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« Hier et Demain : Pensées brèves » de Gustave Le Bon est un recueil fascinant de réflexions concises et percutantes sur la société, l'histoire et la psychologie humaine. Publié en 1918, cet ouvrage offre un aperçu unique de la pensée de l'un des pionniers de la psychologie sociale à la fin de la Belle Époque et au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le Bon, célèbre pour ses travaux sur la psychologie des foules, déploie ici tout son talent d'observateur et d'analyste pour décrypter les mécanismes qui régissent les comportements collectifs et individuels. À travers une série d'aphorismes incisifs, il aborde des thèmes aussi variés que l'évolution des civilisations, les dynamiques du pouvoir, et les transformations sociales de son époque. Ce livre s'inscrit naturellement dans les catégories « Essais sociologiques », « Philosophie sociale » et « Histoire des idées » sur les plateformes de vente en ligne. Le Bon y offre une réflexion profonde sur la modernité naissante, anticipant avec une étonnante clairvoyance certains des défis qui marqueront le XXe siècle. L'auteur porte un regard lucide et parfois critique sur les bouleversements de son temps, analysant les forces qui façonnent l'histoire et les sociétés. Ses pensées brèves, formulées avec une élégance stylistique remarquable, invitent le lecteur à une réflexion personnelle sur la nature du progrès, les illusions collectives et les constantes de la nature humaine. « Hier et Demain » reste une oeuvre d'une étonnante actualité, offrant des clés de compréhension précieuses pour appréhender les enjeux de notre propre époque. La profondeur de l'analyse de Le Bon, combinée à la concision de son style aphoristique, fait de ce livre une lecture stimulante pour quiconque s'intéresse à l'évolution des sociétés et à la psychologie collective.
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Seitenzahl: 171
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Introduction
Livre I Les Forces qui mènent l’Histoire
Chapitre I - Les puissances matérielles et morales
Chapitre II - Les forces biologiques et affectives
Chapitre III - Les forces mystiques
Chapitre IV - Les forces collectives
Chapitre V - Les forces intellectuelles
Chapitre VI - Les interprétations de l’histoire
Chapitre VII - Les explications et les causes
Chapitre VIII - L’imprévisible en histoire
Livre II Pendant les Batailles
Chapitre I - La genèse psychologique des grands conflits
Chapitre II - Éléments psychologiques des batailles
Chapitre III - L’âme nationale et l’idée de Patrie
Chapitre IV - La vie des morts et la philosophie de la mort
Chapitre V - Changements de personnalité créés par la guerre
Chapitre VI - Les formes du courage
Chapitre VII - L’art de persuader et l’art de commander
Livre III La Psychologie des Peuples
Chapitre I - L’âme des peuples et sa formation
Chapitre II - Psychologie comparée de quelques peuples
Chapitre III - L’incompréhension entre races différentes
Chapitre IV - Rôle des illusions dans la vie des peuples
Chapitre V - Les Opinions individuelles et la conduite
Chapitre VI - Les opinions collectives
Chapitre VII - Les idées dans la vie des peuples
Chapitre VIII - La vieillesse des peuples
Livre IV Facteurs matériels de la Puissance des Nations
Chapitre I - L’âge de la houille
Chapitre II - Les luttes économiques
Chapitre III - Le conflit entre les conceptions chimériques et les nécessités économiques
Chapitre IV - Le rôle de la fécondité
Livre V Facteurs psychologiques de la Puissance des Peuples
Chapitre I - Rôle de certaines qualités secondaires dans la vie des peuples
Chapitre II - La volonté et l’effort
Chapitre III - L’adaptation
Chapitre IV - L’éducation
Chapitre V - La morale
Chapitre VI - L’organisation et la compétence
Chapitre VII - La cohésion sociale et la solidarité
Chapitre VIII - Les révolutions et l’anarchie
Livre VI Le Gouvernement moderne des Peuples
Chapitre I - Les progrès démocratiques
Chapitre II - L’étatisme allemand et l’étatisme latin
Chapitre III - La religion socialiste
Chapitre IV - Les qualités psychologiques nécessaires aux gouvernements
Chapitre V - Imperfections des gouvernements révélées par la guerre
Chapitre VI - Enseignements politiques déduits de la guerre
Livre VII Perspectives d’avenir
Chapitre I - Quelques conséquences de la guerre
Chapitre II - Les futures menaces de la politique
Chapitre III - Le droit et la force
Chapitre IV - Les réformes et les lois
Chapitre V - La future interdépendance des peuples
Chapitre VI - La militarisation de l’Univers
Chapitre VII - L’évolution industrielle des guerres modernes
Chapitre VIII - Possibilités d’avenir
Livre VIII Dans le Cycle de la Science
Chapitre I - Les vérités scientifiques et les limites de nos certitudes
Chapitre II - Les vérités actives et les vérités inactives
Chapitre III - La nature et la vie
Chapitre IV - La matière et la force
Chapitre V - Visions philosophiques
L’immense conflit où se heurtent si violemment les forces de l’univers n’a pas accumulé seulement des ruines matérielles, mais aussi des ruines morales. Si nous voyons le monde changer, ce n’est pas uniquement parce que des cités ont été anéanties, des frontières géographiques déplacées, mais surtout parce que les anciennes conceptions orientant la vie des peuples ont perdu leur force.
Les idées qui rayonnaient au firmament de la civilisation et réglaient les rapports entre les hommes pâlissent tour à tour. Les peuples voient s’ébranler leur confiance dans la puissance des armatures sociales qui les protégeaient.
Les divers gouvernements, quelle que fût leur forme, ont manifesté la même insuffisance. Toutes les doctrines : le pacifisme et le socialisme, la liberté aussi bien que l’autocratie montrèrent une égale impuissance. Aucun des dogmes proposés aux nations n’a révélé une efficace vertu. Les formules les plus chargées d’espoir perdent tout prestige.
La meurtrière épopée issue des ambitions germaniques n’a donc pas seulement fait sortir les peuples de leur vie journalière, mais aussi des conceptions tradition nelles qui leur servaient de flambeau.
Le monde se trouve arrêté dans sa marche et l’avenir enveloppé de ténèbres parce qu’un peuple puissant par les armes s’est précipité sur l’Europe pour l’asservir. Invoquant les principes d’une philosophie que beaucoup admiraient sans en comprendre les menaces, il affirma que le droit donné par la force était supérieur à tous les autres. L’équité, la justice, l’humanité et toutes les acquisitions résultant de siècles d’efforts furent déclarées sans valeur. L’Allemagne espérait qu’elles se montreraient sans force.
Pour faciliter son entreprise cette nation fit preuve d’une férocité et d’un mépris des lois traditionnelles de l’honneur qui remplirent le monde de stupeur et dressèrent bientôt contre elle les peuples indignés par ce retour à la barbarie.
L’invasion fut repoussée, mais combien de temps encore faudra-t-il rester en armes pour éviter les attaques d’un peuple ne reconnaissant aucune valeur aux traités ?
L’histoire a vu des périodes où les hommes agirent autant qu’aujourd’hui, elle n’en a pas connu où il leur fut aussi nécessaire de réfléchir. N’invoquant plus pour expliquer les choses, ni les hasards d’un sort incertain, ni les volontés souveraines de dieux inconstants, l’homme moderne ne cherche qu’en lui-même les causes de son destin. Il voit le danger des illusions et comprend que le monde n’est pas gouverné par les chimères issues de ses désirs.
Puissante destructrice d’illusions, la guerre a considérablement modifié notre vision générale des choses et forcé tous les esprits à méditer sur des questions de droit, de psychologie et d’histoire abandonnées jadis aux spécialistes.
Les problèmes que la paix fera surgir sont nombreux et difficiles. Croire à leur simplicité conduit aux solutions incertaines chargées de conséquences dangereuses. Tout se tient dans l’édifice économique et social. Les intérêts y sont enchevêtrés et contradictoires. La nécessité les domine plus que nos volontés.
J’ai déjà consacré un volume aux Enseignements psychologiques de la guerre et un second à ses premières conséquences. Je me propose d’examiner plus tard les problèmes qu’elle fera naître.
Ces longues études aboutissent finalement à un petit nombre de conclusions faciles à formuler en pensées brèves.
La pensée brève semble une forme littéraire bien adaptée aux besoins de l’âge actuel. Le champ de la connaissance est devenu si vaste et la spécialisation si étroite qu’il faut bien se résigner à n’aborder que les idées générales servant de soutien aux diverses branches du savoir. Elles constituent l’armature philosophique des choses, l’âme des phénomènes.
Peu nombreuses à chaque époque, elles évoluent lentement et ne peuvent changer sans que les civilisations qu’elles orientaient soient transformées.
Condensées en propositions concises, ces idées générales et les réflexions qu’elles entraînent n’ont d’ailleurs d’intérêt qu’à la condition d’être la synthèse de faits nombreux. Elles disent alors beaucoup de choses en peu de mots et dispensent de longs discours. Leur rôle est surtout de faire penser et non de dé montrer.
Les lecteurs bienveillants qui, de régions variées du globe, suivent depuis long temps ma pensée à travers des langages fort divers, retrouveront dans ce livre les principes que j’ai déjà appliqués à l’étude de grands problèmes historiques. Une fois encore j’ai tâché de dégager la psychologie des vagues théories livresques pour l’adapter aux réalités journalières qu’elle semblait vouloir ignorer et que seule elle peut expliquer pourtant.
Ce nouveau travail sera utile s’il conduit le lecteur à considérer certaines faces des phénomènes qui avaient pu lui échapper, à réviser ses opinions en faisant le tour des choses, à se défier surtout des explications simplistes que la complication extrême des phénomènes ne comporte jamais.
Ce ne sont pas seulement des pensées nées du spectacle de la guerre et des possibilités d’avenir dont elle sera la source que renferme cet ouvrage. Il se termine par des réflexions scientifiques d’intérêt général. L’auteur ne pouvait oublier qu’une partie de sa vie fut consacrée à des travaux de laboratoire et que la science est la seule génératrice de nos rares certitudes. Elle est aussi la grande consolatrice pendant ces heures sombres où tous les charmes de la vie disparaissent, où l’ombre de la mort grandit chaque jour et où l’avenir lui-même semble dépourvu d’espérance. La chaîne des heures serait trop lourde si, pour fuir des réalités obsédantes ramenant aux barbaries de la préhistoire, on ne pouvait errer dans les régions lointaines de la science pure où s’élaborent les lois souveraines qui orientent les mondes vers des buts mystérieux.
Paris, novembre 1917.
Les guerres représentent l’extériorisation visible de forces invisibles en conflit.
Les forces psychologiques sont l’âme des phénomènes matériels.
Les forces matérielles sont redoutables. Les forces psychologiques invincibles.
La guerre est un merveilleux exemple de la puissance des forces psychologiques qui mènent les hommes. Elle montre avec quelle facilité la crainte de la mort et les intérêts personnels s’évanouissent dès qu’agissent ces forces.
Dans ses préparatifs de guerre l’Allemagne avait tout prévu, sauf l’influence des facteurs psychologiques. Ils devinrent assez puissants pour soulever le monde contre elle.
Le développement matériel d’une civilisation est sans parallélisme avec son évolution morale.
Les forces psychologiques furent toujours les véritables souveraines des peuples. Transformées en croyances religieuses, politiques ou sociales, elles conduisent, suivant le sens de leur action, les civilisations à grandir ou disparaître.
Les forces qui mènent l’histoire : forces biologiques, forces affectives, forces mystiques, forces collectives et forces intellectuelles, possèdent des logiques distinctes n’ayant pas de commune mesure.
Les forces biologiques comprennent tous les besoins nécessaires à l’entretien de la vie. Elles sont canalisées par les deux grands facteurs d’activité de tous les êtres : le plaisir et la douleur.
Les forces affectives, c’est-à-dire les sentiments et les passions, se mettant le plus souvent au service des forces biologiques, la raison est impuissante contre elles.
Les progrès de la civilisation ont développé considérablement l’intelligence, mais ils sont restés sans action sur les sentiments dont l’agrégat constitue le caractère. L’ambition, la cupidité, la férocité et la haine survivent à toutes les époques.
Sur la plupart des questions scientifiques ou techniques dépendant de l’intelligence, les hommes de tous les pays se trouvent d’accord parce que l’expérience est leur guide. En matière religieuse, politique ou sociale, les impressions personnelles remplaçant l’expérience, la compréhension n’est possible qu’entre personnes douées de sentiments iden tiques. Ce n’est plus alors la justesse des choses, mais l’identité des sentiments provoqués par ces choses qui crée l’entente.
Les divergences intellectuelles se supportent et une raison faible s’incline facile ment devant une raison forte. Les divergences sentimentales, au contraire, ne se tolèrent pas. La violence seule les fait céder.
Les sentiments deviennent facilement contagieux. L’intelligence ne l’est pas.
Les êtres s’égalisent beaucoup plus dans le domaine des sentiments que dans celui de l’intelligence.
Les sentiments et l’intelligence n’ayant ni évolution parallèle, ni commune mesure, une civilisation très haute se superpose aisément à des sentiments très bas.
Des hommes d’intelligence supérieure ont parfois, au point de vue sentimental, une mentalité voisine de celle d’un sauvage.
Dès qu’un sentiment s’exagère, la faculté de raisonner disparaît.
Un peuple qui ne réussit pas à dominer ses instincts de barbarie finit par les glorifier afin de pouvoir leur obéir sans honte. Ce fut une grande habileté des philosophes germaniques d’essayer de justifier par des raisons biologiques et historiques les impulsions ataviques de conquête, de meurtre et de pillage de leur race.
Certains sentiments ne peuvent être combattus que par des sentiments identiques. On ne domine pas la méchanceté, la violence et la mauvaise foi avec de l’honnêteté et des scrupules.
Les grands auteurs dramatiques de tous les temps comprirent que les sentiments ne se hiérarchisent pas. Le plus intense domine à un moment donné tous les autres. Euripide montre la jalousie l’emportant sur l’amour maternel quand Médée immole les fils qu’elle avait eus de Jason, pour le punir de son infidélité. Corneille, au contraire, nous fait voir le besoin de vengeance effacé chez Chimène par son amour pour le meurtrier de son père.
La loi physiologique d’après laquelle deux douleurs étant simultanées, la plus forte efface la plus faible, se vérifie également dans le domaine des sentiments. Les diplomates allemands l’ignoraient quand ils escomptaient nos haines politiques. Elles étaient très fortes, mais disparurent instantanément devant la haine plus forte encore de l’étranger.
Les passions vivent rarement isolées. L’envie a pour compagne la haine, l’amour n’existe guère sans jalousie. L’avarice est inséparable de la dureté.
Dans les civilisations modernes, le besoin du luxe, ou tout au moins de ses apparences, est souvent plus impérieux que celui du nécessaire.
Un être sans préjugés, sans illusions, sans vices et sans vertus serait tellement insociable que la solitude constitue rait son seul refuge.
La plupart des chagrins et des joies de l’existence résultent de ce que nous attachons aux choses une importance disproportionnée à leur valeur.
Si imparfaite que soit encore la connaissance des logiques affective, mystique et collective, elle donne cependant déjà la clef de phénomènes historiques que la logique rationnelle ne saurait expliquer.
L’esprit mystique se caractérise par l’attribution de pouvoirs imaginaires et mystérieux à des doctrines, des rites, des amulettes, des personnages ou des formules. Il est indépendant de la dévotion à une divinité quelconque. Les défenseurs d’une foule de sectes politiques et sociales sont saturés d’esprit mystique.
Quand des millions d’hommes professent certaines opinions et d’autres millions d’hommes des opinions exactement contraires, on peut être certain que ces convictions reposent sur des bases mystiques ou affectives, et nullement rationnelles.
Les forces mystiques possèdent un pouvoir créateur immense. Elles ont édifié de grandes civilisations et fait surgir du néant les merveilles de l’art, que les générations admireront toujours si les futurs canons ne les anéantissent pas.
Le monde moderne se croyait soustrait à l’influence des forces mystiques. Jamais pourtant l’humanité n’y fut plus asservie. Ce sont elles qui mirent l’Europe en feu.
L’esprit mystique est créateur de forces imaginaires mais puissantes en raison de la confiance qu’elles inspirent. Ces forces font parfois agir l’homme contrairement à ses sentiments les plus chers, à ses intérêts les plus évidents.
Les conceptions d’ordre affectif ou mystique s’acceptent ou se rejettent en bloc, mais ne se démontrent pas.
Sur les forces mystiques la raison est sans prise.
En pénétrant dans la sphère du mystique, l’esprit le plus sagace perd ses facultés de discernement. Le manifeste des intellectuels allemands, où l’on vit des savants réputés nier l’évidence et interpréter les faits aux seules lumières de leurs illusions, est une nouvelle confirmation de cette loi.
Dans le domaine des forces mystiques plus encore que dans celui des forces sentimentales, toutes les intelligences s’égalisent.
Une croyance mystique se suffit, mais elle acquiert plus de force encore en s’associant à des intérêts matériels. L’idéal mystique d’hégémonie de l’Allemagne n’eut peut-être pas suffi à provoquer la guerre sans l’espoir de conquérir et piller de riches provinces.
Si l’Allemagne établissait actuellement le bilan des résultats de l’impulsion mystique qui l’a lancée sur le monde, elle trouverait à son passif : la mort misérable de plusieurs millions d’hommes, une perte de cent milliards et une aversion universelle. A son actif figurerait seulement l’annexion de quelques provinces impossibles à garder sans des dépenses militaires très lourdes.
Croire aveuglément dispense de raisonner et empêche d’être influencé par un raisonnement. Bien des années s’écouleront avant que le peuple allemand perde la conviction d’avoir été attaqué par la France et l’Angleterre conspirant sa perte.
La leçon des faits n’instruit pas l’homme prisonnier d’une croyance ou d’une formule.
Les convictions d’origine mystique se propagent par contagion mentale ou suggestion, jamais par des raisonnements.
Les vérités rationnelles les plus sures n’acquièrent de prestige sur les peuples qu’après avoir revêtu une forme mystique.
Un parti politique ou une révolution ne triomphent jamais par des arguments rationnels, mais seulement après avoir inspiré une foi mystique très vive à leurs adeptes.
Un peuple ayant foi dans la victoire ne ressent ni la faim ni la misère. Sa résistance morale s’écroule le jour précis où il commence à douter du succès.
Si on éliminait d’une civilisation toutes les entités mystiques qui servirent à l’édifier, elle perdrait la plupart de ses mobiles d’action.
Il n’est guère d’exemple, dans l’histoire, de croyances à forme religieuse ébranlées par l’issue des batailles. Parés des siècles de défaites, l’islamisme est encore redoutable. Le rêve d’hégémonie de l’Allemagne ayant pris une forme religieuse restera pour l’Europe une source de conflits prolongés.
On ne triomphe pas d’une foi vive avec des armes matérielles, mais seulement en lui opposant une foi plus forte.
Contre les illusions mystiques les canons sont sans force.
Un peuple devient très fort quand il possède un idéal capable d’engendrer chez tous ses citoyens les mêmes sentiments, les mêmes pensées et, par conséquent, les mêmes actes. L’anarchie séculaire des Germains disparut lorsqu’au moyen de l’école et de la caserne la Prusse leur fit acquérir un idéal de domination universelle.
Quand un peuple a été longuement dressé à l’effort collectif, il finit par superposer à son âme individuelle une âme collective qui la domine entièrement. Tous ses sentiments : orgueil, gloire, soif de puissance, deviennent alors collectifs.
La substitution du collectif à l’individuel n’élève pas l’intelligence, mais elle donne une grande force militaire et industrielle aux peuples qui la réalisent.
Les sentiments collectifs obéissent à la même loi que les sentiments individuels, c’est-à-dire la domination de toutes les passions par une seule devenue très forte. L’orgueil du peuple allemand s’était tellement développé qu’il lui fit sacrifier à son ambition d’hégémonie l’intérêt évident de maintenir la paix nécessaire aux progrès de son industrie.
Faire surgir des sentiments dans l’âme des multitudes est relativement facile, les refréner difficile. En se développant ils deviennent des forces qu’on ne maîtrise plus.
Avec l’évolution actuelle de la civilisation, chaque société semble conduite à se diviser en petits groupements possédant des intérêts similaires et dirigés par des individualités fortes.
Dans les sociétés nouvelles en voie de formation l’individu isolé sera vite écrasé. Il ne pourra y prospérer qu’en s’agrégeant à des groupes possesseurs d’intérêts semblables.
En matière de sentiments, l’âme collective d’un peuple est supérieure aux âmes individuelles. En matière d’intelligence, les âmes individuelles l’emportent au contraire beaucoup sur l’âme collective.
Les grandes personnalités indépendantes tendent de plus en plus à disparaître. L’être collectif remplace progressivement l’être individuel.
Chez les peuples primitifs n’ayant pas sensiblement dépassé l’étape de la tribu et du don les individus ne possèdent pas encore d’âme personnelle nettement formée, mais seulement une âme collective. Le militarisme et l’évolution industrielle ramènent certaines nations à la phase collective des premiers âges.
S’annexer à une collectivité, c’est accroître sa force sociale, mais perdre sa personnalité.
Les Grecs préféraient la grandeur individuelle à la grandeur collective, les Romains se contentaient de la supériorité collective.
Les Romains encore demi-barbares asservirent la Grèce qui possédait déjà une légion de penseurs et d’artistes immortels, grâce à des qualités collectives de discipline et de ténacité un peu dédaignées des vaincus.
Les batailles tendent à devenir collectives. Les combinaisons d’un grand chef ne sauraient suffire aujourd’hui à décider en quelques heures des succès d’une campagne. Une victoire moderne représente l’addition de milliers d’énergies.
Les nations doivent toujours se tenir en défense contre les accès de délire collectif d’un peuple, surtout quand il appuie sa soif de conquêtes sur la conviction d’accomplir une mission divine. C’est au nom de conceptions analogues que les Arabes et les Turcs ont jadis ravagé le monde. Le canon seul peut combattre de telles illusions.
La plupart des sentiments ou des associations de sentiments tels que l’optimisme, le pessimisme et le courage, se propagent par contagion mentale, mais la propagation est beaucoup plus facile quand elle prend la forme collective.
On peut demander à l’âme collective des sacrifices impossibles à obtenir de l’âme individuelle.
Une souffrance collective se supporte plus aisément qu’une souffrance individuelle.
Pendant la guerre les sentiments collectifs ont été les plus actifs. Si, après la paix, leur prédominance se maintient ils atténueront les influences individuelles souvent fort égoïstes.
Ténacité, solidarité, discipline sont des qualités de caractère qui donnèrent toujours aux peuples une grande force. Aucune qualité intellectuelle ne saurait les remplacer.
L’âge moderne représente le triomphe de la médiocrité collective.
Créatrice de toutes les découvertes qui ont transformé l’existence des hommes, la raison possède un pouvoir très grand. Il ne le fut cependant jamais assez pour déterminer la conduite des peuples.
La logique rationnelle bâtit la science, mais ne joue qu’un faible rôle dans la genèse de l’histoire.