La grande bique - Léonore Fontaine - E-Book

La grande bique E-Book

Léonore Fontaine

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Beschreibung

Le parcours d’enfance d’une fillette est marqué par le déclin mental d’une mère captive. "La grande bique" dévoile avec poignance les ravages de la maladie sur leur quotidien et les angoisses partagées. Ce récit invite à une profonde réflexion sur la santé psychique et le pouvoir du pardon.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Léonore Fontaine a vu la littérature envahir son quotidien, enchanter ses journées et captiver son imaginaire. Écrire est devenu son exutoire, sa thérapie, sa joie. Et c’est avec enthousiasme qu’elle nous livre son œuvre La grande bique.

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Léonore Fontaine

La grande bique

Roman

© Lys Bleu Éditions – Léonore Fontaine

ISBN : 979-10-422-3508-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon grand-père

Première partie

Chapitre 1

Le soleil dardait ses pâles rayons endimanchés sur la capitale, qui doucement s’éveillait après une semaine de labeur.

Paris respirait.

Lentement, quelques oiseaux survolaient les parcs, les squares, les monuments et les églises, filant à tire d’ailes dans l’air frais hivernal.

La brise folâtrait entre les branches, coulait entre les tuiles, par-delà les petits jardins coquets, les maisons grises effritées de temps, et la chaussée noire de bitume, tassée, humide de pluie nocturne.

Nous étions le dimanche 26 décembre 1948, un dimanche semblable aux autres dimanches, un matin comme les autres matins… Dans une clinique d’une rue du 16e arrondissement, quelques naissances laissèrent les docteurs pantelants et fatigués devant les tables de travail. Ils avaient bien mérité leur petit déjeuner les braves hommes !

Il était près de 8 h. Une bonne cigarette après l’effort, quel bien-être !

Le chirurgien qui m’avait mise au monde avait eu plus de travail que les autres. Ma mère n’en finissait pas d’accoucher, à croire que je ne voulais pas sortir d’un endroit aussi douillet que ses entrailles. C’est à renfort de forceps que je fis mon entrée dans le monde froid et hostile des premières heures. Le bon docteur s’épongea le front et s’en fut, le travail accompli, savourer un repos bien gagné.

C’était une fille.

Mon père, à peine remis de ses émotions, courut déclarer ma naissance, dans un Paris plus agité que de coutume, lui sembla-t-il. Mais, non, c’était un dimanche comme tous les autres, sauf pour Papa !

Ma mère se remit lentement de ses couches. Les grandes femmes ont plus de mal que les autres à enfanter… la nature dote selon ses caprices… Dans la chambre, du haut de son lit, Maman s’observait… Et l’image que lui renvoyait le miroir, face au lit, ne l’enchantait pas du tout. L’effort avait marqué ses traits réguliers, creusé des sillons légers sous sa peau, altéré son regard pailleté… pourtant la chambre respirait le bien-être qui suit l’effort, l’assoupissement de l’instant qui passe… Maman se sentait seule… Elle s’adossa de son mieux sur ses oreillers et brutalement… S’endormit ! Un sommeil réparateur, qui ne se préoccupa nullement des éventuelles visites de la famille, venue célébrer l’événement de son ventre.

Celui-ci était redevenu plat ou presque, et le reste attendrait bien demain… non ?

Le couple que formaient mes parents semblait harmonieux. Ils prirent possession d’un petit deux-pièces dans le secteur de la Bastille.

Ce fut le « home » du début de leur union.

Le confort y était très moyen et Maman s’y faisait fort mal. Elle fut habituée dès l’enfance aux grandes demeures, au service des bonnes, et à la grande cuisine.

Ma famille maternelle, j’en fis connaissance bien plus tard dans mes souvenirs, car le bébé que j’étais ne les passionnait guère. Maman fut d’ailleurs très choquée de l’attitude familiale.

De plus, elle était sans cesse fatiguée… Au grand désespoir de mon père. Aussi, après mûre réflexion, Papa prit la décision douloureuse de m’envoyer dans le midi.

J’allais être confiée à mes grands-parents, à ma famille paternelle.

Nous partîmes tous un beau matin, avant que le ciel ne se colore de rose, dans le Midi de la France.

Vous savez, là où l’accent fleurit aux détours des ruelles, quand le soleil se glisse entre les sarments de vigne pour batifoler.

Chapitre 2

Ce fut par une matinée de février, pâle et incertaine, que j’arrivais à Nîmes, en cette année 1949.

Ma grand-mère rayonnait de joie à l’idée de ma venue, mon grand-père nous accueillit à la gare où essoufflé et impatient, il nous attendait.

L’écho des trains, à l’arrivée et en partance, rythmait l’animation de la petite gare. Ajouté à cela, une foule dense, agglutinée et bruyante, créant une cacophonie indescriptible.

Mes grands-parents paternels étaient des commerçants. Depuis 1921 ou 22, je ne sais, ils tenaient leur boutique avec sérieux et capacité.

Bien qu’étant originaire de Normandie, mon grand-père, gazé pendant la « Grande Guerre », fut obligé de se réfugier sous des cieux plus cléments que sa région natale.

La société commerciale à laquelle il appartenait lui proposa la bonne ville de Nîmes comme oasis, car ses poumons n’auraient pu supporter l’humidité des villes du Nord.

Ma grand-mère, originaire du Morvan, avait connu son mari à Paris, juste après le massacre des tranchées.

Elle suivit son époux dans le midi, leur premier fils, « mon père » naquit et grandit, entouré des siens.

Je dus ressentir, dès mon plus jeune âge, la chaleur de la bonne ville où le climat sec et vivant faisait chanter les cigales, sécher les buissons et pendre la langue des chiens…

Ma grand-mère, quoique très occupée par son commerce, se penchait sur mon berceau avec amour.

Elle avait toujours désiré une fille et le destin lui avait donné deux garçons. Mon père était l’aîné et avait un frère de cinq ans son cadet. Bien que l’époque fût encore rigoriste, tant dans ses mœurs que dans le maintien d’une moralité apparente et parfois hypocrite (un bon reste de ce cher XIXe siècle), ma grand-mère, au demeurant fervente catholique, n’était pas de ces bigotes desséchées et chevrotantes. Elle n’avait que 45 ans et était une belle femme blonde au teint clair, tel que les aimait la mode au siècle dernier, les traits de son visage fin faisaient ressortir ses yeux bleus porcelaine.

D’elle, émanait une bonté que seuls possèdent les justes, les gens sincères avec eux-mêmes et par conséquent avec autrui. Je me délectais dans les bras de Mamie, comme un jeune chien humant l’herbe dans la prairie.

Que d’affection n’étais-je pas entourée ! Les photos de l’époque en témoignent : bouclettes, tabliers amidonnés, sourires heureux.

Aucune ombre ne venait entacher ce tableau, qui restait figé en moi, telle une image d’Épinal.

Trois années passèrent sereines. Depuis mon arrivée, mes grands-parents avaient loué pour l’été une maisonnette dans les pinèdes aux alentours de Nîmes, dans un petit coin nommé Castanet.

J’y fis mes premiers pas et je garde tout au fond de moi un souvenir clair, celui d’une sécurité, d’une tendresse mêlée aux senteurs de la garrigue.

J’aimais cueillir les baies dans le jardin sous le soleil parfois trop chaud en plein midi. Les buissons craquaient sous la chaleur chargée de mille senteurs de lavande – le Mazé – c’était la maison du Bon Dieu. Des couples, amis de la famille venaient, discutaient, repartaient, chacun absorbés par les rencontres de cette microsociété, car tous les corps de métier étaient présents ou presque !

Il y avait des marchands de primeurs, de bananes et de dattes. Ceux qui possédaient aussi un magasin de meubles, un dentiste, bref ! Beaucoup d’amis et de gens gravitaient autour de mes grands-parents.

Mon père et ma mère eux étaient totalement absents de ce tableau sympathique. Ils étaient à Paris, confiants, sachant que j’étais heureuse et choyée. Mes premières années ont contribué certainement à me faire aimer par-dessus tout le pays Languedoc-Provence : des vignes à perte de vue, alignées dès que vous circulez hors des villes, le raisin est partout.

L’olivier noir, au tronc plein de rides, comme un vieil homme plein de sagesse et d’expérience, agite ses petites feuilles vertes et pâles, légères sous le soleil. Les platanes bordent les routes, toutes les routes, surtout à cette époque-là.

Et dans les clairières, les cèdres, immenses, millénaires, imposants, impressionnants de stature et de vieillesse, agitaient dans l’azur sec leurs épines vert foncé, murmurant sous la brise. En certains endroits, les vieilles maisons aux tuiles rondes, aux toits aplatis, se souvenaient brûlantes, des années qui passaient et que chaque intempérie, chaque hiver, ébréchaient un peu plus.

Par-dessus tout cela, l’été, le ciel desséchait le ciel blanc de bleu sous la chaleur, ce ciel, à perte de vue, sans un seul nuage ! Les hivers sont courts et rarement froids.

Dès le mois de février, la garrigue s’ébroue, s’éponge, absorbant l’eau de l’hiver comme pour mieux la stocker. Après les pluies la campagne étincelle, secouant ses branches, ses vignes, ses rameaux lourds de gouttelettes.

Mille senteurs émanent du sol qui fait glisser sur les rocailles, l’eau des pluies, n’ayant pas le temps de la retenir.

Car, la sécheresse durcit, en été, certains champs, au point que la terre blanchit et n’éponge plus l’eau bienfaitrice.

Mes grands-parents habitaient donc Nîmes depuis près de trente ans. Malgré leurs origines, le midi les vit s’adapter parfaitement au pays de Pagnol, si chantant.

Mamie était de ces êtres d’exception, qui fleurissent parfois au sein d’une famille. Sa bonté naturelle et sa générosité étaient connues de tous, et le demeurent. Durant la dernière guerre, elle avait aidé bien des gens, grâce à son commerce, malgré les risques encourus, procurant aux nécessiteux les chaussures indispensables, et donnant chaque soir, la soupe aux mendiants, après la fermeture de la boutique.

Quelques années avant ma naissance, ses parents vinrent s’installer dans la ville pour être près de tous… mes arrière-grands-parents !

Des gens volontaires, d’une génération perdue, oubliée, habituée aux privations, à la dure vie d’antan. Leur accent rocailleux roulait comme leurs origines, sec, émouvant. Le Morvan… Voilà un autre pays, un autre coin de France, qui n’a rien d’une douce campagne. L’air y est chaud l’été, glacial l’hiver, et vous trempe les caractères dès l’enfance…

Dans le midi (auquel ils se feront très vite), ils étonnaient. Habitués au dur labeur, ils ne se laissaient pas vivre : l’activité les habitait, comme une seconde nature. Car le pain avait manqué parfois.

Mon arrière-grand-mère était de vif-argent.

Pépère, son mari comme tout homme, avait davantage le sens de la mesure, et se calma l’âge venant. Le jeu de boules l’enchantait quand le travail ne l’accaparait pas trop. Mon arrière-grand-tante Lucie, elle, fit toujours partie du convoi et suivit sa sœur partout.

Elle avait un brave cœur, des malheurs plein la tête, des petits bonheurs au muguet, la manie de la propreté, un rire triste et fêlé, la religion comme refuge, et cachait sa sensibilité dans un mécontentement quasi permanent. À tel point que, dans la famille, l’expression « râler comme la tante Lucie » était devenue le comble de la mauvaise humeur.

Mais tout ce petit monde coulait des jours paisibles.

Mes parents vinrent à Nîmes à la faveur des vacances d’été. Je fus très heureuse de les voir dans mon univers quotidien. Ils s’y intégraient parfaitement.

Mamie parlait beaucoup de moi, plaisantant avec son fils de mes facéties d’enfant…

« Comme toi, Lucien, quand tu étais petit ! » À croire que papa m’avait fabriqué tout seul.

Puis la conversation devint plus grave. Le quotidien d’après-guerre parfois difficile encore, les affaires qui laissaient à désirer…

Puis, Mamie en vint à parler d’elle, chose qu’elle détestait.

Pourtant, il fallut avouer que la santé n’était pas au beau fixe, mais bon, trois fois rien, une opération sans gravité et puis, finis les ennuis féminins, l’ablation des fibromes et après je serais tranquille !

Mes parents repartirent dans la soirée, et le calme revint au Mazé. Mamie devait se reposer et se préparer pour l’opération qui aurait lieu quelques jours plus tard.

Tout allait bien. Avril couronnait les arbres, l’air sentait bon et les grillons crissaient dans le soir. Les cigales n’avaient pas encore fait leur apparition et la campagne nîmoise reposait.

Je fus confiée, le lendemain à une amie de la famille pour les jours d’absence nécessaires à l’opération.

Et les nuits furent semblables aux autres nuits, le temps s’étirait indéfiniment. Un vide était en moi. Le vide était là, dans la maison, partout. Mamie était absente… Où était-elle ? Papy, mon papy, je veux ma mamie… Mon grand-père me prenait dans ses bras vigoureux, il était encore si plein de vie, avec ses yeux pétillants de malice, que je me sentais rassurée, si bien, si cajolée ! Ma petite Lolo, Mamie ne reviendra pas, elle est là-haut, elle est bien, tu sais…

Papy !

La calamité s’était abattue sur toute la famille comme une épidémie de choléra. Alice n’était plus… Mamie ne riait plus, ne chantait plus, elle était morte d’une embolie pulmonaire à la clinique. Juste le 1er mai, devant son muguet, plein de pots de muguet, elle était partie dans un soupir, blanche sur son oreiller, souriante, confiante, les mains tendues vers la vie qui s’était retirée d’elle sans bruit, sans prévenir.

Doucement… lentement ses bras se sont baissés, elle a dit merci pour tout ce muguet, et puis plus rien.

Ce fut le silence de la pendule, l’incroyable vérité, les cris dans le couloir, les appels à l’aide, mais rien n’y fit. Mamie souriait sur son oreiller comme endormie, et laissait tout le monde vidé, brisé, interloqué devant l’énorme question toujours et encore posée… Pourquoi ?

Mamie ne répondait plus à sa petite fille…

Qui, en trois minutes, trois petites minutes… Avait tout perdu.

Chapitre 3

Nîmes était en émoi. Une bonne partie de la ville connaissait ma famille, que leur commerce familiarisait avec tout un chacun. La plupart étaient en état de choc. Comment, Madame Louvois ? Ce n’est pas possible !

Nous l’avons vu encore, il y a quinze jours… Les gens étaient sincères. Comment oublier une femme ou déprécier celle qui savait si bien donner ? Beaucoup s’enquirent de la date des obsèques pour y assister, faire une prière et offrir ainsi à la morte, un dernier hommage. Quant à ma famille, personne ne réalisait…

L’événement était trop soudain, trop inacceptable. Quelle impuissance ressentons-nous devant la mort !

Mon père accourut par le premier train, blême, retourné au plus profond de lui-même. Ma mère, elle, attachée à Mamie comme tous, avait la simplicité des femmes devant la vraie douleur. Elle pleurait. Mon grand-père, écrasé par la fatalité, se taisait. Il arpentait l’appartement, comme si son va-et-vient continuel pouvait redonner vie à ma grand-mère. Mon oncle, lui, arriva de l’est de la France, où il travaillait, dans un littéral état second, et se jeta sur le corps de sa mère dans un refus total. Mon oncle gardait au fond de lui, un reste d’enfance, une humanité profonde. Le « non » jeté à toute volée, devant l’inacceptable.

Quant à mes arrière-grands-parents, ils ne s’en remirent jamais vraiment.

Mémère, ce petit bout de femme courageuse et digne, enterra sa fille, raide, pâle, les poings serrés. Pépère, mon brave arrière-grand-père, était perdu dans ses souvenirs. Sa fille ! Sa petite Alice !

Cet homme aux joies simples et à la démarche claudicante prit dix ans d’un seul coup. Devant cette fatalité, il partit noyer son chagrin après la cérémonie…

Mémère ne le revit qu’à l’heure du souper, rouge, bredouillant, la joue tombante, l’œil gris et las…

« Ah ! non de Dieu ! Trimer toute sa vie, la Maria, pour élever ses enfants, et voilà, et voilà », marmonnait-il…

— Oh ! et puis t’in j’va me coucher !

— Ptt… Le Pierre, il travaille du chapeau, ce soir. Ah ! Lucie, il ne manquait plus que ça…

Mémère râlait dans ses larmes, qui, enfin, coulaient…

Lucie, elle, était prostrée depuis le matin.

Mémère criait dans le vide. Sa sœur, le regard lointain, ne l’écoutait plus.

Elle était partie au fond d’elle-même, là où personne ne peut accéder… Le regard lointain, face à la pendule, qui inexorablement, égrène les heures qui passent…

Levant le bras, d’un air las et triste, elle répondit à Mémère :

« Laisse-le donc, Maria, il a plus sa tête le Pierre, tu sais bien… »

La cuisine tomba dans le silence que seuls quelques sanglots, de temps en temps, rompaient.

Mémère serrait les mâchoires pour ne pas pleurer. Dans sa douleur, une soudaine colère l’envahit. Ah ! ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont, les autres, les malveillants, les imbéciles, restent…

Eh ! voilà, depuis la nuit des temps, toujours la même chose. Alice, tu nous as laissés. Ah ! y a pas de bon Dieu, alors !

Et elle se remémora la cérémonie de l’après-midi…

Tant de monde, tout Nîmes était là…

Les gens, une forêt de gens tapissait la cathédrale. Du monde, dehors, partout, pour voir passer le cortège, apercevoir le cercueil, donner une fleur.

On n’avait jamais vu cela de mémoire de Nîmois. Quelques personnalités serraient la main de mon grand-père, adressaient des condoléances à la famille alignée dans le cœur de l’église.

À la sortie, quelques pauvres hères, agités, se réfugièrent dans les angles, près du parvis de la cathédrale.

Il fallait voir, être sûr.

— Comment Madame… c’est bien elle ?

— Non de Dieu, elle est morte, vraiment ?

— Oh ! Mais alors, c’est qui ? Qui va nous donner la soupe, le soir ?

Oh… Dans leurs têtes obscures et fatiguées, tout se chevauchait… La peine, la faim des jours sans pain, le besoin vital de nourritures, la cuite de la veille.

Ah ! maudite journée, que dire de tout cela… C’est un bien grand malheur !

On enterra Mamie dans une tombe fraîche, creusée à la hâte pour elle.

Le caveau fut prévu grand, pour recevoir, dans le temps, le reste de la famille. Autant prévoir…

On la mit en terre en plein après-midi, le cimetière du pont de Justice respirait la tranquillité des âmes, que la mort propulse vers la lumière.

Le silence des caveaux, le repos, l’éternité…

L’immense allée centrale, rectiligne, bordée de pins avait une odeur d’éternité…

Quatrième à droite, non à gauche, oui, c’est là. On déposa le cercueil tout au fond de la fosse, le goupillon d’eau bénite passa de mains en mains, puis, on recouvrit. Les fleurs embaumaient l’air de leurs senteurs capiteuses. Il y en avait tellement… Puis, hésitant, comme à regret, le cortège se remit en route, sombre, abattu, vers la maison, rue du Général Perrier, désormais silencieuse des chansons, des rires, et des bonnes odeurs de cuisine.

Chapitre 4

Je ne me souviens plus vraiment du voyage qui me ramena à Paris, avec mes parents. Je sais seulement, par des impressions fugaces, que la capitale me sembla hostile, noire et sale.

Je donnais la main à ma mère, vêtue d’une petite robe confectionnée par mon arrière-grand-mère Maria. Mémère était une excellente couturière. Elle avait appris dans un atelier de confection dans ses jeunes années, et n’avait pas son pareil pour vous confectionner quelques corsages, vestes, vêtements. Ses doigts de fée cousaient, coupaient et surfilaient sans une hésitation.

Le retour à Paris fut très triste pour nous tous. Papa et Maman se parlaient à voix basse pour échanger des propos sur le deuil qui nous frappait…

Mon père, abattu, fumait beaucoup.

Nous rentrâmes à l’appartement, où désormais ils habitaient depuis près d’un an. Et je découvris pour la première fois Dupleix, Grenelle, Bir-Hakeim. Une grande place avec le métro parisien sur la gauche, un square en face de l’immeuble qui semblait ne plus finir tant il était long, si long qu’il se déroulait tel un ruban vert et caillouteux jusqu’à la tour Eiffel.

Trocadéro trônait en face, plus loin sur la droite, comme une énorme pyramide blanche à pallier… Que c’était grand !

Et le métro, juste à côté, juché si haut que ça me donnait le vertige… Un grand café sur la gauche, juste à l’angle, descendait la pente qui menait vers Grenelle.

À côté de la porte d’entrée de l’immeuble se trouvait une station-service, que l’on peut voir encore aujourd’hui. Rien n’a changé, pas un détail, pas un grain de sable, semble-t-il, ne s’est déplacé.

Tout est immobile dans cet angle de rue depuis cinquante ans.

Non, vraiment rien n’a changé. Les murs se souviennent de ce matin-là ou arrivant à la gare, soufflants, nous sommes tous les trois arrivés au quai Branly.

La porte, grande et vitrée, fit un bruit de sonnette et s’ouvrit grande sur une belle entrée carrelée, avec une loge de concierge sur la gauche. Puis, nous passâmes une autre qui s’écarta pour laisser place à une cour.

— Tu vois, nous sommes ici Cathou, là, à cette fenêtre, me dit mon père, en me désignant le premier étage.

Nous montâmes un escalier propre, bien ciré, recouvert de tapis, mais très raide. Il fallut me porter tant les marches étaient hautes.

Ouf, enfin la porte, notre porte toute marron, cirée, elle aussi, que mon père ouvrit.

Il faisait noir, une petite entrée couverte d’une carpette s’offrit à mes yeux. Une porte vitrée, en face, avec des petits rideaux, donnait sur la salle à manger. À gauche, tout de suite, donnant sur l’entrée, la cuisine, petite elle aussi, avec de grands placards fixés à même le mur jusqu’au plafond. Maman ouvrit la porte de la salle à manger et je pénétrais dans le petit trois-pièces donnant sur la cour.

Le confort y était réel, Maman avait hérité de pas mal de meubles. La chambre à coucher, celle de mes parents, que chaque enfant franchit, pensant aux mystères s’y trouvant, « les secrets de grandes personnes ! » : un beau lit capitonné et une commode de style. Ces meubles étaient les joyaux de l’appartement.

D’une main mal assurée, je trottinais dans ce petit royaume, celui qui allait être le mien pendant toute mon enfance.

— Tiens, et cela c’est quoi !
— Ah il ne faut pas rentrer là, c’est la salle de bains, tu vas te cogner quelque part, c’est dangereux !

Je pleurnichais devant l’interdiction, et pour faire diversion, mon père me prit dans ses bras et me fit visiter le coin de l’appartement qui fut ma chambre : elle était très petite, et donnait sur un entrepôt de charbon, de sorte qu’il était difficile d’ouvrir la fenêtre la journée, sans être inondé de particules invisibles à l’œil nu, mais qui noircissait tout.

Aussi, la fenêtre restait-elle fermée la plupart du temps.

Tiens, un grand lit rose à roulettes, mon lit de Nîmes !

Oh ! il était venu avant nous par le train, oh ! qu’il était beau mon dodo.

Je voulus grimper dedans, mais impossible, il était trop haut.

Papa rit beaucoup devant ma mine déconfite et me dit pour me calmer que j’y dormirais ce soir.

Ah ! la belle petite chambre avec de gros nounours… Et… qu’est-ce que c’est que ça ? Un immense engin bizarre s’offrit à mes yeux, une grosse pédale noire et très haut, un coffre marron…

J’appris plus tard que c’était la machine à coudre de Mamie, qui avait atterri là, chez nous, pour ma mère. Elle prenait une place énorme, dans cette petite chambre d’enfant.

Maman ne s’en servit quasiment jamais.

Chapitre 5

Les repas de midi s’effectuaient dans la cuisine, petite, elle aussi.

Les cuisines des années 50.

On donnait plus d’importance, en ce temps-là, à « la salle à manger ».

Qui, maintenant, s’est transformée en « living » confortable.

J’y mangeais donc dans cette cuisine, juchée sur un escabeau convertible en tabouret. Cet engin se transformait d’une façon qui me semblait savante :

J’étais à table, coincée sur cet instrument, au bout de la cuisine, adossée au « garde-manger ». Endroit où nous mettions les provisions à conserver au frais. Il valait mieux être en hiver !

Cette chaise improvisée était très haute, ce qui me permettait justement d’être à bonne distance de mon assiette.

Ma mère, très grande, blonde, s’activait dans la cuisine en chantant du bout des lèvres ou à pleine voix, selon son humeur. Des rengaines entendues à la radio. Oui, elle chantait beaucoup, Maman. Et elle m’impressionnait un peu. Je ne savais jamais si elle était vraiment contente ou non. Je cherchais toujours à comprendre son état du moment, tout en mâchant mon repas. Ce matin-là, devant mon assiette de haricots verts, je faisais la grimace. Mange Laurence, c’est bon les haricots verts ! Oui, mais moi, je n’aimais pas les haricots verts ! Pourtant, il fallait bien les ingurgiter, sinon, mon repas prenait fin rapidement… Le régime était sévère, ordre du docteur.

J’étais à Paris depuis seulement cinq mois, et de toute évidence, le climat ne me réussissait pas. Je faisais des crises d’urticaire « géant », que rien ne calmait. La seule solution était ce régime draconien, qui consistait à n’absorber que des légumes verts. Aucun féculent ne m’était permis, ni les œufs, ni les fraises pfutt ! Pas davantage les glaces, les bonbons, bref, tout ce que j’aimais bien sûr…

De plus, je m’allongeais en taille d’une façon spectaculaire, et le régime aidant, j’étais d’une maigreur épouvantable. L’humidité parisienne ne réussissait pas aux bronches non plus, et le plus souvent, j’étais clouée au lit avec une angine.

Une enfant difficile à élever, disait-on !