encore parvenus ?

— Les décrets, si ! Mais pas les crédits nécessaires à leur application ! Pour cela, Maître, il faut vous adresser au Ministre de l’Intérieur ou des Finances. Tout ce que je peux, c’est vous faire apporter des chaises. Une demi-heure d’entretien, ça vous va ?

Maître Vignault acquiesça. Kermadec remonta dans son bureau, fit apporter par un gendarme les deux chaises promises avec une bouteille d’eau minérale, deux gobelets en plastique et un rouleau d’essuie-tout.

— Tu en as mis du temps, grogna Lebèze quand ils furent seuls. Plus de deux heures pour venir de Brest ! Quinze kilomètres ! Tu ne t’es pas pressé !

— T’es gonflé, mon petit vieux ! À cause de toi, j’ai renoncé à la compagnie d’une jolie femme et à un après-midi prometteur. J’ai fait aussi vite que j’ai pu, sitôt reçu l’appel de Martine.

— C’est ça, toi tu baisais pendant que moi je moisissais sans même un sandwich ! C’est toujours sympa, les copains…

— Cesse de m’engueuler ou je m’en vais… Raconte-moi plutôt ton affaire, que j’y voie clair…

— C’est simple. Ce lieutenant a débarqué sans crier gare et exigé que je le suive ! Pourquoi ? Il n’y avait aucune raison. Alors je me suis un peu énervé. Tu aurais fait la même chose à ma place.

— Pas vraiment…

— C’est ça, donne-moi tort ! Merci Monsieur mon avocat ! Non, mais tu l’as vu, ce lieutenant, il a l’âge de mes étudiants de master. Et c’est à ça que je devrais obéir ! Il a retrouvé ma voiture, très bien. Il n’avait qu’à me dire comment je pouvais la récupérer…

Maître Vignault rapprocha sa chaise de la couchette, y déposa sa mallette, en sortit un bloc-notes et, pour éviter tout contact avec la planche, le posa sur le plat de sa mallette afin d’être plus à l’aise pour écrire.

— Quand ta Prius a-t-elle été volée ?

— Quand, précisément, je ne sais pas.

— Alors quand t’es-tu aperçu du vol ? Et quand et où l’as-tu déclaré ?

— Vendredi dernier, vers midi, c’était à la sortie des écoles, ici, chez les cognes… Tu ne vas pas, toi aussi, en faire toute une histoire ! Des vols de voitures, je suppose qu’il y en a des centaines par jour !

— Oui. Mais on ne retrouve pas un cadavre dans le coffre de chacune d’elles !

Lebèze en resta abasourdi, incrédule et, un long moment, silencieux :

— Merde ! finit-il par murmurer… C’est triste, mais je n’y suis pour rien… Fallait que ça tombe sur moi, évidemment… Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

— Le lieutenant va recueillir ta déposition… Tout dépendra de ce qu’il en pensera et des premiers résultats de l’enquête… Ensuite, tout est possible… Ce n’était pas très malin d’avoir refusé d’obtempérer…

— Mais je n’ai tué personne !

— Dans l’esprit de ce lieutenant, ton attitude de ce matin ne doit sûrement pas plaider en ta faveur… Ce n’est pas faute de t’avoir répété que ton fichu caractère te jouerait un jour ou l’autre un vilain tour… Mercredi dernier encore, quand j’ai dîné chez toi… je ne pensais pas si bien dire…

— Alors ça, c’est extraordinaire ! Parce que j’ai refusé de me laisser traiter comme un moins que rien, je deviens un assassin !

— Jean, reprit maître Vignault, boucle-la pour une fois et écoute-moi ! J’ai l’impression que tu ne te rends pas vraiment compte de la situation. Même quand on n’y est pour rien, se retrouver avec un cadavre dans sa voiture, ce n’est jamais bon ni simple.

— Mais puisque je suis innocent !

— Un innocent se condamne parfois mieux qu’un coupable ! Alors tu vas me dire tout ce que tu as fait vendredi matin jusqu’à ce que tu découvres le vol de ta voiture. Tu n’omets aucun détail et, surtout, tu n’en rajoutes pas !

— Pourquoi me dis-tu ça ?

— Excuse-moi de te le rappeler, mais tu as toujours eu un rapport… disons complexe… avec la vérité. Déjà, au lycée, on te surnommait “Le Marseillais”… Il est vrai qu’à l’époque, tu voulais devenir romancier… Alors, pour une fois, tu ne brodes pas ! Les faits, rien que les faits !

*Question Prioritaire de Constitutionnalité.

V

14 heures 30. Audition de monsieur Jean Lebèze.

— J’ai faim ! grinça Lebèze en pénétrant dans le bureau du lieutenant de Kermadec. Et quand j’ai faim, je suis de mauvaise humeur. Je n’ai rien mangé depuis hier soir, ajouta-t-il. Le matin, je prends juste une tasse de café.

Il se tourna vers son avocat.

— Tu aurais pu penser à m’apporter quelque chose. Ah ! C’est vrai, pardon, tu… Puis à l’attention de Kermadec : Vous n’avez rien, vous ?

Le lieutenant s’avoua désolé : il n’avait rien, pas même de quoi “se faire une p’tite bouffe”, la boulangerie et le magasin “U” du Clos Nevez étant fermés le dimanche après-midi. Maître Vignault fit remarquer que son client n’étant pas en garde à vue, rien ne s’opposait à ce que sa femme lui apportât quelque chose. Kermadec en convint : la vigilance de maître Vignault ne s’en aiguisa que davantage.

Le lieutenant évoqua le vol de la voiture.

— Mon client a déjà dit tout ce qu’il savait lorsqu’il est venu vendredi déclarer le vol, le coupa maître Vignault. Est-ce vraiment nécessaire d’y revenir ? Pour… l’incident de ce matin, nous reconnaissons et regrettons les faits et faisons amende honorable…

— Les faits, justement, sérions-les, Maître. Vous conviendrez avec moi que l’assassinat d’une jeune femme, une dénommée Laurence Bonnemaison, est plus grave qu’un refus d’obtempérer. Et monsieur Lebèze peut se souvenir d’un détail qui se révélerait important…

— Je ne vois pas comment, répliqua maître Vignault. Le vol de sa voiture a eu lieu au plus tôt dans la nuit de jeudi à vendredi, au plus tard dans la matinée de vendredi. Et le meurtre s’est produit ce matin dimanche. Mon client n’est pour rien dans ce qui s’est passé entre-temps. Il est, si je puis m’exprimer ainsi, doublement victime : d’abord d’un vol, puis d’un tragique concours de circonstances.

— Exact ! renchérit Lebèze. Je ne vois pas ce qu’on peut me reprocher… Elle lambine, Martine… j’ai faim !

— Commençons donc par la nuit de jeudi à vendredi, poursuivit le lieutenant de Kermadec. Vous n’avez vraiment rien entendu qui pourrait…

— La nuit, je dors ou je baise. Dans les deux cas, je n’ai pas l’oreille aux aguets !

— Votre garage est en sous-sol de votre pavillon. Un bruit de moteur…

— Ma Prius est électrique. Elle ne fait aucun bruit au démarrage.

— Votre femme ?

— Ma femme a sa Clio, qui reste toujours garée dehors dans l’allée des Embruns. Manque de place, que voulez-vous ! Elle n’avait aucune raison de passer par le garage… Mais qu’est-ce qu’elle fout ! Je ne lui demande pas de me mitonner un bœuf bourguignon !

— C’est donc vendredi matin vers…

— …vers 11 heures, que je me suis aperçu de la disparition de ma voiture. Je suis tout de suite venu ici faire une déclaration de vol. Dans le bureau d’à côté, d’ailleurs.

— À 12 heures 15, très précisément. J’ai le PV de votre déclaration sous les yeux. 12 heures 15… De l’allée des Embruns à la brigade, il faut combien de temps, à pied ? 15 minutes. 20 au grand maximum.

Maître Vignault protesta aussitôt :

— Cette insinuation est inadmissible. C’est laisser entendre…

— Rien du tout, Maître, je constate simplement.