Émérence de Liénard - Tome 1 - Ellis Kern - E-Book

Émérence de Liénard - Tome 1 E-Book

Ellis Kern

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Beschreibung

Paris, 1779.

Mon existence d’antan n’était que le reflet de la désolation et de l’injustice réservée à la caste féminine. L’humanité était source de souffrance et de mort avant qu’il fasse irruption dans ma vie…

Audric von Kayser, maître et mentor, m’enseigna l’art du péché et du sang. Il ranima mon âme pervertie et damnée pour mieux la posséder jusqu’à s’emparer pleinement de mon cœur noirci. Malgré sa nature glaciale, il n’y a rien que je ne puisse lui refuser.

C’est alors dans une périlleuse quête qu’il m’entraina, tout en conservant de sombres secrets. Et si le passé du marquis von Kayser nous rattrapait tous deux ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Ellis Kern, jeune auteure de 26 ans est passionnée de littérature depuis son plus jeune âge. Bien décidée à réaliser son rêve en partageant ses récits, elle se lance à cœur perdu dans l'écriture. Fascinée par les fictions gothiques et les romances historiques, c'est au travers d'une plume satirique et allégorique qu'elle distille au sein de son premier roman un mélange d'élégance et de bestialité et de drame à l'aube de la Révolution Française.

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Couverture

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ISBN : 978-2-38454-742-5

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Émérence de Liénard

Tome I - L’initiation

Ellis KERN

Élargissez, mortels, vos âmes rétrécies !

Alphonse de Lamartine

À Océane qui a été mon plus grand soutien et a su me prodiguer de précieux conseils.À ma mère qui m’a transmis la passion de la littérature.

Ce roman est une œuvre de pure fiction. En conséquence, toute ressemblance ou similitude avec des personnages et des faits existants ou ayant existé ne saurait être que coïncidence fortuite.

Prologue

Le sang. Élixir de jouvence. L’essence même de la vie, affluant dans les veines des Hommes et nourrissant leurs esprits bornés et craintifs. Le nectar des dieux, pulsant vigoureusement sous leurs chairs lorsque l’envie, l’impatience ou la terreur s’emparent d’eux.

Les mortels ne sont autres qu’une enveloppe charnelle. Un amas de chair et d’os, soumis aux pulsions primitives de leur espèce. Se laissant affrioler par l’extase du meurtre, ensevelir par l’ivresse de la luxure et dicter par l’appel de la possession. Terres, femmes, esclaves, armées… Les Hommes ont soif de pouvoir et d’orgueil.

Leur invraisemblable vanité nous permet alors de flatter leur égo pour obtenir d’eux ce que l’on souhaite. L’engeance humaine n’est qu’un mélange grotesque d’imperfections. Toutefois, elle est source de longévité.

Sans leur souffle vital, sans le sang chaud et enivrant qui coule dans leurs veines, nous ne serions point. Leur essence élève notre esprit, décuple nos sens et alimente notre instinct. Elle régénère nos corps, nous apporte l’éternelle jeunesse et nous préserve de la mort. À jamais.

Tapis dans l’obscurité, nous sommes les ombres qui nourrissent les peurs de chacun et entretiennent les fantasmes d’autres. Nous sommes la perfection de la nuit, la grâce des ténèbres et la violence de l’enfer. Certains nous nomment démons, d’autres encore stryges, ou enfants de Satan. Mais l’appellation la plus populaire demeure : vampires.

1-La maison Darras

Les sourcils froncés et la mine lugubre, je raffermis davantage ma prise sur l’épais ouvrage dont les feuilles avaient été froissées, tant mon père les avait consultées. Depuis ma plus tendre enfance, on m’avait imposé la lecture de chacun de ces versets, afin de m’enseigner les valeurs que se devait de posséder une jeune femme de haute naissance. Pourtant, dès lors que mon regard s’attardait sur la moindre page, une profonde aversion voyait le jour en moi, tels de sombres nuages annonçant la venue d’une épouvantable tempête.

Les feuilles crissèrent sous mes doigts moites et, absorbée dans ma lecture, j’en oubliai presque la présence de Louise, laquelle s’évertuait à remettre un semblant d’ordre dans ma longue tignasse rousse.

« Voici ma fille – qui est vierge – et sa concubine : je vous les amènerai dehors, vous les humilierez et vous leur ferez ce qu’il vous plaira, mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme.

Ces gens ne voulurent pas l’écouter. Alors l’homme prit sa concubine et la leur amena dehors. Ils la connurent et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin et ils la renvoyèrent au lever de l’aurore.

Et cette femme, le matin se levant, vint tomber à la porte de l’homme chez qui était son seigneur jusqu’au jour. Son seigneur se leva le matin et ouvrit la porte de la maison et sortit pour aller son chemin. Et voici que la femme, sa concubine, était étendue devant la porte de la maison les mains sur le seuil. »

Quel bien funeste extrait que ce passage de la Bible. Des textes sacrés prônant l’injustice et la violence, où les femmes sont exhortées à se soumettre à leurs maris comme elles pourraient l’être au Seigneur. Quelle moralité pouvait-on bien extraire de textes relatant le viol, le meurtre et le dépeçage d’une innocente ? L’Église n’en finissait plus d’opprimer ses fidèles, régnant par la peur et la culpabilisation morale.

De tout temps, les Lienard avaient toujours été de fervents pratiquants, se pliant sans conteste aux convictions de l’Église catholique. Ainsi, mon père se glorifiait que son aïeul eût jadis soutenu la Ligue dans la lutte contre les protestants.

— J’ai peine à comprendre la raison qui vous pousse à relire les passages les plus sombres de l’Ancien Testament, marmonna Louise tout en reposant la brosse sur la console disposée face à moi.

À la recherche de la perfection, elle resserra davantage les lacets de mon corset et lissa les quelques plis qui s’étaient formés sur mes jupes en brocart. Louise, ma dame de compagnie depuis le jour de ma naissance, dix-neuf ans auparavant, était le modèle maternel auquel je m’étais toujours raccrochée. Sans cesse, elle m’avait bercée de tendresse et d’affection malgré ses traits rustres qui donnaient d’elle une image dure. Pourtant, sous cette enveloppe austère se terrait une vieille femme chaleureuse avec un grand cœur.

— C’est en mieux connaissant les méthodes de pensée de ceux que l’on ne comprend pas que l’on est à même de se protéger davantage face à leur folie, répondis-je d’une voix terne.

— Ne parlez donc pas de la sorte, Émérence. Les relations avec votre père sont suffisamment conflictuelles pour que vous veniez ajouter de l’huile sur le feu. À présent, veillez à le rejoindre. Il vous attend pour le déjeuner.

Ses propos n’éveillèrent pas le moindre intérêt en moi. Mon père attendrait le temps qu’il faudrait, même si cela devait me valoir quelques réprimandes et accès de colère.

— Je vais me rendre en ville cette après-midi, annonçai-je en baissant d’un ton. Je compte sur votre soutien afin de me couvrir si cela s’avérait nécessaire.

— Louise écarquilla de grands yeux courroucés avant de soupirer. Les poings contre les hanches, elle me sermonna :

— Vous ne pourrez plus ainsi continuer vos allées et venues bien longtemps. C’est à un jeu bien dangereux que vous jouez. Je connais fort bien la motivation qui aveugle votre cœur, mais je m’inquiète à votre sujet. Vous savez que votre père, le vicomte, espère vous marier à un parti intéressant. Vos espoirs sont vains.

— Eh bien, laissez-moi donc espérer pendant que je le peux encore. À ce jour, mon père n’est toujours pas parvenu à me vendre à un homme telle une vulgaire esclave.

— Croyez-le bien, Mademoiselle, pas un seul soir je n’omets de prier pour que ce jour tarde à arriver. Pour rien au monde je ne souhaite qu’on vous éloigne de moi.

Trop sensible à sa douce voix bredouillante de chagrin, je posai une main réconfortante sur son épaule. Hâtivement, elle chassa de son regard quelques larmes naissantes et serra ma paume dans la sienne. Nos deux cœurs se mirent à battre à l’unisson, redoutant l’avenir.

Un instant, mon regard d’émeraude croisa mon reflet dans le miroir. J’y découvris une jeune femme à la beauté naturelle. Mes traits minutieux, mes lèvres arquées et mes fines taches de rousseur me venaient de ma mère, tandis que je devais mes longues boucles rousses et mes formes harmonieuses à un parent éloigné.

Ce fut le cœur en berne que je quittai mes appartements pour rejoindre le séjour principal. Assis silencieusement autour de la table, mon père, ma mère et ma sœur aînée, Agathe, attendaient ma venue. Le mépris fut l’unique expression que je déchiffrai sur leurs mines maussades.

— Peut-être comprendrez-vous un jour ce qu’est la ponctualité ! s’indigna le vicomte.

— Je vous prie de bien vouloir me pardonner, les tenues des dames sont parfois plus longues à enfiler qu’il n’y paraît, répondis-je avec désinvolture avant de prendre place.

Mon père m’épingla d’un regard si violent que je préférai détourner les yeux vers ma chère mère. Laquelle, visage baissé, n’arborait pas la moindre émotion. Il en avait toujours été ainsi d’ailleurs. Lorsque son époux était dans la pièce, elle cessait d’exister.

— Comme toujours, vous vous trouvez des excuses dérisoires pour justifier votre manque de conduite, débita Agathe dédaigneusement. Il me semble être bien plus apprêtée que vous et cela ne m’a nullement empêchée d’arriver à temps.

J’observai ma perfide sœur, parée d’une tenue des plus raffinées, incrustée de joyaux, tandis qu’un long collier de perles pendait contre son infime poitrine que son corsage tentait difficilement d’embellir. Ses longs cheveux bruns avaient, quant à eux, été ramenés en un somptueux chignon chargé de rubans de soie, tous plus fantaisistes les uns que les autres. Cette extravagance me fit pouffer de rire.

Contrairement à ma sœur, je me contentais d’être présentable, comme mon titre l’exigeait. Et malgré ce manque de bienséance, nombre de prétendants affluaient sans cesse vers moi, sensibles à la beauté que ma sœur jalousait tant.

À mon grand regret, Agathe faisait partie de ces êtres dont la sécheresse d’âme et l’amertume n’avaient d’égales que son orgueil et la prétention qui seyaient si bien à son rang. Fille aînée du vicomte et de la vicomtesse de Lienard, elle aspirait à un prodigieux avenir qui lui apporterait renommée et richesse. Or, en cette année 1778, une femme telle qu’elle ne pouvait espérer pareil futur qu’en épousant un homme de rang supérieur.

Cette idée me soulevait l’estomac. Les femmes de notre temps étaient, à bien des égards, considérées comme de simples acquisitions dont le mariage prodiguait aux deux familles d’importants bénéfices financiers. En convoitant de tels desseins, Agathe avait sacrifié l’estime d’elle-même. Cela, il m’était impossible de le concevoir.

Aussi, traitait-elle avec dédain tous ceux dont le titre n’égalait pas le sien, y compris les domestiques et Louise. Cette dernière cependant représentait pour moi la seule famille que je n’avais jamais eue, n’ayant connu que l’ignorance de ma mère et la sévérité de mon père.

Sentant poindre en moi une félonie difficilement canalisable, je me retournai vers mon père et l’interrogeai d’une voix mielleuse :

— N’aviez-vous pas laissé entendre que vous envisagiez de marier Agathe au comte de Bouvier ?

— Après moult entretiens, le comte a refusé cette alliance, trancha rudement mon père.

J’esquissai un sourire acerbe et posai une main faussement compatissante sur celle de ma sœur :

— Apparemment vous n’étiez pas assez bien vêtue cette fois-ci, très chère, me moquai-je sans détour.

— Cela suffit ! rugit mon père en cognant brutalement contre la table. Vos chamailleries sont plus futiles les unes que les autres. Quant à vous, Émérence, si votre conduite ne s’améliore pas d’ici là, croyez-moi, je prendrai les mesures qui s’imposent.

Je ne répliquai rien. Les menaces de mon père étaient nombreuses et hélas ! il joignait bien souvent le geste à la parole. L’irrespect dont j’avais toujours fait preuve à son égard avait ainsi permis à Agathe d’être la favorite.

Le reste du repas se passa dans le silence le plus total, comme s’il avait fallu veiller un mort. Mais au moins, il n’y avait point de dispute.

— Je pensais visiter Jeanne aujourd’hui, informai-je une fois le déjeuner achevé.

Le vicomte tourna alors vers moi un visage froid et inquisiteur. À ne pas s’y méprendre, il était partagé entre le désir de refuser et l’obligation de céder pour ne pas outrager la fille du comte de Delfandre. Me savoir dans les bonnes grâces d’une famille à la renommée si prestigieuse avait su remonter l’estime qu’il avait de moi.

— Soit, ma fille.

Satisfaite, j’inclinai la tête et me levai, quand soudain, sa voix rauque me rappela à l’ordre :

— Vous ne pourrez pas toujours me défier, Émérence. J’ose espérer que sous peu, vous vous soumettrez à vos obligations.

Pour seule réponse, je me gardai de tout commentaire, effectuai une rapide révérence et quittai le séjour.

***

Le teint livide, le cocher finit par arrêter notre petite berline sur la chaussée glissante de la rue principale de Reims. Il allait sans dire que le malheureux jouait sa place en m’escortant jusqu’ici malgré les directives de mon père. Il essuya le mince filet de sueur qui coulait le long de sa glabelle et se retourna vers moi :

— Je vous laisse vingt minutes et pas une de plus, annonça-t-il en tentant de trouver de l’assurance dans sa voix bredouillante.

— Vous en laisserez une quarantaine et ne partirez qu’à mon retour, rétorquai-je avec autorité.

Je lui adressai une tranchante œillade qu’il lui fut impossible de soutenir. Bien que plus âgé que moi, jamais il n’était parvenu à aller à l’encontre de mon bon vouloir. Mon charme n’était guère en cause. Notre aimable cocher ne s’intéressait aucunement aux femmes. Tel était bien le problème…

Dans une époque comme la nôtre, ses penchants impies se révélaient être une réelle offense aux yeux de notre société. Qui plus est, travailler pour un homme aussi attaché à ses croyances religieuses et aussi sévère que mon père demeurait très dangereux. S’il ne voulait pas finir attaché au bout d’une corde, il lui était préférable de m’obéir corps et âme puisque de toute la maisonnée, j’étais bien la seule à connaître son petit secret. Sa conduite avait su éveiller mon attention. Il m’avait suffi de le tenir sous bonne garde avant de le surprendre dans nos écuries en bien curieuse compagnie…

Cédant face à mon intransigeance, il baissa les yeux et d’un pas décidé, je descendis de la calèche avant de m’engager dans l’avenue principale. Je prenais un réel plaisir à me pavaner dans les rues de cette ville même si l’hiver y était rude. Emmitouflée dans une épaisse cape doublée de fourrure, je scrutais les alentours, m’attardant parfois devant la vitrine d’une boutique ou saluant respectueusement les quelques connaissances qui passaient par là.

Et finalement, la devanture que je recherchais tant se dressa devant moi. Gravé profondément dans le fer, il était inscrit sur l’écriteau : « La maison Darras. »

Mon cœur s’emballa, si bien que j’eus peine à respirer avec ce maudit corset qui entravait mon souffle. De mon mieux, je dissimulai mon impatience derrière une conduite mesurée et pénétrai calmement dans l’office, veillant au préalable à ce qu’aucun regard indiscret ne fût rivé sur moi. Une fois à l’intérieur, je laissai mes lèvres s’étendre sur un large sourire.

J’adorais cet endroit, aussi rudimentaire soit-il. La chaleur qu’il y faisait constamment contrastait agréablement avec le froid mordant qui régnait dehors. Ici, de nombreux forgerons avaient travaillé le fer, façonnant principalement des armes pour les illustres familles, mais également divers ustensiles. Et cela ne manquait jamais de m’ébahir.

Calmement, je déambulai entre les étalages, observant avec intérêt chaque objet dont la précision de fabrication ne comportait pas la moindre erreur. Seule une main de maître avait été capable de tous les forger.

Par-delà une unique fenêtre sans carreaux qui laissait entrevoir le forgeron, un bruit métallique et répétitif retentissait en écho dans la pièce. Doucement, je me rapprochai, jusqu’à pouvoir l’observer entièrement.

Isaac se tenait à un mètre des flammes, vêtu d’une simple chemise, laquelle collait, en divers endroits, à sa peau en sueur. Manches retroussées, il semblait s’acharner contre la lame rougeoyante d’un stylet. Le souffle court, il cessa finalement son œuvre, plaquant sa main contre son front bouillant et repoussant ses longs cheveux bruns. Puis son regard croisa le mien.

Aussitôt, il se rapprocha de la petite ouverture qui séparait le comptoir de son atelier et en profita pour scruter les alentours à la recherche d’autres clients. Mais ces temps-ci, ils se faisaient plutôt rares. Il dut rapidement se rendre à l’évidence que j’étais seule.

— Puis-je quelque chose pour vous, Madame ?

— En effet, approuvai-je en laissant glisser mon regard contre ses épaules saillantes. Je suis à la recherche d’un outil assez rare. Peut-être pourriez-vous m’éclairer.

Après un bref sourire, il m’ouvrit la porte de son atelier, puis m’invita à entrer et referma derrière moi. Poursuivant mon petit jeu, je fis mine d’observer les différentes étagères, feignant là de rechercher l’objet de mes convoitises.

Alors, sa main se referma autour de mon poignet et il m’attira délicieusement contre lui. Sans hésiter, je l’enlaçai à mon tour, laissant ses lèvres venir s’abattre sur les miennes.

— Tu m’as tellement manqué, me murmura-t-il à l’oreille en déposant une pluie de baisers sur ma nuque.

Cette douce étreinte me fit frémir. L’authenticité et le franc-parler d’Isaac me donnaient la sensation de partager une complicité sans faille avec lui. Peu m’importait qu’aucune goutte de sang noble ne coulât dans ses veines. À ses côtés, je me sentais plus vivante que jamais je ne l’avais été.

Amoureusement, je caressai ses cheveux et contemplai avec adoration ses iris ambrés et étincelants. Tendrement, je posai mon front contre le sien et lui répondis :

— Tu m’as manqué aussi.

Toujours avec la même ardeur, Isaac me pressa plus fort contre son corps, tandis que le mien se languissait comme jamais.

Voilà désormais trois années entières qu’Isaac et moi nous fréquentions. De prime abord, nous nous retrouvions avec pour seul souhait de converser. Mais rapidement, la situation avait évolué. Si bien qu’aujourd’hui, je ne concevais point ma vie sans lui.

Hélas ! comme me l’avait justement rappelé Louise, il ne s’agissait là que d’une utopie. Un doux rêve qui finirait par s’estomper tôt ou tard. Car jamais, au grand jamais, mon père ne tolérerait que sa noble fille épousât un vulgaire forgeron.

Isaac et moi étions tous deux informés sur la chose. Et bien que d’innombrables fois l’idée de nous enfuir loin de Reims nous eût traversé l’esprit, nous nous étions finalement rendus à l’évidence. Dans un monde tel que le nôtre, sans un sou, nous n’aurions tenu que quelques jours à peine avant que la famine ou quelques bandits nous expédient six pieds sous terre.

Et du fait de ma condition, nos rencontres se faisaient de plus en plus rares, car il m’était difficile d’échapper à la vigilance trop stricte du vicomte. Aussi décidai-je de savourer le moment, sans ne plus songer à rien d’autre que lui.

Je repoussai Isaac plus fermement contre le mur et saisis son visage pour l’embrasser ardemment. Ses bras encerclèrent ma taille, tandis que ses mains chaudes et robustes remontaient lentement vers ma poitrine qui s’affolait sous ma respiration bruyante.

Puis avec cette même ferveur, il laissa ses lèvres humides cheminer le long de mon décolleté. Il me sembla que mon cœur était sur le point de cesser de battre tant il était pris de frénésie.

Toutefois, il me fallait retrouver la raison. Ce n’était pas pour cela que j’étais venue lui rendre visite. Je devais à tout prix lui parler. Même si j’avais tenté de chasser cette idée de mon esprit, elle ne cessait de me hanter, troublant mon sommeil depuis ces dernières semaines.

— Isaac, lui murmurai-je entre deux respirations.

— Je ne peux endurer un autre jour privé de toi, Émérence, insista-t-il en continuant son assaut fulgurant.

Le timbre de sa voix anima aussitôt un désir sans faille qu’il me fallut combattre avec peine. Et alors que sa main droite glissait sous ma vêture pour s’emparer de mon sein, je plongeai mon regard dans le sien avec insistance.

— J’ai à te parler, repris-je plus gravement.

Mais soudainement, un bruit de pas raviva mon attention. J’eus à peine le temps d’entrapercevoir ma sœur par-delà la petite ouverture qui séparait l’office de l’atelier attenant. Immédiatement, je repoussai Isaac, sentant une déflagration de terreur et d’angoisse comprimer chacun de mes membres.

Elle nous avait vus. Il n’y avait pas le moindre doute. Pourtant, au lieu de s’enfuir hors de l’office, cette dernière patienta, le regard lourd. Prétendant s’intéresser à l’armement sur l’étalage, elle s’éloigna quelque peu, ce qui me laissa amplement le temps pour me retourner vers Isaac, dont le visage avait blêmi.

— Je vais m’occuper d’elle, fis-je pour tenter de le rassurer.

2-Les écuries

Alors que je m’éloignais, le cœur battant toujours aussi vigoureusement, la main d’Isaac s’abattit sur mon épaule pour me rattraper. Dès lors, il plongea ses prunellesmielleuses dans les miennes, m’adressant un regard presque implorant.

— Quand pourrai-je te revoir ?

Craignant un autre regard irrévérencieux de la part de ma sœur, je m’inquiétai derechef de celle-ci. Mais désormais, elle n’était plus dans mon champ de vision. Alors, refusant également de passer les prochaines journées à me languir à l’idée de pouvoir le retrouver, je serrai la main d’Isaac dans la mienne.

— Rejoins-moi ce soir à neuf heures dans les écuries de mon père. Les lieux seront déserts. Je t’y retrouverai, lui chuchotai-je.

— C’est bien trop risqué !

— Je sais, répondis-je une pointe de défi dans la voix.

Mon regard finit par croiser le crucifix qui surplombait le mur contre lequel nous étions adossés quelques instants auparavant. Cette vision anima de fait un profond mal-être en moi.

Isaac était de ceux qui, devant Dieu, avaient toujours gardé la foi. Chaque soir, il le priait, l’implorant pour sa miséricorde. Lui et moi partagions des idées semblables sur moult sujets, mais celui-ci nous différenciait grandement. À mon grand désarroi, jamais je n’étais parvenue à trouver où puiser les convictions nécessaires pour honorer un quelconque Seigneur.

À mon sens, l’Homme était à l’aube d’une ère naissante. Cela ne faisait aucun doute. De nouvelles idées ne cessaient de voir le jour, des idées qui allaient à l’encontre des dogmes religieux. Des idées que je ne pouvais que partager, malgré mon nom.

— J’ignore si Dieu approuve réellement chacune de nos actions, méditai-je sans détacher mes yeux de la croix. Il me semble pourtant que les plaisirs de la chair avant le mariage sont fortement défendus.

— Ils le sont, acquiesça Isaac avec une pointe de regret. Mais Dieu commanda également de nous aimer les uns les autres.

Je lui adressai un sourire mélancolique avant de quitter l’atelier à contrecœur afin de rejoindre ma sœur. Agathe se tenait toujours dans l’entrée, silencieuse et ferme. Sans mot dire, je quittai l’office, tout en m’assurant qu’elle me suivait bel et bien.

Une fois à l’extérieur, je me retournai pour lui faire face, affrontant son visage indéchiffrable. Durant une minute qui me sembla durer une éternité, le silence se poursuivit et mon estomac se noua.

— Un forgeron, railla-t-elle avec dégoût.

— Je l’aime, me contentai-je de lui répondre avec la plus grande des sincérités.

Elle ricana avec cette même froideur dont elle faisait sans cesse preuve.

— Aimer, répéta-t-elle d’un ton sec. Cela ne fait nullement partie des responsabilités que nous nous devons d’endosser pour notre famille. Si père l’apprenait…

— Vous ne devez jamais rien lui dire ! la coupai-je, les larmes aux yeux.

Ma sœur continua de m’assassiner du regard, comme si j’étais désormais devenue la risée de tous. Elle ne me portait pas dans son cœur, mais aujourd’hui, en plus de la rancœur que je lui inspirais, la répugnance venait s’y ajouter.

— Jurez que vous tiendrez cela secret ! insistai-je soudainement paniquée.

— Je comprends mieux pourquoi vous refusiez tous les dignes prétendants qui vous assiégeaient.

Et sans ajouter un mot, elle releva la tête vers un petit mouvement de foule acculée non loin de la place royale. Là, devant nous, une estrade en bois avait été dressée, tandis qu’un homme humblement apprêté, mais appartenant à l’aristocratie sans le moindre doute, était posté, les mains plaquées contre la balustrade et le visage plus déterminé que jamais.

De toute évidence, la foule lui accordait beaucoup de crédit, approuvant par quelques acclamations nombre de ses phrases. Sitôt intriguée, je tendis l’oreille, curieuse d’entendre les propos qu’il tenait.

— Les lois, rugissait-il avec hargne, élèvent les Hommes ! Elles sont la volonté divine ! Ce sont de ces lois que naissent les pouvoirs de notre monarque et non l’inverse ! Et ces lois autorisent tout être humain à être libre ! Oui ! Chacun d’entre vous !

Immédiatement, Agathe haussa les sourcils comme si elle venait d’être accostée et qu’on l’injuriait dans la rue. D’un air hautain, elle laissa échapper un gloussement indigné.

— Où va le monde ? protesta-t-elle avec un ricanement sinistre. Bientôt ils nous demanderont de rendre leur liberté aux nègres.

Je lui lançai un regard des plus sombres, peinant à canaliser la hargne qu’elle m’inspirait. Toutefois, compte tenu du spectacle dont elle avait été témoin, je ne trouvai pas le courage de la contredire. Je réprimai donc les nombreuses paroles venimeuses qui me vinrent à l’esprit et poursuivis l’écoute de notre orateur.

— Vous êtes le peuple ! poursuivait-il avec cette même vigueur. C’est de vous que dépend l’avenir de ce pays ! Cessez de vous laisser malmener ! Vous êtes le fondement de notre société ! Vous et personne d’autre !

Agathe leva les yeux au ciel, et visiblement mal à l’aise au beau milieu de cette foule de roturiers, elle finit par tourner vers moi son faciès déconfit.

— J’en ai assez entendu. Nous ne sommes pas à notre place ici. Se pavaner seules dans de telles rues pourrait nous être fatal. Rentrons.

— Bien, répondis-je froidement.

Même si l’envie de rester écouter la suite du discours me dévorait, je ne le lui fis point savoir. Ma sœur pouvait s’avérer une dangereuse ennemie dorénavant. Il me fallait à tout prix atténuer les conflits qui altéraient notre relation.

***

La nuit était déjà bien avancée en cette froide période hivernale. Le souper s’était déroulé dans le silence le plus irréprochable, ce qui n’avait fait qu’accentuer la crainte que j’éprouvais à l’encontre d’Agathe. Toutefois, elle n’avait pas soufflé un mot à propos d’Isaac. Ce comportement, pour le moins étrange, me parut calculé. Je m’interrogeais sur le moment où ma sœur finirait par réclamer son dû moyennant silence. Le chantage était un art dans lequel elle excellait.

Il n’était alors pas loin de neuf heures lorsque plus aucun son ne fut perceptible dans la demeure. Les domestiques avaient cessé leurs infernaux allers-retours, ma mère avait certainement dû, comme à l’accoutumée, rejoindre le lit tôt, et mon père devait s’être enfermé dans son cabinet pour les heures à venir. La voie était donc libre.

Une main contre mon ventre, je gardai le regard rivé sur les jardins ensommeillés. Fort heureusement, la lune était pleine ce soir et suffisait à éclairer les alentours pour que je n’aie guère besoin de me munir d’une torche. Cela faciliterait mon déplacement.

Craintivement, je réajustai ma longue cape noire et inspirai un grand coup. Plus jeune, je passais le plus clair de mon temps à escalader les façades du manoir. Il en serait de même ce soir. Ma chambre donnait sur l’arrière de la demeure, et nul valet ne montait la garde.

Avec agilité, j’ouvris les fenêtres tout en veillant à rester la plus discrète possible, puis enjambai le mur avant de m’agripper fermement à la branche la plus proche du vieux chêne. Je poursuivis mon œuvre jusqu’à atteindre le tronc pour mieux m’équilibrer et descendis de l’arbre. La tâche s’avéra atrocement périlleuse compte tenu des jupons que je portais.

Lorsque j’atteignis finalement la terre ferme, je m’arrêtai un moment pour reprendre mon souffle trop comprimé et relevai la tête afin de m’assurer que personne ne m’avait vue. Mais les lieux étaient déserts. Si déserts que je me demandai même si Isaac avait pu ou non se rendre aux écuries.

Aussitôt, un vent glacial s’engouffra sous ma cape et je la rabattis contre moi. Tout autour, quelques flocons de neige commençaient à tomber et se répandaient sur les rameaux des arbres.

Aussi ne perdis-je pas de temps et m’empressai de rejoindre notre point de rendez-vous en restant dissimulée dans l’ombre. L’ombre. Voilà un terme qui effrayait encore aujourd’hui une majorité du peuple. Quelques superstitieux voyaient encore là l’œuvre du diable qui se servait des ténèbres pour camoufler des créatures démoniaques à même de détourner les Hommes du droit chemin.

De toute mon existence, j’avais refusé de croire à ces balivernes. Ce soir cependant, j’eus comme un pressentiment. La sensation inquiétante d’être suivie. Si bien qu’à moult reprises, je me retournai pour m’assurer d’être bien seule. Mais mon imagination devait certainement me jouer des tours.

Sans me laisser contraindre par le froid tétanisant, j’atteignis enfin ma destination, de l’autre côté du domaine. Encore une fois, le silence qui y régnait était total. À pas de velours, je m’approchai et pénétrai dans le vieil étable.

Les lueurs argentées de la lune suffisaient à éclairer quelque peu les écuries et je me frayai un chemin jusqu’au vaste hangar où les domestiques entreposaient tout l’attirail équestre. Les lieux paraissaient vides. Peut-être qu’Isaac n’avait pas pu venir…

Jetant un dernier coup d’œil par-dessus mon épaule, je finis par rebrousser chemin lorsque je fus saisie par la taille et plaquée doucement contre le mur. Retenant un hurlement de surprise, je reconnus alors sans mal la carrure imposante d’Isaac.

Agacée de m’être si bêtement fait surprendre, je lui administrai une lourde tape pour le repousser. Cela n’eut guère l’effet escompté. Au lieu de cela, il se contenta de me sourire et prit agréablement mon visage entre ses mains avant de poser ses lèvres chaudes sur les miennes.

Ce contact, si infime fût-il, était pour moi le plus délicieux de tous. Éperdue, j’enroulai mes bras autour de son cou pour l’étreindre davantage et lui rendis son baiser langoureux. Aussitôt, mon souffle s’accéléra comme répondant à un signal que seul mon cœur semblait connaître.

Sans la moindre retenue, je laissai mon instinct parler de lui-même, agrippant férocement le veston d’Isaac pour le lui ôter. De même, il retira ma longue cape et pressa son corps chaud contre le mien.

— Es-tu sûre que personne ne t’a vue quitter le manoir ? m’interrogea-t-il finalement entre deux baisers.

— Ne t’inquiète pas pour cela, lui répondis-je en lui retirant sa chemise.

Isaac me fixa un court instant, une lueur d’angoisse ancrée dans le regard. Puis il passa ses doigts dans mes longs cheveux que je n’avais pas pris la peine de coiffer. Tendrement, je traçai du bout des doigts le contour de sa barbe tout en l’obligeant à baisser la tête vers moi pour déposer un chaste baiser sur ses lèvres, puis sur son menton carré avant de m’attarder le long de son cou.

Immédiatement, ses muscles se crispèrent et sa prise autour de moi se fit plus ferme. Mes doigts glissèrent le long de son torse musclé et chaud, puis serpentèrent plus bas encore. Un grognement rauque s’échappa de sa gorge, tandis que je lui souriais amoureusement.

Et comme acceptant un défi, il m’étreignit plus férocement, dévorant mes lèvres alors que mon corps croulait sous ses caresses lascives. Doucement, il m’attira à terre, et nous nous étendîmes dans le foin que les domestiques avaient tassé non loin de là.

Le lieu était certes inconfortable, mais peu importait l’endroit où je me trouvais du moment qu’Isaac était à mes côtés. Ces moments étaient bien trop rares pour ne pas être savourés.

— Je dois t’informer de quelque chose d’important, lui murmurai-je malgré tout.

Mon corps, hélas ! ne semblait pas d’humeur à discuter. Et à l’évidence, celui d’Isaac non plus. Il releva simplement un sourcil, comme pour me certifier qu’il m’écoutait, mais poursuivit tout de même ses élans, retirant un à un les lacets qui se trouvaient sur le devant de ma robe. Je l’observai, sentant un désir ardent se décupler au plus profond de moi.

Toujours avec cette même aisance, il écarta les étoffes de ma vêture jusqu’à libérer l’un de mes seins. Et sous son regard taquin, il finit par poser délicieusement ses lèvres sur mon mamelon. Aussitôt, mon corps tout entier s’embrasa et j’étouffai un gémissement, tentant avec peine de me contenir.

— De quoi veux-tu m’entretenir ? me chuchota-t-il finalement à l’oreille en glissant ses doigts contre mes cuisses pour remonter mes jupons.

Cette simple question me ramena rudement à la réalité. Une seule étreinte avait suffi pour me faire oublier la terrible angoisse qui pesait sur moi. J’ignorais comment lui annoncer la chose. Et pis encore, j’ignorais totalement quelle serait sa réaction. Des nuits et des jours durant, j’avais tenté de ne plus y songer, dans l’espoir que cela soulagerait ma conscience. En vain.

Témoin de ma crainte, Isaac perdit le petit sourire qu’il arborait jusqu’à présent et il cessa de me toucher.

— Qu’y a-t-il ? reprit-il plus sérieusement.

Mes lèvres se mirent à trembler et mon cœur à tambouriner comme un forcené. Je devais le lui dire. Le lui cacher n’arrangerait rien. Mais alors que j’essayais d’articuler deux mots, aucun son ne sortit de ma gorge.

— Émérence, insista-t-il, une inquiétude soudaine dans la voix. Tu sais que tu peux tout me dire.

Oui, je pouvais tout lui dire. Mais jamais encore je n’avais formulé cela à voix haute et je me demandai si j’aurais été moi-même capable d’entendre une telle annonce. Donc pour seule réponse, je pris délicatement sa main et la descendis pour la poser sur mon ventre.

Isaac écarquilla les yeux et resta muet durant une longue minute. Il connaissait par cœur les courbes de mon corps, et même si ma taille n’avait jamais été aussi fine que celle des paysannes, elle s’était aujourd’hui arrondie sous les amples étoffes que je portais.

Voyant que son visage était resté figé dans une expression alarmante, je ne pus lui dissimuler ma vive émotion. Ses prunelles ambrées se radoucirent et il essuya mes larmes qui avaient commencé à perler.

— C’est… inespéré, murmura-t-il.

— Mais comment vais-je faire ? Mon père me reniera s’il l’apprend.

Le visage d’Isaac s’efforça de rester calme et compatissant, ce qui suffit à me rassurer. Un moment, il resta là à me dévisager, l’anxiété gravée sur ses traits.

— Je ne vois qu’une seule solution et elle te déplaira, fit-il.

Je ne répondis rien, attendant qu’il manifeste le fond de sa pensée.

— Tu dois encourager un mariage aussi prestement que possible avant que cela ne soit trop repérable, chuchota-t-il en laissant courir ses yeux sur mon ventre. Et tu feras croire que cet enfant est celui de ton époux.

— Comment peux-tu dire une chose pareille ?! m’indignai-je en sentant de nouvelles larmes affluer.

Il m’était impossible de mentir aussi délibérément ! Pas plus qu’il n’était envisageable d’accepter qu’un autre homme qu’Isaac puisse partager mon lit pour ravir les espérances de mon père !

— Jamais je ne me marierai avec quelqu’un d’autre ! vociférai-je hors de moi.

Afin de m’apaiser, il glissa une main dans mes cheveux.

— Rien ne me rendrait plus heureux que de pouvoir t’épouser, confessa-t-il toujours à voix basse. Mais toi et moi savons bien que cela n’arrivera jamais. Et si tu ne souhaites pas que le vicomte te retire l’enfant à sa naissance, tu dois lui faire croire qu’il est de sang noble.

Mon cœur se brisa, mais je ne trouvai aucun argument à lui opposer. Isaac acceptait les injustices dont nous étions victimes. Ce n’était pas mon cas. Il n’était pas dans mon tempérament de me laisser ainsi assujettir par le vicomte ou n’importe qui d’autre sur cette terre. Je refusais de me marier. Et si Isaac ne voyait que cette seule issue pour mon avenir, alors je trouverais une échappatoire. Et cela, je m’en fis la promesse.

— Il serait plus sage que nous ne nous revoyions plus avant un moment, reprit-il la voix chagrinée.

J’eus envie de le détromper, malheureusement il avait raison. Si les gens venaient à nous voir ensemble, la conclusion qu’ils en tireraient ne jouerait pas en notre faveur. Puis, il me fallait du temps pour prévoir une issue différente de celle qu’Isaac venait de proposer.

Alors, je l’embrassai ardemment et il me pressa contre lui.

— Dans ce cas, lui murmurai-je en mordillant la peau de son cou, aime-moi une dernière fois tant que cela est possible.

Le regard d’Isaac se mit à luire d’une expression intense et mes doigts se refermèrent autour du pont de sa culotte. Encore une fois, ses muscles se tendirent et il ne protesta pas lorsque je le dévêtis totalement.

Éperdument, j’enroulai mes cuisses autour de ses hanches et laissai ses mains fermes venir agripper ma taille afin qu’il se fonde en moi. Dans ses bras, j’avais la douce impression d’être à l’abri de tout, même si ce n’était qu’une triste illusion.

Arrimée à lui, je l’encourageai à accélérer la cadence exaltante de ses va-et-vient. Mon corps semblait prêt à se consumer de l’intérieur. Mes cuisses se pressèrent davantage contre lui et il s’en saisit dès lors pour les redresser, accentuant le plaisir de notre étreinte.

Sa présence en moi se fit plus intense. J’agrippai maladroitement ses cheveux afin d’attirer son visage contre le mien et l’embrassai sans relâche sachant que ce serait probablement la dernière fois.

3-Le duc de Morel

Cela faisait maintenant deux jours entiers que je n’avais guère revu Isaac. Il me semblait alors que les minutes défilaient aussi lentement que des heures. Depuis notre rencontre, j’étais restée confinée au manoir, cherchant désespérément à trouver une solution autre que celle qu’Isaac avait évoquée. Car l’idée de m’offrir à un de mes riches prétendants était une perspective que je refusais d’envisager. Toutefois, malgré mes misérables tentatives pour échapper à ce calvaire, je ne voyais aucune issue possible.

Soudain, un bruit sourd me ramena à la réalité. Il était encore tôt et d’ordinaire, Louise entrait sans frapper dans ma chambre et me tirait doucement de mon lit.

Je ne répondis rien, feignant de dormir encore. L’importun tambourina de nouveau, plus brutalement encore. Irritée, je cédai et le fis entrer. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris Rose, la femme de chambre de ma sœur. Cette dernière, confuse, baissa les yeux face à mon expression inquisitrice et se pencha dans une révérence malhabile.

— Le vicomte veut que je vous prépare, Mademoiselle, m’informa-t-elle.

Je haussai les sourcils. Voilà donc une bien étrange requête.

— Louise se charge de cela tous les matins. Je doute que mon père ait déjà omis ce détail, répondis-je froidement sans ménager la pauvre enfant.

Rose devint blême et, tout en continuant de fuir mon regard, elle poursuivit :

— Je ne fais qu’obéir, Mademoiselle. Le vicomte m’a demandé à ce que vous portiez votre plus bel apparat pour l’occasion.

— Quelle occasion ?

— Un visiteur, Mademoiselle.

Ma gorge se noua et j’eus peine à déglutir. Cela ne présageait rien de bon. Jamais encore mon père ne s’était mis en tête de me faire ressembler à Agathe en me forçant à porter une tenue extravagante.

Néanmoins, n’ayant d’autre choix, je fis signe à Rose d’œuvrer, mettant ainsi fin à son supplice. Timidement, elle me fit apporter une bassine d’eau froide dans laquelle je pus me laver, essayant de dissimuler mon ventre légèrement arrondi. À ce stade, cela pouvait encore passer inaperçu.

La jeune domestique s’empressa de me faire revêtir une des toilettes les plus raffinées que j’avais à ma disposition, surchargée de fils d’or et d’un vert aussi intense que celui de mon regard. Après avoir réajusté mon corset et le panier qui rehaussait ma jupe en velours, elle tenta avec peine de dompter mes longs cheveux roux, les accommodant d’un bijou prévu à cet effet. Par la suite, elle insista pour que j’accepte de porter un pendentif en jade, lequel se balançait au bout d’une petite chaîne.

Lorsqu’elle eut achevé sa tâche, je ressemblais à une véritable princesse dont la beauté avait été accentuée par l’or et le velours. Une dernière touche de parfum contre ma poitrine et sur mes poignets, et j’étais fin prête.

Ce fut à contrecœur que je descendis l’escalier pour regagner le séjour principal où tous m’attendaient. Ma sœur et ma mère se tenaient aussi droites que des piquets, murées dans un profond silence.

Je pénétrai donc dans le vaste salon, dévisageant finalement l’individu auquel Rose avait fait référence peu de temps auparavant. De carrure assez forte, il portait une longue veste bleu roi très ajustée sur le haut de son corps et qui s’évasait sur le bas pour laisser apparent le fourreau d’une épée. Une somptueuse culotte immaculée et des bas de couleur grise prolongeaient l’accoutrement. Et, le tricorne sous la main, l’individu se retourna vers moi, me permettant de distinguer son jabot d’un blanc impeccable ainsi que sa perruque nouée par un simple ruban noir.

— Le bonjour, Mademoiselle de Lienard, me salua-t-il en effectuant une révérence bien trop prononcée à mon goût.

Par politesse, je m’inclinai à mon tour, avant de reporter mon attention vers mon père, lequel semblait le plus heureux des hommes en cette belle matinée d’hiver.

— Émérence, annonça ce dernier, voici le duc de Morel.

Je ne répondis rien, évitant avec soin le regard de notre visiteur. À en juger par tous les boutons et ornements en or qui encombraient son veston, il devait être fort riche. Et c’était probablement l’unique raison pour laquelle mon père avait dû le convier dans notre demeure.

M’efforçant de rester polie, mais ferme à la fois, je fis finalement face au duc, le gratifiant d’un sourire forcé.

— Qu’est-ce qui vous amène ici, Monseigneur ? l’interrogeai-je malgré les traits atterrés d’Agathe. Je n’ai pourtant encore jamais entendu parler de vous.

De fait, j’espérai que mon franc-parler le scandaliserait, mais il n’en fut rien. Au contraire, le duc de Morel s’en vit presque enchanté.

— Je ne suis pas de la région, Mademoiselle. Mon domaine siège à Paris, mais je me rends fréquemment à Reims pour fuir la capitale. Aussi vous ai-je déjà aperçue à moult reprises.

— Vous m’en voyez flattée, Monsieur le Duc, répondis-je d’une voix glaciale.

— Permettez ? fit-il avant de tirer l’une des chaises de la table.

Je me contentai d’acquiescer et pris place, mon père, ma mère, ma sœur et le duc à ma suite. Dès lors, les domestiques s’activèrent autour de nous et déposèrent sur la table toutes sortes de mets et de boissons que nous n’avions pas pour habitude de consommer à une heure aussi matinale : lait, thé, chocolat, brioche, confiture… Absolument tout pour que le duc ne se voie pas dépaysé.

— Le duc manifeste un grand intérêt pour vous, ma fille, annonça mon père avec le même tact que le mien.

— En effet, approuva le duc de Morel, quel homme pourrait agir autrement face à tant de grâce ?

— Je n’ai jamais été sensible aux flatteries, Monsieur le Duc, répondis-je d’un ton cinglant sans prêter attention au regard outré de ma sœur.

Je relevai alors le visage vers mon interlocuteur, m’attendant à l’avoir refréné quant à la douce illusion qu’il se faisait de ma personne. Mais encore une fois, mon comportement sembla lui plaire puisqu’il affichait un sourire amusé aux coins des lèvres.

Cela me retourna l’estomac. Cet homme à la silhouette imposante devait très certainement avoir l’âge de mon propre père, soit une cinquantaine d’années. Mais à l’évidence, les nobles d’aujourd’hui n’avaient d’intérêt que pour les très jeunes femmes. Des femmes comme moi.

— Nous nous verrions honorés, Émérence, si vous consentiez à envisager d’autres rencontres avec le duc, poursuivit le vicomte en dardant sur moi une œillade rude.

— Mon amitié suffira amplement à Monsieur, j’en suis convaincue, rétorquai-je.

Ma mère écarquilla de grands yeux stupéfaits et Agathe, les poings serrés, ne daigna pas même relever le visage dans ma direction. Mon père, quant à lui, semblait sur le point de bondir hors de table pour me violenter de toutes les façons possibles tant sa honte n’avait jamais été aussi grande.

— Mais mon amitié vous sera tout acquise, Mademoiselle, intervint le duc avant que mon père ne puisse reprendre la parole. Mon cœur sera également entièrement vôtre.

— Le duc et moi-même avons déjà établi le contrat du mariage, trancha le vicomte sans plus me ménager. Votre modeste dot étant tout ce que je puis offrir, le duc a tout de même décidé de s’en contenter.

Je faillis m’étrangler avec ma tasse de lait, ne m’étant nullement préparée à tout cela. Comment osait-il me marchander comme un simple objet ?! Il était honteux de sceller le contrat de mariage avant même que j’eusse pu être mise au courant de la chose.

— Le contrat de mariage, répétai-je lentement.

— Oui, le duc est un illustre membre de l’aristocratie à Paris. À ce titre, il convenait donc qu’il épousât une jeune femme de son rang dont la dote serait…

— Peu m’importe cette dot, Mademoiselle, intervint monsieur de Morel en soutenant mon regard.

— Sachez que le duc nous a fait le grand privilège de vous honorer, vous ! poursuivit mon père en s’efforçant de contenir sa colère. Et ce, malgré l’infériorité de votre titre.

Je reposai ma tasse, ayant l’estomac trop retourné pour continuer de manger. Je me moquais bien de mon titre et refusais catégoriquement ce mariage. Mais le vicomte ne s’arrêta pas en si bon chemin dans ses aveux :

— Je me suis engagé auprès de Monsieur le duc que vous seriez une épouse vierge et aimante qui saura assurer la lignée de sa descendance.

« Vierge ». Ce mot, tel un écho, retentit en boucle dans mon esprit. Mon père n’avait pas la moindre idée de ce qu’il venait d’avancer.

— Je comprends que tout cela soit assez précipité, convint le duc en me détaillant comme un objet qu’on s’apprête à posséder. Tâchez d’y songer, Mademoiselle. Avec moi, vous ne manquerez de rien.

Puis il se retourna vers le vicomte et la vicomtesse, les salua de la tête et quitta la table. Aussitôt, tous se levèrent pour l’accompagner. Tout le monde sauf moi. Ne s’en offensant guère, le duc parvint jusqu’à moi, prit ma main pour la porter à ses lèvres et y déposa un chaste baiser.

— Ce fut un honneur, Madame, fit-il en plongeant ses yeux bruns dans les miens. J’ai grande hâte de vous revoir.

Calmer ma rancœur fut bien difficile, et je dus me faire violence pour ne pas lui rappeler qu’il devait encore s’adresser à moi comme Mademoiselle de Lienard et non Madame. À ma connaissance, le mariage n’avait pas encore eu lieu. Et il n’aurait d’ailleurs jamais lieu.

Mais lorsque la porte d’entrée se referma, la présence du duc me manqua presque. Mon père revint précipitamment et cogna contre la table.

— Vous n’allez pas vous en tirer comme cela, petite peste ! rugit-il hors de lui. Vous pensez peut-être que je suis dupe ! Mais ce n’est pas le cas ! Alors vous allez cesser cette stupide amourette avec le jeune Darras et remplir les obligations qui vous incombent.

Mon cœur manqua un battement. Non. C’était impossible. Comment pouvait-il savoir ? Immédiatement, mon regard trouva celui de ma sœur aînée, laquelle affichait toujours cette même expression indignée. Elle lui avait dit. Cela ne faisait plus le moindre doute.

— Que cela vous plaise ou non, ce sera lui ! tonnai-je à mon tour.

— L’amour n’a pas sa place dans un mariage, Émérence !

— Vous ignorez tout de la chance que vous avez ! intervint à son tour Agathe. Vous pourriez devenir duchesse de Morel ! Un titre fortement convoité ! Son domaine est l’un des plus riches de France !

Ma mère, toujours présente dans la pièce, préféra ne pas interférer dans nos affaires. Cela ne changerait jamais. Pas une seule fois, elle ne m’apporterait le soutien nécessaire.

— Eh bien, dans ce cas, ma sœur, épousez vous-même cette chattemite ! m’exclamai-je malgré moi.

La main de mon père ricocha contre mon visage si brutalement que je faillis en perdre l’équilibre. Le silence revint séance tenante dans la salle. Le regard chargé de frustration et d’impuissance, j’effleurai ma joue en feu du bout des doigts.

— Le duc, reprit mon père l’index pointé vers moi, a jeté son dévolu sur vous et sur vous seule. Vous allez donc accepter ce mariage ou sinon, je vous envoie tout droit au couvent jusqu’à la fin de vos jours. Est-ce bien compris ?

— Et quel prestige en retirerez-vous ? marmonnai-je sans même craindre une autre altercation.

Les traits du vicomte se tendirent à l’extrême. À hauteur de ses tempes, deux veines saillaient sous la colère.

— J’aurais davantage de prestige à confesser que ma fille est une servante de Dieu plutôt qu’une traînée qui fantasme sur un forgeron !

— Alphonse ! s’indigna ma mère devant son langage grossier.

Il l’ignora pleinement, conservant ses prunelles rivées dans les miennes. Cet instant s’éternisa plus que je ne l’aurais souhaité, et enfin, le vicomte se redressa pour me laisser quitter le séjour.

Immédiatement, je regagnai ma chambre avant de m’enfermer à clef pour me laisser choir de tout mon long sur mon lit. Ne supportant plus de rester forte, je laissai mes larmes ruisseler et mes nerfs se relâcher.

Rien n’avait plus le moindre sens à mes yeux. Je n’étais pas maîtresse de ma vie et devais accepter de me faire monnayer comme une fille de joie.

Anéantie, je m’emparai du traversin et y plongeai le visage afin d’étouffer mon chagrin. Les larmes ne cessèrent d’affluer, tandis que mon corps ne répondait plus de lui, secoué par de violents tremblements.

Épouser le duc de Morel était inconcevable ! Il ne me restait donc qu’une seule solution : fuir. Fuir très loin d’ici avec Isaac, et peut-être même me faire passer pour morte dans l’espoir que mon père n’entamerait aucune recherche. C’était là l’unique moyen qu’il me restait.

***

Trois nouvelles journées s’étaient écoulées depuis l’entretien que j’avais eu avec le duc de Morel. Déterminée à échapper aux remontrances et menaces de mon père, j’étais restée barricadée dans mes appartements, refusant en somme toute visite. Seule la présence de Louise m’était tolérable. Laquelle cependant ne cessait de me répéter que monsieur de Morel était un excellent parti et qu’il me traiterait probablement mieux que mon père.

Néanmoins, je ne voulais rien entendre de tout cela. Il n’était pas dans mes habitudes d’abandonner si facilement. Hélas ! ma nouvelle condition ne me laissait que peu de choix. Il ne s’agissait plus que de moi, mais bien du bébé à venir.

Cela, Louise ne le savait pas encore. Non pas que l’idée de tout lui avouer m’aurait révulsée, mais cela l’aurait confortée dans ses convictions que le mariage n’était peut-être pas une si mauvaise idée.

Et après plus de soixante-douze heures d’attente interminable, j’appris que le vicomte et la vicomtesse avaient enfin décidé de quitter le manoir pour assister à une représentation théâtrale où ma chère sœur était également conviée. Fort heureusement, ce ne fut pas mon cas.

La matinée était déjà bien avancée, ce qui ne me laissait que très peu de temps pour agir. Il fallait à tout prix que je le voie. Tout ceci pesait désormais beaucoup trop lourd sur mes épaules. Je ne pouvais continuer d’avancer sans Isaac. Lui et moi avions encore une chance avant que tout s’écroule. Nous avions encore l’opportunité de partir.

Alors, plus rapidement que jamais, je quittai l’enceinte du manoir pour regagner la ville, n’ayant pas même prévenu Louise de mon départ précipité et ayant échappé à la vigilance des gens de mon père.

Dehors, l’air était encore plus glacial que les jours précédents. Un épais manteau de neige recouvrait le sol jusqu’à l’horizon. Sans perdre un instant, je me mis à courir pour regagner la grande avenue principale de Reims, manquant à maintes reprises de glisser sur la glace. Et même si la neige me gelait les pieds, je poursuivis ma route, coûte que coûte.

Lorsqu’enfin l’enseigne de la maison Darras s’offrit à moi, le soulagement me gagna. Rien que l’idée de pouvoir serrer Isaac contre moi et lui confier les derniers évènements allégeait ma conscience.

Hâtivement, je pénétrai dans l’office avant de me ruer vers l’atelier où j’ouvris la porte qui grinça bruyamment. Une jeune femme, adossée contre le mur, semblait en pleine conversation avec Isaac.

Un instant, je la détaillai des pieds à la tête. Elle était vêtue d’une toilette quelque peu dérisoire où les pans de sa robe, à certains endroits, avaient été déchirés ou salis. Malgré son apparence modeste, elle n’en demeurait pas moins très belle, même si ses cheveux bruns étaient à demi camouflés sous un châle et que ses grands yeux bleus luisaient à cause de la chaleur qui régnait ici. Cependant, ce qui capta immédiatement mon attention fut de discerner ô combien la carrure de cette femme était menue en comparaison avec son ventre rond qu’elle s’efforçait de maintenir et qui devait lui peser.

— Émérence ? s’étonna Isaac en tournant le visage vers moi.

— J’ai à te parler, lui murmurai-je les larmes aux yeux et la voix tremblante.