Géant du maire - Lucie Denner - E-Book

Géant du maire E-Book

Lucie Denner

0,0

Beschreibung

Quand les cinq mille habitants d’une petite commune rurale se voient offrir une croisière gratuite en Méditerranée à bord d’un paquebot géant, le maire et son équipe sont confrontés à de nombreuses interrogations. Est-ce que ce projet est approprié à une époque où les croisières de masse sont critiquées pour leurs impacts environnementaux et décriées par les véritables passionnés de voyage ? Malgré les controverses, l’aventure insolite se déroulera, emportant à la fois ses détracteurs et ses partisans dans une cascade de découvertes géographiques et humaines. Cependant, quels mystères se cachent derrière ce don collectif étrange ? Et dans quel état d’esprit les croisiéristes rentreront-ils chez eux après dix jours d’absence, d’autant plus qu’une surprise de taille les attend au retour ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Après un parcours professionnel quelque peu atypique, Lucie Denner a embrassé la carrière d’enseignante dans un grand lycée public de province, où elle a partagé ses connaissances en économie et en droit. Son amour pour la lecture, qu’il s’agisse de romans ou de magazines d’information, ainsi que sa passion pour le rock ont été ses compagnons fidèles à travers les vicissitudes de la vie, l’aidant à réfléchir aux défis sociaux, culturels et environnementaux auxquels notre société est confrontée aujourd’hui plus que jamais.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 152

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Lucie Denner

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Géant du maire

L’aventure inédite

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Lucie Denner

ISBN : 979-10-422-2906-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux.

 

Jean Mistler

 

L’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes, parce que, quoi qu’il en soit pourvu, l’homme a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge.

 

Coluche

Géant du maire - L’aventure inéditedoc

 

 

 

 

 

« Vous croyez sincèrement que c’est une bonne nouvelle Monsieur le Maire ?

— Ma chère Adèle, j’y ai réfléchi toute la nuit. C’est une opportunité à ne surtout pas manquer, tout à fait inespérée pour une petite commune comme Sainte-Félicie. Pensez à ce que celle-ci pourrait faire avec une somme pareille, une véritable manne financière, de l’argent tombé du ciel !

— Certes, mais les conditions sont quand même un peu…

— Particulières, vous voulez dire ?

— Extrêmement contraignantes, je dirais plutôt…

— Que vous êtes timorée, ma chère Adèle, et beaucoup trop raisonnable. Haut les cœurs ! Rêvons un peu que diable. Notre commune va pouvoir investir dans de nombreux domaines : nous pourrons rénover les écoles, construire un centre nautique, transformer la bibliothèque en médiathèque, financer l’écoquartier dont mon équipe rêve. Nous n’aurons nul besoin d’augmenter la taxe foncière comme un grand nombre d’autres communes. Les médias parleront enfin de nous, nous serons un exemple pour toutes les petites villes françaises. Les gens viendront s’installer à Sainte-Félicie pour la qualité de ses équipements et de ses infrastructures, en plus de son climat océanique. N’oubliez pas d’ailleurs, ma chère Adèle, que nous sommes situés en bord de mer.

— Oui mais nous n’avons pas de plages, seulement des falaises et un sentier côtier. Quant à l’activité touristique, reconnaissez qu’elle est presque marginale.

— Que vous êtes rabat-joie ! Toujours à voir des difficultés là où il n’y en a pas. Essayez seulement d’imaginer la Sainte-Félicie de demain. Des visiteurs de la France entière viendront chez nous, peut-être même de l’Europe entière.

— Et pourquoi pas du monde entier tant que vous y êtes ? Sainte-Félicie ne compte que cinq mille habitants après tout, la “grande ville” la plus proche est à six kilomètres et totalise un peu moins de soixante-quinze mille âmes. Pour ma part, je n’aimerais pas tellement que notre commune grossissedans de telles proportions. Nous sommes en zone rurale, que vous le vouliez ou non ! Il fait bon vivre ici, les gens sont calmes, le taux de délinquance est à un niveau largement inférieur à celui de la moyenne nationale, notre tissu associatif est dense, il y a déjà pas mal de commerces et nous ne manquons ni de médecins ni de dentistes. À quoi bon s’agrandir encore ? Pensez plutôt à l’artificialisation des sols et à ses conséquences.

— Je reconnais bien là votre fibre écologiste, ma chère Adèle, notez que je me sens un peu écolo moi aussi puisque la réalisation dont je suis le plus fier est notre recyclerie communale qui suscite l’admiration (et la jalousie) de bien des communes voisines. Par ailleurs, nos cantines scolaires ne servent que des repas bio depuis quelques mois, ce qui nous a valu, je vous le rappelle, plusieurs articles de presse ainsi qu’un reportage de France 3.

— En parlant d’écologie justement, comment pensez-vous que les conseillers écologistes de votre équipe vont réagir quand vous leur présenterez cette histoire à dormir debout ? Ils vont s’étrangler et ils auront bien raison. Vos rêves de grandeur ne tiendront pas quand ils prendront connaissance d’une certaine clause du testament de Madame de Mirefleur ».

 

Le maire s’abstint de répondre ; même s’il éprouvait une tendresse quasi paternelle à l’égard de sa jeune secrétaire de mairie et qu’il appréciait son sens aigu des réalités, il n’avait pas dormi de la nuit, oscillant entre excitation et perplexité à propos de cette maudite clause qui lui posait un réel cas de conscience. Quelle mouche avait pu piquer feu Madame de Mirefleur, « la châtelaine » de la petite ville, quand elle avait rédigé son testament ? Cette vieille dame énigmatique, qui n’avait visiblement aucun héritier direct ou indirect, avait choisi de léguer l’intégralité de sa fortune (près de trois cents millions d’euros) à la commune « à la condition expresse que la population de Sainte-Félicie, excepté les malades et les invalides qui seraient gratuitement relogés pendant ce temps dans les communes voisines, participe à une croisière de dix jours en Méditerranée sur un paquebot pouvant accueillir quelque six mille personnes ».

S’il n’avait personnellement jamais voyagé de cette manière, s’il n’y avait même jamais songé, il estimait pourtant que le jeu en valait la chandelle. Comment convaincre l’équipe municipale (et en particulier ces empêcheurs-de-tourner-en-rond d’écologistes), et ses administrés d’adhérer à un tel projet ? Il respira profondément et se promit d’en parler le plus tôt possible à son adjointe en charge de la culture (qui n’appartenait pas, Dieu merci, au groupe des élus écologistes).

Une interrogation le taraudait : il n’y avait pas eu, à sa connaissance, de « Justes » dans la commune. Par ailleurs, Madame de Mirefleur ne lui avait jamais adressé la parole ; elle n’avait pas non plus contacté la mairie par quelque moyen que ce soit, téléphone, courrier ou mail. Il pensait ne pas se tromper en estimant que la châtelaine ne disposait pas d’ordinateur. Dans la mesure où il avait pris l’habitude de tenir un bureau de vote le jour des élections, il ne se rappelait pas avoir vu cette dernière se rendre aux urnes. Tout cela lui paraissait bien mystérieux mais il avait fini par conclure que la généreuse donatrice s’était prise de passion pour Sainte-Félicie qui, comme il en était persuadé, possédait des atouts de taille en matière de situation géographique et de population. La châtelaine avait sans doute voulu manifester son désir de gâter les habitants en leur offrant dix jours de vacances inoubliables. Sa secrétaire de mairie exagérait quand elle prétendait que l’activité touristique était négligeable dans la commune. Les promeneurs de toute la région appréciaient particulièrement de pouvoir marcher ou faire du vélo en empruntant le chemin côtier, surtout le week-end, et il avait fallu faire la chasse aux camping-cars qui stationnaient parfois en permanence et en toute impunité sur les différents parkings du bord de mer. Il se surprit à rêver d’un grand complexe immobilier résidentiel où les occupants de petites « maisons de pêcheur » (pas question d’envisager un ensemble de villas luxueuses) pourraient avoir une vue imprenable sur l’Océan. C’était tentant même si cela risquait d’être très mal perçu.

Adèle avait en partie raison quand elle exprimait sa crainte d’être confrontée un jour à une augmentation brutale de la population. Sur ce coup, il se mettrait certainement à dos tous les écologistes de la commune (le candidat EELV avait remporté à Sainte-Félicie presque 10 % des suffrages au premier tour des dernières élections présidentielles). Comme beaucoup de maires nouvellement élus, il avait pris ses fonctions avec enthousiasme en 2020, la tête pleine de projets innovants pour sa ville. Certes, il avait un peu déchanté au bout de quelques mois, réalisant que la gestion d’une commune relevait avant tout d’un pragmatisme un peu basique laissant peu de place au rêve, mais il était bien entouré (ses conseillers restaient toujours courtois, même lors de conseils municipaux traitant de sujets particulièrement sensibles). La population elle-même posait peu de problèmes : une bonne moitié étant constituée de retraités (plutôt jeunes) et l’autre d’actifs comprenant essentiellement des techniciens, des cadres et des représentants de professions libérales. Sauf à y regarder à la loupe, il était difficile de déterminer d’emblée si les quelques pavillons proprets bordés de jardinets relevaient du parc du logement social. Monsieur le maire pouvait se vanter de l’absence totale d’immeubles à plusieurs étages sur sa commune, c’était déjà rare à l’époque actuelle, se disait-il. Cependant, il préférait garder pour lui ce genre de considération.

 

Pour l’heure, il devait contacter en urgence son adjointe à la Culture, une certaine Madame Vartan (prénommée Nathalie) pour mettre en place au plus vite avec elle un plan de communication à destination des habitants. Rien que d’y penser, il en avait des sueurs froides car son adjointe avait des convictions très affirmées. En outre, il n’ignorait pas qu’elle passait généralement ses vacances à sillonner les routes de France en camping-car avec son mari. Il décrocha son téléphone fixe (il réservait l’usage de son portable aux communications brèves) pour joindre Nathalie qui devait être chez elle à cette heure tardive. La sonnerie retentit quelques secondes et l’adjointe décrocha rapidement.

« Bonsoir Nathalie, vous êtes déjà rentrée du travail ? (il comprit qu’il avait fait un impair dans la mesure où son interlocutrice occupait un poste d’encadrement réputé chronophage au Centre hospitalier de la ville voisine.) Je ne voudrais pas vous déranger mais je tiens à vous faire part avant tout le monde d’une nouvelle qui pourrait entraîner des conséquences notables sur notre commune, ce dernier terme étant bien sûr un pur euphémisme !

— Bonsoir Monsieur le Maire, vous piquez ma curiosité. J’espère qu’il ne s’agit pas d’évènements regrettables du type quadruple assassinat en centre-ville ou cyberattaque contre le système informatique de la mairie ?

— Vous n’y êtes pas du tout, c’est plutôt une belle histoire dont la concrétisation va modifier en profondeur les conditions de vie à Sainte-Félicie tout en faisant de la commune une véritable vitrine du bien-être semi-rural. Nous serons un exemple pour toutes les petites villes françaises et on parlera enfin de nous.

— Mais enfin, que me racontez-vous là ? Arrêtez vos atermoiements et dites-moi tout ! »

Le maire se félicita d’avoir pensé à prendre quelques notes afin d’ordonner ses idées pour ne rien oublier et présenter les choses sous un angle attrayant. Il dévoila d’abord l’importance du legs, ses projets pour la commune et, en quelques mots, révéla la condition sine qua non figurant sur le testament. Il attendit un long moment avant que son interlocutrice émette un son. Elle devait certainement le prendre pour un fou, ce qui aurait été sans doute une réaction tout à fait naturelle de la part d’une personne habituée à décider en toute conscience après avoir pesé préalablement le pour et le contre d’un projet.

« Vous m’avez bien entendu Nathalie ? Qu’en pensez-vous ?

— J’en pense que c’est tout à fait délirant de prime abord mais qu’il serait hautement déraisonnable de renoncer à cet argent. Je vous rejoins sur la nécessité de dynamiser notre ville bien que je ne voie pas trop l’intérêt touristique que des constructions en bord de mer pourraient présenter. Je vous rappelle que les champs autour du sentier côtier sont classés “Natura 2000”, donc difficilement constructibles. Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que l’érosion des falaises engendrée par le réchauffement climatique pose un réel problème à certaines communes de la façade atlantique. J’ai encore vu un reportage inquiétant à ce sujet hier soir au journal télévisé et je n’aimerais pas être élue dans les communes concernées.

— Soit, je reconnais que ce n’est peut-être pas une idée lumineuse. J’en suis d’ailleurs arrivé à la même conclusion que vous après réflexion. Mais les autres perspectives me semblent largement envisageables, non ?

— Bien sûr, mais il faudra tout de même accepter que la commune grandisse, dans des proportions raisonnables évidemment.

— Heu, vous ne m’avez pas dit ce que vous pensez de cette clause étrange ? Comment la faire passer auprès de l’équipe municipale et de la population ? Quels moyens employer ?

— Ne vous inquiétez pas, Monsieur le Maire, cela relève de mes fonctions et vous savez que j’ai plus d’un tour dans mon sac (il n’avait aucune envie de la démentir). Je vous assure qu’il n’y aura que très peu de contestations, c’est simplement une question de pédagogie. Laissez-moi un peu de temps pour préparer le terrain. Je réfléchis sérieusement à une stratégie et je vous contacte dès que j’aurai réuni quelques personnes de ma connaissance. Je pense notamment à un cabinet de conseil qui pourrait certainement nous aider.

— Ma chère Nathalie, je vous fais entièrement confiance mais j’insiste pour faire appel à une société française, locale de préférence. Je ne veux aucune controverse en la matière. Il s’agit d’argent public ».

Après avoir souhaité une bonne nuit à son adjointe, il raccrocha. Il se sentait tout à fait bien à présent au point qu’il était sûr de pouvoir cette fois dormir comme un bébé. Une page de l’histoire de Sainte-Félicie était en train de s’écrire et il serait le premier artisan de ce bouleversement.

 

***

 

 

 

 

 

Les jours suivants furent fertiles en rebondissements. Une extrême agitation s’empara des élus et un conseil municipal extraordinaire fut convoqué rapidement. D’ordinaire, le maire s’ennuyait souvent au cours de ces réunions, estimant que trop de sujets « au ras des pâquerettes » y étaient traités. Les problèmes de la gestion communale courante ne l’intéressaient guère, se sentant plus à l’aise avec les grands projets, les innovations de toutes sortes. En outre, les discussions prévisibles et interminables avec les conseillers de l’opposition sur le ramassage des ordures ou la réfection des trottoirs lui sortaient par les yeux. « Un vrai sacerdoce », se disait-il régulièrement en quittant la salle du conseil, très tard dans la soirée. Il saluait néanmoins cordialement ses interlocuteurs, vérifiait que les lumières étaient éteintes dans toutes les pièces avant de monter dans sa voiture et de démarrer sur les chapeaux de roue.

À la fin du mois, une rumeur commença à circuler dans la ville. Info ou intox ? Certains prétendaient savoir « de source sûre » que la commune allait toucher une grosse somme d’argent en qualité de bénéficiaire d’un legs anonyme de plusieurs millions d’euros au bas mot. D’autres n’y croyaient absolument pas, persuadés que ce genre d’évènement n’arrivait que dans les films ou dans les romans. De toute façon, qui pouvait être à l’origine de tout cela ? Certaines familles très aisées résidaient à Sainte-Félicie mais personne n’était en mesure d’y identifier le moindre multimillionnaire. On n’était pas sur la Côte d’Azur ! Certes, il y avait bien une espèce de manoir situé à l’extérieur de la ville, non loin de l’Océan, dont l’ancienne occupante principale était une dame âgée avec un patronyme à particule. On ne la croisait que très rarement en ville, quelquefois au supermarché en été, quand elle faisait ses courses en compagnie d’un homme beaucoup plus jeune qui roulait en SUV. Excepté ces brèves apparitions, la propriétaire du manoir, surnommée « la châtelaine », brillait surtout par sa discrétion. Son décès, survenu à la fin de l’été dernier, n’avait pas suscité d’émotion particulière parmi la population d’autant que ses obsèques s’étaient déroulées dans la plus stricte intimité.

L’édile eut vent de ces discussions, largement relayées par les commerçants de la ville, et estima qu’il était grand temps d’appliquer la stratégie de communication concoctée par Atlantic Conseil à la demande de Nathalie Vartan. Le « plan com » consistait à consacrer un long article à l’évènement dans un numéro spécial du magazine municipal, à contacter les médias régionaux, puis à envoyer beaucoup plus tard à chaque foyer une invitation personnalisée à un voyage de dix jours organisé par un croisiériste de premier plan. La croisière se déroulerait l’été suivant, tous les frais occasionnés par le voyage à destination du port d’embarcation (ainsi que ceux du trajet retour) seraient pris en charge par la municipalité. Il avait fallu beaucoup de subtilité et d’habileté pour arriver à un résultat concluant. Atlantic Conseil, après plusieurs debriefings, avait réussi à accoucher d’un message tout en finesse et en persuasion. Il ne fallait surtout pas brusquer la population, en ayant l’air de lui imposer quoi que ce soit, mais lui faire comprendre en substance l’ampleur des bénéfices qu’elle pourrait retirer d’une donation exceptionnelle par son importance, sans compter la possibilité pour chacun de passer gratuitement un séjour de rêve sur l’un des plus beaux paquebots de croisière fraîchement sortis des Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire. Le voyage était décrit comme « une aventure inédite et conviviale sur un géant des mers, qui resterait gravée dans la mémoire collective de la ville ». La seule concession demandée aux habitants était l’obligation de prendre dix jours de vacances à la période prévue pour le déroulement de la croisière, On pouvait raisonnablement penser que leurs employeurs, officiellement informés du caractère exceptionnel de l’évènement, ne s’y opposeraient pas.

Le maire avait encore en mémoire le fameux conseil municipal extraordinaire qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt. Contre toute attente, les choses s’étaient plutôt bien passées, à l’exception de quelques réflexions outrées formulées par plusieurs conseillers de l’opposition sur le thème : « la châtelaine nous prend en otages ». Les écologistes n’étaient certes pas ravis à la perspective de passer dix jours sur une ville flottante, énorme source de pollution de surcroît, mais s’étaient eux aussi rendus à l’évidence : l’intérêt de la commune valait largement quelques sacrifices. Le conseil s’était tout de même terminé à deux heures du matin mais pour une fois le maire, après avoir serré chaleureusement la main de tous les participants, avait rêvassé pendant de longues minutes assis dans sa voiture avant de démarrer en douceur. Il n’aurait laissé sa place pour rien au monde à ce moment précis. Tout à sa joie, il avait préféré dans un premier temps chasser de son esprit les potentielles difficultés à venir dont la principale tenait en une phrase : comment la cohabitation entre les amateurs et les détracteurs de croisière allait-elle se passer pendant dix jours ? Mais pour l’instant, il avait d’autres chats à fouetter et se résolut