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À la fin du XVIIIe siècle, Joseph, jeune bûcheron de Furnes en Flandre, embrasse la carrière de charpentier pour construire plutôt que détruire. Les soubresauts de la Révolution française et des guerres napoléoniennes le plongent malgré lui dans le rôle de soldat, à l’instar des Alsaciens et des Mosellans en 1940. De Boulogne-sur-Mer à Casablanca, de Moscou à Bruxelles, Joseph devient le témoin privilégié d’une époque mouvementée. Entouré de figures historiques fascinantes telles qu’un général républicain, un espion de Napoléon, un sultan du Maroc, un poète occitan et d’autres encore, il navigue au cœur d’intrigues politiques.
"Le bûcheron flamand" est un roman d’aventures où se mêlent générosité, honneur, malédiction, trahison et amour.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Dardenne, ingénieur Arts & Métiers et dirigeant d’entreprises industrielles, se considère avant tout comme un scientifique passionné de littérature. Originaire de Lille, il réside maintenant à Casablanca, au Maroc. Son intérêt pour l’histoire et la géographie se reflète dans ses œuvres artistiques et ses écrits qu’il voit comme des échappatoires essentielles dans un monde professionnel souvent dépourvu de fantaisie. Le bûcheron flamand est son premier roman.
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Seitenzahl: 220
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Pierre Dardenne
Le bûcheron flamand
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre Dardenne
ISBN : 979-10-422-3832-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
À mes camarades de la promotion Li184…
Quand mon camarade Pierre Dardenne m’a contacté sur « WhatsApp » depuis son Maroc d’adoption, rompant ainsi une longue période sans nouvelles, je me suis demandé ce qui pouvait bien motiver son appel. « Je voudrais que tu me rédiges la préface de mon dernier roman ; tu verras, c’est une sorte de road trip historique, le héros traverse les époques et des lieux qui, pour une bonne partie, te seront familiers comme ils le sont pour moi… » Nous avons effectivement partagé avec Pierre un certain nombre de ces lieux au cours de nos vies respectives, nous croisant à plusieurs reprises, volontairement ou fortuitement, au gré de nos propres pérégrinations. Ce qui fait de Pierre et de ces lieux emblématiques un fil conducteur de nos propres vies, tel un pointillé familier tissé entre nous.
Amusé par la démarche, seulement à demi étonné d’apprendre que Pierre s’apprêtait à publier un nouveau roman – je connais depuis longtemps son goût pour la chose littéraire et son talent pour l’expression écrite –, j’accepte volontiers sa proposition et me plonge sans tarder dans Le bûcheron Flamand.
Si je fus un peu dérouté par les premières pages – dans quelle littérature d’aventure, dans quel ersatz de roman de Stevenson allais-je me retrouver ? – le ton et le rythme du récit sont vite donnés : à peine, faisons-nous la connaissance du fameux capitaine Cook, qu’il disparaît deux pages plus loin emporté par un coup de hache en pleine tête ! Bye bye Capitaine Cook et les Îles sandwich, sur une pirouette humoristique portée par un certain Jean BonBeurre… Allais-je alors tomber dans l’almanach Vermot ? Autant le dire, ma curiosité n’en fut que plus aiguisée ; mais où donc allait bien pouvoir me porter cette prose souple et rapide. À mesure que le roman prend forme, l’évidence se fait : c’est à une épopée épique et brillante que l’auteur nous convie rapidement, faite d’un ingénieux maillage entre de petites histoires et la grande Histoire, celle de Joseph et de Marie plongés au cœur d’une époque riche en évènements, depuis la Révolution française, les guerres napoléoniennes jusqu’à l’orée de la monarchie de Juillet.
Je m’appelle Joseph et je suis charpentier. D’entrée, l’auteur nous adresse l’un de ses petits clins d’œil, sans s’y attarder. Quand la petite histoire télescope la Grande, notre plaisir est réel de découvrir au fil des pages un tissage aussi audacieux que malin, le romancier nous adressant d’ironiques pieds de nez, tels Joseph et Marie se mariant le même jour que le Sacre de Napoléon, ou encore tissant des liens de parenté entre personnages fictifs et figures historiques. Nous voici plongés au cœur d’une époque épique, et tel un petit poucet malicieux qui sèmerait ses petits cailloux historiques au gré des pérégrinations de ses héros, l’auteur nous délivre des petites perles d’anecdotes en bas de page, reliant sans cesse l’imaginaire au réel ; ainsi nous découvrons un certain François Picaud, furtivement croisé par Joseph, qui, enfermé au château d’If, sera l’inspirateur de Dumas pour son célèbre roman du Comte de Monte Cristo. Pour qui est passionné d’Histoire, on ne peut que savourer l’épopée dans laquelle Pierre nous embarque.
Pierre avait raison : les lieux traversés par Joseph me sont familiers en raison de mon propre parcours de vie, parcours que je partage pour partie avec Pierre. Cette familiarité ne fait que renforcer le plaisir un peu égoïste de faire corps avec les personnages, de se transporter près d’eux, de vivre au cœur de leur univers. J’aime les vieilles pierres, je goûte à l’émotion tactile qui émane de tel ou tel monument historique. Poser mon pied sur le seuil luisant d’une église creusé par des générations de passants anonymes, effleurer de la main la courbe d’une colonne de marbre polie par des générations d’épaules, c’est une émotion fugace qui m’enchante. J’ai ressenti la même émotion tactile à retrouver au fil du récit des lieux familiers de mon passé, traversés par des personnages eux-mêmes habilement reliés à l’Histoire par la construction du roman.
Joseph est Flamand, devenu Français par une annexion due aux hasards de l’histoire. Il est soldat de la Grande Armée, suite aux hasards de la vie. Voilà qui résume bien l’époque tumultueuse que l’auteur fait vivre à son Joseph, emporté malgré lui dans un tourbillon historique, multipliant métiers, rencontres et expériences géographiques ; ce qui lui fait vivre une destinée digne des plus grands « voyageurs » de l’histoire, à l’image d’un Pierre Loti, d’un Paul Gauguin, ou d’un Marco Polo ; et dans laquelle, toute proportion gardée, je vois la métaphore de nos propres existences, faites également de hasards, de rencontres fortuites et de décisions radicales. Comment ne pas déceler dans cette accumulation de voyages un écho autobiographique au périple mouvementé de son auteur à travers le monde, et dont j’ai été le témoin à gré de quelques-unes de ces étapes communes, depuis le boulevard Louis XIV à Lille jusqu’au château du Seuil de Puyricard, de Marietta près d’Atlanta ou encore au château de Randé près de Layrac aux confins du Lot & Garonne et du Gers… Ah le fameux petit rosé du château du Seuil, bu sans modération lors de nos soirées étudiantes, à l’instar de l’espion Antoine Burel qui lui aussi en abuse allègrement.
C’est au gré d’un style fluide, concis, fait de dialogues intelligents, que Pierre nous fait virevolter au sein d’un occident en totale effervescence, remodelé par la folie des guerres napoléoniennes et des complexes jeux diplomatiques de l’époque. Comment ne pas s’émouvoir à quelques siècles de là, de cette incroyable boucherie de jeunesse sacrifiée dans toute l’Europe. Combien de victoires sagement apprises à l’école primaire, Austerlitz, Eylau, Ulm ou Iena, sont aussi tristement synonymes d’impensables pertes humaines à une époque où nous avons l’émotion si prompte ; imaginons simplement que les 27 000 morts devant le « seul » siège de Moscou rempliraient aujourd’hui un stade de foot entier lors d’une rencontre de coupe d’Europe. Le mérite est entier à l’auteur de ne pas avoir escamoté cette tragédie qui a néanmoins forgé le destin de l’Europe, et qui souligne la force romanesque de notre héros Joseph d’y avoir survécu.
Et qui va-t-on croiser dans le prochain chapitre ? Jusqu’aux ultimes pages, notre curiosité est titillée par son lot de rencontres historiques, notre plaisir de découverte est renouvelé, par petites touches subtiles, tel un pinceau qui viendrait ajouter une pointe de couleur au tableau impressionniste élaboré au fil des chapitres. Comme un clin d’œil très personnel et fortuit, à l’ultime rebondissement de l’histoire, nous croisons encore l’explorateur Dumont d’Urville, découvreur de l’Astrolabe de La Pérouse, et dont l’épave est en cours de restauration dans une cale du port de Bayonne, ville où j’ai le plaisir de vivre actuellement, et où j’attends notre auteur avec une bouteille de rosé au frais, car il est écrit que nous devons nous recroiser régulièrement.
Pierre Amouyal
Ingénieur Arts & Métiers
Îles Sandwich, 14 février 1779, saint Valentin
« Captain ! Captain ! » hurle John Goodbutter en courant à perdre haleine vers la tente du commandant de l’expédition. Le jeune mousse remonte vers la falaise en courant depuis la plage qui borde l’anse dans laquelle le HMS Résolution est à l’ancre depuis près d’un mois. Sur son chemin, il enjambe les obstacles constitués de feuilles de palme et de troncs de cocotiers couchés, tout en faisant attention de ne pas salir son uniforme blanc de mousse de la Royal Navy. Il grimpe vers le promontoire où les officiers de Sa Majesté ont établi leur campement à terre et d’où ils peuvent surveiller toute la baie. John sait qu’il y trouvera le capitaine Cook sous sa tente. Bien que disposant d’une somptueuse cabine dans le château arrière de la Résolution, James Cook préfère passer ses journées à terre en compagnie de ses hommes. Cela lui permet également de recevoir Kalaniopuu, le chef des indigènes, dont le village est tout proche, sans avoir à l’inviter à bord du navire. Bien que les tribus hawaïennes aient bien accueilli les Anglais lors de la précédente escale de la Résolution l’année dernière, Cook sait d’expérience qu’il vaut mieux prendre des précautions avec ces « sauvages », et surtout ne pas les faire monter à bord d’un navire britannique.
« Captain ! Captain ! » s’époumone Goodbutter en arrivant sur le promontoire.
« Lieutenant, allez voir ce qu’il se passe ! » ordonne alors James Cook à l’un de ses officiers, sans même détourner son regard de la carte maritime dressée par son géomètre. Le capitaine, en pantalon blanc, veste bleu marine et galons dorés, est, comme à son habitude, perdu dans ses pensées. Sur la carte, les îles Sandwich ressemblent à un minuscule chapelet de terres émergées au cœur de l’océan Pacifique. L’immensité de cet océan le fascine, lui qui a découvert qu’il existe au sud un passage entre l’Australie et l’Antarctique et au nord entre l’Amérique et la Sibérie.
Le lieutenant pénètre à nouveau dans la tente et sort l’illustre explorateur de ses pensées. Il lui explique qu’il s’agît du mousse Goodbutter qui tient absolument à lui parler.
« Entre, Johny ! » crie Cook assez fort pour être entendu jusqu’à l’extérieur de la tente. James Cook ne s’exprime d’ailleurs que très rarement autrement qu’en criant. À force de donner des ordres sur les navires qu’il commande, bravant les tempêtes sur toutes les mers du globe, il n’a plus tout à fait la notion du juste niveau de décibels requis pour s’exprimer calmement à terre. Il existe deux personnes, toutefois, devant qui il n’hausse jamais le ton : son épouse Elisabeth et sa majesté le roi Georges III.
Le capitaine se détourne enfin de la carte et observe avec attention le mousse au souffle coupé. De grosses gouttes de transpiration perlent sur le visage poupon du jeune homme. Déjà rougi par le soleil des îles Sandwich depuis quatre semaines, la course effrénée depuis la plage a achevé de le rendre cramoisi. À tel point que James Cook propose au mousse de s’asseoir. John Goodbutter n’en revient pas. Être invité à s’asseoir à la table des cartes du commandant de l’expédition, lui, un simple mousse, tout en bas de l’échelle très hiérarchisée de la Royal Navy !
« Reprends ton souffle, matelot, et dis-moi ce que me vaut cette irruption dans ma tente. »
« Mon capitaine. Les indigènes ! Ils ont recommencé ! »
« Recommencé quoi au juste ? »
« À voler sa Majesté George III ! Ils ont encore chapardé une chaloupe de la Résolution ! »
L’illustre capitaine a de l’affection pour le jeune mousse. Il aime sa spontanéité et sa loyauté. Car ce gamin des bas quartiers de Poole, banlieue portuaire de Bournemouth, dans le Dorset, est vraiment un loyaliste. Bon chrétien, fidèle à son roi, dévoué à son capitaine et attaché à son navire. Depuis trois années qu’il navigue sur la Résolution, John Goodbutter considère ce navire comme sa maison. Il ne supporte pas que les indigènes s’en approprient les équipements.
« Tu as eu raison d’avoir couru pour me prévenir. Voler une chaloupe, c’est voler l’Angleterre ! » ajoute Cook d’un air volontairement grave. Il force le trait même si au fond de lui-même l’attitude outrée du mousse l’amuse. Ce n’est pas la première fois que les indigènes volent les Anglais. Depuis un mois qu’il a accosté sur les îles Sandwich, Cook a été confronté à pareille situation à plusieurs reprises. À chaque fois, il l’a résolue tantôt par la diplomatie, tantôt par le chantage. Quand les indigènes le volent, il prend des otages et exige la restitution des biens en échange de leur liberté. Cette technique a toujours bien fonctionné. Aujourd’hui encore, le capitaine Cook va la mettre en pratique.
Dans un accès de vanité, Cook décide de montrer à son jeune mousse qu’il entend apporter une réponse à la hauteur de l’affront. « Voler la Navy, c’est voler le Roi ! » martèle-t-il. L’orgueilleux capitaine ordonne alors à son lieutenant une riposte ridiculement disproportionnée : « Capturez-moi Kalaniopuu ! »
« Le chef des sauvages, Monsieur ?! »
« Évidemment, vous connaissez un autre Kalaniopuu, Lieutenant ? Quant à toi, Johny, je t’accorde deux jours de repos. Bravo, mon garçon, profites-en, tu les as mérités. »
John Goodbutter est ravi. Deux jours sans corvées ! Il va pouvoir les passer avec sa jeune conquête hawaïenne du village voisin. C’est une brune sensuelle, à la peau couleur de miel et au goût de vanille, dont le prénom hawaïen est imprononçable pour le jeune Anglais. Il a donc choisi de l’appeler Valentine. Et aujourd’hui, quatorze février 1779, c’est Valentine Day. John ne croit pas en la légende selon laquelle les oiseaux s’accoupleraient à la mi-février et que cette date préfigure la fin de l’hiver et le début du printemps. De toute façon, ici aux îles Sandwich, la notion d’hiver et de printemps n’existe pas. Non, le mousse ne pense pas que le quatorze février soit le jour que les oiseaux choisissent pour s’apparier. En revanche, comme tout marin qui a mouillé dans de nombreuses colonies, John sait que le mois de février est celui de l’arrivée des bateaux de la Navy remplis d’une cargaison de valeur pour les colons, à savoir des femmes à épouser ! Depuis des décennies, l’Empire britannique rafle les prostituées des ports anglais et les envoie de force dans ses territoires d’outremer pour rétablir la parité démographique et assurer le peuplement des colonies. John sait aussi qu’en février les navires français de la Royale débarquent également leur cargaison de putains dans les colonies du Royaume de France. La Saint-Valentin n’est pas la fête des amoureux, c’est le jour du marché à bestiaux où chaque homme choisit sa ribaude. La Saint-Valentin, c’est la foire aux catins…1
Vers midi, Kalaniopuu arrive au camp du promontoire, les poignets entravés et encadré de deux marins de la Résolution. Cook ordonne qu’on mette le chef indigène aux fers dans la cale du navire. L’humiliation est totale. Un peu plus tard, une délégation de cinq Hawaïens arrive devant la tente du capitaine. Elle est conduite par le vieux sorcier du clan qui remet à James Cook un présent. Il s’agit d’une sorte de cube en bois massif, d’environ un pied de côté.
« C’est toi le chef en l’absence du chef Kalaniopuu ? » lui demande le capitaine sans ménagement.
« Oui, Captain, moi petit chef après grand chef ! »
« Bien. Mais si tu veux revoir ton grand chef vivant, ce n’est pas un cube en bois qu’il faut me donner. C’est ma chaloupe que je veux récupérer ! » ajoute Cook en renvoyant les indigènes.
De retour dans sa tente, il s’apprête à se plonger à nouveau dans ses cartes, quand son regard s’arrête sur le cadeau du sorcier.
« Un cube en bois ! Ce sorcier espérait-il vraiment m’acheter une chaloupe de l’HMSRésolution avec un cube en bois ?! »
James Cook regarde alors l’objet plus attentivement, et le soupèse. Il est lourd car en bois massif, un de ces bois exotiques dense comme on en trouve aux îles Sandwich. Le capitaine remarque alors une très fine ligne sur toute la circonférence de l’objet. Ce qu’il avait d’abord pris pour une veine dessinée sur le bois s’avère être en réalité une minuscule fente. Comme si le cube était fait de deux moitiés, la partie supérieure s’encastrant parfaitement dans la partie inférieure. Il réalise alors que le cube est en réalité une boîte et saisit son couteau pour l’insérer dans la fente. L’ajustement est si parfait qu’il met une bonne minute à séparer les deux moitiés du cube.
Le capitaine Cook aurait dû s’arrêter là. Ne pas ouvrir cette boîte de Pandore. Mais la curiosité des explorateurs l’a toujours emporté sur leur prudence…
La partie inférieure de l’écrin révèle une forme évidée dans laquelle est logé un objet étrange. Il est de couleur gris anthracite et de forme cylindrique allongée, plat à une extrémité, arrondi à l’autre.
Au moment précis où Cook sort l’objet de son logement, un éclair de foudre fend brutalement le ciel. « Magie de sorcier… » se dit le capitaine en souriant.
Le cylindre est si lourd que Cook n’arrive pas identifier sa matière. Il ne sait s’il s’agit d’une roche très compacte ou d’un métal. Le cylindre est très finement ciselé, avec des cannelures formant des losanges et autres dessins géométriques qui s’entrecroisent sur l’extrémité arrondie. James Cook pose alors l’objet verticalement sur la table, debout sur son extrémité plate. À l’instant même où le cylindre est dressé sur la table, un deuxième coup de tonnerre retentit. Lorsqu’il avait touché l’objet, la coïncidence avec la foudre avait fait sourire le capitaine. Ce deuxième éclair, lorsqu’il pose le cylindre debout, ne l’amuse plus du tout. « Qu’est-ce que c’est que ce foutu truc-là ? On dirait un cornichon… »
En effet, la forme de l’objet peut évoquer celle d’une cucurbitacée. Les Londoniens du XXIe siècle compareraient sa silhouette à celle du célèbre immeuble de La City qu’ils appellent the Gherkin, ou le Cornichon en anglais. Des archéologues pourraient également y voir une similitude de forme et de dimension avec les sexes de granit retrouvés dans certains thermes romains2. Oh my gode !
James Cook remet l’objet dans sa boîte et la referme. Pas de coup de tonnerre cette fois-ci. Il ne le sait pas encore, mais le sort est en marche.
Plus tard dans l’après-midi, le capitaine est appelé sur la plage où une altercation vient d’éclater entre les marins de sa Majesté et un groupe d’Hawaïens. Voyant que les marins sont armés de leurs fusils, Cook s’interpose et tente de parlementer pour éviter un drame. C’est alors qu’un indigène lance une hache qui se plante dans le crâne de James Cook. Le capitaine tombe sur le sable devant ses hommes. Il agonise en quelques secondes.
En ce 14 février 1779, le plus grand explorateur du siècle, celui qui au cours de ses trois voyages fut le premier Européen à débarquer en Australie, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Sandwich, celui qui fut également le premier navigateur à faire le tour de l’Antarctique et à cartographier Terre-Neuve, n’est plus.
Sur la plage, la consternation fait place à la panique chez les Anglais. Les indigènes s’emparent du corps du capitaine Cook et s’enfuient dans la forêt. En fin de soirée, les Britanniques échangent Kalaniopuu contre le cadavre de leur capitaine afin de l’inhumer en mer avec les honneurs militaires. Puis ils démontent à la hâte le camp du promontoire et commencent à charger l’HMS Résolution d’eau et de vivres.
Le lendemain à midi, la Résolution appareille. C’est en direction de l’Angleterre, qui ne sera atteinte que le quatre octobre 1780, que le navire quitte les îles Sandwich avec ses cent douze marins.
Tous ses marins ? Non, l’un d’eux manque à l’appel. Le jeune mousse John Goodbutter, toujours dans les bras de sa maîtresse hawaïenne dans un village voisin, ne sait pas que son capitaine est mort. Ce n’est qu’à la fin de sa permission de quarante-huit heures qu’il retourne à la plage. À son grand désespoir, il découvre que la Résolution a disparu avec tous ses compatriotes. Il fouille les décombres du camp et récupère le cube en bois exotique. Johny n’a plus qu’à s’asseoir dessus et attendre qu’un navire croise par les îles Sandwich.
Enfant, il a souvent rêvé de l’Australie en relisant son livre de chevet préféré, le journal de bord de la première expédition du capitaine Cook. C’est sa publication qui a motivé le petit John à s’engager comme mousse dans la troisième expédition de son héros. À présent, il espère qu’un autre explorateur britannique passera par cette île perdue au milieu de l’océan Pacifique et, qui sait, l’emmènera peut-être vers cette Australie qu’il rêve de découvrir avant de retourner en Angleterre. D’après le journal de la première expédition de son commandant, la végétation y est luxuriante et le climat est, paraît-il, des plus tempérés au sud de cette grande île3.
Pendant les sept années suivantes, assis sur son cube, le mousse va scruter l’horizon quotidiennement en quête d’une voile qui viendrait le délivrer de ce paradis tropical et le ramener dans le brouillard de l’Angleterre. Ses rapports avec les indigènes sont bons mais la civilisation lui manque. Par civilisation, il entend l’uniforme, la discipline, les ordres en anglais et l’exaltation de la navigation. L’enfer de la Royal Navy est en fait sa définition de la civilisation.
Le 28 mai 1786, Goodbutter se croira exaucé quand deux voiles feront escale aux îles Sandwich. Assis sur sa fameuse mascotte en bois, il observera cependant avec tristesse le drapeau des navires qui s’approcheront. Ce seront des bannières ennemies, celles de l’explorateur français La Pérouse. Le capitaine sillonnera en effet l’océan Pacifique sur La Boussole et L’Astrolabe pour le compte de son roi Louis XVI.
Après un moment d’hésitation, John ira au-devant des Français. Le capitaine La Pérouse, surpris de trouver un marin anglais sur cet archipel qu’il croyait vierge d’Européens, accueillera John cordialement. Manquant de marins, La Pérouse proposera à John de le prendre à son bord s’il accepte de se soumettre à quatre conditions : le mousse devra renoncer à servir Georges III, renoncer à sa religion anglicane, renoncer à parler l’anglais et franciser son patronyme.
C’est ainsi que John Goodbutter ramassera son cube fétiche et montera à bord de l’Astrolabe, où il deviendra Jean Bonbeurre. Ses nouveaux collègues le surnommeront amicalement Jambon-Beurre, un nom somme toute prédestiné dans cette histoire de cornichon et de Sandwich !
Furnes, Pays bas, Autrichiens, 29 février 1780
Jakob Vandenbossche est soudain parcouru par des sentiments puissants qui s’entrechoquent. Des impressions contradictoires se mélangent dans sa tête, dans son cœur et dans ses tripes : angoisse, impatience, fierté, bonheur, compassion, impuissance, douleur, joie, espoir. Cela fait deux heures qu’il tourne en rond dans la pièce principale de sa petite maison située à l’orée de la forêt. Il n’échange pas un mot avec August, son père, qui est calé dans sa chaise à bascule, immobilisé par un mal de dos chronique. Plutôt dans la soirée, il a sellé son cheval et a foncé jusqu’au bourg de Furnes. Joop n’est pas un rapide coursier. C’est un puissant cheval de trait, un boulonnais placide, plus habitué à tirer des grumes dans les bois qu’à galoper sur la route. De nos jours, Joop serait comparé à une rustique Land Rover série III équipée d’un moteur diesel privilégiant le couple à l’accélération et à la vitesse de pointe.
Vingt minutes plus tard, Jakob était de retour chez lui et aidait Madame Knockaert à descendre de Joop. Le chemin du retour avec Anouk Knockaert, en croupe, lui avait paru interminable. Jakob était inquiet d’avoir laissé sa femme Jeanne seule dans leur chambre et la présence d’August dans la pièce voisine ne suffisait pas à le rassurer. Anouk Knockaert avait profité du temps du trajet pour lui donner des instructions.
« Dès qu’on arrivera, Jakob, tu allumeras le feu dans l’âtre, tu feras bouillir de l’eau, et tu me prépareras des linges propres et des ciseaux. Je serai seule dans la chambre avec Jeanne. Je ne veux pas te voir passer la porte avant que je t’y autorise, même si tu entends crier ! »
Anouk avait certes profité de la chevauchée pour dicter ses ordres, mais elle avait également tiré avantage de cette courte randonnée pour se blottir contre Jakob. La quadragénaire s’agrippait au corps musclé du jeune bûcheron, plus que les secousses de la croupe de Joop ne le nécessitaient. Anouk était veuve depuis quatre ans et avait apprécié l’opportunité d’être physiquement aussi proche d’un homme si viril. Elle s’était agrippée à ses bras qui étaient probablement plus forts que les cuisses de la plupart des hommes, et avait calé sa forte poitrine contre le dos musclé du cavalier. Elle savait Jakob amoureux de Jeanne et n’espérait rien de plus que ces quelques minutes d’étreinte soutenue, n’y voyant pas de mal. Un peu de malice tout au plus… Voler ces quelques instants de sensualité qui lui manquaient tant lui paraissait anodin. Et Jakob était si perturbé ce soir qu’il ne s’en rendit même pas compte.
Anouk Knockaert avait eu quatre garçons qui avaient marqué ses hanches. Ses enfants avaient maintenant quitté le foyer. Anouk, âme charitable, avait aidé une quarantaine de femmes de Furnes à mettre au monde les leurs. Après avoir commencé en assistant un médecin, cette femme sage avait continué à jouer les sage-femmes toute seule. La veuve rendait volontiers ce service à ses amies. Elle avait un beau visage rond, très doux, même s’il pouvait se raidir quand elle « officiait ». Anouk était trop dodue, même pour les canons de la beauté dans la Flandre de la fin du XVIIIe