Charles Quint, l’empereur de tous les combats - Damien Dos Santos Davim - E-Book

Charles Quint, l’empereur de tous les combats E-Book

Damien Dos Santos Davim

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Beschreibung

Dirigeant d’un vaste territoire sur lequel « le soleil ne se couchait jamais », Charles Quint doit affronter des défis politiques et militaires considérables, notamment les guerres d’Italie contre la France et les tensions avec l’Empire ottoman, tout en gardant une alliance avec le Portugal. Son règne est caractérisé par des enjeux sans précédent, héritant ainsi du premier Empire mondial. Comment a-t-il pu maintenir l’intégrité et la stabilité de son royaume face à ces multiples pressions ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Polyglotte et amoureux des langues telles que le portugais, l’italien ou encore le latin, Damien Dos Santos Davim partage ses connaissances en enseignant dans plusieurs établissements. En tant qu’écrivain prolifique, il publie des articles et ouvrages captivants, explorant l’Histoire moderne avec érudition.

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Damien Dos Santos Davim

Charles Quint, l’empereur

de tous les combats

© Lys Bleu Éditions – Damien Dos Santos Davim

ISBN : 979-10-422-2494-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La victoire est la récompense de la guerre, mais si les opérations traînent en longueur, les troupes et les armes s’émoussent ; assiéger une cité use votre force ; une campagne prolongée épuise les ressources de l’État. Si vos soldats et vos armes ont perdu leur mordant, si votre force et vos ressources sont à bout, vos rivaux saisissent la chance et vous attaquent. Si avisé que vous soyez, vous ne pouvez alors rien faire pour vous préserver.

Sun Tzu,

l’Art de la guerre, page 13

Introduction

Charles Quint incarne à lui seul un changement d’époque, le passage du Moyen Âge à la Renaissance. La rivalité et les alliances qu’entretient l’Empereur auprès des différents souverains européens influencent le XVIe siècle. Le futur empereur Charles Quint, né le 24 février 1500, près de Gand, en Belgique actuelle, est le fils de l’archiduc d’Autriche Philippe le Beau, et de Jeanne la Folle, ainsi nommée parce qu’elle sera victime d’une dépression après la mort de son époux, en 1506. Charles Quint réunit entre ses mains l’héritage immense de son grand-père Maximilien Ier à savoir les États héréditaires de la famille des Habsbourg, essentiellement en Autriche et dans le bassin du Danube, ainsi que le Saint Empire romain germanique, couronne élective, mais demeure entre les mains des Habsbourg de 1438 à 1806. Charles Quint est célèbre pour avoir été l’un des souverains les plus puissants d’Europe, régnant sur les Pays-Bas, l’Espagne et sur le Saint Empire romain germanique. Maître d’un immense empire sur lequel « le soleil ne se couchait jamais ». Non seulement il fut le premier monarque à disposer d’un empire situé dans le Nouveau Monde, mais il fut également bénéficiaire d’héritages qui le placent à la tête d’un immense domaine en Europe. Durant tout son règne, Charles Quint a dû lutter à la fois contre la France lors des guerres d’Italie, contre l’Empire ottoman dont l’avancée en Europe de l’Est menace la chrétienté et contre le protestantisme qui émerge. L’Empereur peut compter sur l’alliance de plusieurs puissants souverains et princes à commencer par le Portugal de João III qui dispose d’une armada efficace et puissante et d’une richesse immense tirée de son empire maritime et du commerce avec l’Inde.

La puissance et l’immensité des territoires de l’Empereur deviennent rapidement un problème pour François Ier qui se retrouve pris en tenaille. Leur rivalité va durer trente ans, interrompue à intervalles plus ou moins longs par des périodes de paix ou de trêve. La défaite majeure du roi de France se situe lors de la bataille de Pavie, le 24 février 1525, où François Ier est fait prisonnier. Pour échapper à sa captivité, le roi de France signe le traité de Madrid, en 1526, mais il ne tient pas les promesses. François Ier relance la guerre en Italie marquée par la prise et le sac de Rome par le connétable de Bourbon, allié de l’Empereur. Sur un autre théâtre, Charles Quint fait la guerre contre l’Empire ottoman de Soliman le Magnifique stoppant l’inexorable avancée en Europe. Charles Quint fait aussi plusieurs expéditions en Afrique où il défit Barberousse, alliée de Soliman le Magnifique, en 1535, s’emparant de Tunis avec l’aide du Portugal, mais il échoua contre Alger, 1541. Dans le Saint Empire, Charles Quint éprouva de grandes difficultés à régler la question religieuse, sous son règne se produit la Réforme. Il multiplie également tous ses efforts contre les protestants confédérés. Charles Quint doit faire face à des défis militaires et politiques sans précédent. Il hérite du Premier Empire mondial, qui s’étend de la péninsule ibérique à l’Autriche, de la Sicile aux Pays-Bas, en passant par l’Afrique du Nord et les Amériques. Il lui faut donc combiner les traditions politiques et militaires disparates de tous ces États, dont les intérêts divergent souvent.

I

Une naissance illustre

Charles de Habsbourg vient au monde le 24 février 1500 à Gand, dans la Belgique actuelle1. L’archiduc d’Autriche, Philippe le Beau, son père est le fils de l’empereur Maximilien Ier et sa mère Jeanne de Castille est la fille des Rois Catholiques Isabel la Catholique et Ferdinand II d’Aragon. Le titre de Rois Catholiques est accordé par le pape Alexandre VI Borgia aux souverains de Castille et d’Aragon en récompense de leur prise de Grenade, en 1492, dernier bastion musulman en péninsule ibérique, mettant fin à la Reconquista2. Dès sa naissance, Charles de Habsbourg reçoit son premier titre de duc de Luxembourg. Le jeune prince est porté sur les fonts baptismaux par son arrière-grand-mère, la duchesse de Bourgogne Marguerite d’York, veuve de Charles le Téméraire, dont il reçoit le prénom, et par un aristocrate néerlandais, Guillaume de Croÿ, marquis d’Aerschot, qui sera son précepteur. Charles le Téméraire est le fils unique du duc de Bourgogne Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal, Charles le Téméraire vise comme son père à créer un nouvel État entre la France et le Saint Empire romain germanique. Mais le quatrième et dernier duc de Bourgogne perdra ses territoires et sa vie dans son ambition de créer un État territorial continu face à ses voisins suisses, lorrains et le roi de France Louis XI. Le futur Charles Quint est issu de plusieurs illustres lignées. Ses grands-parents maternels sont Isabelle la Catholique, reine de Castille, et Ferdinand II, roi d’Aragon et de Sicile. Si les couronnes s’unissent par le mariage, leurs territoires ne fusionnent jamais, restant chacun indépendant les uns des autres avec leurs propres lois et juridictions. Pourtant ces deux personnages engagent le processus d’expansion et introduisent l’idée impériale qui prend forme avec leur petit-fils Charles Quint.

L’héritier de quatre dynasties

Fils de Jeanne de Castille et de Philippe le Beau, Charles de Habsbourg est destiné par sa naissance à un immense héritage territorial. Par sa naissance, Charles de Habsbourg est appelé à un grand avenir dont l’héritage va dépasser toutes les espérances. Pour entourer le nouveau-né, on retrouve plusieurs personnalités de très hauts rangs représentant les différents héritages et territoires dont le futur Charles Quint est destiné à régner. Durant le baptême, on retrouve Margaret d’York, veuve de Charles le Téméraire, Marguerite d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien Ier, Charles de Croy, seigneur de Chimay, et Jean de Berghes, premier gentilhomme de l’archiduc et gouverneur de Namur. Toutes les grandes familles des Pays-Bas sont présentes pour présenter leur hommage au nouveau-né, tout comme celle du Saint Empire, proches de Maximilien Ier à savoir les Nassau, les Horn, les Bade et les Saxes. Cependant, la fête est endeuillée. Le petit Charles de Habsbourg, duc de Luxembourg, futur seigneur des Pays-Bas et archiduc d’Autriche, ignore que d’autres couronnes se rapprochent de sa tête. Après la disparition de leur fils unique, le prince Juan de Trastamare, en 1497, et l’année suivante celle de leur fille aînée Dona Isabelle d’Aragon, épouse de Manuel Ier le Fortuné, roi de Portugal. Les Rois Catholiques doivent également déplorer, en juillet 1500, la disparition, à deux ans, de l’infant Dom Miguel, seul enfant issu du mariage et sur lequel reposait leur rêve d’union des couronnes portugaise et espagnole.

Troisième fille des Rois Catholiques, Jeanne de Castille devient l’héritière des différents trônes de ses parents après la mort prématurée de ses aînées Don Juan de Trastamare3 et de Dona Isabelle d’Aragon, reine de Portugal et de son fils Dom Miguel. Mariée, en 1496, à Philippe le Beau, fils de Maximilien Ier, empereur du Saint Empire romain germanique. Le fils aîné de cette union reçoit par héritage de sa mère les couronnes de Castille, d’Aragon, de Sicile, ainsi que les places castillanes au nord de l’Afrique, tout comme les terres découvertes dans le Nouveau Monde depuis l’expédition de 1492 de Christophe Colomb. De son père Charles de Habsbourg reçoit les Pays-Bas, la Franche-Comté et les droits sur le duché de Bourgogne, tout comme sur les possessions héréditaires des Habsbourg. Les territoires des Habsbourg regroupent une multitude de territoires à savoir l’archiduché d’Autriche, le duché de Styrie, le duché de Carinthie, le duché de Carniole, le comté de Goritz, le comté de Tyrol. Ces possessions demeurent entre les mains des Habsbourg jusqu’à la Première Guerre mondiale, ajoutées de la Hongrie et de la Bohême.

Avant son premier anniversaire, Charles de Habsbourg, duc de Luxembourg, est fait chevalier de l’ordre de la Toison d’or4. Le 16 novembre 1501, Philippe le Beau et Jeanne de Castille quittent les Pays-Bas et leur fils pour rejoindre la péninsule ibérique afin de prêter serment devant les Cortès en tant que successeurs des Rois Catholiques5. Pendant son séjour en France, Philippe le Beau rencontre Louis XII pour arranger un mariage entre Charles de Habsbourg et la princesse française Claude de France. Ce mariage ne verra jamais le jour, l’alliance portugaise sera privilégiée et la princesse de France sera mariée avec le futur François Ier. La mort de Marguerite d’York, en 1503, force Philippe le Beau et Jeanne de Castille à revenir aux Pays-Bas pour régler les affaires politiques et changer les précepteurs et éducateurs de leur fils. Au début de 1506, Philippe le Beau et Jeanne de Castille repartent pour la péninsule ibérique afin de réclamer la couronne de Castille après la mort d’Isabelle la Catholique, survenue en 1504. Dans son testament, la reine stipulait que l’héritière du trône soit sa fille Jeanne de Castille, le roi Ferdinand II d’Aragon, mari de la reine défunte, administrerait et gouvernerait la Castille en son nom jusqu’à ce que Charles de Habsbourg, futur Charles Quint, atteigne ses 20 ans. Cependant, la noblesse castillane ne soutient pas Ferdinand d’Aragon, décidant de laisser le gouvernement de Castille à l’archiduc d’Autriche Philippe le Beau, époux de Jeanne de Castille, mais le règne conjoint est de courte durée. Le nouveau roi de Castille meurt prématurément en septembre après deux mois de règne. Charles de Habsbourg, âgé de 6 ans, est immédiatement proclamé duc de Bourgogne, et devient le souverain des duchés de Brabant et de Luxembourg, des comtés de Flandre, de Hollande et de Bourgogne. Marguerite d’Autriche, sœur de Philippe le Beau et fille de l’empereur Maximilien Ier, prend en charge la destinée de Charles de Habsbourg et de ses sœurs Éléonore, Isabelle et Marie, tandis que leur frère Ferdinand demeure en Castille où il est né, son éducation étant assurée par son grand-père Ferdinand II d’Aragon. Sa sœur Dona Catarina de Austria, future reine de Portugal, née en 1507, est élevée également en Castille auprès de leur mère, que le veuvage a rendue folle6.

Marguerite d’Autriche, tante de Charles de Habsbourg, une fine politique devient régente à la mort de son frère, décision appuyée par les États généraux des Pays-Bas qui refuse de voir Maximilien Ier s’emparer de la régence des Pays-Bas à cause de sérieux démêlés par le passé. Malgré tout, c’est ce grand-père qui est le plus proche de Charles de Habsbourg dont il admire la politique et la figure imposante dont il a réussi à imposer à ses ennemis et ses sujets. L’empereur accepte d’abandonner la régence, mais impose son choix de précepteur en la personne d’Adrien Floriszoon, recteur de l’université de Louvain, qui deviendra plus tard le pape Adrien VI. Ce sera d’ailleurs le dernier pape non italien à monter sur le trône de Saint-Pierre avant l’avènement, en 1978, de Jean-Paul II7. Ferdinand d’Aragon, ayant considéré que sa fille était en proie à la folie, ordonna qu’elle soit enfermée au palais royal de Tordesillas et devint régent du royaume de Castille. Depuis la mort de Philippe le Beau, la reine Jeanne de Castille ne serait pas séparée un instant du cercueil durant huit mois le promenant à travers les terres castillanes. Le cercueil était accompagné d’un grand nombre de personnes, y compris des religieux, des nobles, des dames d’honneur, des soldats et divers serviteurs. Les murmures et les rumeurs sur la folie de la reine augmentent chaque jour parmi les habitants des villages qu’ils traversent. Après quelques mois, les nobles, « forcés » par leur position de suivre la reine, se plaignent de perdre leur temps sur cette « folie ».

Le 5 janvier 1515, Guillaume de Croy obtint de Maximilien Ier qu’il déclare Charles de Habsbourg comme majeur, limitant ainsi les intrigues et les contestations envers le jeune souverain et la régente. Les États généraux nomment alors le jeune prince comme souverain légitime des Pays-Bas mettant fin à la régence de sa tante Marguerite d’Autriche. Cependant, sans sa propre volonté de gouverner du fait de son jeune âge de 15 ans, le jeune souverain déléguera alors le pouvoir au seigneur de Chièvres. La même année, le cardinal Adrien d’Utrecht se rend en Aragon pour s’assurer que Ferdinand d’Aragon ne s’opposera pas à Charles de Habsbourg pour l’héritage de Castille et d’Aragon en faveur de son frère Ferdinand de Habsbourg, qui a grandi avec lui. Bien qu’il ait promis de nommer le futur Charles Quint comme successeur, les conseillers du roi d’Aragon peuvent le convaincre peu avant sa mort de nommer Ferdinand à la place de son frère aîné. Ferdinand de Habsbourg est né ainsi dans le palais archiépiscopal d’Alcalá de Henares, en Castille, le 10 mars 1503, nommé en l’honneur de son grand-père maternel Ferdinand d’Aragon. Philippe le Beau démontrant sa volonté de s’éloigner des racines flamande et allemande de sa famille, accepte que son second fils soit élevé à Simancas, tandis que son grand-père Ferdinand d’Aragon nomme le dominicain Álvaro de Osorio pour son éducation afin d’en faire un prince espagnol. L’ironie du sort est que Charles Quint élevé aux Pays-Bas par Marguerite d’Autriche sera un roi d’Espagne autant que le souverain du Saint Empire, contrairement à son frère Ferdinand de Habsbourg qui est élevé en Espagne passera toute sa vie en Autriche et ensuite, à partir de 1558, dans le Saint Empire à la suite de son élection comme empereur. La mort prématurée de Philippe le Beau, en 1506, a laissé un vide de pouvoir en Castille avec Jeanne de Castille devenue reine, mais dont la folie empêche de régner de plein droit, laissant le pouvoir, avec conscience ou pas, entre les mains de son père Ferdinand d’Aragon8.

Le jeune Ferdinand, en comparaison à Charles de Habsbourg, éprouve des difficultés à maintenir son statut de prince. En effet, à la mort de Philippe le Beau, son fils est immédiatement reconnu comme le souverain légitime et sans contexte des Pays-Bas, contrairement à son frère Ferdinand de Habsbourg qui se retrouve au centre d’un affrontement entre le gouverneur flamand de Tordesillas, Charles de Poupet, et la chancellerie de Valladolid. Tous deux veulent prendre le contrôle de l’infant, seul membre masculin de la maison régnante présent dans le pays durant le vide et la vacance du pouvoir. Entre-temps, le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros, personnage fidèle à la couronne et soutien du roi d’Aragon, déjoue les deux complots établissant une régence dans la couronne de Castille au nom de Ferdinand d’Aragon.

La raison pour laquelle les deux princes sont aussi importants repose sur l’héritage qu’ils détiennent par leur sang et naissance. En effet, Charles de Habsbourg contrôle déjà les Pays-Bas. Mais l’héritage ibérique est de loin le plus riche et important dont le futur Charles Quint prendra le contrôle. La guerre de Grenade marque le début du projet impérial, auquel vient se greffer la conquête des Canaries, les découvertes effectuées par Christophe Colomb au profit de la Castille, à partir de 1492, tout comme la cession française du Roussillon et de la Cerdagne, en 1493, tout comme le projet colonisateur de Nicolas de Ovando, en 1502, qui prévoit de poursuivre les découvertes de Christophe Colomb en amplifiant l’exploration des terres inconnues qui seront par la suite connues comme Amérique. Les campagnes militaires de Ferdinand d’Aragon apporteront de nouvelles terres à commencer par la conquête de Naples, en 1502, durant les guerres d’Italie contre le roi de France Louis XII. Ferdinand d’Aragon, également maître de la Sicile, restaure politiquement le royaume des Deux-Siciles, mais les deux entités qui le composent restent juridiquement distinctes, chacune gouvernée par un vice-roi représentant le roi d’Espagne. Le souverain d’Aragon tourne également son regard en direction de l’Afrique du Nord9. Cependant, contrairement au Portugal de Afonso V, Ferdinand d’Aragon s’oppose aux occupations à grande échelle et limite son action à l’occupation de certaines places côtières méditerranéennes, comme Oran. La raison est simple, jugée intenable et sans apport en ressources et richesses, l’Afrique du Nord ne présente aucun avantage primordial. La véritable occupation du souverain aragonais demeure les découvertes de l’Amérique, l’occupation et l’exploitation rapides des terres. Pour assurer à ses petits-fils une structure forte et surtout solide défensivement, Ferdinand d’Aragon décide de poursuivre l’assimilation de la Navarre, œuvre commencée dès le XIIe siècle. Pour réaliser son projet, Ferdinand d’Aragon avait neutralisé l’opposition française en épousant Germaine de Foix, nièce du roi Louis XII. En tant que fils de Juan II, il est intervenu activement dans la guerre civile de Navarre, avec l’introduction de troupes castillanes à l’intérieur du royaume de Navarre, jusqu’en 1512, il a ouvertement incorporé ou conquis définitivement la Navarre avec des troupes basques, aragonaises et castillanes, sous le commandement de Don Fadrique Álvarez de Toledo y Enríquez, duc d’Alba. Pour contrôler le royaume et dans le cadre des mesures diplomatiques, les Cortès de Navarre se réunirent le 23 mars 1513, où ils acceptent la domination aragonaise après avoir obtenu le respect des droits du royaume. Après cela, les procurateurs lui jurèrent obéissance en tant que « Roi Catholique, Don Fernando, roi de Navarre, notre seigneur à partir de maintenant… ».

Dans les pactes, le roi de France cédait à sa nièce Germaine de Foix les droits dynastiques du royaume de Naples et accordait à Ferdinand d’Aragon le titre de roi de Jérusalem, droits qui reviendraient en France en cas d’absence d’héritier. En faisant ce geste, Ferdinand d’Aragon forme un grand royaume, voir un empire méditerranéen, pour son successeur qui se dessine de plus en plus être la personne de Charles de Habsbourg ou de Ferdinand de Habsbourg, en raison de la folie de leur mère. La grande affaire qui occupera les souverains espagnols par la suite aussi bien Ferdinand d’Aragon que Charles Quint et Philippe II sont les guerres en Italie avec notamment la Ligue de Cambrai contre Venise, en 1511, la bataille de Pavie, en 1525, contre le roi de France, ou encore la ligue de Cognac, en 1526, contre les États pontificaux.

Le destin impérial du futur Charles Quint est donc un projet dynastique et non national. La monarchie dont héritera le jeune souverain est un amalgame d’entités politiques territoriales réparties à travers l’Europe10, auxquelles s’ajoutent sans cesse de nouvelles conquêtes italiennes et américaines, qui ne partagent aucune cohérence aussi bien en langue ou en terme juridique. Les monarques, ce que Charles Quint et son fils et successeur Philippe II feront avec le plus grand soin, doivent respecter les différentes juridictions spécifiques des différents territoires et royaumes sous leur autorité, principalement en Europe, car le Nouveau Monde demeure rattaché au royaume de Castille avec une véritable cohérence juridictionnelle. Pour reprendre l’expression de John Elliott, la monarchie hispanique était un conglomérat de « monarchie composite » reposant sur l’acceptation mutuelle des parties constitutives dans lesquelles le roi jouait le rôle de médiateur au sein des différentes juridictions. Âgé de 15 ans et grâce à plusieurs mariages dynastiques et décès prématurés, le futur Charles Quint recevra en héritage le plus grand ensemble de territoires jamais obtenu par un souverain européen. Par sa grand-mère Marie de Bourgogne, morte en 1482, et de son père Philippe le Beau, mort en 1506, Charles de Habsbourg reçoit l’État des ducs de Bourgogne des Pays-Bas, prenant le titre de duc de Bourgogne. L’héritage de sa grand-mère maternelle Isabelle la Catholique, morte en 1504, la couronne de Castille et ses dépendances, notamment les possessions d’Amérique qui se limitent pour le moment à quelques îles. Les conquêtes de son grand-père Ferdinand d’Aragon, qui meurt en 1516, le futur Charles Quint recevra la couronne d’Aragon et ses dépendances à savoir Naples, la Sicile et les possessions en Afrique du Nord. Enfin, l’héritage allemand de Charles Quint provient de son grand-père Maximilien Ier, décédé en 1519, dont les territoires recouvrent les possessions héréditaires de la maison de Habsbourg : archiduché d’Autriche, différents comtés, etc. Tout en se plaçant comme l’héritier et le candidat naturel à la course pour la couronne impériale du Saint Empire romain germanique, malgré le caractère électif de cette dignité11. Au fait de sa puissance et de ses titres, à partir de 1525, Charles Quint réunira dix-sept couronnes sur sa tête recouvrant la majeure partie de l’Europe et du Nouveau Monde. Mais la gestion et l’administration de cet immense empire ne peuvent revenir à un souverain sans éducation et culture, raison pour laquelle, dès sa jeune enfance, Charles de Habsbourg est préparé et éduqué pour assurer cette charge écrasante.

La raison qui explique également la puissance et l’influence de la famille de Charles de Habsbourg est à rechercher dans les origines même de la puissante dynastie des Habsbourg12. Au cours des XIIe et XIIIe siècles, la descendance Habsbourg devient l’une des plus influentes du Saint Empire, Rodolphe Ier est le premier de la famille à recevoir le titre impérial. Dès son accession au pouvoir, Rodolphe entend remettre de l’ordre dans l’Empire, d’abord en mettant fin aux guerres privées, mais aussi et surtout en récupérant des territoires qui sont indûment occupés par certains princes, à commencer par le duché d’Autriche. Celui-ci a longtemps été détenu par la famille des Babenberg, mais cette lignée de ducs s’est éteinte en 1246, avec la mort sans héritier mâle du duc Frédéric II d’Autriche. Cependant, le roi de Bohême Otakar II, qui a épousé Marguerite d’Autriche, la sœur du duc défunt, a profité de la vacance du pouvoir durant le Grand Interrègne pour s’emparer du duché d’Autriche après avoir vaincu son rival, le roi de Hongrie Béla IV. Or, le droit féodal prescrit le retour à l’empereur des fiefs tombés en déshérence. Craignant sans doute l’arrivée au pouvoir de l’ambitieux Rodolphe de Habsbourg, Otakar a aussi été le seul des sept princes-électeurs à ne pas voter pour lui. Il ne s’est pas rendu non plus à la cérémonie du couronnement. En 1452, Frédéric III, père de Maximilien Ier, est couronné comme empereur par le pape Nicolas V légitimant un peu plus le pouvoir des Habsbourg. Frédéric III avait épousé Eléonore de Portugal, fille de Duarte Ier, roi de Portugal13, dans une logique d’alliance matrimoniale avec les Aviz, chose poursuivie par Charles Quint. Frédéric III consacra une grande partie de son règne à la consolidation de ses biens patrimoniaux que Charles Quint poursuivra.

Les Habsbourg mettent en place une politique particulièrement singulière et à l’opposé des autres dynasties14. Alors que les monarchies de France, de Castille ou d’Angleterre tentent de stabiliser leur royaume par une centralisation administrative, tout en abaissant la puissance de la noblesse, les Habsbourg se trouvent dans une situation différente. Durant quatre siècles les luttes militaires et les stratégies politiques ont conduit la dynastie de Charles Quint à former un ensemble hétérogène de territoire sous leur domination. Ce vaste patrimoine plus ou moins héréditaire s’étendait des rives de l’Adriatique jusqu’aux confins de la Bohême. Ces territoires n’étaient pas du tout centralisés, la figure du souverain servait de catalyseur, mais ses différentes entités étaient en grande partie autonomes et gérées par des assemblées politiques nommées diètes. Avec Frédéric III, toutes les conditions étaient réunies pour la future affirmation de la maison des Habsbourg en Europe et plus simplement dans le Saint Empire. Les efforts de Frédéric III puis de Maximilien Ier ouvrent la voie à la puissance de Charles Quint. En effet, les liens avec le royaume de Portugal, la succession au titre impérial, une présence croissante dans les régions du Danube et l’heureuse alliance avec le duché de Bourgogne assurent aux Habsbourg une puissance et une influence sans limites. L’alliance avec les Aviz est très importante pour les Habsbourg, le commerce du sucre des îles de l’Atlantique et des îles esclavagistes, de l’or et du piment sur la côte africaine, a fait du Portugal du XVe siècle un pays en pleine croissance économique. Compte tenu du climat de paix dans le royaume lusitanien, où les seules opérations militaires de l’époque ont été menées en Afrique du Nord, ne risque nullement de perturber l’économie interne. Frédéric III était un dirigeant qui était constamment en proie à des problèmes financiers tout comme Charles Quint et Philippe II.

Une enfance à la cour des Pays-Bas

Si la jeunesse et l’éducation du futur Charles Quint se déroulent en milieu flamand, il faut remarquer que celui-ci avait été déjà fortement marqué d’esprit espagnol et autrichien. Sa tante Marguerite d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien Ier, avait été sa première éducatrice. Si sa langue naturelle était le français et s’il rencontra toujours des difficultés à parler un allemand correct, bien qu’il pût s’exprimer à ses sujets dans cette langue, Charles de Habsbourg n’était nullement un prince bourguignon. Il n’avait pas hérité des ducs de Bourgogne leur goût pour une vie somptueuse et pour les fêtes grandioses. Ses précepteurs sont Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, qui reste un conseiller écouté jusqu’à sa mort en 1521, Charles de La Chaux et le doyen de Louvain Adrien Floriszoon, le futur pape Adrien VI15. Ce dernier lui inculque une foi très vive, teintée de simplicité et d’un certain humanisme que Charles Quint conservera toute sa vie, piété qu’il transmettra à son fils Philippe II qui démontra dans ce domaine une ferveur unique. Autre trait remarquable, Charles Quint démontre rapidement une forte volonté qui s’affirme à partir de son mariage, en 1526, avec Isabelle de Portugal, lui permettant de surmonter et de faire aux nombreux défis durant son règne.

Malgré les influences autrichiennes et espagnoles, Charles de Habsbourg est avant tout élevé dans les traditions de la cour de Bourgogne. Les quelques Espagnols qu’il fréquente dans sa jeunesse s’avèrent être des ennemis politiques de son grand-père Ferdinand d’Aragon. Sa langue maternelle est le français, langue des ducs de Bourgogne et des élites flamandes, il convient de préciser que son grand-père Maximilien Ier a également appris le français et s’exprime régulièrement dans cette langue, chose que Charles Quint ferra et qui simplifiera les entrevues avec François Ier lors de la captivité du roi de France, en 1525-1526, et lors de la visite de l’Empereur en France, en 153916. Durant son éducation de prince, Charles de Habsbourg développera un fort idéal chevaleresque, de respect à la dame, et surtout de faire perdurer la mémoire d’un passé porteur d’une identité forte et du maintien de l’héritage bourguignon, chose commune et partagée avec son grand-père Maximilien Ier qui a défendu les territoires de sa femme Marie de Bourgogne contre les ambitions de Louis XI. L’opposition avec le royaume de France est donc un héritage reçu de la part de Maximilien Ier, mais renforcé et accru, à partir de 1516, avec les guerres d’Italie contre les ambitions françaises sur le royaume de Naples, possessions de la couronne d’Aragon. Malgré les efforts d’alliances et de paix, les royaumes de France et d’Espagne ne parviendront jamais à une paix durable. L’apparente bonne entente entre les souverains Valois et Trastamare pour se partager les zones d’influence en Italie, inspire au père de Charles Quint, un projet de grande alliance entre le Saint Empire, la France, les Pays-Bas, la Castille et l’Aragon en unissant son fils Charles de Habsbourg à la fille de Louis XII Claude de France. Un projet ambitieux, mais prometteur pour consolider et assurer la paix en Europe, mais pour que l’idéal de Philippe le Beau se réalise, il faut l’acceptation de Ferdinand d’Aragon. De leur côté, Louis XII est satisfait de conclure la paix et de s’assurer le duché de Milan qu’il a reconquis pour la seconde fois, Maximilien Ier accepte également après ses échecs en Bourgogne et en Suisse.

La diplomatie complexe et incertaine du roi d’Aragon va démontrer son habileté à retourner les choses en sa faveur, chose que Charles Quint ne maîtrisera jamais. En effet, dans les conditions de mariage et de paix, Philippe le Beau avait prévu le partage du royaume de Naples en deux entre Louis XII et Ferdinand d’Aragon, chose acceptée avec empressement par le roi de France qui dépêche, en 1501, l’Écossais Stuart d’Aubigny et Louis d’Armagnac, duc de Nemours, pour prendre possession du royaume de Naples, soutenue par son puissant allié Cesare Borgia qui s’est taillé au fil de l’épée une puissante principauté en Romagne. Sachant parfaitement son incapacité à résister à une guerre contre la France, Ferdinand d’Aragon accepte de « partager » le royaume de Naples, tout en ordonnant à Gonzalo Fernández de Córdoba y Aguilar17, surnommé El Gran Capitan de réorganiser et moderniser les troupes, tout en se montrant hostile au mariage de son petit-fils Charles de Habsbourg avec la princesse Claude de France. À partir de 1504, ayant réorganisé ses fantassins en compagnie de 250 hommes, très mobiles, composés de piquiers et d’arquebusiers, formation de combat introduite par El Gran Capitan