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La pièce peut se résumer rapidement ainsi : dans les années 1770, à Londres, Thomas Chatterton, un jeune poète de 18 ans, loue depuis peu une petite chambre chez John et Kitty Bell, un couple d'industriels hébergeant par ailleurs un vieux Quaker, qui deviendra le confident de Chatterton et de Kitty.
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Seitenzahl: 90
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Table of Contents
Page de titre
Personnages
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
ACTE TROISIÈME
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
SCÈNE VII
SCÈNE VIII
SCÈNE IX
Page de copyright
Personnages
CHATTERTON
UN QUAKER
KITTY BELL
JOHN BELL
LORD BECKFORD, lord-maire de Londres
LORD TALBOT
LORD LAUDERDALE
LORD KINGSTON
UN GROOM
UN OUVRIER
RACHEL, FILLE DE KITTY BELL, âgée de six ans
SON FRÈRE, jeune garçon de quatre ans
TROIS JEUNES LORDS
DOUZE OUVRIERS DE LA FABRIQUE DE JOHN BELL
DOMESTIQUES DU LORD-MAIRE
DOMESTIQUES DE JOHN BELL
UN GROOM
ACTE PREMIER
La scène représente un vaste appartement ; arrière-boutique opulente et confortable de la maison de John Bell. À gauche du spectateur, une cheminée pleine de charbon de terre allumé. À droite, la porte de la chambre à coucher de Kitty Bell. Au fond, une grande porte vitrée : à travers les petits carreaux, on aperçoit une riche boutique ; un grand escalier tournant conduit à plusieurs portes étroites et sombres, parmi lesquelles se trouve la porte de la petite chambre de Chatterton.
Le Quaker lit dans un coin de la chambre, à gauche du spectateur. À droite est assise Kitty Bell ; à ses pieds un enfant assis sur un tabouret ; une jeune fille debout à côté d’elle.
SCÈNE PREMIÈRE
LE QUAKER, KITTY BELL, RACHEL.
KITTY BELL, à sa fille qui montre un livre à son frère.
Il me semble que j’entends parler monsieur ; ne faites pas de bruit, enfants. (Au Quaker.) Ne pensez-vous pas qu’il arrive quelque chose ? (Le Quaker hausse les épaules.) Mon Dieu ! votre père est en colère ! certainement il est fort en colère ; je l’entends bien au son de sa voix. – Ne jouez pas, je vous en prie, Rachel. (Elle laisse tomber son ouvrage et écoute.) Il me semble qu’il s’apaise, n’est-ce pas, monsieur ? (Le Quaker fait signe que oui, et continue sa lecture.) N’essayez pas ce petit collier, Rachel ; ce sont des vanités du monde que nous ne devons pas même toucher… Mais qui donc vous a donné ce livre-là ? C’est une Bible ; qui vous l’a donnée, s’il vous plaît ? Je suis sûre que c’est le jeune monsieur qui demeure ici depuis trois mois.
RACHEL
Oui, maman.
KITTY BELL
Oh ! mon Dieu ! qu’a-t-elle fait là ! – Je vous ai défendu de rien accepter, ma fille, et rien surtout de ce pauvre jeune homme. – Quand donc l’avez-vous vu, mon enfant ? Je sais que vous êtes allée ce matin, avec votre frère, l’embrasser dans sa chambre. Pourquoi êtes-vous entrés chez lui, mes enfants ? C’est bien mal ! (Elle les embrasse.) Je suis certaine qu’il écrivait encore ; car, depuis hier au soir, sa lampe brûlait toujours
RACHEL
Oui, et il pleurait.
KITTY BELL
Il pleurait ! Allons, taisez-vous ! ne parlez de cela à personne. Vous irez rendre ce livre à monsieur Tom quand il vous appellera ; mais ne le dérangez jamais, et ne recevez de lui aucun présent. Vous voyez que, depuis trois mois qu’il loge ici, je ne lui ai même pas parlé une fois, et vous avez accepté quelque chose, un livre. Ce n’est pas bien. – Allez… allez embrasser le bon quaker. – Allez, c’est bien le meilleur ami que Dieu nous ait donné. (Les enfants courent s’asseoir sur les genoux du quaker.)
LE QUAKER
Venez sur mes genoux tous deux, et écoutez-moi bien. – Vous allez dire à votre bonne petite mère que son cœur est simple, pur et véritablement chrétien, mais qu’elle est plus enfant que vous dans sa conduite, qu’elle n’a pas assez réfléchi à ce qu’elle vient de vous ordonner, et que je la prie de considérer que rendre à un malheureux le cadeau qu’il a fait, c’est l’humilier et lui faire mesurer toute sa misère.
KITTY BELL, s’élance de sa place.
Oh ! il a raison ! il a mille fois raison ! – Donnez, donnez-moi ce livre, Rachel. – Il faut le garder, ma fille ! le garder toute ta vie. – Ta mère s’est trompée. – Notre ami a toujours raison.
LE QUAKER, ému et lui baisant la main.
Ah ! Kitty Bell ! Kitty Bell ! âme simple et tourmentée ! – Ne dis point cela de moi. – Il n’y a pas de sagesse humaine. – Tu le vois bien, si j’avais raison au fond, j’ai eu tort dans la forme. – Devais-je avertir les enfants de l’erreur légère de leur mère ? Il n’y a pas, ô Kitty Bell, il n’y a pas si belle pensée à laquelle ne soit supérieur un des élans de ton cœur chaleureux, un des soupirs de ton âme tendre et modeste.
(On entend une voix tonnante.)
KITTY BELL, effrayée.
Oh ! mon Dieu ! encore en colère ! – La voix de leur père me répond là ! (Elle porte la main à son cœur.) Je ne puis plus respirer. – Cette voix me brise le cœur. – Que lui a-t-on fait ? Encore une colère comme hier au soir… (Elle tombe sur un fauteuil.) J’ai besoin d’être assise. – N’est-ce pas comme un orage qui vient ? et tous les orages tombent sur mon pauvre cœur.
LE QUAKER
Ah ! je sais ce qui monte à la tête de votre seigneur et maître : c’est une querelle avec les ouvriers de sa fabrique. – Ils viennent de lui envoyer, de Norton à Londres, une députation pour demander la grâce d’un de leurs compagnons. Les pauvres gens ont fait bien vainement une lieue à pied ! – Retirez-vous tous les trois… Vous êtes inutiles ici. – Cet homme-là vous tuera… c’est une espèce de vautour qui écrase sa couvée. (Kitty Bell sort, la main sur son cœur, en s’appuyant sur la tête de son fils, qu’elle emmène avec Rachel.)
SCÈNE II
LE QUAKER, JOHN BELL, UN GROUPE D’OUVRIERS.
LE QUAKER, regardant arriver John Bell.
Le voilà en fureur… Voilà l’homme riche, le spéculateur heureux ; voilà l’égoïste par excellence, le juste selon la loi.
JOHN BELL. Vingt ouvriers le suivent en silence, et s’arrêtent contre la porte. – Aux ouvriers avec colère.
Non, non, non, non ! – Vous travaillerez davantage, voilà tout.
UN OUVRIER, à ses camarades.
Et vous gagnerez moins, voilà tout.
JOHN BELL
Si je savais qui a répondu cela, je le chasserais sur-le-champ comme l’autre.
LE QUAKER
Bien dit, John Bell ! tu es beau précisément comme un monarque au milieu de ses sujets.
JOHN BELL
Comme vous êtes quaker, je ne vous écoute pas, vous ; mais, si je savais lequel de ceux-là vient de parler ! Ah !… l’homme sans foi que celui qui a dit cette parole ! Ne m’avez-vous pas tous vu compagnon parmi vous ? Comment suis-je arrivé au bien-être que l’on me voit ? Ai-je acheté tout d’un coup toutes les maisons de Norton avec sa fabrique ? Si j’en suis le seul maître à présent, n’ai-je pas donné l’exemple du travail et de l’économie ? N’est-ce pas en plaçant les produits de ma journée que j’ai nourri mon année ? Me suis-je montré paresseux ou prodigue dans ma conduite ? – Que chacun agisse ainsi, et il deviendra aussi riche que moi. Les machines diminuent votre salaire, mais elles augmentent le mien ; j’en suis très fâché pour vous, mais très content pour moi. Si les machines vous appartenaient, je trouverais très bon que leur production vous appartînt ; mais j’ai acheté les mécaniques avec l’argent que mes bras ont gagné : faites de même, soyez laborieux et surtout économes. – Rappelez-vous bien ce sage proverbe de nos pères : Gardons bien les sous, les schellings se gardent eux-mêmes. Et à présent qu’on ne me parle plus de Tobie ; il est chassé pour toujours. Retirez-vous sans rien dire, parce que le premier qui parlera sera chassé, comme lui, de la fabrique, et n’aura ni pain, ni logement, ni travail dans le village.
(Ils sortent.)
LE QUAKER
Courage, ami ! je n’ai jamais entendu au parlement un raisonnement plus sain que le tien.
JOHN BELL revient, encore irrité et s’essuyant le visage.
Et vous, ne profitez pas de ce que vous êtes quaker pour troubler tout, partout où vous êtes. – Vous parlez rarement, mais vous devriez ne parler jamais. – Vous jetez au milieu des actions des paroles qui sont comme des coups de couteau.
LE QUAKER
Ce n’est que du bon sens, maître John ; et quand les hommes sont fous, cela leur fait mal à la tête. Mais je n’en ai pas de remords ; l’impression d’un mot vrai ne dure pas plus que le temps de le dire ; c’est l’affaire d’un moment.
JOHN BELL
Ce n’est pas là mon idée : vous savez que j’aime assez à raisonner avec vous sur la politique ; mais vous mesurez tout à votre toise, et vous avez tort. La secte de vos quakers est déjà une exception dans la chrétienté, et vous êtes vous-même une exception parmi les quakers. – Vous avez partagé tous vos biens entre vos neveux ; vous ne possédez plus rien qu’une chétive subsistance, et vous achevez votre vie dans l’immobilité et la méditation. – Cela vous convient, je le veux ; mais ce que je ne veux pas, c’est que, dans ma maison, vous veniez, en public, autoriser mes inférieurs à l’insolence.
LE QUAKER
Eh ! que te fait, je te prie, leur insolence ? Le bêlement de moutons t’a-t-il jamais empêché de les tondre et de les manger ? – Y a-t-il un seul de ces hommes dont tu ne puisses vendre le lit ? Y a-t-il dans le bourg de Norton une seule famille qui n’envoie ses petits garçons et ses filles tousser et pâlir en travaillant tes laines ? Quelle maison ne t’appartient pas et n’est chèrement louée par toi ? Quelle minute de leur existence ne t’est pas donnée ? Quelle goutte de sueur ne te rapporte un schelling ? La terre de Norton, avec les maisons et les familles, est portée dans ta main comme le globe dans la main de Charlemagne. – Tu es le baron absolu de ta fabrication féodale.
JOHN BELL
C’est vrai, mais c’est juste. – La terre est à moi, parce que je l’ai achetée ; les maisons, parce que je les ai bâties ; les habitants, parce que je les loge ; et leur travail, parce que je le paye. Je suis juste selon la loi.
LE QUAKER
Et ta loi, est-elle juste selon Dieu ?
JOHN BELL
Si vous n’étiez pas quaker, vous seriez pendu pour parler ainsi.
LE QUAKER
Je me pendrais moi-même plutôt que de parler autrement, car j’ai pour toi une amitié véritable.
JOHN BELL
S’il n’était vrai, docteur, que vous êtes mon ami depuis vingt ans et que vous avez sauvé un de mes enfants, je ne vous reverrais jamais.
LE QUAKER