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Racontée avec délicatesse et élégance, l’histoire singulière et personnelle de Nourdin vous fait voyager dans les coulisses d’une existence pleine de rebondissements. Toutes les fondations de la vie d’un homme adulte sont explorées, de l’enfance à l’âge de la raison, en suivant le fil de multiples aventures. L’immersion dans cet ouvrage est une odyssée particulièrement touchante par sa sincérité et sa liberté.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Luis-Nourredine Pita, ancien séminariste, docteur en philosophie et professeur de lettres modernes, voit en « son Autre » une présence constante. De cette considération découle sa réflexion sur l’errance, perçue comme une tentative illusoire de combler la relation à l’altérité.
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Luis-Nourredine Pita
Errance
Un chemin lumineux
© Lys Bleu Éditions – Luis-Nourredine Pita
ISBN : 979-10-422-4520-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je est un Autre.
Arthur Rimbaud
Nourdin scrute de temps à autre les limbes du ciel étoilé de Tanger pour se remémorer les souvenirs du jeune séminariste qu’il fut lors de son séjour au Maroc.
Une naissance dans un village français du centre de la France, un père réfugié politique et une maman au foyer qui se consacrait à sa tâche dans le plus grand dénuement, du matin au soir, afin de faire bouillir la marmite familiale, un environnement de verdure, mais aussi de pierres, « tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
Soudain, le pater familias décide de s’installer avec sa famille dans la ville voisine, cette installation va engendrer une rupture, une déchirure dans la vie de Nourdin. Les quelques amitiés fraîchement acquises dans le village s’évanouissent très vite dans l’oubli d’une renaissance géographique, teintée de savoirs divers transmis au sein du collège situé juste en face de l’église Saint-Jean.
La première errance surgira dans l’incompréhension d’un univers scolaire, totalement étranger à la culture de ses parents, des professeurs tout aussi étranges que le savoir dispensé suscitent tantôt de l’admiration, tantôt de l’angoisse, tous ces éléments égrenés au fil des heures de cours magistraux, conformément à l’esprit de l’époque.
Dans l’attente de la sortie de terre, des fondations de ce qui deviendra bien plus tard le lycée Louis Davier, Nourdin va vivre d’autres errances, par exemple, le déménagement partiel de certaines heures de cours dans une annexe du collège, située dans la rue Saint-Jacques, une rue pas très éloignée du collège, mais qui nous permettait de traverser à pied une partie du centre-ville.
Cours de français, cours d’anglais, cours de mathématiques, la matière la plus rébarbative pour Nourdin, cours de gymnastique comme on disait à l’époque, l’éducation physique et sportive d’aujourd’hui et aussi le travail manuel. « Des petits canards en bois » de l’époque sont toujours posés dans un coin de la cheminée de la maison familiale.
En 5e, Nourdin inaugura le nouveau lycée, le lycée-phare comme on l’appelle à l’époque, pour des raisons familiales, il deviendra interne. Il faut savoir que l’internat se présente comme de gigantesques dortoirs à 50 ou 60 places où l’extinction des feux s’effectuait jusqu’en 1968 à 22 h.
À l’instar de l’internat, en chambre, le self-service n’existait pas, les élèves étaient attablés dans des tables de 8, inutile de rappeler que bien souvent les derniers de la table ne nécessitaient pas une cure d’amaigrissement, tellement les plats qui leur parvenaient étaient souvent presque vides. Cette situation irritait beaucoup Nourdin jusqu’au jour où il décide de jeter une marmite à la tête d’un des deux élèves ayant copieusement puisé dans le plat déposé en début de table.
Certes, quelques surveillants circulaient dans les allées, mais en fait ils ne se souciaient guère du partage des gamelles. Les femmes de service n’avaient ni le temps ni les compétences pour regarder si tout le monde mangeait à sa faim. C’était la Loi de la Jungle.
La France entière se met en grève et nous au lycée, à notre niveau, nous avons aussi manifesté, nous sommes montés sur le toit du lycée pour y hisser deux drapeaux, l’un noir, signifiant l’anarchie et l’autre rouge, incarnant la révolution. À l’époque, ces deux mouvements nous semblaient strictement identiques.
Notre participation au mouvement de mai 1968 dans cette bourgade de l’Yonne dénommée Joigny se limita à ces deux actions.
L’année suivante, ce fut l’entrée en seconde générale, terme déjà utilisé à l’époque afin de distinguer les lycéens appelés à entreprendre des études dites longues et ceux qui optaient, bien souvent après une décision du conseil de classe pour suivre des études courtes ou encore désignées par l’épithète « professionnelles ». Le Brevet d’études professionnelles couronnait bien souvent ce cycle d’études, certains lycéens poursuivaient dans des cours complémentaires, voire des brevets professionnels. Le Baccalauréat professionnel n’était pas encore né.
Nourdin a des amis de cette époque qui choisirent la voie professionnelle et qui firent fortune dans leur domaine respectif, bien plus que lui-même et la plupart de ceux qui accédèrent à l’université.
Après la seconde, Nourdin passe en première, il se présente aux deux épreuves de français, l’écrit et l’oral et obtient 14/20 à l’écrit et 15/20 à l’oral. Et enfin le sésame qui clôture le lycée : le baccalauréat. Nourdin le réussit en 1971.
Contrairement à tous ses camarades qui envisageaient des horizons incertains, mais enracinés dans des itinéraires concrets, Nourdin poursuit une quête spirituelle commencée en seconde avec l’aumônier du lycée. À l’époque, le mercredi après-midi, quelquefois le samedi après-midi, les élèves qui le souhaitaient pouvaient librement fréquenter l’aumônerie du lycée, située à l’intérieur de l’établissement dans une salle attribuée par le proviseur du lycée.
Dans cette aumônerie, nous n’apprenions pas le catéchisme comme certains auraient pu le penser, mais tout simplement, l’aumônier, avec certains élèves, organisait des réflexions autour de thèmes aussi différents que la croyance, l’athéisme, la joie, la liberté, l’amour, etc. Nous prenions plaisir, et Nourdin plus que les autres, à échanger, à partager et à discuter certaines idées autour de ces thèmes.
Quelle ne fut pas la joie de Nourdin d’entendre un jour l’aumônier du lycée évoquer une communauté œcuménique de religieux catholiques, protestants, orthodoxes, située à plus d’une centaine de kilomètres de la ville dans le village de Taizé où un prieur, le frère Roger, animait des causeries spirituelles dans des ateliers de réflexion. Lorsque l’on songe à des ateliers de réflexion, on s’imagine une salle avec des tables, des chaises et peut-être même des stylos. Dans les faits, ces ateliers de réflexion se réduisaient à des espaces de sept à huit personnes, installés sous d’immenses tentes ou si le temps le permettait, dehors. Les participants à ces ateliers étaient assis par terre, échangeaient entre eux, très souvent ces participants, en général, jeunes arrivaient du monde entier, à l’exception des pays de l’Est de l’Europe, guerre froide oblige. Pour ce faire, soit il fallait être polyglotte, soit demander à quelqu’un du groupe de traduire les propos émis dans diverses langues étrangères, mais en général, on s’en sortait très bien.
De la seconde à la terminale, je fréquente cet endroit et pendant l’année de terminale, un jour, Nourdin questionne l’aumônier et lui demande : « Père Bernard, comment devient-on prêtre ? » Il le regarde d’un air amusé et lui répond : « Il faut déjà avoir la vocation et ensuite faire des études. »
Pour que Nourdin comprenne bien le sens du mot vocation, le père Bernard prend l’exemple d’Abraham dans la genèse qui décide de tout quitter pour répondre à un appel divin. Nourdin dit : divin. Le père Bernard lui fait comprendre qu’un prêtre répond à un appel de Dieu, à la manière d’Abraham.
Nourdin bien que né dans une famille mixte musulmane et catholique possédait ce qu’il est coutume de désigner par la foi du charbonnier, d’ailleurs, il avait découvert dans les œuvres de Voltaire pendant son cursus lycéen, le principe d’un dieu un peu mécanique qui serait à l’origine de Tout. Un Dieu-horloger en quelque sorte qui régirait les lois de l’univers. Mais hormis cette référence, Nourdin ne s’était pas trop questionné sur l’existence ou la non-existence de Dieu. Ses parents semblaient s’accommoder de cette existence.
Nourdin, en raison de dissensions familiales n’était pas baptisé, ce qui pour une éventuelle orientation sacerdotale posait un problème de fonds, il demande le baptême après une initiation au catéchuménat.
À la fin de l’année de terminale, Nourdin, malgré le refus de ses parents, demande à entrer à l’institut des Carmes à Paris.
La vie n’est jamais linéaire, et Nourdin le découvre à ses dépens. Même si Nourdin sait qu’on n’entre pas au séminaire comme dans un magasin, il est loin d’imaginer les embûches de ce parcours.
La première étape consiste à rencontrer le responsable diocésain chargé des vocations, autrement dit le prêtre désigné par l’évêque pour procéder à la sélection des futurs séminaristes.
Lors de cet entretien, « le prêtre recruteur » questionne Nourdin sur le bien-fondé de sa démarche sacerdotale et lui demande tout naturellement de raconter le cheminement de ce que l’on nomme : « l’appel de Dieu ». Certes, le récit développé par Nourdin remonte à l’aumônerie du lycée, le passage par Taizé, lieu emblématique de ce cheminement spirituel, sans oublier bien évidemment les multiples échanges avec le père Bernard Feitz, aumônier du lycée pendant toute cette période.
Vient ensuite la question du célibat. Il est vrai qu’à 18 ans, le célibat ne constitue pas une préoccupation majeure. D’ailleurs, Nourdin ne comprend pas trop l’insistance du « prêtre recruteur » sur ce sujet. Ce dernier n’hésitant point à évoquer la sexualité, voire la masturbation pouvant atténuer un désir ardent.
L’entretien se termine sur une note optimiste puisque le « prêtre recruteur » conclut en disant « vous avez six ans pour réfléchir à tout cela pendant vos études à l’institut catholique de Paris ».
Quelques jours avant le départ pour le grand séminaire d’Issy-les-Moulineaux, une invitation de l’évêque de Sens-Auxerre réunit les trois aspirants du diocèse de l’Yonne à la fonction sacerdotale. Si je respecte la règle canonique, je devrai dire, les trois personnes ayant répondu favorablement à l’appel de Dieu pour servir l’Église catholique romaine.
C’est un moment d’émotion, car Nourdin fait la connaissance des deux autres futurs séminaristes et surtout de leur profil, totalement différent du sien. L’un du même âge que Nourdin vient de réussir son baccalauréat au petit séminaire de la ville, l’autre âgé de 35 ans semble beaucoup plus déterminé dans son choix.
Enfin, c’est le grand départ pour le grand séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Tout de suite, je précise qu’Issy-les-Moulineaux, ce sera l’hébergement, notre lieu de vie et l’institut des Carmes, le grand séminaire de l’institut catholique de Paris.
Un cadre magnifique avec au centre un parc verdoyant, quadrillé par des allées superbement entretenues. Cet espace un peu en hauteur possède une vue imprenable sur Paris. On y aperçoit, au loin, la tour Eiffel et quelques autres bâtiments illustres de la capitale.
Cela rappelle une rentrée des classes ordinaire avec quelques spécificités, célébration eucharistique, accueil individuel de chaque séminariste par le père supérieur, présentation de l’équipe enseignante et ensuite un exposé prononcé par le père supérieur devant les nouveaux arrivants.
Lors de cet exposé, nous découvrons les règles de la vie quotidienne, essentiellement rythmée par les cours dispensés à l’institut catholique de Paris.
Un moment important pour chacun d’entre nous est le choix du « père spirituel », celui à qui nous pourrons confier nos soucis, nos préoccupations, nos joies… et dont la tâche principale sera de nous aider à vivre les exigences de la foi chrétienne en cohérence avec les us et coutumes quotidiens.
La relation avec le « père spirituel » participe de ce souhait fortement ancré depuis le concile Vatican 2 de créer une écoute comparable à celle du confessionnal dans un environnement plus adapté. En effet, chaque séminariste fait le point avec son « père spirituel » dans le bureau de travail du prêtre qui, par ailleurs, est également un professeur de l’institut catholique de Paris.
Nourdin assiste à ces cours avec passion, il a l’impression de « boire » au sens propre et figuré les enseignements dispensés par des sommités universitaires, notamment les cours de philosophie du père Marello resteront, à jamais, gravés dans sa mémoire. Une discipline nouvelle qui attire toute son attention est le cours de théologie morale et fondamentale.
L’initiation au grec, à l’hébreu biblique, représente également des temps forts de cet enseignement. Quelques décennies plus tard, Nourdin se souvient encore des quatre heures hebdomadaires du cours d’hébreu, consacrées uniquement à la traduction de 3 ou 4 versets de l’Ancien Testament.
Avec le recul, Nourdin peut affirmer que ces années passées à l’institut catholique de Paris constitueront le socle cognitif de sa connaissance, d’autres diront de sa culture générale. Les années universitaires, hors institut catholique, ne compenseront jamais l’efficience intellectuelle acquise lors de son passage au séminaire des Carmes.
Chaque week-end Nourdin revient dans sa ville natale pour bénéficier d’une initiation à la vie sacerdotale, notamment à travers la préparation de l’homélie dominicale. Le contact avec les paroissiens s’avère toujours très constructif dans la mesure où il retrouve lors des échanges, a priori, futiles toute la force de ce propos de Saint-Augustin : « croire pour comprendre et comprendre pour croire. »
« La foi du charbonnier » telle qu’on la nomme à l’institut catholique s’exprime fréquemment dans ses échanges avec les paroissiens, d’où l’importance de l’homélie dont la première vertu est pédagogique puisqu’elle vise non seulement à expliciter l’évangile du jour, mais aussi tous les attributs aussi évidents qu’éphémères des propos, comportements quotidiens de la vie chrétienne.
Ainsi sont rythmées les journées de Nourdin. Chaque séminariste doit parallèlement à sa formation choisir une activité permettant de porter la parole de l’évangile hors des murs de « la catho » comme l’appellent Nourdin et ses camarades.
Une matière intitulée : « Histoire comparée des religions » mérite une attention particulière, car elle façonnera la vie de Nourdin.
Nourdin, qui dans son enfance a reçu des bribes d’éducation musulmane par sa mère, est fasciné par le cours sur l’islam, il y découvre une transcendance beaucoup plus marquée que dans le catholicisme, d’autre part, lui, qui n’a jamais été un féru du confessionnal, apprend que dans l’islam sunnite, celui qui représente l’immense majorité du monde musulman, il n’y a pas de clergé. Le croyant, seul, instaure une relation avec Dieu. Ces éléments le séduisent, car il y perçoit une liberté plus importante que dans le catholicisme.
Par un pur hasard de circonstances, Nourdin se retrouve à participer à une œuvre caritative dénommée « Le Nid » et dont l’objectif consiste à insérer des prostituées. Dès que l’on propose cette mission pastorale à Nourdin, un vertige le saisit, car lui qui, jusqu’alors, ne connaissait les prostituées qu’à travers la télévision ou certains articles de presse, il va se retrouver plongé dans le monde de la nuit et pas n’importe lequel…
Ce fut une expérience très enrichissante, car contrairement à tous les stéréotypes, Nourdin et ses accompagnateurs apprennent à dépasser la carapace très forte de ces personnes pour découvrir une misère sociale et humaine difficilement imaginable pour le citoyen lambda.
Pendant deux années, Nourdin arpentera entre 23 h et 2 ou 3 h du matin des rues de Paris telles que la rue Saint-Denis, les rues du quartier de l’opéra, de la gare Saint-Lazare. Chacun d’entre nous possède un secteur très précis afin d’aller à la rencontre de ces personnes dont le gagne-pain résulte de la marchandisation de leur corps. Ce fut une expérience très riche, mais en même très épuisante, car cela nécessite de multiples échanges avec les personnes concernées. Un début de persuasion peut très vite être anéanti le lendemain par un environnement malsain : proxénétisme, rébellion des personnes que l’on veut aider…
Souvent, Nourdin et les autres prennent conscience de ces situations par exemple, lorsqu’une prostituée dit : « d’accord pour sortir de la rue, mais qu’est-ce que vous me proposez concrètement pour éviter la récidive ? » C’est là que doit intervenir toute la logistique du Nid : assistantes sociales, personnel soignant, psychologues, bailleurs sociaux, juristes… Autrement dit, toute personne susceptible d’assurer le suivi des personnes en difficulté.
Au terme de cinq années d’études sacerdotales, Nourdin, bénéficiant d’un sursis afin de reporter son service national, choisit de servir comme Volontaire du service national actif en devenant professeur de français au Maroc.
Nourdin se souviendra longtemps de ces VSNA appelés à la caserne de Rueil-Malmaison en banlieue parisienne pour y subir une visite médicale et surtout recevoir leur billet d’avion, véritable sésame de la coopération militaire française à travers le monde.
D’autres étaient appelés dans cette même caserne, non pas pour s’envoler vers des contrées lointaines, mais pour y rester pendant l’année de service militaire obligatoire.
Nommé au lycée Régnault à Tanger, Début septembre 1976, Nourdin prend le célèbre train Paris-Algesiras-Tanger à la gare d’Austerlitz à Paris. IL ne sait pas pourquoi on lui a remis un billet de train, car Tanger possédait déjà un aéroport.
Cependant, Nourdin ne regrette pas ce voyage de 36 heures en train qui comporte des couchettes, un service de cafeteria-bar et un semblant de restauration. La lenteur du train, ses arrêts inexpliqués de jour comme de nuit en rase campagne, produisent un voyage pittoresque où les voyageurs font connaissance entre eux, tout le monde échange. La plupart de ces passagers sont espagnols, mais aussi beaucoup de Marocains résidents en Europe qui viennent au Maroc pour y passer le mois du ramadan. Des discussions passionnées entre Espagnols qui viennent de quitter le Sahara occidental, d’autres qui manifestent de la sympathie tant qu’ils sont sur le territoire espagnol envers le mouvement Polisario, fondé en 1973, des Marocains fidèles à la thèse de la monarchie alaouite tentent tant bien que mal de justifier la marche verte lancée par feu sa majesté Hassan 2 en 1975.
Ainsi, nous arrivons un soir de septembre 1976 à Algésiras, comme il est tard, le dernier bateau Algésiras-Tanger est parti. Nourdin et quelques autres qui se dirigent vers le Maroc doivent chercher, très vite, à la tombée de la nuit, une chambre dans la partie d’Algésiras donnant sur le port.
Le lendemain matin, Nourdin prend le bateau dénommé quelquefois ferry pour Tanger. Deux heures et trente minutes plus tard, le bateau accoste sur le quai.
C’est la première fois que Nourdin arrive dans le continent africain, néanmoins, de prime abord, Tanger ressemble à une ville européenne, nous apercevons du pont du bateau une multitude de maisons blanches en hauteur, beaucoup de monde en djellaba, des femmes marocaines portant le vêtement traditionnel appelé haïk.
Vient le moment de la douane et de la police des frontières, Nourdin et des voyageurs devenus amis après ce long voyage depuis la gare d’Austerlitz échangent fréquemment entre eux et trouvent que les policiers marocains de cette époque ressemblent étrangement à leurs homologues français. Chacun se dit : « colonisation oblige ».
Par sa mère, Nourdin entendit souvent évoquer les us et coutumes, la mentalité de ce pays, très différent de l’Europe, dans un premier temps, tout le monde a l’impression de vivre avec des références françaises, pays dont nous sommes originaires.
Nourdin pourrait s’arrêter à Tanger puisqu’il va exercer comme enseignant au lycée Régnault, mais ses amis doivent se rendre à Casablanca. La rentrée étant fixée une semaine plus tard, il décide d’accompagner le groupe jusqu’à sa destination finale Casablanca.
Nous décidons de prendre le train pour Casablanca, mais le temps de descendre du bateau et de franchir les formalités douanières et policières, il est déjà 18 heures. Rejoindre Casablanca en train paraît très audacieux dans la mesure où c’est une très grande ville que nous ne connaissons pas.
Slimane qui voyage avec nous depuis Paris et qui connaît bien le Maroc nous conseille de prendre une chambre d’hôtel à Tanger. Nous suivons tous, ses conseils et nous nous mettons à chercher un hôtel que nous trouverons assez rapidement.
Dès notre arrivée à la réception de l’hôtel, nous comprenons que nous ne sommes plus en France, en effet, Slimane et le réceptionniste discutent longuement dans la langue locale, le « darija », c’est-à-dire le dialectal marocain. Nourdin découvrira plus tard ces particularismes linguistiques qui font qu’au Maghreb, on ne parle pas de la même manière qu’au Moyen-Orient et que même à l’intérieur du Maroc, entre le Nord et le Sud, on entend des variations langagières distinctes.
Pendant ce temps Slimane et le réceptionniste palabrent, finalement nous comprenons que le but de toute cette palabre est d’arriver à un prix raisonnable pour la chambre d’hôtel. Chacun d’entre nous se dit que, si pour une nuit d’hôtel, nous devons palabrer autant, qu’en sera-t-il pour acheter un produit quelconque au souk, le marché local.
Et là, nous prenons conscience que le fameux « combien » employé à tout va en Occident n’a aucun sens ici. Slimane nous explique que si nous posons la question du combien sans chercher à discuter le prix, nous paierons horriblement cher.
Nourdin se souvient encore, aujourd’hui, des décennies plus tard qu’en négociant le prix, nous créons les conditions d’amitié entre le vendeur et l’acheteur.
Nous dînons dans un restaurant traditionnel avec des brochettes de « kefta » des boules de viande de bœuf hachée. Avant de quitter la France et même à Rueil-Malmaison, beaucoup nous conseillèrent de ne point consommer de la salade, des fruits, boire de l’eau du robinet, etc. Nourdin et les autres oubliant ses recommandations dévorent, car ils ont faim tout ce qu’il voit et boivent l’eau de la carafe d’eau généreusement déposée sur la table par le serveur.
Le repas terminé et pour faciliter la digestion, nous faisons un tour dans la Casbah de Tanger avec Slimane qui la connaît bien et peut donc nous guider.
Nourdin n’a jamais autant été sollicité avec toujours en préambule le célèbre « hola amigo », proximité avec l’Espagne, de jeunes, voire d’enfants, prêts à vendre tout et rien pour gagner quelques dirhams à la fin de la journée.
La manière dont le « hola amigo » est prononcé instaure une telle relation de proximité avec l’énonciateur du propos que l’étranger lambda a le sentiment que cette personne a déjà été aperçue quelque part et par conséquent, nous sommes forcément amis. Nourdin et d’autres se sont fait piéger plusieurs fois en une soirée. De plus, dès que nous répondons à une telle sollicitation, il devient très difficile de prendre ses distances avec la personne.
Le lendemain matin, Nourdin et d’autres prennent le train pour Casablanca. Tous comparent avec étonnement la similitude entre l’office national des chemins de fer (ONCF) et la société nationale des chemins de fer (SNCF). Là, encore, nous nous disons : « colonisation oblige ». Le voyage dure entre cinq et six heures. Dans les années 70/80 au Maroc, il y avait trois classes de voyageurs, la première classe pour les plus fortunés et la troisième classe pour les plus démunis.
Nous avons pris la deuxième classe avec des tarifs intermédiaires très intéressants, il est vrai qu’au moment de l’achat du billet de train, nous avions encore dans nos esprits les prix français, sinon, nous aurions vraisemblablement pris des billets de première classe.
Nourdin semble très agité, voire impatient, car un ami Marocain résidant en France lui a donné l’adresse de sa sœur et de la famille de sa sœur qui habitent dans un quartier populaire de Casablanca.
La mère de Nourdin, très étonnée par cette adresse, en fait part à Nourdin en lui expliquant qu’un étranger ne peut aller rendre visite à une fille marocaine et de surcroît à sa famille. L’ami qui donna cette adresse, installé en France depuis son enfance, avait très certainement oublié un code moral fortement ancré dans la société marocaine.
Dès que le train entre en gare de Casablanca, Nourdin et ses compagnons de voyage se séparent, chacun doit se rendre vers son lieu de destination finale.
Dès la descente du train, Nourdin prend un taxi et montre au chauffeur, l’adresse donnée par son ami en France. Le chauffeur de taxi échange quelques paroles avec Nourdin et lorsque ce dernier lui explique qu’il va à la rencontre d’une fille marocaine, une moue se dessine sur le visage du chauffeur de taxi.
Nourdin se souvient des propos de sa mère et se demande si cette visite est vraiment opportune. Dans le même temps, il se dit, maintenant, il est trop tard pour faire marche arrière.
Soudainement, le chauffeur de taxi indique à Nourdin que nous sommes arrivés. Nourdin descend avec ses bagages et demande à la première personne l’endroit correspondant à l’adresse « gribouillée » sur un papier. Cette personne en interpelle une autre et ainsi de suite.
Tout à coup, Nourdin voit une ribambelle d’enfants autour de lui, certains rient, d’autres semblent interloqués par cet étranger sorti de nulle part et qui semble totalement égaré dans le quartier. Au bout d’une heure de va-et-vient, Nourdin comprend qu’il ne verra jamais ni la fille ni la famille de cette fille. C’est le premier choc interculturel pour Nourdin qui est au Maroc depuis trois jours.
Soudain, Nourdin sort de sa poche une adresse donnée par un autre ami marocain en France, toujours une femme, plus âgée et ayant un statut social bien marqué puisqu’elle exerce l’activité de professeur d’éducation physique dans un collège de Casablanca.
Très rapidement, un nouveau taxi conduit Nourdin jusqu’à cette adresse. Et immédiatement, « un chibani » (personne âgée) sort de sa maison et vient à la rencontre de Nourdin.
Cette fois-ci, la difficulté sera linguistique, mais ce chibani lui fait un signe d’invitation pour le suivre, à peine arrivé devant sa porte, il appelle Jamila, la femme professeur d’éducation physique qui, elle, s’exprime parfaitement en français. Après les présentations d’usage, cette femme, au nom de la famille, lui explique qu’il est le bienvenu, et que conformément à la tradition, il pourra séjourner trois jours dans cette maison.
Nourdin ressent un grand soulagement, car en cas de réponse négative, il devait prendre le train du retour vers Tanger.
Tout naturellement, la famille invite Nourdin à partager un repas traditionnel marocain, bien évidemment, un grand nombre de questions lui sont posées sur les raisons de son séjour marocain. Nourdin montre à la famille deux photos du frère émigré en France. L’une d’entre elles montre le frère, une clé à la main, adossé à une belle voiture. La famille me demande si c’est la sienne. Bien que connaissant la réponse, Nourdin, par pudeur, répond par le silence.
Jamila, la femme professeur d’éducation physique explique à Nourdin comment et où il dormira, une pièce toute simple avec des matelas appelés en arabe dialectal « Mtarba » disposés le long des murs et permettant à une famille entière de dormir dans une chambre.
À mon grand étonnement, nous serons trois à dormir dans la même pièce : Jamila, son frère Jamal et Nourdin.
Lors de son réveil, Nourdin découvre sur la table à roulettes, placée devant son matelas, « le mesmen », les crêpes feuilletées marocaines que l’on peut fourrer au miel, à la confiture et qui constituent un délicieux petit déjeuner accompagné d’un bon thé avec de la menthe fraîche.
Après le petit-déjeuner, Jamila, Jamal et Nourdin vont faire un tour au souk le plus proche du domicile et sensibilisent Nourdin à la loi du marchandage selon une loi non écrite, très pragmatique et qui consiste à diviser par trois le montant d’un produit indiqué à un étranger et ensuite ajuster selon la réaction du vendeur. Si ce dernier paraît vraiment offusqué et refuse la transaction, l’acheteur fera un léger effort d’ajustement afin de parvenir à un accord.
Tout cela semble à Nourdin très complexe. En effet, bien que possédant un prénom musulman, Nourdin est né et a grandi en France, le marchandage lui paraît très difficile et il se voit mal palabrer pendant des heures pour acheter le moindre bibelot ou souvenir.
Le problème, Nourdin le comprend très vite, est qu’aucun prix n’est affiché dans les boutiques, magasins, épiceries, etc., donc le marchandage s’impose s’il ne veut pas se faire piéger lors de chaque achat, du moins cher au plus onéreux.
Le soir, Nourdin, très égoïstement, décide d’aller seul au cinéma et très vite, il commence à avoir des douleurs de ventre horribles au point, où il est obligé de quitter la salle de cinéma et arrive catastrophé dans la famille qui l’héberge et fait une halte forcée dans les toilettes.
Nourdin se souviendra longtemps de ce passage par les toilettes, comme tout « bon français, européen ou plus largement occidental » il cherche le papier hygiénique et ne le voit nulle part. En revanche, il voit un robinet d’eau, un seau, du savon et une serviette. Contraint et forcé, Nourdin se lave comme s’il devait prendre une douche. J’avoue que le lavage ne fut pas évident, car Nourdin se demandait dans quel ordre utiliser le savon, le seau, l’eau, le robinet et la serviette.
Finalement, plus ou moins maladroitement, Nourdin réussit à se laver et s’essuyer. À peine sorti des toilettes, il doit y revenir, Jamila, lui expliquera qu’il a dû attraper « la turista », cette diarrhée puissante faisant souffrir toute personne non habituée à la consommation de crudités, fruits et eau du robinet dans un pays lointain.
Cette turista oblige Nourdin à garder le lit et surtout, rester, à proximité des toilettes pendant une semaine. Une cure d’intétrix, un antidiarrhéique puissant, aide Nourdin à régénérer sa flore intestinale.
Nourdin évoque avec la famille et notamment avec Jamila, l’absence de papier hygiénique dans les toilettes et elle lui fait cette réponse remarquable dont il se souvient encore aujourd’hui : « Qu’est-ce qui lave le mieux l’eau, le savon ou le papier » en ajoutant « lorsque tu te laves les mains, tu utilises du papier ou de l’eau et du savon ». S’ensuit tout un échange sur ces toilettes, notamment françaises ou espagnoles dans lesquelles, personne n’ose plus entrer, tellement elles sont sales.
Enfin, Jamila et Jamal expliquent à Nourdin que lors des ablutions précédant la prière musulmane, il faut se laver les parties génitales pour se présenter en état de propreté et de pureté devant le Dieu tout puissant.
Depuis sa sortie de l’institut catholique de Paris, Nourdin, n’avait plus entendu parler de Dieu et il culpabilisait de ne plus faire ses prières apprises au grand séminaire des Carmes. Cette idée de pureté rendue par l’eau avant la prière le séduit et préfigure certainement son choix spirituel ultérieur.
Nourdin reprend le même train qu’à l’aller pour revenir à Tanger, le lieu de son affectation. Il reste encore quelques jours avant la rentrée des classes. Pour ce faire, il doit se préoccuper de son hébergement, il a dans ses papiers quelques adresses locales obtenues en France et emportées à la va-vite dans l’une de ses poches.
À peine arrivé, Nourdin commence sa prospection d’appartements, lors de l’une de ses visites, il croise un jeune marocain avec qui il sympathise, ce dernier qui se nomme Mustapha, originaire de Meknès, cherche également un logement à Tanger. Tous les deux se mettent d’accord pour louer un appartement ensemble, à l’époque, on ne parlait pas encore de colocation.
Finalement, ils trouvent un appartement, proche de Béni Makada, rue Salah-Eddine – Al Ayoubi, à quelques centaines de mètres du boulevard Pasteur. Un heureux concours de circonstances fait que Mustapha est nommé professeur d’arabe au lycée Régnault, ce qui facilitera l’hébergement commun.
Nourdin se dit qu’il doit profiter de ses derniers jours de congés pour parcourir Tanger, cette ville qui abrita en son sein des peintres illustres tels que Henri Matisse, Eugène Delacroix, des hommes de lettres : Jean Genet ou Roland Barthes et beaucoup d’autres. De tout temps, Tanger possédera une magie quasi féérique attirant des célébrités du monde entier.
Cette ville commence à fasciner Nourdin tant les contrastes y sont saisissants. Il commence par le consulat de France en haut du boulevard Pasteur, passe devant le café de France et le grand café de Paris, les locaux accolent l’épithète « européen » à ce quartier en raison de son architecture coloniale, héritée de la colonisation française, espagnole, italienne…
Ensuite, Nourdin se rend à la Casbah, le quartier « arabe » et traverse ses deux souks où l’on trouve tous les produits artisanaux, mais aussi, des denrées alimentaires. Il va de soi que c’est l’endroit idéal pour marchander, boire un thé à la menthe, déguster des pâtisseries traditionnelles, on peut aussi y prendre le frais, assis tout en discutant avec des vendeurs. L’architecture de la Casbah n’a rien de commun avec celle du quartier dit « européen ».
Pendant plusieurs jours Nourdin s’amusera à se faire des frayeurs dans ces deux souks tant ils sont labyrinthiques.
C’est le jour tant attendu, celui de la rentrée au lycée français de Tanger. Lorsqu’il était en France, Nourdin entendait de temps à autre parler des lycées français de l’étranger sans trop savoir ce dont il s’agissait réellement.
J’arrive dans ce que l’on me présente comme la salle des professeurs, je précise que Nourdin n’a jamais enseigné. Jusqu’à présent, son expérience scolaire se résume à sa vie de lycéen et d’étudiant, aussi, l’idée de se retrouver de l’autre côté du bureau comme il le répétera souvent change radicalement sa perception de l’école.
La secrétaire du proviseur nous invite à nous réunir dans la salle d’honneur du lycée où le proviseur souhaite la bienvenue à tout le monde, non sans avoir présenté nominativement tous les nouveaux personnels, enseignants, administratifs, agents, ouvriers d’entretien, surveillants…
Nourdin demeure intimidé au milieu de tout ce monde. Vient le moment où le proviseur montre sur un écran fixé au-dessus du tableau un petit documentaire sur l’enseignement français à l’étranger qui participe au rayonnement culturel de la France dans le monde. Dans ce documentaire, Louis de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères, insiste tout particulièrement sur les devoirs des personnels des lycées français de l’étranger considérés comme des ambassadeurs culturels de La France.
Après cette entrée en matière très protocolaire, le proviseur et le Consul de France, invitent tous les membres de la communauté éducative à une collation composée de croissants, café, jus de fruits afin de faire connaissance avec les différents personnels, surtout ceux et celles avec lesquels, nous vivrons une relation professionnelle de proximité, en ce qui me concerne, les anciens et nouveaux professeurs français de l’établissement.
En 1976, les personnels administratifs, essentiellement des personnes arrivées de France, il y a un ou deux locaux. Les enseignants marocains enseignent exclusivement la langue arabe.
Tout le monde attend avec impatience la remise individuelle de l’emploi du temps, dans quelques minutes, chacun découvrira le nombre d’heures de cours hebdomadaires et les demi-journées de libre.
Étant volontaire du service national actif, je n’ai aucun statut enseignant, nonobstant, affecté sur un poste de certifié, j’ai 18 h de cours hebdomadaires. Je dois préciser que ces 18 h de cours nécessitent dans mon cas, a minima, autant de temps chez moi pour préparer le contenu de ces cours. J’avoue naïvement ne pas y avoir songé auparavant.
Je commence à mesurer l’ampleur de la tâche lors des premiers échanges pédagogiques avec les collègues. Comme Nourdin n’a jamais reçu une formation spécifique à la fonction d’enseignant, le service culturel de l’ambassade de France au Maroc décide d’accompagner tout au long de l’année scolaire 1976/1977 les VSNA fraîchement arrivés et nommés dans le corps des enseignants.
Mon emploi du temps me satisfait dans la mesure où j’ai cours jusqu’au vendredi midi, ce qui signifie que je disposerai d’un week-end de deux jours et demi, le mercredi après-midi, je ne travaille pas non plus.
L’après-midi de ce jour de rentrée est consacrée aux réunions par groupes disciplinaires. Je me retrouve autour d’un bureau avec ceux et celles qui sont mes collègues de français.
Leurs premiers échanges me déstabilisent, car je ne comprends rien à leur vocabulaire littéraire et pédagogique. J’entends parler de séquences, de séances, d’heures d’orthographe-grammaire, de lecture expliquée, d’extraits de textes à lire et à étudier.
Pour la première fois, j’entends parler de progression pédagogique et on m’explique que je dois construire la mienne. Moi, qui, il y a encore quelques mois, étais assis sur les bancs de l’institut catholique de Paris, à des années-lumière de cette rhétorique, je vis un véritable bouleversement intellectuel.
Heureusement qu’une conseillère pédagogique viendra à mon secours, sans quoi, mon travail aurait été une mission impossible.
Les premières journées de classe ne sont pas de tout repos. Me retrouver devant une classe de vingt-cinq élèves me donne encore la chair de poule quelques semaines après la rentrée. Néanmoins, plus rien de comparable avec le tout premier cours où j’étais « tétanisé » par une réaction d’élève, aussi futile fût-elle.
Je dois apprendre à gérer la discipline ou l’indiscipline des élèves, des images de mon passé d’élève me viennent à l’esprit et avec le recul, je comprends mieux les remarques adressées à mon encontre par mes enseignants d’alors. Moi qui pensais, certes, très naïvement qu’un enseignant travaillait à peine, j’appréhende mieux les enjeux de cette profession où prendre du temps pour soi devient une ascèse.
Pendant tout le premier trimestre, je consacre mes week-ends à la préparation de cours, la correction de copies.
Dès le début du second trimestre, je décide de m’affranchir de quelques contraintes professionnelles et profiter du week-end qui, dans mon cas, commence le vendredi midi, à la découverte de Tanger et de la côte Atlantique de Tanger à Rabat.
Nourdin se rend souvent à Sidi Slimane chez des amis marocains ayant de la famille en France. Bien que né d’une mère marocaine, Nourdin n’a jamais rencontré une telle hospitalité, chez les Ben Sassi, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit, Nourdin peut arriver, se restaurer, dormir, et ce, sans le moindre protocole. Il y aura toujours un membre de la famille pour l’accueillir.
Cette hospitalité sans aucune contrepartie et j’insiste beaucoup sur ce point qui mérite d’être souligné, car je ne l’ai jamais ressentie dans tous les pays visités, une bonne douzaine…
Nourdin de temps à autre se dit à lui-même, mais en France, ce n’est pas comme ça, plus tard, il verra qu’il en va de même dans beaucoup d’autres pays.
Lorsqu’il se rend au souk, les senteurs des épices, le parfum des olives vertes et noires déposées sur les étals, les arômes de toutes sortes de tous ces produits qui ornent le « gran Socco » comme disent les locaux, de l’expression espagnole signifiant : « grand marché ». Nourdin peut y flâner des heures sans se lasser. D’ailleurs, souvent après les cours, il ne peut s’empêcher de faire un détour par le « gran Socco. »
Dès son arrivée au Maroc, Nourdin, qui n’a jamais visité un pays musulman auparavant, entend une voix très matinale venant rompre le silence de la nuit. Cette voix l’intrigue, il ne sait pas trop comment la définir, elle ressemble à des versets de psaumes que Nourdin¨ psalmodiait à l’institut catholique de Paris.
Jour après jour, cette même voix résonne dans le silence infini de l’aube, Nourdin ne sait toujours pas de quoi il s’agit, dans le même temps, il se dit que cela pourrait ressembler à un rituel.
Un jour, il pose la question à Mustapha, ce dernier réagit en disant à Nourdin : « lorsque l’on s’appelle Nourdin, méconnaître cet appel matinal peut paraître provocateur ».
Nourdin a beau insister sur le fait que son interrogation demeure sincère, Mustapha ne le croit pas et c’est finalement une collègue du lycée français qui lui explique que c’est l’appel à la prière de l’aube qui retentit au sein d’une humanité endormie afin d’inviter les croyants à venir accomplir la première prière de la journée.
Ayant désormais compris la nature de cet appel, il se dépêche de téléphoner à sa mère en France pour lui raconter la beauté de cet appel et lui demande la traduction de ses paroles.
Ainsi, Nourdin apprend qu’il s’agit de réciter l’unicité divine tout en réitérant sa croyance dans le prophète Mohammed, dernier prophète de la tradition monothéiste. Dès lors, il attend chaque matin avec impatience pour se laisser envahir par le frémissement de cet appel. Certes, pendant la journée, on peut l’écouter à quatre autres reprises, mais au cœur du brouhaha quotidien l’effet ressenti n’est pas le même.
Nous sommes au mois de septembre, en cette période de l’année, il fait encore chaud à Tanger, les portes des mosquées sont ouvertes et à chaque fois que Nourdin passe devant, il entend des psalmodies et dans le même temps, une fraîcheur teintée d’une profondeur spirituelle le saisit au point de vouloir entrer dans une mosquée.
C’est ce que j’essaierai de tenter un jour en passant devant la mosquée de « SoccoGrande. » Je savais qu’il fallait enlever ses chaussures avant d’y entrer, mais méconnaissant complètement la procédure, un des responsables de la mosquée est venu et m’a demandé si j’étais musulman, j’ai répondu par la négative, alors cet homme me fait comprendre poliment que je ne peux entrer. Un peu étonné par cette interdiction, j’acquiesce et je cherche à savoir dans quelle mosquée, je pourrai entrer. Dans les années 70, la grande mosquée Hassan 2 de Casablanca n’étant pas encore construite, aucune mosquée du royaume ne peut être visitée par un non musulman.
Je comprends assez rapidement que l’appel du muezzin rythme la vie du croyant musulman, j’évoque fréquemment ce sujet avec des musulmans de diverses conditions socioprofessionnelles, de diverses régions et tous me confirment cette imprégnation du religieux dans la vie quotidienne, Nourdin, à qui la maman, elle-même Marocaine a souvent rappelé l’importance de Dieu, ne reste pas insensible à cette intrusion du spirituel dans son for intérieur.
Néanmoins, je vis une tension interne dans la mesure où cette période de volontaire du service national actif est conçue comme une période probatoire après cinq années d’études sacerdotales, l’objectif explicitement assigné par le père supérieur du séminaire des Carmes, par l’évêque du diocèse que je représente, par tous mes professeurs de l’institut catholique de Paris, se conjugue au quotidien comme une mission d’église, il s’agit d’éprouver sa foi chrétienne au contact d’un environnement socioculturel, humain, géographique, religieux distinct de celui dans lequel nous baignions naturellement lors de notre parcours de formation sacerdotale.
Souvent, le cardinal Marty, évêque du diocèse de Paris, nous répétait pendant nos rencontres avec la hiérarchie catholique que ces deux années dans un monde aux multiples épithètes : païen, laïc, areligieux, majoritairement non chrétien, constituerait une épreuve individuelle au sein de laquelle, nous devenions des témoins de l’Évangile, à l’image de cette parole édictée par le prophète jésus lui-même : « allez faîtes de toutes les nations des disciples… »