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Joseph, un ingénieur français conservateur et cartésien, s’installe à Casablanca et se trouve confronté aux différences culturelles marocaines. Il se heurte aux barrières de langue, des coutumes, de la bureaucratie et de l’humour local, tout en essayant de comprendre les comportements, l’urbanisme et les attitudes envers l’argent et le temps. Malgré ses défis, surtout avec le Code de la route, il porte un regard affectueux sur les Casablancais. Entre critique et indulgence, il apprend à aimer la ville et ses habitants, à défaut de les comprendre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Dardenne, diplômé de l’école d’ingénieur des Arts & Métiers et doté d’une formation en gestion d’entreprise, est un passionné d’histoire et de géographie. Il exprime sa créativité tant dans la conception d’œuvres artistiques que dans l’écriture, des soupapes nécessaires pour équilibrer une vie professionnelle dans un milieu peu enclin à la fantaisie. Résidant à Casablanca, il partage avec bienveillance et autodérision dans son troisième livre, "Un Gadzarts chez les Casaouis", les aventures vécues depuis son arrivée dans la ville.
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Pierre Dardenne
Un Gadzarts chez les Casaouis
© Lys Bleu Éditions – Pierre Dardenne
ISBN : 979-10-422-2794-4
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À Kika…
À l’époque, j’habitais Marrakech depuis deux ans, cette ville ocre où j’avais résidé trente ans auparavant et qu’évidemment je ne reconnaissais plus. Le charme s’était envolé avec mes souvenirs de jeunesse et c’était désormais la réalité d’un Las Vegas africain pour touristes fortunés. Une ville de loisirs, d’artistes endormis par la chaleur et de collectionneurs à la retraite. Un revers de fortune me souffla d’aller voir ailleurs.
Après réflexion, une seule opportunité s’offrait à moi, comme une évidence. Sous une pluie de mises en garde et avec une certaine appréhension, presque à reculons, je me suis installé à Casablanca.
Depuis six ans, cette cité est mon quotidien et mon inspiration ; je peins la ville et ses habitants. Une fourmilière colorée, une Babel au bord de l’océan. Une structure devenue anarchique à force de bâtir sur les antagonismes criards d’une ville qui a grandi trop vite, oublieuse de l’antique cité d’Anfa et de son récit parsemé d’aventures, de pirates et de saints fondateurs.
Désormais, on l’affuble de tous les noms, Casanegra, Casanostra, Casabis, Casafinancecity et j’en passe, sans jamais réussir à la cerner tout à fait, tant elle reste multiple, inexorablement plus avide d’espace et de profits immédiats.
Casablanca et son gigantesque port de commerce en plein centre, expirant ses fumées brunes sur l’ancienne médina et le centre historiquement art déco, avec ses palmiers californiens et ses allées de ficus étrangement rectangulaires. Ce décor où l’on se plaît à s’imaginer vivre autrefois et où se mêle la beauté des bâtiments plus ou moins délabrés.
Casablanca, c’est le fruit presque trop mûr d’un exode rural massif vers la ville de toutes les promesses, alors que l’empressement à construire pour loger une population toujours plus nombreuse développe encore la périphérie actuelle. Au cœur de la nature, comme ils disent sur les panneaux publicitaires ! Au moins au Maroc on a le sens de l’humour.
Pour le piéton citadin que je suis, utilisateur du tramway et du bus, je constate qu’il y a ici beaucoup trop de véhicules. La circulation routière devient si pénible que l’on va souvent plus vite à pied, sur des trottoirs qui n’en sont pas ou plus, au risque de devenir sourd puisque, pour le chauffeur casaoui, klaxonner c’est exister.
Casa, pour la nommer plus simplement, fait outrageusement étalage d’une concentration de richesses, une démonstration du tout, tout de suite, au meilleur prix. Le Casaoui, tête dans le guidon, fonce vers le succès et tant qu’il peut tirer son épingle du jeu, peu importe l’inacceptable. C’est aussi une ville où la jeunesse de toute l’Afrique de l’Ouest se croise, interagit, bâtit le futur d’un continent en pleine expansion, où l’union fera la force. Je la vois comme un laboratoire de tolérance et d’espoir pour une jeunesse marocaine éprise de liberté. Une société en éveil, active dans sa démarche culturelle et l’expression de ses identités. La métropole est dense, dynamique, véritable royaume du petit commerce au détail, un monde de possibles pour chacun. Les petits métiers qui ne disparaissent pas me rassurent.
Il y aurait tant à dire à propos de cette ville, un véritable mélange des genres, un bouillon de culture au sens propre comme au figuré. Je me contente de la peindre.
C’est dans ce théâtre de l’absurde, où l’on finit par ne plus s’étonner de rien, dans ce temple de l’érosion nourrissant mon imaginaire, que j’ai rencontré notre Gadzarts, auteur de ce livre. Mon quotidien étant fait de lecture matinale au parc, de journées de travail à l’atelier et de rares sorties à des évènements, ce fut lors d’une présentation de mes œuvres que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Amateur d’art, il avait la bonhommie du facteur d’un jour de fête et le cerveau d’un capitaine d’industrie – un antagonisme de plus – mais avant tout une humilité et une générosité de cœur : un artiste dans l’âme d’un ingénieur.
Nous avons partagé nos expériences, issus tous deux d’un même pays et d’une même génération, nous avons échangé à propos de cette ville étonnante où chacun semble vouloir se trouver une excuse pour en être tombé amoureux.
« Alors, comment tu trouves Casa ? » Ici plus qu’ailleurs il faut savoir rire de tout.
Pascal François
Artiste peintre
Casablanca, février 2024
Le vingt-huit mars mille neuf cent soixante-quatre, Petit-Zef fait son entrée chez les vivants. Il pousse la porte de l’origine du monde et déboule, un peu courbé (ou Courbet ?), dans la chambre numéro quarante de la maternité. Ce n’est pas tout à fait exact de dire qu’il « pousse la porte ». En réalité c’est Maman qui le « porte » depuis neuf mois et maintenant c’est encore elle qui « pousse ». Petit-Zef, passif, ne fait que glisser dans ce monde. Ses deux grands yeux noirs expressifs font le tour de la pièce avec curiosité. Il faut dire qu’à l’intérieur, il n’y avait pas grand-chose à voir. On a vite fait le tour de l’intérieur d’un placenta, surtout avec un si mauvais éclairage.
« C’est quoi cette horreur ? » dit Petit-Zef avec une moue exprimant le dégoût. En fait, il se le dit à lui-même. Le lecteur aura compris que, bien que très précoce, ce bébé ne parle pas encore.
La première constatation de Petit-Zef est que le papier peint collé sur les murs de la chambre est à vomir. Plus tard, Petit-Zef devenu Joseph aura la confirmation que c’est en fait une constante de l’univers : les papiers peints des chambres de clinique sont toujours ringards. Maman étant artiste peintre, la fibre artistique transmise à Petit-Zef pendant les neuf mois de gestation est déjà bien aiguisée. En tant que pur produit des sixties, il s’attendait plutôt à découvrir une chambre de maternité de style pop’art avec une déco flashy aux couleurs acidulées. Quelle déception, ce papier peint fleuri et fadasse ! Et ces rideaux mièvres qui ressemblent aux robes démodées de ses grand-mères. Bon, là Petit-Zef fait déjà un procès d’intention à ses gentilles grand-mères, alors qu’il ne les a pas encore rencontrées. Après vérification, il s’avère qu’elles ont bien meilleur goût que le décorateur de la clinique. Tout compte fait, comparé à cette chambre glauque, l’intérieur du placenta n’était pas si mal dans le genre pop’art…
À propos de bon goût, Petit-Zef se rend compte qu’il est en train de téter. Ayant déjà le sens de l’orientation dans l’espace et un raisonnement bien développé pour son âge, il en déduit qu’il est posé sur la poitrine de maman. Il lève donc les yeux pour admirer son visage en contre-plongée. Jusqu’alors immergé dans le liquide amniotique, il ne l’admirait qu’en plongée…
Le lait, c’est bon. Enfin, quand on est bébé, et qu’on n’a pas encore goûté à la bière. Une bonne gueuse lambic, une bière forte d’abbaye ou encore une kriek au goût aigre de cerise… Petit-Zef deviendra amateur en grandissant. Il faut dire que nous sommes en Flandres. Notre histoire est gravée dans la bière, si on peut dire. La maternité est à Lille, la capitale d’une des trois Flandres.
Petit-Zef deviendra passionné d’histoire et de géographie. D’un ton professoral, il vous expliquerait qu’il y a trois Flandres. Il y a tout d’abord la Flandre française, dont Lille est la capitale, qui s’étend sur l’ouest des départements du Nord et du Pas-de-Calais, jusqu’à Dunkerque et Saint-Omer. Et il y a aussi les deux provinces belges : la Flandre-Occidentale, dont la capitale est Bruges, et la Flandre-Orientale, dont la capitale est Gand. Ces dernières correspondent respectivement aux départements français de la Lys et de l’Escaut, qui portaient jadis les numéros quatre-vingt-onze et quatre-vingt-douze sous la Première République et le Premier Empire.
Petit-Zef voit donc le jour en Flandre française. Il continue son tour d’observation. Après l’affreux papier peint et la douce Maman, ses yeux se posent sur Papa. Beau gosse, blond aux yeux bleus. « Pas de doute, on est bien chez les Flamands ici », se dit Petit-Zef. Papa est orthodontiste. Si la profession d’artiste de Maman influence déjà Petit-Zef, celle de Papa n’a pas encore déteint de manière flagrante chez son fils. Quoique n’ayant pas encore de dents, on ne peut pas dire qu’elles soient mal alignées… De toute façon, tant qu’il n’est pas sevré, c’est-à-dire tant qu’il tète du lait au lieu de boire de la bière, son absence de dents est plutôt agréable aux tétons de Maman.
Le regard de Petit-Zef se tourne alors vers l’autre homme présent dans la pièce. C’est l’obstétricien. « Compliqué, ce mot, ça ressemble à une contraction des mots obsédé et électricien ! ». En tout cas, il a l’air drôlement en avance sur son temps. Nous sommes au milieu des années soixante, et le type porte déjà un masque anti-covid comme nous en porterons tous dans les années vingt ! « Et une pièce faciale filtrante de seconde classe en plus ! » remarque Petit-Zef qui en futur scientifique anglophone sait déjà que l’acronyme en anglais est FFP2.
Sur cette constatation, il change de téton et reprend une rasade de lait en fermant les yeux. « On est bien ici, tout compte fait », se dit-il en s’endormant, ne sachant plus à quel sein se vouer.
Il est réveillé par la voix de Maman qui lui dit que c’est bien qu’il ait fait un petit rot. Des années plus tard, dans sa période « bière », on ne lui dira plus que c’est bien de faire des renvois. Ce monde est décidément compliqué.
Petit-Zef rouvre les yeux.
Il est moins intéressé par le gynécologue-obstétricien (ce nom composé fait encore plus savant !) que par l’autre femme présente dans la pièce. Il s’agit de la sage-femme, que le docteur appelle Jeanne. « Sage-femme ? Qu’est-ce que c’est que ce métier ? Être sage est certes une qualité appréciable, mais en aucun cas une profession ! On est dans les années soixante, alors je suspecte que ça, c’est encore un truc du MLF. Si ça continue, d’ici un demi-siècle, les wokistes et autres extrémistes de la théorie du genre s’amuseront à féminiser tous les noms de profession. Nous aurons des autrices, des damesdarmes, des mairesses, des maîtresses-chiennes et des sapeuses pompières… » Ces dernières professions résonnent aux oreilles de Petit-Zef comme des titres de films pornographiques. Il est décidément très précoce, ce gamin.
« Le féminin des noms en "aire" est particulièrement laid. » Si l’on accepte de dire une mairesse, alors on doit dire une militairesse et une commissairesse. « Alles klar, Frau Kommissar ! » Et une émissairesse : afin d’élever la condition féminine, on ne parlera donc plus de bouc émissaire pour les femmes, mais de chèvre émissairesse ! C’est tellement plus respectueux…
Petit-Zef comprend alors que ce n’est pas en féminisant les mots que l’on respectera plus les femmes ! C’est même souvent l’inverse, ça les fait passer pour des prostituées :
Petit-Zef pourrait trouver des exemples à l’infini. Et l’inverse, alors ? Quid de la masculinisation des noms féminins ? Comment doit-on appeler les hommes qui exercent le noble métier de sage-femme ? Des hommes-sages, peut-être ? Non, décidément Petit-Zef trouve que tout cela est ridicule. Homme-sage lui fait trop penser à Homme-singe.
« Tarzan l’homme-sage aime Jeanne la sage-femme », ironise-t-il. Grotesque !
En tous cas, la Jeanne en question, avec ses yeux délavés et sa chevelure blond platine, a bien le type flamand. Elle est originaire d’Arques, près de Saint-Omer. C’est pour ça que tout le monde l’appelle Jeanne dans le service. Ce n’est pas son vrai nom, mais Jeanne d’Arques, ça les amuse. « Avec des cheveux blond platine coupés au carré, moi je l’appellerai plutôt Mireille d’Arques… »
« Ce nouveau-né fait un ictère du nourrisson », dit pompeusement le gynécologue-obstétricien. Ces médecins, toujours à inventer des termes compliqués pour impressionner les néophytes ! Il n’peut pas dire une jaunisse, comme tout le monde ?
Cheveux bruns, yeux noirs et peau bronzée par la jaunisse, Petit-Zef ne ressemble pas du tout à un Flamand. D’ailleurs dans les jours qui suivent tout le service appelle le petit de la chambre numéro quarante, l’Italien.
« J’suis pas un Italien ! J’suis juste un Flamand qu’a bronzé ! »
*
* *
Voilà pour les origines. Nous aurions pu appeler ce premier chapitre « La Genèse », mais le titre était déjà pris par un autre best-seller avec lequel nous n’avons pas la prétention de rivaliser. Nous avons cru bon de narrer les origines de Petit-Zef afin de mieux comprendre les traits de caractère de l’adulte qu’il est devenu.
« Genèse, genèse… gêne-aise ? Quel oxymore ! Deux mots comme la gêne et l’aise ne peuvent pas être plus opposés » puis de continuer : « Oxymore, oxymore… ça me fait penser à oxygène. Oxygène, oxy-gêne, c’est l’opposé d’oxy-aise ? »
« Mais le cerveau de ce gamin ne fait donc jamais de pause ! » dit Papa.