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Au terme d’une période trouble qui a débouché sur la recherche d’un sens à donner à sa vie, Axel, un homme d’une trentaine d’années, à la personnalité complexe et introvertie, rencontre un prêtre. Il lui confie un carnet dans lequel il a décrit minutieusement les lieux où il a vécu. Trente ans plus tard, il reprend contact avec le prêtre et lui raconte ses souvenirs.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Baptisé en 1980 au terme d’un long cheminement spirituel,
André Brombart est ordonné prêtre en 1987. Il admire particulièrement l’œuvre de Dostoïevski qui lui a d’ailleurs inspiré deux ouvrages, "De l’homme divisé à l’homme divinisé" et "L’Idiote", publiés aux éditions Parole & Silence. Tout en mêlant des éléments autobiographiques, "Genèse d’un solitaire" analyse et explore un parcours humain singulier.
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Seitenzahl: 116
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André Brombart
Genèse d’un solitaire
© Lys Bleu Éditions – André Brombart
ISBN : 979-10-422-3440-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Jean-Paul, qui m’a ouvert la vie
En assurant la parution de ce livre, un vieux prêtre – qui a souhaité rester anonyme – s’acquitte d’une promesse faite à un défunt, Axel. Dans sa jeunesse, celui-ci avait bénéficié de l’accompagnement spirituel de ce prêtre, qui lui avait administré le baptême. Plus tard, à l’occasion de rencontres fraternelles avec ce pasteur, Axel lui avait confié son étrange parcours. Au terme de son récit, il avait demandé au prêtre de le publier, pensant pouvoir ainsi aider quelques personnes à éclairer leur propre vie. C’est avec le souci de rendre service à ce vieil homme que j’assume, très modestement, la transmission de ces pages, dans lesquelles, il est vrai, je lis comme un écho de ma propre expérience.
André Brombart
J’étais encore jeune prêtre lorsque j’ai rencontré Axel B. pour la première fois. C’était un jour pluvieux de novembre 1979. Il avait, m’expliqua-t-il, cherché, dans l’annuaire téléphonique, le numéro du curé de la paroisse où il habitait, en l’occurrence, le mien. Il m’avait appelé et demandé un rendez-vous. La première entrevue fut assez étrange. J’avais accueilli, dans mon bureau, cet homme jeune, distingué et timide. Il commença à m’expliquer qu’il se passait des choses dans sa vie. Qu’il ne pouvait plus s’accommoder de sa vie facile et égoïste. Qu’il se découvrait chrétien, alors que toute son éducation, depuis son enfance, avait été sous le signe de l’agnosticisme, et même, notamment à l’université, de l’anticléricalisme. Après quelques minutes, il me demanda, de façon abrupte, si je pouvais le baptiser. Je lui avais répondu que cela pouvait se faire, mais qu’il faudrait consacrer du temps à s’y préparer. « Pourquoi pas tout de suite », m’avait-il rétorqué. Je dus lui expliquer les normes édictées par l’Église pour le baptême d’un adulte. Il se montra surpris, mais finit par accepter d’entreprendre un cheminement de catéchumène. Au cours des entrevues suivantes, je constatai que l’homme était très cultivé et qu’il avait acquis, sans doute par lui-même, une connaissance déjà très élaborée de la foi chrétienne et de son expression religieuse. J’eus la joie de baptiser Axel quelques mois plus tard, les délais ayant été réduits au maximum, avec l’accord de l’évêché.
Axel me pria de continuer à l’accompagner après son baptême, pour l’aider à progresser dans la vie spirituelle. Ainsi, pendant plus de dix ans, il vint me voir à peu près tous les deux mois. Puis, son travail le conduisit à s’installer à l’étranger et je le perdis de vue. Mais, à l’occasion de nos rencontres, Axel me confia un cahier à couverture toilée et rigide. Il m’expliqua qu’il y avait consigné des souvenirs de son enfance et de son adolescence. Mais, chose très étrange, il ne s’y trouvait que des descriptions de lieux et, beaucoup plus rarement, de personnes. À aucun moment, il n’y parlait directement de lui. En me remettant ce cahier, il me dit qu’il voulait se libérer d’un univers où il avait vécu solitaire et fermé sur lui-même. N’avait-il pas maintenant expérimenté l’amour de Dieu et la douce miséricorde du Christ ? Sa solitude avait fait place à une vraie ouverture aux autres, d’abord tâtonnante, mais de plus en plus ferme. En lisant ces pages, j’ai compris qu’il fallait tendre l’oreille pour percevoir, derrière la froideur des descriptions, la rumeur et le souffle d’une vie.
L’an dernier, j’eus la surprise de recevoir un appel téléphonique d’Axel. Près de trente ans après nos dernières rencontres, j’ai reconnu sa voix immédiatement. Il était rentré en Belgique. Il voulait me revoir. Je le lui accordai volontiers, non sans lui avoir dit que j’étais maintenant un vieux prêtre, fatigué, et plus très apte à stimuler la ferveur d’un disciple. Il me répondit que, déjà âgé lui-même, il voulait parachever ce travail de libération qu’il avait entrepris en décrivant les lieux de son enfance. Je le revis quelques jours plus tard. Ses cheveux, autrefois d’un noir brillant, étaient maintenant entièrement blancs et son visage s’était creusé. Mais son regard, en dépit des lunettes qu’il portait, était toujours le même, doux et comme intimidé. Autant, lors de nos premières rencontres, Axel semblait tendu et troublé, autant il était à présent calme et souriant. Il me dit : « Je n’ai plus rien à cacher, ni à autrui, ni surtout à moi-même. J’ai été lavé et guéri par le regard de Dieu. Mon égocentrisme et ma misanthropie se sont dissous dans le service de quelques personnes plus blessées que moi, qui se sont trouvées sur ma route ». Il me proposa alors de me raconter ses souvenirs et me pria d’enregistrer ses paroles. Devant l’étonnement que provoquait chez moi cette demande, il rétorqua que cela pourrait, peut-être, aider un jour quelqu’un, sans préciser davantage comment. Le soir même, il m’apporta un petit enregistreur électronique et m’en expliqua le maniement. Je lui fixai rendez-vous au lendemain.
Pendant près de trois semaines, nous nous sommes vus tous les jours. Axel arrivait, s’asseyait et commençait à parler, lentement, souvent cherchant ses mots, la nuance qui pourrait mieux exprimer ce qu’il voulait dire. À plusieurs reprises, lorsqu’il abordait des situations délicates ou scabreuses, il me proposait de passer outre, déclarant ne pas vouloir me choquer. Mais, à chaque fois, lui rappelant ce qu’il m’avait déclaré, je l’invitais à tout dire, à ne rien laisser dans l’ombre. Un jour, il déclara qu’il en avait terminé. Puis il me fit une demande qui me sembla irréalisable : intégrer les souvenirs personnels qu’il venait de confier à l’enregistreur dans la trame du cahier qu’il m’avait remis du temps de nos premières rencontres, pour ensuite publier ce récit. Je lui fis part de mon étonnement et de tout ce qui semblait rendre ce projet impossible. Il me demanda d’y réfléchir et de lui communiquer ma réponse. Dix jours plus tard, j’apprenais, par la rubrique nécrologique du journal, qu’Axel était décédé. J’ai pu interroger une de ses nièces. Elle me déclara qu’Axel avait fait une mauvaise chute dans l’escalier de sa maison et était mort quelques heures après.
J’ai, bien sûr, immédiatement pensé à la demande qu’il m’avait faite. Je l’ai tournée et retournée dans tous les sens, des jours durant, de plus en plus persuadé que ce serait pour moi une tâche impossible. Finalement, j’ai entrevu une piste qui, si elle ne répondait pas à la lettre à sa demande, l’honorerait quand même de manière honnête. J’ai donc pris le parti de faire alterner, dans les pages qui vont suivre, les passages du cahier toilé, avec ses descriptions minutieuses, et les souvenirs qu’Axel m’a transmis à la fin de sa vie, et que je considère comme une quasi-confession. J’ai le sentiment d’accomplir ainsi un devoir envers lui, mais aussi envers ceux qui, en le lisant, trouveront peut-être la force et accueilleront la grâce de changer de vie. Par respect pour les personnes, qui ne souhaitent peut-être pas être identifiées, j’ai modifié leur nom, de même que les noms de lieux.
Au moment où j’entreprends ce travail, j’apprends, par l’intermédiaire d’un confrère missionnaire en Afrique, qu’Axel avait servi, des années durant, comme bénévole, dans un dispensaire de brousse en Afrique de l’Ouest, remplissant les tâches les plus humbles et les plus rebutantes, comme la toilette des malades ou le nettoyage des sanitaires. Ainsi, le brillant conseiller en gestion d’entreprise avait abandonné son métier très rémunérateur pour amasser un trésor dans les cieux…
La maison de l’oncle
La gare de Liesses est un cul-de-sac. Seuls les omnibus y conduisent. À la sortie d’Egrent, la ligne bifurque et le train marque encore deux arrêts avant son terminus, Liesses. Une petite gare de province, typique. Un corps de bâtiment rectangulaire en briques rouges avec, en son centre, une partie surélevée surmontée d’un fronton encadrant une horloge. Les encadrements de fenêtres sont en pierre bleue, ce qui donne un peu d’allure à cet édifice modeste. La maison de l’oncle n’est distante que de quelques centaines de mètres. On franchit la voie ferrée au passage à niveau. La rue débouche alors sur le pont de bois, une machinerie mobile qui enjambe un bras canalisé de la rivière, permettant le passage de quelques rares chalands. On est dans la rue du Colonel Frémont, courte amorce de la Grand-Rue qui monte vers la place où trône l’hôtel de ville de la localité.
La maison de l’oncle est un commerce, une boucherie. Une large vitrine laisse apparaître une tablette de marbre blanc laiteux avec quelques pièces de viande posées sur des plateaux en bakélite. Sur chacune est piquée une étiquette sertie dans un support métallique, indiquant le prix au kilo. Dans le coin inférieur droit de la vitrine, un placard annonce : « Viande fraîche indigène ». À gauche de la vitrine, la porte, en s’ouvrant, déclenche une sonnerie, brève, mais stridente. Recouverts de carreaux de faïence blanche jusqu’à un mètre du plafond, les murs de la boucherie accentuent l’impression de froid. Le comptoir, perpendiculaire à la vitrine, est recouvert lui aussi de faïence blanche, que surmonte une large tablette de marbre sous laquelle court une épaisse barre d’appui en cuivre. À gauche, sur la tablette, une balance Berkel dont le cadran, en forme d’éventail, abrite plusieurs rangées de chiffres devant lesquels circule le fléau de l’appareil. Derrière le comptoir, un billot large et massif, à tablette assemblée en bois debout, surmonté d’une série de couteaux posés verticalement dans la rainure d’un support en bois. À côté du billot, une imposante machine à hacher la viande, à moteur électrique. Sur le mur, un peu plus haut, le diplôme de maître-boucher, décerné à l’oncle, avec mention très honorable, dans les années d’avant-guerre.
Dans un coin du magasin, face à la porte d’entrée, une porte au vitrage dépoli donne accès à un long couloir, aux murs carrelés de jolis carreaux de faïence vert pomme et ornés d’une frise moulurée. Le couloir débouche dans une salle à manger sombre, aux meubles plutôt solennels, visiblement peu utilisée. Il s’y trouve aussi un bureau en acajou sur lequel repose le combiné téléphonique en bakélite noir, mais sans cadran. La pièce suivante, en contrebas d’une marche, est plus avenante : c’est une cour intérieure surmontée d’une verrière posée sur une structure en métal de style Art Nouveau. Dans un coin, un haut guéridon porte une plante à végétation retombante, un asparagus ou quelque chose du genre. À côté, un large et confortable fauteuil en paille tressée avec de jolis motifs colorés. Aux jours de grande chaleur, l’oncle aime à s’y installer pour lire le journal. Un peu plus loin, posé sur une petite commode, un gros poste de radio – à l’époque on dit TSF (Téléphonie Sans Fil) –, muni de deux gros boutons ronds. Sur le cadran, le nom des stations : Londres, Hilversum, Kalundborg, Paris, Bruxelles, Munich, Radio-Toulouse… En face, un buffet vaisselier pseudo-renaissance. Au centre, une table ronde recouverte d’une toile cirée, sur laquelle sont posés quelques journaux : Le Soir, La Dernière Heure et le journal local, Le Postillon, ainsi qu’un annuaire des chemins de fer. Dans cette maison toute en longueur, la pièce suivante, éclairée seulement par une fenêtre qui la sépare de la cour à verrière, est celle où l’on vit. Elle est d’abord cuisine, avec son gros poêle à charbon, au foyer ovale, surmonté d’une vaste plaque de cuisson en fonte où une grosse bouilloire chantonne en permanence. C’est aussi la salle à manger de tous les jours : une table rectangulaire couverte d’une toile cirée usée et entourée de quatre chaises. Dans le coin le plus éloigné, un paravent des plus rustiques permet à l’oncle et à son épouse de prendre discrètement, et bien au chaud, leur bain hebdomadaire dans une large cuvelle en galvanisé. À l’opposé, adossé à la tablette de la fenêtre qui donne sur la cour à verrière, un lourd fauteuil à accoudoirs, recouvert de molesquine lie de vin. Sur la tablette, un amoncellement de vieux journaux, de revues, de catalogues divers et même de quelques albums illustrés. Une porte, dans l’enfilade des précédentes, donne accès à une pièce au sol inégal, sommairement cimenté, une sorte de buanderie. Il s’y trouve d’ailleurs une pompe à main qui, au prix d’un ample et lourd mouvement, débite l’eau de pluie recueillie dans une citerne. Un peu plus loin, cette fois sans qu’il faille ouvrir une porte, mais en descendant encore une marche, on atteint l’extrémité de la maison. Un coin de cet espace est muré et surmonté d’une large cheminée ; c’est le fumoir utilisé par l’oncle pour la fabrication de ses charcuteries. De l’autre côté, un muret à hauteur de taille délimite la réserve de charbon. Entre les deux, posée sur un piétement métallique, une bassine émaillée sert à de rapides ablutions, dont l’eau usagée est jetée sur le charbon. En face, un escalier en bois, sans contremarches, sorte d’échelle de meunier, mène au grenier.
Premiers souvenirs d’Axel
J’avais six ans la première fois que je suis entré dans la maison de mon oncle Albert. Ce devait être lors des vacances. Il était venu me chercher chez mes parents et m’avait emmené en train à Liesses. Je le connaissais à peine : une sorte d’inconnu familier. C’était un homme d’une quarantaine d’années, mince, d’aspect réservé, aux gestes rapides et précis. Un visage étroit, assez plaisant.