La faim des maux - Lena Szepetowski - E-Book

La faim des maux E-Book

Lena Szepetowski

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"La faim des maux" retrace le parcours tumultueux de Lena Szepetowski dans sa lutte contre les troubles alimentaires. Tel un journal intime, ce livre dévoile ses combats acharnés, ses peines les plus profondes, mais aussi ses triomphes flamboyants. Éclairant d’un flambeau l’espoir d’une vie libérée, riche en allégresse, tout en se montrant instructif, il peint le portrait d’une âme tourmentée qui, après un long périple, parvient à se défaire de ses chaînes. Ces Mémoires, empreints de courage et de persévérance, sont destinés à soutenir les personnes atteintes de cette maladie peu connue.




À PROPOS DE L'AUTRICE

Au fil des années, Lena Szepetowski a enduré les affres des troubles alimentaires. Désormais en rémission, elle se livre avec passion pour éclairer et soutenir ceux qui traversent des épreuves similaires.

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Lena Szepetowski

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La faim des maux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Lena Szepetowski

ISBN : 979-10-422-2396-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne cherche pas à plaire aux autres, mais à toi-même.

 

 

 

 

 

Prologue

 

 

 

Alors que le monde s’apprêtait à vivre le passage vers un nouveau millénaire, ma mère apprit qu’elle était enfin enceinte. Je suis la dernière d’une fratrie de quatre filles, mais l’unique fruit de l’amour de mes parents. J’ai été désirée, c’est certain, et c’est lorsque mes parents n’y croyaient plus que j’ai décidé que le moment était opportun pour faire mon apparition au sein de ce monde. Je me prénomme Lena Szepetowski (Polirsztok de mon vrai nom avant la modification pendant la Seconde Guerre mondiale), je suis née le 22 août 2000 à Nice au bord des palmiers et de la mer Méditerranée. J’ai toujours été l’enfant sage, docile, studieux et linéaire. En effet, je me suis convaincue dès le plus jeune âge que je devais rattraper les « comportements et erreurs » de mes aînées. C’est ainsi que mon combat visant la perfection a débuté. Mes notes étaient brillantes, mes sourires étaient constants et mes humeurs égales. J’étais investie de la place de « l’enfant espoir ». Néanmoins, mes parents ne m’ont jamais laissé entendre que cette place m’était attribuée, du moins ouvertement. Ils étaient fiers de leur petite dernière, ils savaient que je ne poserais pas de problème en plus des conflits familiaux d’une envergure gigantesque.

 

Si j’énonce que mes sœurs ont été difficiles pour mes parents, c’est en réalité les relations avec leurs autres parents respectifs (mère de mes deux sœurs du côté de mon père et père de ma sœur du côté de ma mère). Les familles recomposées portent toujours en leur sein un aspect énigmatique. Des conflits à n’en plus finir et mésententes en tout genre. Au milieu de tout cela, je tentais de me faire petite et invisible pour ne pas rajouter du souci à mes parents. Du fait de l’amplitude entre mon âge et ceux de mes sœurs, je n’ai pas véritablement réussi à trouver ma place au sein de la fratrie. En effet, la plus âgée est de quatorze ans et demi mon aînée (fille de ma mère) puis viennent les deux autres ayant respectivement treize et onze ans de plus que moi (filles de mon père). En outre, je n’ai vécu que très furtivement avec mes aînées, peut-être jusqu’à mes quatre ans. Jusqu’alors, je n’ai jamais regretté d’avoir grandi comme une fille unique, j’étais heureuse de passer des moments seule, coupée de l’agitation extérieure. Mais était-ce alors une carapace que je me créais volontairement pour ne pas souffrir de la solitude ? Assurément. Je commence seulement maintenant à concéder que j’aurais voulu avoir un fraternel proche en âge et avoir une relation fusionnelle, pouvoir tout partager. Peut-être est-ce de là que vient mon égoïsme ? Je n’ai jamais appris à partager.

 

Je considère que mon enfance a été paisible, l’on me donnait tout l’amour possible, je ne manquais de rien et au contraire on me gâtait (c’est souvent le cas pour le dernier-né d’une famille). Néanmoins, certaines épreuves familiales ont été vécues difficilement et ont laissé des cicatrices durant de nombreuses années. En 2012, à presque douze ans, j’apprends que la mère de mes sœurs est décédée d’un cancer à 51 ans seulement. Mes sœurs, alors âgées de 23 et 24 ans, ont dû affronter cette absence permanente à un âge auquel on n’imagine pas perdre un parent. Je ne comprenais pas exactement les enjeux en raison de mon âge, je ne savais pas réellement ce qu’était la mort et sa sentence définitive. En raison d’un deuil douloureux et de nombreux conflits internes, mes deux sœurs et mes parents ont rapidement fini par s’éloigner massivement. Ne pouvant, à l’époque, maintenir un lien seule en l’absence de mes parents, je n’ai plus adressé un mot à mes sœurs pendant des années. J’étais très peinée, mais je devais accepter. Je ne parvenais pas à intégrer le fait que mes sœurs ne cherchaient pas à me voir, car moi, je n’avais jamais eu de conflits directs avec elles. Pendant près de huit ans, je n’ai adressé la parole à mes sœurs que pour les anniversaires et autres évènements marquants en substance, et réciproquement. Les années passaient et je ne ressentais pas le manque, du moins, je tentais de l’éloigner. Lorsqu’on me posait des questions sur mes frères et sœurs, je ne répondais que vaguement pour les deux et étais très gênée d’en parler. Les relations se sont depuis apaisées et je suis heureuse de les compter dans ma vie, nous verrons plus tard que ma place au sein de la fratrie reste tout de même obscure.

Les relations entre la mère de mes sœurs et mes parents ont, d’aussi loin que je m’en souvienne, été désastreuses et dévastatrices. Des crises de pleurs et de nerfs intervenaient si souvent à table, en citant son nom, que je ne saurais les compter. Les querelles se sont étrangement exacerbées à sa mort et ce n’est que depuis quelques années que mes parents n’ont plus jamais eu de controverse à ce sujet.

 

Dès mon plus jeune âge, j’ai accordé de l’importance aux résultats scolaires, j’avais la chance d’avoir des facilités, ce qui rendait les notes bonnes. Jusqu’à la fin du collège, je ne pense pas avoir été stressée par les cours. Mon souvenir le plus lointain date de la 3e, la veille du brevet : je pleurais à chaudes larmes, pensant que j’allais « tout rater », que j’étais nulle et pas prête. Je peinais à respirer et me réfugiais dans les bras de ma mère. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais autant stressé pour un examen par la suite…

Mon brevet s’est très bien déroulé, mais cela n’a pas renforcé ma confiance en moi pour autant.

 

Mes années lycée ont été très envahissantes, surtout l’année de 1re S (scientifique). Avant chaque contrôle (surtout de maths), je pleurais la veille et j’ai même dû prendre des antidépresseurs pour calmer mon niveau d’angoisse, tant les études déchaînaient mes passions. Mes notes avaient beau être excellentes, ce n’était jamais assez. En effet, quand j’obtenais 17/20 j’étais contente dix secondes, puis le stress surgissait à nouveau « maintenant, il ne faut surtout pas baisser ma moyenne au prochain contrôle, donc avoir au moins 17 ! ». En revanche, si j’obtenais 12/20 je restais focalisée sur mon « échec » pendant des jours et ressassais : « Il faut absolument que j’aie une meilleure note au prochain contrôle, car c’est insupportable ! ».

À titre d’exemple, je me souviens d’un jour en première où l’on m’avait rendu trois contrôles dans diverses matières au cours de la même journée : un 17 en maths, un 16 en anglais et un 11 en français (matière que j’ai toujours haïe). Pas un seul moment je n’ai pensé aux deux bonnes notes que j’avais obtenues, je suis rentrée chez moi et j’ai énoncé la note de français à tue-tête en omettant, volontairement, les deux autres notes, car elles étaient anecdotiques. J’étais obnubilée par mes échecs et le négatif l’emportait toujours sur le positif… comme en mathématiques. J’étais persuadée d’avoir raté chacune de mes épreuves à leur dénouement. J’en pleurais presque, alors que je finissais par avoir au moins 15 ou 16 couramment. Toujours est-il qu’après chaque « succès », j’envisageais déjà la prochaine débâcle et n’étais satisfaite qu’un court instant. Selon moi, je n’ai jamais su anticiper positivement une situation, je ne suis capable d’imaginer que le pire et en suis bien accablée.

 

Après l’obtention de mon baccalauréat en 2018, je suis partie à Paris, loin de mes parents, afin de poursuivre des études à l’Université Paris-Dauphine en économie. Je n’avais pas la moindre idée du parcours professionnel que je souhaitais emprunter, alors j’ai choisi rationnellement une discipline qui ne m’était pas familière (ayant fait une filière scientifique, je n’avais pas suivi d’enseignements d’économie). Nonobstant, il s’est avéré que j’ai abhorré les enseignements durant ma licence d’économie, mais j’ai toujours travaillé d’arrache-pied pour réussir, à m’en rendre malade. Je pouvais, par exemple en troisième année de licence, ne dormir que cinq heures par nuit pour travailler sans relâche et étais épuisée. Je m’endormais pendant les cours, quelquefois cinq minutes, car mon corps ne tenait plus la cadence, mais je ne tenais pas compte des signes d’asthénie et travaillais de plus belle. À cette époque, je développerai plus tard sur ce point, j’étais en grande restriction alimentaire et je me nourrissais du travail pour ne pas manger. Il fallait toujours que je poursuive, car c’était mon devoir, jusqu’à cette année de Master Finance en 2021 au cours de laquelle je n’ai pas tenu plus de deux mois, exténuée par les crises de boulimie et pleurs qui s’en suivaient. Quand bien même les cours étaient d’une grande pénibilité, j’ai pu faire quelques rencontres qui resteront cruciales : A, C, I et Cyril, l’homme de ma vie. A est mon miroir, nous avons plus de points communs que des sœurs, des histoires semblables, des réflexions rapprochées, des comportements proches… Elle aussi a fait une phase d’anorexie plus jeune, elle aussi a fait une dépression à cause des cours, elle aussi a une angoisse de performance… elle est mon reflet et je ne cesserai de le croire.

 

Cet ouvrage n’a pas pour but de conter mon histoire à la manière d’une autobiographie, mais de se concentrer sur des évènements épisodiques depuis avril 2020, à la manière d’un journal intime, soit le début de la maladie dont je souffre : les troubles du comportement alimentaire. Je tenterai d’exposer chronologiquement comment ce trouble s’est installé, puis d’expliquer au mieux les pensées et sensations vécues à chaque instant depuis trois ans. Il me semblait crucial de me présenter quelque peu avant de débuter mon récit centré sur les dernières années de mon existence.

La définition des troubles des conduites alimentaires pour ne pas vous perdre en début de lecture :

TCA : Comportements alimentaires différents de ceux habituellement adoptés par les personnes vivant dans le même environnement. Ces troubles sont importants et ont des répercussions psychologiques et physiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie I

La mise en place anorexique

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Souvenirs, souvenirs

 

 

 

4 avril 2021

 

Un an en arrière, cela faisait deux semaines que le confinement avait débuté en France afin d’endiguer la pandémie de Covid-19. Les cours se poursuivaient tant bien que mal à distance et, les premiers temps, je m’adaptais à ce nouveau mode de vie solitaire. J’étais revenue chez mes parents à Nice, n’ayant pas souhaité rester seule à Paris pour une période d’isolement. En arrivant à Nice, ma mère avait découvert de nombreuses plaques rouges d’eczéma aux alentours de l’aine, proche des parties intimes. Elle semblait interloquée, mais ni elle ni moi ne savions d’où cela pouvait provenir. Ce 3 avril 2020 avait marqué le début d’une nouvelle ère, mais j’étais loin de le réaliser à l’époque. Peu après mon réveil, j’avais décidé de me peser (je n’avais pas de balance à Paris et ne m’étais donc jamais pesée depuis des mois). Horrifiée par le chiffre face à moi (60 kg), j’étais sous le choc, car mon poids de forme se situe environ autour des 55 kg. Cette distorsion entre une légère prise de poids et ma réaction en disait déjà long sur mon état d’esprit. J’avais toujours eu une relation compliquée avec mon corps, je ne l’avais jamais aimé et j’avais souhaité plus d’une fois perdre un peu de poids, mais je me considérais trop comme lâche et incapable pour réaliser ce rêve. Cela n’était cependant pas une obsession jusqu’alors.

Seulement une semaine au cours du mois d’août en 2019, j’avais réduit drastiquement mes apports alimentaires pour perdre 1 kg (que j’ai rapidement repris par la suite).

 

Je ne pouvais pas laisser passer une envolée de ma masse pondérale sans agir et c’est ce jour-ci que j’ai décidé de faire un régime innocemment. Le début d’un printemps qui pousse à se « reprendre en main pour le Summer body » et me voilà partie pour un léger régime qui s’avérera devenir un cauchemar. Au départ, rien d’affolant, j’ai commencé par enlever les desserts sucrés, suivis du gras, des matières grasses, des féculents… et c’est à ce moment-là que tout a basculé rapidement. Je perdais vite, à raison de 1 kg par semaine environ et comme ce n’était pas assez, j’ai intégré des séances de sport quotidiennes (bien que je haïsse le sport). J’avais la sensation d’agir pour la première fois et de contrôler. Cette fameuse sensation de contrôle qui s’avérera dangereuse et néfaste par la suite. Me faire souffrir avec le sport, me faire souffrir en regardant des vidéos de nourriture sans arrêt pour me remplir artificiellement, me faire souffrir en reniflant des aliments que j’aurais aimé manger tout en me rabattant sur des haricots verts… Mais la situation n’était pas encore alarmante. En outre, j’avais le temps de me documenter sur les calories des aliments, de faire mes séances de sport, car les cours ne demandaient pas beaucoup d’implication étant donnée la pandémie. Au bout de quelques semaines, vers la fin du mois de mai, j’étais définitivement entrée dans le cercle infernal, mais j’étais dans le déni le plus profond et affirmais sans cesse que j’allais très bien. Les baisses de quantités alimentaires jusqu’à 400 calories par jour me paraissaient adaptées pour atteindre mon objectif (de 54 kg au départ, mais objectif qui a changé drastiquement au fur et à mesure de la perte de poids).

 

28 mai 2021

 

Il y a un an jour pour jour, je pesais 54 kg, soit une perte de 7 kg en deux mois. Mon objectif de poids était atteint, mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin alors que je résistais parfaitement aux tentations ? Je voulais aller plus loin. C’est ainsi que le « régime » drastique a persisté. J’avais une euphorie de la perte de poids, une addiction à la balance et à la perte chaque jour. Ma première action au réveil était d’aller aux toilettes (pour éliminer le maximum) puis me peser. Si le chiffre était inférieur à la veille, j’étais contente pendant une seconde et cela me motivait à continuer, car ce n’était pas assez. En revanche, si le chiffre était supérieur ou égal, j’enrageais et me mettais à pleurer puis me restreignais davantage sur la journée pour perdre cet excès qui n’avait pas lieu d’être. La balance était comme une prison dans laquelle j’étais gardienne et détenue à la fois, je ne souhaitais pas m’échapper, bien qu’ayant la clé à disposition.

Si j’ai descendu vite en masse, ma joie de vivre a chuté avec la même vélocité, mes émotions ne transparaissaient guère et ma vie n’en était plus une. J’étais loin d’imaginer ce que l’avenir me réservait avec les pires sensations au monde : les crises d’hyperphagie-boulimie.

 

24 août 2021

 

Il y a un an, je ne pesais plus que 47 kg (soit un IMC de 17,5 classé comme maigreur). Cependant, je me voyais encore énorme et détestais mon corps. Je voulais perdre davantage, car mes cuisses me paraissaient difformes. Je passais mes journées à me nourrir virtuellement de vidéos (vidéos de mangeurs professionnels, Américains faisant plus ou moins des crises d’hyperphagie filmées), à regarder des recettes savoureuses, à apprendre par cœur les calories de chaque aliment, à pleurer si j’avais pris 100 g, à ne pas me réjouir si j’en avais perdu 100… Ma vie tournait autour de cette obsession pondérale, il m’en fallait toujours plus, il fallait que je pèse toujours moins. Mon corps criait famine et je le faisais taire. J’avais 8 de tension et faisais des malaises plusieurs fois par jour. Je commençais à perdre mes cheveux et avais tout le temps froid bien que le temps fût clément. Lorsque je tentais de trouver le sommeil, mes jambes m’irritaient, car les os s’entrechoquaient. J’avais perdu mes règles depuis plusieurs mois et ne les avais récupérées qu’au bout de 9 mois. Ma meilleure amie ne saisissait pas le moins du monde ma maladie et pensait qu’il fallait simplement que je mange à nouveau… heureusement, il s’avère qu’au bout de quelque temps, elle a changé radicalement pour laisser place à une âme douce et soutenante.

Ma mère commençait à s’inquiéter sérieusement et c’est ainsi que j’ai commencé un suivi avec une diététicienne en juin, puis avec une psychiatre spécialisée dans les TCA en juillet. La psychiatre était loin d’être affolée et ne considérait pas que j’avais un TCA, mais que j’étais simplement dans une petite phase compliquée d’adolescente. Elle nous riait au nez si nous prononcions le mot anorexie, car évidemment je n’étais pas malade pour elle… j’avais un IMC dans la normale. Cela a largement participé au fait que je ne parviens pas à me considérer comme anorexique encore aujourd’hui. Je n’ai jamais fait un poids critique et ai rapidement basculé vers des crises de boulimie. Cependant, l’anorexie mentale ne se définit aucunement par un poids, mais par ses pensées envahissantes, par le contrôle, le perfectionnisme… et je cochais toutes les cases.

 

En effet, je me permets de vous conter une histoire s’étant déroulée quelques mois plus tôt en février 2020. À l’époque, je travaillais sur un devoir de sociologie sur Durkheim qui, étonnement, portait sur les troubles alimentaires. C’était une maladie que je ne connaissais pas, mais j’ai été très assidue dans mes recherches et passionnée par les écrits sociaux sur le sujet. Un passage de mon devoir pourrait sans doute vous éclairer :

 

En effet, les jeunes anorexiques se perfectionnent et sont exigeants envers eux-mêmes dans tous les domaines (voir la métaphore d’être « nourrie scolairement »), ce qui rejoint leur problème pathologique de contrôle total : les victimes s’inscrivent dans une compétition permanente avec elles-mêmes et une comparaison perpétuelle avec les autres. La plupart de ces étudiants viennent de classes socialement supérieures, ce qui reflète que l’éducation familiale leur avait déjà inculqué un certain niveau d’exigence. Les réflexions des malades proviennent non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur éducation : l’aspect corporel et intellectuel était lié dans la famille des victimes. Le corps est devenu une marque de distinction sociale, car le travail effectué sur le corps dénote d’un travail acharné qui peut être réalisé sur d’autres supports (recherche d’exceptionnalité sociale et culturelle).L’anorexie dépend de facteurs culturels et sociaux, donc c’est un fait social, ces maladies s’imposent aux individus et leur sont extérieures.

Devenir Anorexique, Muriel Darmon

 

J’avais découvert par le biais de ce devoir que l’importance accordée au travail et celle de l’investissement scolaire étaient des symptômes récurrents de la pathologie psychiatrique, que les anorexiques provenaient en majeure partie de classes socio-culturelles élevées, que la valeur familiale accordée au poids était un facteur déclencheur de l’apparition de la maladie, que les victimes de cette pathologie sont fréquemment dans le contrôle et perfectionnistes, qu’elles sont dotées presque intrinsèquement d’un esprit de compétition malgré elles (comparaison incessante), qu’elles se dévalorisent sans cesse… cela faisait écho à mes traits de caractère. Je restai perplexe face à ces écrits, tant je percevais qu’ils m’appelaient et me décrivaient. Ma surprise fut telle que j’ai envoyé un message à ma mère dont je me souviens de la teneur. J’y décrivais ces symptômes d’anorexique et me suis exclamée : « Je me reconnais dans tout ! je suis une anorexique, mais il me manque juste l’aspect alimentaire ». Elle m’avait rétorqué que jamais je ne devais le devenir et me restreindre, et je l’ai rassurée en lui répondant que je ne pourrai jamais le faire, car j’aimais trop la nourriture pour cela… bien sûr. Quoi qu’il en soit, ce fut le premier jour où j’ai été frappée par les similitudes entre les comportements dans cette pathologie et les miens.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

Les causes

 

 

 

20 juin 2021

 

Au sein de ma famille, la nourriture a toujours été un sujet, mais je reviendrai plus tard en approfondissant ce point délicat. Cela a sûrement participé au développement de ma pathologie. Cependant, il faut noter que quelques jours avant le confinement, j’avais eu une relation sexuelle avec un garçon que je connaissais à peine (nous nous étions vus trois fois) et c’était seulement mon deuxième rapport (j’avais eu le premier deux jours auparavant avec cette même personne). Le rapport ne s’est pas déroulé comme escompté. En effet, je n’avais pas envie d’en avoir un et l’ai signifié, donc il s’était ravisé. Mais cinq minutes plus tard, il a commencé à nouveau à me faire des signes pour avoir un rapport, mon envie était toujours nulle, mais alors qu’il s’approchait, la peur s’est éprise de moi et je n’ai rien pu dire. Je me suis laissée aller au rapport bien que ne l’ayant jamais souhaité. J’avais mal et ma douleur transparaissait dans mes gestes et bruits, en outre, je le lui ai signifié à plusieurs reprises et il ralentissait pendant quelques secondes avant de reprendre comme si je n’avais dit mot. Je subissais et attendais la fin, mon corps était déconnecté de mon cerveau et j’attendais simplement que cela passe, sans émotion aucune.

 

Ce jour-là, le 14 mars 2020, lorsqu’il a claqué la porte de mon appartement, je me suis juré que plus jamais je ne le reverrai. À ce moment précis, je ne réalisais pas encore que cette scène serait d’une grande souffrance, je pensais que je n’avais pas été assez claire et que cela arrivait à tout le monde. Je n’aurais jamais pu imaginer que cela aurait pu être qualifié d’agression sexuelle, car rapport non consenti. Aujourd’hui encore, je peine à admettre que j’ai pu subir une agression, tant je rejette la faute sur moi. Les rougeurs apparues quelques jours plus tard ont été la conséquence corporelle de cet abus, mais je ne l’avais pas encore assimilé à l’époque.

 

 

 

 

 

Chapitre 3

Se remémorer pour avancer

 

 

 

7 juillet 2021

 

Le sport veut ta mort

 

L’hyperactivité mentale (psychique) et physique sont juxtaposées, corrélées et parties prenantes de la maladie. Elles vous amènent à concentrer le peu d’énergie qu’il vous reste à des fins de consommation énergétique, peu importe le coût. J’ai commencé le sport à outrance en avril 2020 (jusqu’en août 2020) et en ai fait 1 h à 1 h 30 par jour durant cette période. L’épuisement me valorisait, me galvanisait. L’addiction commençait, mais n’était présente uniquement dans un but de perte de poids et rien d’autre. J’ai toujours haï le sport et continue aujourd’hui d’éprouver ce sentiment.

 

Je me souviens parfaitement d’une journée de juillet, très chaude et ensoleillée. La brume de chaleur caressait ma peau, mais ne parvenait pas à la réchauffer… ma restriction poussant mon corps à produire le moins d’énergie possible et donc à ne pas avoir une température corporelle adéquate. J’avais froid, en été.

 

Je me levai tôt afin d’assister à ma séance de sport quotidienne, cette fois sur la terrasse avec ma mère et sa coach. À peine sortie du lit que mes jambes ne tenaient plus mon corps, ma vue se troublait et je tombais par terre. Les malaises m’étaient familiers et je repartais de plus belle. Partie pour la séance, je restais sur mon objectif d’en faire le plus possible, de repousser mes limites et capacités. La transpiration tachait mes habits, la respiration se faisait rare et maladive, mes membres me criaient d’arrêter, mais je n’en fis rien. Il fallait absolument que je termine pour brûler le plus possible, et après je pourrai me reposer et récupérer (sans manger bien sûr, ou très peu… 400 calories dans la journée tout au plus).

Au bout de 40 minutes que ma bouche haletait et que mon cœur menaçait de lâcher, mes nerfs suivirent. Je dus partir aux toilettes, invoquant une envie pressante, mais en réalité je partais verser mes larmes d’épuisement et de douleur intense aussi bien morale que physique. Je pleurais de fatigue pendant de longues minutes et la maladie ne m’a pas offert le répit que mon corps implorait. Dix minutes plus tard et me voilà de nouveau sur le ring, prête à terminer la séance, car « Non, tu ne dois pas abandonner ! ». Je n’ai raconté cet épisode que bien des mois plus tard et la détresse ressentie ce jour restera à jamais marquée dans ma mémoire.

 

Zéro, on a tout faux