Contes japonais - Yei Theodora Ozaki - E-Book

Contes japonais E-Book

Yei Theodora Ozaki

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Beschreibung

Contes traditionnels japonais

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née en Angleterre en 1871, Yei Theodora Ozaki est une traductrice. Elle a adapté les contes traditionnels japonais pour les jeunes européens

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Couverture

Page de titre

À propos de la traductrice :

Yei Theodora Ozaki est une traductrice du début du 20ème  siècle de contes japonais et de contes de fées.

Née en 1871, Yei Theodora Ozaki était la fille du baron Ozaki, l’un des tous premiers Japonais à aller étudier en Angleterre, et de Sabbathia Catherine Morrison, la fille de William Morrison dont il fut l’élève. Ses parents se séparèrent après cinq ans de mariage, et sa mère conserva la garde des trois filles jusqu’à leur adolescence. À ce moment-là, elle fut envoyée chez son père au Japon, ce qu’elle apprécia beaucoup.

Plus tard, Yei refusa un mariage arrangé, quitta la maison de son père, et devint secrétaire et professeur pour gagner sa vie. Au fil des ans, elle voyagea entre l’Europe et le Japon, en fonction de ses engagements familiaux et/ou professionnels, et vécut dans des lieux aussi divers que l’Italie ou l’étage supérieur d’un temple bouddhiste. Pendant ce temps-là, elle échangeait de nombreuses lettres avec le politicien japonais, Yukio Ozaki, considéré comme le père de la Constitution japonaise, avec qui elle n’avait aucun lien de parenté. Ils se rencontrèrent en 1904 et se marièrent peu après.

Elle mourut en décembre 1932.

PRÉFACE À L’ÉDITION ANGLAISE 1908

Cette collection de contes japonais sont le résultat d’une suggestion qui m’a été faite indirectement par M. Andrew Lang, à travers un ami commun. Ils ont été traduits à partir d’une version moderne écrite par Sadanami Sanjin. Ces histoires ne sont pas des traductions littérales, et quoique les histoires et les expressions japonaises au charme vieillot aient été fidèlement reproduites, elles ont été racontées avec en vue l’intérêt des jeunes lecteurs occidentaux.

L’histoire que j’ai intitulée : « L’histoire de l’homme qui ne voulait pas mourir » est extraite d’un petit livre écrit, il y a cent ans, par un certain Shinsui Tamenaga. Elle a pour titre Chosei Furo ou Longévité. « Le coupeur de bambou et l’enfant-lune » est extrait du classique Taketari Monogatari, et n’est pas classé par les Japonais parmi leurs contes de fée, quoiqu’il appartienne vraiment à ce type de littérature.

En racontant ces histoires en anglais, j’ai suivi ma propre imagination en ajoutant des touches de couleur locale ou des descriptions là où cela me semblait nécessaire, ou comme cela me plaisait. Et, dans deux ou trois occasions, j’ai rassemblé dans l’une d’elles, un épisode venu d’une autre version. De tout temps, parmi mes amis jeunes ou vieux, j’ai trouvé d’avides lecteurs de légendes et de contes japonais, et en les racontant, je me suis aperçue qu’ils étaient encore inconnus de la vaste majorité, et cela m’a encouragé à les écrire pour les petits Occidentaux.

Yei T.Ozaki

LE SAC DE RIZ DE MILORD

Il y a très, très longtemps

vivait au Japon un brave guerrier connu de tous sous le nom de Tawara Toda, ou « Le Sac de riz de Milord ». Son vrai nom était Fujiwara Hidesato, et il existait une très intéressante histoire sur la façon dont il avait changé de nom.

Un beau jour, il sortit de chez lui à la recherche d’aventures, car il possédait une nature de guerrier et ne pouvait supporter le fait d’être oisif. Aussi attacha-t-il à sa ceinture ses deux épées, prit en main son énorme arc, plus grande que lui, mit son carquois sur son épaule et s’en alla. Il ne s’était pas bien éloigné quand il arriva sur le pont de Seta-no-Karashi enjambant le beau lac Biwa. À peine avait-il posé le pied sur le pont qu’il vit un énorme serpent dragon étendu en travers de son chemin. Son corps était si gros qu’il ressemblait au tronc d’un grand pin, et il prenait toute la largeur du pont. Une de ses énormes griffes était accrochée à l’un des parapets du pont, tandis que sa queue reposait contre l’autre. Le monstre semblait endormi et, pendant qu’il respirait, des flammes sortaient de ses narines.

De prime abord, Hidesato ne put s’empêcher d’être inquiet à la vue de cet horrible reptile étendu sur son chemin, car il ne pouvait ni faire demi-tour, ni lui marcher sur le corps. Cependant, il était brave, et mettant de côté toute peur, il avança hardiment. Craaac, craaac ! Il était maintenant debout sur son corps, puis maintenant entre ses anneaux, et sans un seul coup d’œil en arrière, continua son chemin.

Il n’avait pas avancé de quelques pas qu’il entendit quelqu’un l’appeler par derrière. En se retournant, qu’elle ne fut sa surprise de découvrir que le monstrueux dragon avait disparu et, à sa place, se trouvait un étrange bonhomme qui le saluait très cérémonieusement jusqu’à terre. Sa chevelure rousse ruisselait sur ses épaules et était surmontée d’une couronne en forme de tête de dragon, et son kimono de couleur vert océan était imprimé de motifs d’écailles. Hidesato sut immédiatement qu’il n’appartenait, en aucun cas, au commun des mortels, et fut fort étonné de cette étrange apparition. Où était donc passé le dragon en si peu de temps ? Ou bien, s’était-il transformé en cet homme, et que signifiait tout cela ? Tandis que ces pensées traversaient son esprit, il s’était avancé vers l’homme sur le pont et s’adressait maintenant à lui :

« Est-ce vous qui m’avez appelé à l’instant ?

— Oui, c’est moi, répondit l’homme. J’ai une honnête requête à vous faire. Pensez-vous que vous pourrez me l’accorder ?

— Si c’est en mon pouvoir, je le ferai volontiers, assura Hidesato, mais dites-moi d’abord qui vous êtes ?

— Je suis le Roi Dragon du lac, et j’habite dans les eaux, juste en dessous du pont.

— Et que voulez-vous me demander ? interrogea Hidesato.

— Je veux que vous tuiez mon ennemi mortel, le centipède qui habite au-delà de la montagne ». Et le Roi Dragon pointa du doigt vers un pic élevé de l’autre côté de la rive du lac.

« J’habite depuis de très nombreuses années dans ce lac et ai une grande famille composée d’enfants et de petits-enfants. Depuis un moment nous vivons dans la terreur, car un monstre centipède a découvert notre habitation, et chaque nuit, il vient et enlève l’un des miens. Je suis impuissant à l’en empêcher. Si cela continue comme cela, non seulement je perdrai tous mes enfants, mais moi-même tomberai victime du monstre. Je suis donc très malheureux, et étant acculé à cette extrémité, je me suis résolu à demander de l’aide à un être humain. Pendant plusieurs jours, j’ai attendu sur le pont, avec cette intention en tête, en ayant pris la forme de l’horrible serpent dragon que vous avez vu, dans l’attente d’un solide brave homme. Mais tous ceux qui sont venus dans cette direction, aussitôt qu’ils me virent, furent terrifiés et s’enfuirent en courant aussi vite qu’ils le purent. Vous êtes le premier à avoir osé me regarder sans peur, aussi ai-je su d’emblée que vous étiez un homme de grand courage. Je vous supplie d’avoir pitié de moi. M’aiderez-vous à tuer mon ennemi le centipède ? »

Après avoir écouté son histoire, Hidesato se sentit désolé pour le Roi Dragon, et promit immédiatement de faire tout ce qui était en son pouvoir pour l’aider. Le guerrier demanda où habitait le centipède afin d’aller, sur le champ, le combattre. Le Roi Dragon répondit qu’il vivait sur la montagne Mikami, mais, puisqu’il venait tous les soirs, à la même heure, au palais du lac, ce serait mieux d’attendre ce moment-là. Aussi, Hidesato fut conduit au palais du Roi Dragon, sous le pont. Mais chose étrange, tandis qu’il suivait son hôte sous le pont, les eaux du lac s’ouvrirent pour les laisser passer, et ses habits ne furent pas mouillés quand il les traversa. Hidesato n’avait jamais rien vu d’aussi beau que ce palais de marbre blanc construit sous le lac. Il avait souvent entendu parler du palais du roi de la mer, au fond de la mer, où tous les domestiques et valets étaient des poissons d’eau salée, mais ici, c’était un magnifique palais au cœur du lac Biwa. Et les poissons rouges, les carpes rouges, et les truites argentées servaient le Roi Dragon et son invité.

Hidesato fut stupéfait du festin qui lui fut offert. Des feuilles et des fleurs de lotus en cristal servaient de plats, et les baguettes faites de l’ébène le plus rare. Dès qu’ils s’assirent, les portes coulissantes s’ouvrirent et dix ravissants poissons rouges danseurs se montrèrent, derrière eux suivaient dix carpes rouges musiciennes avec leur koto et leur samisen. Les heures passèrent ainsi agréablement jusqu’à minuit, la belle musique et la danse avaient chassé toute pensée du centipède. Le Roi Dragon allait offrir un autre verre au guerrier quand le palais fut se coué par un boum ! boum ! comme si une armée se déplaçait tout près.

Hidesato et son hôte se dressèrent sur leurs pieds et se précipitèrent sur le balcon. Et alors, le guerrier vit sur la montagne en face, deux grandes boules de feu brillant avançant de plus en plus près. Tremblant de peur, le Roi Dragon se tenait à côté du guerrier.

« Le centipède ! Le centipède ! Ces deux boules de feu sont ses yeux. Il vient pour sa proie ! C’est maintenant le moment de le tuer. »

Hidesato regarda dans la direction que lui montrait son hôte et, dans la faible clarté d’une nuit étoilée, vit derrière les deux boules de feu le long corps d’un énorme centipède s’enroulant autour des montagnes, et la lumière de ses cent pattes brillait comme des lanternes distantes se rapprochant lentement de la plage.

Hidesato ne montra pas le moindre signe de peur. Il essaya de calmer le Roi Dragon.

« N’ayez pas peur. Je tuerai certainement le centipède. Apportez-moi simplement un arc et des flèches. »

Le Roi Dragon fit ce qu’on lui demandait, et le guerrier nota qu’il n’y avait plus que trois flèches dans le carquois. Il prit l’arc et, ajustant la flèche à l’entaille, il visa soigneusement et tira.

La flèche frappa le centipède droit au milieu du front, mais au lieu d’y pénétrer, elle ricocha sans causer de mal et tomba par terre.

Nullement intimidé par son échec, Hidesato prit une autre flèche, l’ajusta l’entaille à son arc et tira. De nouveau, la flèche atteignit son but, elle frappa le centipède au milieu du front, mais ricocha et tomba par terre. Le centipède était invulnérable aux armes ! Quand le Roi Dragon se rendit compte que même les flèches de ce brave guerrier étaient incapables de tuer le centipède, il perdit courage et recommença à trembler de peur.

Le guerrier s’aperçut qu’il ne lui restait plus qu’une flèche dans son carquois, et s’il ratait celle-ci, il ne pourrait pas tuer le centipède. Il regarda au-delà des eaux. L’énorme reptile avait enroulé sept fois son horrible corps autour de la montagne, et arriverait bientôt au lac.

Ses boules de feu d’yeux brillaient de plus en plus près, et la lumière de sa centaine de pattes commençait à se réfléchir dans les eaux immobiles du lac.

Soudain, le guerrier se souvint avoir entendu dire que la salive humaine était mortelle pour les centipèdes. Mais ce n’était pas un centipède ordinaire. C’était une bête si monstrueuse que même d’y penser faisait frémir d’horreur. Hidesato décida de tenter sa dernière chance. Aussi, prenant son ultime flèche, dont il avait d’abord mis la pointe dans sa bouche, il ajusta l’entaille à son arc, visa soigneusement et tira.

Cette fois, la flèche frappa de nouveau le centipède droit au milieu du front, mais au lieu de ricocher sans causer de mal, elle atteignit son but, droit dans la cervelle de la créature. Alors, dans un soubresaut convulsif, le corps du reptile cessa de bouger et la féroce lumière de ses grands yeux et de ses cent pieds s’assombrit en un triste éclat, comme le coucher de soleil par un jour d’orage, puis s’éteignit. Une grande obscurité avait maintenant envahi les cieux, le tonnerre gronda et les éclairs zébrèrent la nuit, le vent hurla de fureur. L’on aurait dit que c’était la fin du monde. Le Roi Dragon, ses enfants et ses serviteurs étaient tous tapis dans différentes parties du palais, morts de peur, car le bâtiment tremblait sur ses fondations. Enfin cette terrible nuit s’acheva. L’aube s’annonçait belle et claire. Le centipède avait quitté la montagne.

Alors Hidesato appela le Roi Dragon afin qu’il l’accompagnât sur le balcon, car le centipède était mort et il n’y avait plus rien à craindre.

Puis tous les habitants du palais sortirent avec joie, et Hidesato leur montra le lac. Là, on pouvait voir le corps du centipède flottant sur l’eau, qui avait été teintée de rouge par son sang.

La gratitude du Roi Dragon ne connut pas de bornes. Toute sa famille vint et se prosterna devant le guerrier, l’appelant son sauveur et le plus brave guerrier de tout le Japon.

Un autre festin fut préparé, plus somptueux que le premier. Toutes sortes de poissons, préparés de toutes les façons imaginables, crus, en ragoût, bouillis, et rôtis, servis sur des plateaux de corail et des plats de cristal, furent placés devant lui, et le vin fut le meilleur qu’il avait jamais goûté dans sa vie. Afin d’ajouter à la beauté de cette fête, le soleil brilla de tous ses éclats, le lac scintilla comme un diamant liquide, et le palais fut un millier de fois plus beau le jour que la nuit.

Son hôte essaya de persuader le guerrier de rester quelques jours de plus, mais Hidesato insista pour rentrer chez lui, disant qu’il avait terminé ce pour quoi il était venu, et devait retourner à la maison. Le Roi Dragon et sa famille furent désolés de le voir partir si vite, mais puisqu’il voulait s’en aller, ils le supplièrent d’accepter quelques petits présents (d’après eux) en témoignage de leur gratitude pour avoir été délivrés à tout jamais de leur ennemi, le centipède.

Tandis que le guerrier se tenait debout sur le porche afin de faire ses adieux, un banc de poissons se transforma soudain en un groupe de serviteurs, portant des robes de cérémonie et des couronnes de dragon sur la tête afin d’indiquer qu’ils étaient tous au service du grand Roi Dragon. Les présents qu’ils apportaient étaient comme suit :

En premier, une grande cloche de bronze.

En deuxième, un sac de riz.

En troisième, un rouleau de soie.

En quatrième, un faitout de cuisine.

En cinquième, une cloche.

Hidesato ne voulut pas accepter tous ces présents, mais comme le Roi Dragon insistait, il ne put refuser.

Le Roi Dragon en personne accompagna le guerrier jusqu’au pont, puis il lui fit ses adieux avec beaucoup de saluts et de bons vœux, laissant la procession de serviteurs accompagner Hidesato jusque chez lui avec ses cadeaux.

La maisonnée du guerrier, ainsi que ses serviteurs, étaient très inquiets de ne l’avoir pas vu revenir la nuit d’avant, mais finalement ils en conclurent qu’il avait été retenu par le violent orage, et qu’il avait dû s’abriter quelque part. Quand les serviteurs qui guêtaient son retour l’aperçurent, ils annoncèrent à tout le monde qu’il approchait. Et la maisonnée sortit afin d’aller à sa rencontre, en se demandant que signifiait cette armée de serviteurs, portant des présents et des bannières, qui le suivait.

Dès que les serviteurs du Roi Dragon eurent déposé les présents, ils disparurent, et Hidesato raconta à ceux qui l’entouraient ce qui lui était arrivé.

Les présents qu’il avait reçus du très reconnaissant Roi Dragon possédaient un pouvoir magique. Seule la cloche était ordinaire, et comme Hidesato n’en avait aucun usage, il l’offrit au temple qui se trouvait dans les parages, où elle fut accrochée, afin qu’elle sonne les heures du jour à tout le voisinage.

Le sac de riz servit de repas jour après jour au chevalier et à toute sa famille, et ne s’amoindrit jamais – la quantité de riz contenue dans le sac était inépuisable.

Le rouleau de soie, lui aussi, ne se rétrécit jamais quoique, encore et encore, de longues pièces de tissu en furent découpées pour confectionner des nouveaux vêtements au chevalier afin qu’il se présentât à la cour, le jour de l’an.

Le faitout était lui aussi merveilleux. Quelque fût ce qu’on y mettait dedans, cela cuisait le temps qu’il fallait sans feux de cuisson – c’était vraiment une casserole très économique.

La renommée de la bonne fortune de Hidesato se propagea très, très loin car, comme il n’avait besoin de dépenser de l’argent ni sur le riz, ni sur la soie et les feux de cuisson, il devint très riche et prospère, et fut par conséquent connu comme le Sac de riz de Milord.

LE MOINEAU À LA LANGUE COUPÉE

Il y a très, très longtemps au Japon

vivaient un vieil homme et sa femme. Le vieil homme était une bonne personne, d’un caractère gentil et travailleur, mais sa femme était une de ces habituelles grincheuses, qui gâchait le bonheur de sa maison à cause de sa mauvaise langue hargneuse. Du matin au soir, elle trouvait des raisons de grommeler contre quelque chose. Le vieil homme avait depuis longtemps cessé de faire attention à son irascibilité. Il passait la plupart de ses journées dehors à travailler dans les champs, et puisqu’il n’avait pas d’enfant, il élevait un moineau apprivoisé comme amusement quand il rentrait à la maison. Il aimait le petit oiseau autant que s’il eût été son propre enfant.

Quand il rentrait tard le soir après une dure journée de labeur en plein air, son seul plaisir était de s’occuper du moineau, de lui parler et de lui apprendre des tours, que ce dernier retenait très rapidement. Le vieil homme ouvrait alors la cage, le laissait voler çà et là dans la pièce, et ils jouaient ensemble. Et quand arrivait l’heure de dîner, il gardait des miettes de son repas qu’il offrait au petit oiseau.

Un jour, le vieil homme s’en alla couper du bois dans la forêt, et la vieille femme resta à la maison laver du linge. Le jour d’avant, elle avait préparé de l’amidon, et quand elle vint le prendre, il avait disparu. Le bol qu’elle avait laissé plein la veille était maintenant complètement vide.

Tandis qu’elle se demandait qui avait pu utiliser ou dérober l’amidon, le moineau apprivoisé vola vers elle, et la saluant de sa petite tête emplumée – un tour que lui avait appris son maître – le bel oiseau pépia et dit :

« C’est moi qui ai pris l’amidon. Je croyais que c’était de la nourriture que l’on m’avait mis dans ce bol, et j’ai tout mangé. Et si j’ai commis une faute, je vous supplie de me pardonner ! cui-cui ! cui-cui ! »

On voit là que le moineau était un oiseau sincère, et la vieille dame aurait dû lui pardonner quand il lui demanda si gentiment pardon. Eh bien, non.

La vieille dame n’avait jamais aimé le moineau, et s’était souvent querellée avec son mari pour avoir gardé chez eux ce qu’elle appelait un sale oiseau, disant qu’il lui causait simplement du travail supplémentaire. Maintenant, elle avait trouvé une autre raison de se plaindre de l’oiseau. Elle gronda, et même, maudit le pauvre petit oiseau à cause de son mauvais comportement. Mais non content d’utiliser ces mots durs et insensibles, dans un accès de rage, elle saisit le moineau – qui pendant tout ce temps avait étendues les ailes et baissé la tête devant la vieille femme afin de lui montrer combien il était désolé – alla chercher une paire de ciseaux et coupa la langue du pauvre oiseau.

« Je me doute que tu as pris mon amidon avec cette langue ! Maintenant tu verras comment c’est de vivre sans elle ! »

Et sur ces terribles paroles, elle chassa l’oiseau, sans se soucier le moins du monde de ce qui pourrait lui arriver, et sans la moindre pitié pour sa souffrance, ce qui montre bien sa méchanceté !

Après avoir chassé le moineau, la vieille dame confectionna d’autre amidon de riz, en grommelant constamment à cause de ce contretemps, et après avoir empesé tous ses vêtements, elle les étendit sur une planche afin qu’ils sèchent au soleil, au lieu de les repasser comme ils le font en Europe.

Le soir, le vieil homme revint à la maison. Sur le chemin du retour, il attendait, comme d’habitude, avec impatience le moment où il atteindrait la grille et verrait le moineau venir à sa rencontre en volant et piaillant, et en ébouriffant ses plumes pour montrer sa joie, et enfin se poser sur son épaule. Mais cette nuit-là, le vieil homme fut très déçu, car pas même l’ombre de son cher moineau n’était en vue.

Il hâta le pas, enleva précipitamment ses sandales de paille, et grimpa sur la véranda. Mais, toujours pas de moineau en vue. Il était maintenant sûr que c’était sa femme qui, dans un accès de colère, avait enfermé le moineau dans sa cage. Aussi, il l’appela, et lui demanda avec anxiété :

« Où est Suzume San (Mademoiselle moineau) ? »

La vieille femme prétendit d’abord qu’elle n’en savait rien, puis répondit :

« Votre moineau ? Je n’en sais absolument rien. Maintenant j’y pense, je ne l’ai pas vu de tout l’après-midi. Cela ne m’étonnerait pas que cet oiseau ingrat se soit envolé, et vous ait laissé tomber après toutes vos caresses ! »

Mais finalement, après que le vieil homme ne lui eut laissé aucun répit, en lui demandant encore et encore, en insistant qu’elle devait savoir ce qui s’était passé, elle avoua tout. Elle lui dit avec humeur que le moineau avait mangé l’amidon de riz qu’elle avait spécialement préparé pour empeser ses vêtements, raconta comment l’oiseau avait confessé ce qu’il avait fait, et que dans un accès de grande colère, elle avait saisi ses ciseaux et lui avait coupé la langue, et comment finalement elle l’avait chassé et interdit de revenir dans cette maison.

La vieille femme montra à son mari la langue de l’oineau, et cria : « Voici la langue que j’ai coupée ! Horrible petite bête, pourquoi a-t-elle mangé mon amidon ?

— Comment pouvez-vous être aussi cruelle ? Oh ! comment pouvez-vous être aussi cruelle ? » fut tout ce que le vieil homme put émettre.

Il avait trop bon cœur pour punir sa mégère de femme, mais il était terriblement bouleversé de ce qui était arrivé au pauvre moineau.

« Quel épouvantable malheur pour ma Suzume San d’avoir perdu sa langue ! » se dit-il à lui-même. Elle ne pourra plus piailler, et sûrement la douleur d’avoir la langue tranchée de cette horrible façon a dû la rendre malade ! Que pouvait-on faire ?

Le vieil homme versa des larmes abondantes après que sa femme fut allée se coucher. Tandis qu’il essuyait ses larmes avec la manche de son kimono de coton, une pensée lumineuse le réconforta. Demain il irait rechercher le moineau. Et ayant pris sa décision, il put enfin aller au lit.

Le jour suivant, il se réveilla tôt, aux premières lueurs de l’aube, et ayant avalé un petit-déjeuner rapide, il s’en alla sur les collines et à travers les bois, s’arrêtant à chaque massif de bambous pour appeler : « Où est mon moineau à la langue coupée ? Où est mon moineau à la langue coupée ? »

Il ne s’arrêta pas pour faire sa pause déjeuner, et c’est tard dans l’après-midi qu’il se retrouva auprès d’une grande forêt de bambous. Les bambouseraies sont ordinairement les caches favorites des moineaux, et cela n’avait pas raté. À la lisière de la forêt, il vit son cher moineau qui l’attendait pour l’accueillir. Il pouvait à peine en croire ses yeux tant il était heureux, et il se mit à courir pour le rejoindre. Le moineau baissa sa petite tête pour le saluer, puis se mit à exécuter un certain nombre de tours qu’il lui avait appris, afin de montrer sa joie de revoir son vieil ami, et merveille ! de tout raconter, car il pouvait parler comme auparavant. Le vieil homme lui dit combien il était désolé pour tout ce qui s’était passé, et l’interrogea au sujet de sa langue, car il s’étonnait qu’il puisse encore si bien parler sans elle. Alors le moineau ouvrit son bec et lui montra la nouvelle langue qui avait poussé à la place de l’ancienne, et le supplia de ne plus penser au passé, car il se portait très bien à présent. À ce moment-là, le vieil homme devina que le moineau était une fée, et non pas un oiseau ordinaire. Il serait difficile de décrire sa joie. Il en oublia tous ses soucis, il en oublia même sa fatigue, car il avait retrouvé son moineau perdu. Et au lieu de le retrouver malade et sans langue comme il l’avait redouté, il se portait comme un charme, était heureux avec une nouvelle langue et ne montrait aucun signe du mauvais traitement que lui avait fait subir sa femme. Et par-dessus tout, c’était une fée.

Le moineau lui demanda de le suivre, et volant au-devant de lui, il le conduisit dans une superbe maison au cœur de la bambouseraie. Le vieil homme fut extrêmement étonné quand il y pénétra et découvrit combien elle était merveilleuse. Elle était construite du bois le plus blanc, les doux tapis couleur crème qui servaient de carpette étaient les plus beaux qu’il avait vus, et les coussins que lui apporta le moineau pour qu’il s’asseye étaient faits de la plus belle soie et de crêpe. De superbes vases et des boîtes de laque décoraient les tokonoma1 de chaque pièce.

Le moineau conduisit le vieil homme à la place d’honneur, et prenant sa place à une humble distance, elle le remercia avec plusieurs saluts polis, de toutes ses gentillesses pendant tant d’années.

Puis Madame Moineau, comme nous l’appellerons désormais, présenta sa famille au vieil homme. Cela accompli, ses filles, vêtues de robes de crêpe délicat, amenèrent sur de très beaux plateaux anciens un festin composé de toutes sortes de nourritures délicieuses, au point que le vieil homme se demanda s’il ne rêvait pas. Au milieu du repas, quelques-unes des filles de Madame Moineau se mirent à danser une très belle danse appelée « suzume-odori » ou la « danse du moineau » pour amuser leur hôte.

Le vieil homme ne s’était jamais autant amusé. Les heures s’envolèrent trop vite dans cet extraordinaire endroit avec tous ces moineaux fées pour le servir, le fêter et danser devant lui.

Mais la nuit tomba et l’obscurité lui rappela qu’il avait un long chemin à faire pour rentrer, qu’il devait faire ses adieux et partir. Il remercia sa gentille hôtesse pour ses splendides divertissements, et la supplia, pour sa propre tranquillité, d’oublier tout ce qu’elle avait enduré des mains de sa vieille épouse grincheuse. Il lui dit que c’était pour lui un grand réconfort et un grand bonheur de l’avoir trouvée dans une si belle maison et de savoir qu’elle n’avait besoin de rien. Que c’était son anxiété de savoir comment elle se portait, et ce qui lui était arrivé, qui l’avait poussé à la chercher. Mais maintenant qu’il savait que tout allait bien, il pouvait rentrer chez lui d’un cœur léger. Si jamais elle avait besoin de quelque chose, elle n’avait qu’à l’envoyer chercher et il viendrait immédiatement.

Madame Moineau le supplia de rester et de se reposer pendant quelques jours, et ainsi apprécier le changement, mais le vieil homme répondit qu’il devait retourner chez sa vieille femme – qui serait probablement fâchée qu’il ne rentre pas à son heure habituelle – et à son travail, et par conséquent, en dépit de son désir de lui agréer, il ne pouvait accepter sa gentille invitation. Mais maintenant qu’il savait où elle habitait, il reviendrait la voir dès qu’il en aurait le temps.

Quand Madame Moineau vit qu’elle ne pouvait persuader le vieil homme de rester plus longtemps, elle ordonna à ses servantes de lui apporter immédiatement deux boîtes, l’une grande et l’autre petite. Elles furent placées devant le vieil homme, et Madame Moineau lui demanda de choisir celle qu’il voulait emporter comme présent.

Le vieil homme ne pouvait refuser cette gentille proposition, et il choisit la plus petite des deux boîtes, en disant :

« Je suis trop vieux maintenant, et trop faible, pour porter la grosse boîte. Puisque vous êtes si gentille de me dire de choisir celle que je veux, je choisirai la plus petite qui sera plus facile à transporter. »

Alors les moineaux l’aidèrent à la mettre sur son dos et l’accompagnèrent jusqu’à la grille pour le voir partir, puis ils lui dirent adieu en le saluant plusieurs fois et l’invitèrent à revenir dès qu’il en aurait le temps. Ainsi le vieil homme et son moineau apprivoisé se séparèrent très satisfaits, le moineau ne montrant pas la moindre rancune pour la méchanceté dont il avait souffert auprès de la vieille femme. En fait, il était profondément désolé pour le vieil homme qui devait la supporter toute sa vie.

Quand le vieil homme arriva chez lui, il trouva sa femme encore plus fâchée que d’habitude, car il était très tard et elle l’avait attendu très longtemps.

« Où étiez-vous tout ce temps ? hurla-t-elle. Et pourquoi rentrez-vous si tard ? »

Le vieil homme essaya de la calmer en lui montant la boîte de présents qu’il avait ramenée avec lui. Puis il lui raconta tout ce qui lui était arrivé, et comment il avait été si extraordinairement diverti chez le moineau.

« Maintenant regardons ce qu’il y a dans la boîte, proposa le vieil homme pour ne pas laisser à sa femme une autre occasion de grommeler. Aidez-moi à l’ouvrir. »

Et tous deux s’assirent devant la boîte et l’ouvrirent.

À leur extrême étonnement, ils trouvèrent la boîte remplie jusqu’au bord d’or, de pièces d’argent et d’autres objets précieux. Les tapis de leur petite chaumière brillaient pratiquement tandis qu’ils sortaient les objets l’un après l’autre pour les poser par terre, et les manipulaient encore et encore. Le vieil homme était fou de joie à la vue de ces richesses qui étaient maintenant les siennes. Le cadeau du moineau dépassait de loin ses attentes, car il lui permettrait d’abandonner son travail et de vivre le restant de sa vie dans l’aisance et le confort.

Il répéta plusieurs fois :

« Merci à mon bon petit moineau ! Merci à mon bon petit moineau ! »

Mais la vieille femme, après que les premiers moments de surprise et de satisfaction à la vue de l’or et de l’argent se furent estompés, ne put réprimer l’avidité de sa mauvaise nature. Elle commença à reprocher à son mari de n’avoir pas ramené à la maison la grosse boîte de présents, car par innocence, il lui avait avoué avoir refusé la grosse boîte que les moineaux lui avaient offert, préférant la plus petite car elle était plus légère et plus facile à transporter à la maison.

« Quel stupide vieil homme vous faites, s’écria-t-elle. Pourquoi n’avez-vous pas pris la grosse boîte ? Pensez à tout ce que nous avons perdu. Nous aurions pu avoir deux fois plus d’or et d’argent. Vous n’êtes qu’un vieil idiot ! » hurla-t-elle. Et elle partit se coucher en colère.

À présent le vieil homme souhaitait ne lui avoir rien dit au sujet de la grosse boîte, mais c’était trop tard ; la vieille femme avide, non contente de cette bonne fortune inattendue, qu’elle ne méritait absolument pas, décida d’en obtenir plus, si possible.

Elle se réveilla tôt le jour d’après, et obligea le vieil homme à lui décrire le chemin pour se rendre chez le moineau. Quand il réalisa ce qu’elle avait en tête, il l’essaya de l’en empêcher, mais c’était inutile. Elle ne voulut rien entendre. C’était étonnant qu’elle n’eût la moindre honte à aller visiter le moineau après le cruel traitement qu’elle lui avait fait subir en lui coupant la langue dans un accès de rage. Mais son avidité pour obtenir la grosse boîte lui fit oublier tout le reste. Il ne lui effleura même pas l’esprit que les moineaux pourraient être en colère – comme, en effet, ils l’étaient – et la punir pour ce qu’elle avait fait.

Depuis que Madame Moineau était revenue chez elle dans la triste condition dans laquelle ils l’avaient vue, sanglotant et saignant du bec, sa famille et ses connaissances n’avaient parlé que de la cruauté de la vieille femme.

« Comment a-t-elle pu, se demandaient-ils l’un l’autre, infliger une si lourde punition pour une offense si dérisoire que manger par erreur de l’amidon de riz ? »

Ils aimaient tous le vieil homme qui était si gentil et patient malgré ses soucis, mais haïssaient la vieille femme, et décidèrent, si jamais ils en avaient la chance, de la punir comme elle le méritait. Ils n’eurent pas longtemps à attendre.

Après avoir marché pendant des heures, la vieille trouva enfin la bambouseraie que lui avait soigneusement décrit son mari. Et maintenant, elle se tenait là, debout devant cette bambouseraie, en criant : « Où est la maison du moineau à la langue coupée ? Où est la maison du moineau à la langue coupée ? »

Enfin, elle vit les avant-toits de la maison apparaître à travers les feuillages de bambous. Elle se hâta jusqu’à la maison et frappa fortement à la porte.

Quand les servantes dirent à Madame Moineau que son ancienne maîtresse était à la porte et demandait à la voir. Celle-ci fut un peu surprise de cette visite inattendue, après tout ce qui s’était passé, et s’étonna de l’audace de la vieille femme qui s’aventurait à venir chez elle. Toutefois, Madame Moineau était très polie, aussi sortit-elle pour aller accueillir la vieille femme, en se souvenant qu’elle avait été autrefois sa maîtresse.

La vieille femme n’avait cependant pas l’intention de perdre son temps en paroles, aussi alla-t-elle droit au but et, sans la moindre honte, elle lui annonça :

« Vous n’avez pas besoin de me divertir comme vous l’avez fait avec mon vieux bonhomme. Je suis venue en personne prendre la boîte qu’il a si stupidement laissée. Je m’en irai sur le champ dès que vous m’aurez donné la grosse boîte – c’est tout ce que je veux ! »

Madame Moineau consentit immédiatement, et ordonna à ses servantes d’amener la grosse boîte. La vieille femme la saisit avec avidité et la chargea sur son dos. Et sans même faire une pause pour remercier Madame Moineau, elle commença à se hâter vers sa maison.

La boîte était si lourde qu’elle ne put marcher, et encore moins courir, aussi vite qu’elle l’aurait voulu, tant elle était anxieuse d’en voir le contenu, mais elle dut souvent s’asseoir et se reposer en chemin.

Tandis qu’elle chancelait sous le poids de son fardeau, son désir d’ouvrir la boîte devint si intense qu’elle ne put lui résister. Elle ne pouvait attendre plus longtemps, car elle supposait que cette grosse boîte était pleine d’or, d’argent et de bijoux précieux comme celle qu’avait reçue son mari.

Enfin, cette vieille femme avide et égoïste déposa la boîte sur le bord de la route et l’ouvrit précautionneusement, s’attendant à poser les yeux sur une mine de richesses. Ce qu’elle vit la terrifia tant qu’elle en perdit presque la raison. Aussitôt qu’elle avait soulevé le couvercle, de nombreuses créatures semblables à d’horribles démons effrayants jaillirent de la boîte et l’entourèrent comme si elles voulaient la tuer. Pas même dans ses cauchemars avait-elle vu de si horribles créatures comme celle que contenaient la boîte si convoitée. Un démon avec un énorme œil au milieu du front approcha et l’observa longuement, des monstres avec des bouches béantes qui semblaient vouloir la dévorer, un énorme serpent se lova et siffla sur elle, et un gros crapaud sauta et croassa dans sa direction.

La vieille femme n’avait jamais aussi terrifiée de sa vie. Elle se mit à courir aussi vite que ses jambes tremblantes le lui permettaient, particulièrement heureuse de s’en être sortie vivante de cette situation. Quand elle atteignit sa maison, elle s’écroula sur le sol et raconta en pleurs à son mari tout ce qui lui était arrivé, et comment elle avait été presque tuée par les démons dans la boîte.

Elle commença alors à blâmer le moineau, mais le vieil homme l’arrêta immédiatement, en disant :

« Ne blâmez pas le moineau, c’est votre méchanceté qui a enfin été récompensée. J’espère simplement que ce sera une bonne leçon pour vous dans le futur ! »

La vieille femme ne dit rien de plus. À partir de ce jour elle se repentit de ses manières coléreuses et méchantes. Et progressivement elle devint une bonne vieille femme, si bien que son mari avait du mal à reconnaître que c’était la même personne. Ils passèrent le restant de leurs jours ensemble et heureux, débarrassés de tout besoin ou de soucis, dépensant soigneusement le trésor qu’avait reçu le vieil homme de son oiseau apprivoisé, le moineau à la langue coupée.

1. Une alcôve où sont rangés les objets précieux.

URASHIMA TARO, LE JEUNE PÊCHEUR

Il y a très, très longtemps

dans la province de Tango vivait sur les côtes du Japon dans un petit village de pêcheurs, un jeune pêcheur nommé Urashima Taro. Son père avait été pêcheur avant lui, et son talent avait été doublement hérité par son fils, car non seulemnt Urashima était le plus habile pêcheur de toute cette partie du pays, mais pouvait attraper plus de bonites et de thons en un jour que ses camarades en une semaine.

Toutefois dans le petit village de pêcheurs, il était beaucoup plus connu pour son bon cœur que pour ses talents de pêcheur. De toute sa vie, il n’avait jamais blessé quoi que ce soit, ni grand ni petit. Quand il était enfant, ses camarades se moquaient de lui, car il ne les rejoignait jamais quand ils tourmentaient les animaux, mais essayait toujours de les en empêcher.

Par une douce soirée d’été, il rentrait chez lui après une journée de pêche quand il tomba sur un groupe d’enfants. Ils criaient et parlaient à tue-tête, et semblaient être dans un état d’excitation au sujet de quelque chose, et alors qu’il se dirigeait vers eux voir ce qui se passait, il vit qu’ils tourmentaient une tortue. Tout d’abord un garçon tirait d’un côté, puis un autre tirait du côté opposé, tandis qu’un troisième la frappait avec un bâton et qu’un quatrième tapait sur sa carapace avec un caillou.

Urashima se sentit désolé pour cette pauvre tortue et décida de la sauver. Il parla aux garçons :

« Écoutez les enfants, vous traitez cette pauvre tortue si mal qu’elle en mourra bientôt ! »

Les garçons, qui avaient tous un âge où les enfants semblent se plaire à être cruel envers les animaux, ne portèrent aucune attention au gentil reproche de Urashima, et continuèrent de torturer la tortue comme avant. L’un des plus âgés d’entre eux répliqua :

« Qui s’en soucie si elle vit ou meure ? Nous, non. Allez les garçons, continuez, continuez ! »

Et ils recommencèrent à traiter la pauvre tortue encore plus méchamment qu’avant. Urashima attendit un moment, en cherchant à deviner quelle était la meilleure façon de marchander avec eux. Il essaya de les persuader de la lui donner, et avec son plus grand sourire, il dit : « Je suis sûr que vous êtes tous de très gentils garçons ! Maintenant, voudriez-vous me donner la tortue ? J’aimerais tant l’avoir !

— Non, nous ne vous la donnerons pas, répondit l’un d’eux. Pourquoi le ferions-nous ? C’est nous qui l’avons attrapée.

— Ce que vous dites est vrai, reconnut Urashima, mais je ne vous demande pas de me la donner gratuitement. Je vous donnerai de l’argent en échange – Ojisan (l’oncle) vous l’achètera. Est-ce cela vous va, mes garçons ? »

Il leur tendit l’argent, et passa un morceau de fil à travers le centre de chaque pièce.

« Regardez, les enfants, vous pouvez acheter tout ce que vous voulez avec cet argent. Vous obtiendrez beaucoup plus de choses avec cet argent qu’avec cette tortue. Vous voyez combien vous êtes gentils de m’avoir écouté. »

Les garçons n’étaient pas mauvais, mais simplement espiègles. Et tandis que Urashima parlait, ils avaient été gagnés par son doux sourire et ses gentilles paroles, et commencèrent à « entrer dans son esprit » comme on dit au Japon. Ils avancèrent lentement vers lui, le meneur du petit groupe lui tendant la tortue.

« Très bien, Ojisan, nous vous donnerons la tortue si vous nous donnez l’argent ! »

Ojisan prit la tortue et donna l’argent aux garçons qui, s’appelant les uns les autres, décampèrent et furent bientôt hors de vue.

Alors Urashima frotta le dos de la tortue en disant :

« Pauvre petite chose ! Voilà, voilà ! vous êtes sauvée maintenant. On dit que les cigognes vivent mille ans, mais la tortue dix mille. De toutes les créatures vivantes, vous avez la vie la plus longue, et vous risquiez que cette précieuse vie soit raccourcie par de cruels garçons. Heureusement que je passais par là et vous ai sauvée, ainsi, vous pouvez conserver la vie. Maintenant, je vais vous ramener immédiatement dans votre élément, la mer. Ne vous laissez pas attraper une autre fois, car il se pourrait qu’il n’y ait personne pour vous sauver cette fois-là ! »

Pendant tout le temps qu’il parlait, le gentil pêcheur marchait rapidement vers la plage, puis grimpait sur les rochers. Ensuite, mettant la tortue dans l’eau, il la regarda disparaître, et s’en retourna chez lui, car il était fatigué, et le soleil déjà couché.

Le jour suivant, Urashima sortit comme d’habitude avec son bateau. Le temps était très beau, la mer et le ciel, tous deux bleus et doux dans la légère brume matinale d’été. Urashima s’assit dans son bateau et, rêveusement, le fit avancer en eau profonde, tout en jetant ses lignes. Bientôt il dépassa d’autres bateaux de pêche et les laissa derrière lui jusqu’à ce qu’ils furent hors de vue à cause de la distance, et son bateau dériva de plus en plus loin sur les eaux bleues. Sans savoir pourquoi, il se sentait étrangement heureux ce matin-là. Il ne pouvait s’empêcher de souhaiter que, comme la tortue qu’il avait libérée le jour d’avant, il ait des milliers d’années à vivre au lieu de son court laps de vie humaine.

Il fut soudain tiré de ses rêveries en entendant appeler son propre nom :

« Urashima, Urashima ! »

Clair comme le son d’une cloche et doux comme le vent d’été, le nom flottait sur la mer.

Il se leva et regarda dans toutes les directions, pensant que les autres bateaux l’avaient rejoint et dépassé, mais à force de scruter la vaste étendue d’eau, il ne vit, ni de près ni de loin, de signe de bateau, aussi la voix ne pouvait-elle venir d’un être humain.

Surpris et se demandant qui ? ou, qu’est-ce qui l’avait appelé si clairement ? il regarda dans toutes les directions à l’alentour et vit, sans qu’il en sache la raison, qu’une tortue se montrait de l’autre côté du bateau. Urashima nota avec surprise que c’était la même tortue qu’il avait sauvée le jour précédent.

« Eh bien, Madame Tortue, dit Urashima, était-ce vous qui m’appeliez là à l’instant ? »

La tortue hocha la tête plusieurs fois, et répondit :

« Oui, c’était moi. Hier, vous m’avez sauvé la vie dans votre honorable ombre (o kage sama de), je suis venue offrir mes remerciements et vous dire combien je suis reconnaissante de votre gentillesse à mon égard.

— En effet, dit Urashima, c’est très poli de votre part. Montez dans le bateau. Je vous offrirais bien une cigarette, mais comme vous êtes une tortue, vous ne fumez certainement pas. Et le pêcheur se mit à rire de sa plaisanterie.

— Ha, ha, ha ! s’esclaffa la tortue. Le saké (alcool de riz) est mon rafraîchissement préféré, mais je ne tiens pas beaucoup au tabac.

— Eh bien, dit Urashima, je regrette beaucoup de n’avoir pas de saké dans mon bateau à vous offrir. Mais montez à bord réchauffer votre dos au soleil – les tortues adorent cela ».

Aussi la tortue grimpa dans le bateau, avec le pêcheur l’y aidant, et après un échange de compliments, la tortue demanda :

« Avez-vous jamais vu Rin Gin, le palais du Roi Dragon de la mer, Urashima ? »

Le pêcheur secoua la tête et répondit :

« Non. Année après année, la mer a été mon foyer, mais quoique j’aie entendu parler du royaume sous-marin du Roi Dragon, je n’ai jamais jeté les yeux sur ce merveilleux palais. Il doit se trouver vraiment très loin d’ici, si jamais il existe !

— Est-ce vrai ? Vous n’avez jamais vu le palais du Roi Dragon ? Alors vous avez raté la chose la plus merveilleuse à voir dans tout l’univers. C’est très loin au fond de la mer, mais si je vous y conduis, vous y serez bientôt. Si jamais vous vouliez voir le pays du roi de la mer, je serais votre guide.

— J’aimerais y aller, c’est certain, et vous êtes très gentil de vouloir m’y amener. Cependant, vous devez vous rappeler que je ne suis qu’un pauvre mortel, et que je n’ai pas les moyens de nager comme une créature marine telle que vous. »

Avant que le pêcheur ait pu ajouter un mot de plus, la tortue l’arrêta, en s’écriant :