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"L’épi-phénomène" entrelace les destins de plusieurs familles, unies par des alliances pour former une seule lignée. Ce roman mêle personnages réels et fictifs à travers le symbole de l’épi de blé. Des querelles médiévales aux guerres modernes, l’histoire vous transporte entre diverses époques et régions, offrant une multitude d’anecdotes captivantes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fervent d’histoire et de géographie,
Pierre Dardenne exprime sa créativité tant dans la conception d’œuvres artistiques que dans l’écriture. Des soupapes nécessaires pour équilibrer une vie professionnelle souvent dépourvue de fantaisie. "L’épi-phénomène" est son quatrième livre.
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Pierre Dardenne
L’épi-phénomène
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre Dardenne
ISBN : 979-10-422-2772-2
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Confiez à la terre des grains de blé, elle vous rendra plus d’épis qu’elle n’a reçu de grains.
Fénelon, archevêque de Cambrai (1651-1715)
À mes aïeuls,
réels et imaginaires…
Confiez à la terre des grains de blé, elle vous rendra plus d’épis qu’elle n’a reçu de grains.
Fénelon, archevêque de Cambrai (1651-1715)
En écrivant cet ouvrage où se mêlent imaginaire et réalité, l’auteur a tissé de multiples liens entre l’histoire singulière et l’histoire collective, les origines géographiques et les origines sociales, le tout avec un attachement profond aux lieux, aux personnes et aux évènements véridiques.
Emporté par la nostalgie, il a réitéré le vœu d’un chercheur qui, en considérant la généalogie de sa lignée, transmet un système de valeurs authentiques qui interroge notre époque.
Les mots sont mis en adéquation pour conjuguer au présent le temps des anecdotes réelles du XXe siècle grâce aux témoignages vivants reçus de ses grands-parents. La mémoire quant à elle se projette comme un horizon de pensée qui cristallise la famille, véritable socle en soi et autour de soi. C’est pour l’auteur le temps des clivages, de la Grande Guerre et de la résistance.
Passionné d’Histoire avec un grand H, Pierre Dardenne nous livre également un éclairage lié à d’autres champs de recherche. Cette fois-ci, ses personnages portent le nom de ses aïeux sans pour autant être tous parents. Les récits datent du XIe au XIXe siècle et nous rapportent le temps des successions, des revanches et des révolutions. Ces époques bouillonnantes raviront tous les amoureux de la connaissance du passé.
Malika Sedki
Notaire
Les personnages historiques figurent en caractères gras et les personnages de fiction en caractères italiques. Ces derniers ont été créés pour dialoguer avec les premiers, afin de donner corps au récit romanesque.
Famille Dardenne
Godefroid II d’Ardenne
(997-1069) dit Godefroid le Barbu, duc de Basse-Lotharingie et comte d’Ardenne ;
Godefroid III d’Ardenne
(1045-1076) dit le Bossu, duc de Basse-Lotharingie
et comte d’Ardenne, fils du Barbu ;
Ide d’Ardenne
(1040-1113), fille de Godefroid le Barbu, épouse d’Eustache II de Boulogne ;
Robert le Bâtard d’Ardenne
ou Robert Dardenne (1065-1118), fils illégitime de Godefroid le Bossu ;
Guillaume Dardenne
(1441-1480), meunier
et représentant du Tiers-Etat au Parlement de Malines ;
Albert Dardenne
(1769-1830), meunier et activiste révolutionnaire brabançon ;
Joseph Dardenne
(1868-1924), contremaître belge naturalisé français ;
Marie Destrée
(1866-1913), épouse de Joseph Dardenne ;
Yvonne Dardenne
(1901-1989), directrice d’école, fille de Joseph Dardenne ;
Paul Dardenne
(1905-1968), contrôleur des impôts, fils de Joseph Dardenne ;
Marte Duez
(1906-1981) dite Gaby, fille de Eugène et Irma Duez, et épouse de Paul Dardenne ;
Jacques Dardenne
(né en 1934), chirurgien-dentiste, fils de Paul et Gaby Dardenne et père de l’auteur.
Famille Tron
Pietro Tron
(1034-1090),
patricien vénitien,
marchand de blé et armateur ;
Giovanni Loredano
(1015-1075), patricien vénitien, beau-père de Pietro Tron ;
Nicolo Tron
(1399-1473), 68
e
doge de Venise, marchand de blé et armateur ;
Aliodea Morosini
(?-1478) dite Dea Moro, Dogaressa de Venise, épouse de Nicolo Tron ;
Lorenzo Tron
(1648-1718) dit
Laurent Tron, aristocrate vénitien naturalisé français ;
Charlotte de Bouchony
(1668-1730), épouse de Laurent Tron ;
Ignace Tron de Bouchony
(1754-1812), comte et général français,
arrière-petit-fils de Laurent Tron ;
Marie Albin Eusèbe Tron de Bouchony
(1872-1953), vicomte, colonel français, arrière-petit-fils d’Ignace ;
Marguerite Tron de Bouchony
(1880-1961), épouse de Marie Albin Eusèbe ;
Eliane Tron de Bouc ; hony
(1924-1999), fille de
Marie et de Marguerite Tron de Bouchony, religieuse au Sacré-Cœur puis seconde épouse de Jean Denimal.
Famille Denimal
Lambert Denimal
(1769-1830), paysan et activiste révolutionnaire liégeois ;
Maxime Weygand
(1867-1965), général français et académicien, arrière-petit-fils de Lambert Denimal ;
Clément Denimal
(1880-1919), marchand ambulant, arrière-petit-fils de Lambert Denimal ;
Jeanne Lebeau
(1890-1962), commerçante, épouse de Clément Denimal ;
Sylvère Lebeau
(1885-1939), maire du Cateau, frère de Jeanne Lebeau ;
Jean Denimal
(1911-1999), ingénieur,
fils de Clément Denimal et Jeanne Lebeau ;
Denise Dussossoy
(1915-1971), première épouse de Jean Denimal ;
Françoise Denimal
(née en 1939), artiste peintre, fille de Jean et Denise Denimal, épouse de Jacques Dardenne, mère de l’auteur.
Autres personnages historiques
Guillaume le Bâtard
(1027-1087) dit Guillaume-le-Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre ;
Eustache de Boulogne
(1020-1087) dit Eustache aux Grenons, comte de Boulogne, époux d’Ide d’Ardenne
;
Domenico Selvo
(?-1087), ambassadeur vénitien auprès du Saint-Empire, puis 31
e
doge de Venise
;
Charles de Bourgogne
(1433-1477) dit Charles le Téméraire, duc de Bourgogne ;
Guillaume Hugonet
(?-1477), chancelier de Bourgogne
;
Francesco Morosini
(1619-1694), général vénitien, puis 108
e
doge de Venise ;
François Michel Le Tellier, marquis de Louvois
(1641-1691), secrétaire d’État à la Guerre de Louis XIV
;
Henri Van der Noot
(1731-1827), avocat et chef de la Révolution brabançonne
;
Jean-Nicolas Bassenge
(1758-1811), écrivain et chef de la Révolution liégeoise ;
François de La Rochefoucauld-Liancourt
(1747-1827), duc, général, scientifique, philanthrope français ;
Georges Philippe Jacquemin
(1834-1906), général, commandant de l’École de cavalerie de Saumur ;
Edouard Richez
(1888-1944), dit Colonel Brandy, commandant de l’armée française et résistant.
Château ducal de Caen, Normandie, mai 1067
« Sire, votre hôte, le comte de Boulogne, vient d’arriver d’Angleterre. »
« Fais-le entrer, laisse-nous et ferme la porte ! » ordonne Guillaume à son chambrier.
Ce n’est pas la première fois qu’Eustache II de Boulogne pénètre dans le château de Caen. Il s’y est déjà rendu en février 1066 pour planifier l’invasion de l’Angleterre avec Guillaume le Bâtard. Le donjon lui avait alors paru froid et lugubre, exactement comme il s’imaginait un repère de comploteurs. Aujourd’hui, la lumière du printemps se marie à l’odeur de la victoire.
« Majesté… » dit Eustache aux Grenons1 avec déférence.
« Eustache ! » s’exclame Guillaume, ravi de retrouver son compagnon d’armes et ami, avant d’ajouter : « En Angleterre, je suis ton roi et tu es l’un de mes barons. Mais aujourd’hui, nous sommes de ce côté-ci de la Manche. Ici, je ne suis que duc et tu es comte. Nous sommes pairs et tu es venu en voisin. Deux vassaux du roi de France. Pas de majesté ici ! »
« J’apprécie, Guillaume, que tu mentionnes le fait que je suis également un baron anglais. Tu me donnes l’opportunité de te remercier pour ces fiefs que tu m’as attribués dans l’Essex. »
« Tu les mérites, Eustache. Sans toi, tes navires et tes hommes, la victoire à Hastings en octobre dernier aurait été incertaine. »
« Ta victoire fut éclatante, tout comme le faste de la cérémonie de ton couronnement le jour de Noël. Mais comme tu le sais, la conquête de l’Angleterre n’est pas terminée. De nombreuses poches de résistance subsistent. »
« Cela fait deux mois que j’ai confié l’Angleterre à mon demi-frère Odon de Bayeux. Je lui fais confiance. »
« Odon t’est fidèle, Guillaume. Mais depuis ton départ, la révolte gronde. J’ai fait ce détour par la Normandie pour te faire part de mes inquiétudes. Ces évènements pourraient te contraindre à regagner l’Angleterre avant la fin de l’année. »
« Merci pour ta franchise, Eustache. Mais sois sans crainte, et retourne prestement à Boulogne. Ta femme t’y attend. À ce propos, à tu des nouvelles d’Ide d’Ardenne ? »
« Oui, d’après sa dernière lettre, elle m’attend en priant et en faisant la charité aux pauvres de Boulogne. »
« Ta femme est une sainte2 ! Et tes fils, quel est leur caractère ? »
« L’aîné, Eustache, a déjà onze ans. Il raisonne bien et sera un jour digne d’être comte de Boulogne. Le second, Godefroy3, a neuf ans. Celui-là, en revanche, est rusé et bagarreur. Je ne connais pas encore le caractère de mon cadet, Baudouin4, qui n’a que deux ans. »
« Ton Godefroy a de qui tenir ! s’amuse Guillaume. Il a le prénom et la fougue de son grand-père d’Ardenne ! »
« Mon beau-père Godefroid le Barbu a passé sa vie à se battre contre l’empereur pour recouvrer son titre de duc… »
« Certes, mais bien qu’il soit aujourd’hui confortablement installé dans son duché de Basse-Lotharingie, le vieux Godefroid d’Ardenne continue à se battre ! Et depuis quelques années, c’est à mes possessions italiennes qu’il s’en prend ! Il s’est allié au pape pour combattre les Normands des Pouilles, de Calabre et de Sicile ! »
« C’est vrai, Guillaume. Godefroid d’Ardenne est un sanguin, et je préfère l’avoir comme beau-père que comme ennemi. Mais sommes-nous vraiment responsables des agissements de nos belles-familles ? Avec respect, cher ami, je te rappelle que le père de ton épouse Mathilde est aussi mon turbulent voisin, Baudouin de Lille, comte de Flandre. Et ce belliqueux lorgne sur mon Boulonnais depuis toujours ! »
« Je vois Eustache que derrière tes grandes moustaches se cache toujours une bouche prompte à la répartie. J’aime ta franchise. Cessons cette querelle au sujet de nos beaux-pères. »
« Oui, concentrons plutôt nos efforts sur les conquêtes du reste de l’Angleterre ! L’année 1066 a vu quatre rois différents régner sur l’Angleterre. Guillaume, faisons en sorte que toi et tes descendants, après toi, apportez stabilité et prospérité à cette île5 ! La première étape reste la soumission totale des Anglais. Elle assurera ta mainmise sur l’Angleterre. »
« Bien parlé, Eustache ! Buvons à cela ! Ce soir, nous faisons ripaille. Quand mets-tu le cap sur ton comté ? »
« Dès demain matin, Guillaume. J’ai hâte de voir le blé commencer à monter dans les champs du Boulonnais ! »
Forteresse de Bouillon, Ardenne, décembre 1069
« Père, ma sœur arrive à l’instant de Boulogne pour passer Noël en notre compagnie », se réjouit Godefroid le Bossu, agenouillé au pied du lit.
« Ma chère Ide, c’est une grande joie que tu me procures en venant à mon chevet », susurre Godefroid le Barbu dans un râle presque inaudible.
« Je suis venue dès que j’ai appris que la maladie empirait », dit Ide d’Ardenne, émue.
« Écoutez-moi, bien mes enfants. Il ne me reste que peu de temps. La mort m’attend. Elle me prendra cette nuit, je le sens. »
« Non, père, nous pouvons encore prier », murmure Ide avec conviction.
« Tu peux prier pour le salut de mon âme, mais tu ne changeras pas le cours des évènements. Quoi que tu fasses, demain sera le jour de Noël. Et je ne verrai pas cette journée-là ni les suivantes. C’est inéluctable. »
Le frère et la sœur se regardent alors. S’ils ne se connaissaient pas bien, ils ne verraient que de la tristesse sur leurs visages qui se font face. Mais Ide et Godefroid le Bossu ont grandi ensemble et chacun sait déchiffrer sur le visage de l’autre le sentiment au deuxième degré qui se cache derrière la tristesse. Sur les traits d’Ide, Godefroid devine la compassion et la souffrance. Sur le faciès de Godefroid, Ide décrypte un sentiment d’impatience et d’excitation.
Godefroid le Bossu attend avec fébrilité que son père formule ses dernières volontés. Demain, j’hériterai, se dit-il. Mais le vieux barbu ne cache-t-il pas quelque chose ? Une de ces entourloupes ou mauvais tours dont il a le secret ? Le fils a toujours craint le père. C’est encore le cas aujourd’hui. Le fils de vingt-quatre ans se tient voûté devant le père allongé. Et même dans cette position, le Barbu paraît plus grand que le Bossu…
« Mon fils, demain tu seras duc de Basse-Lotharingie et comte d’Ardenne ! »
Le soulagement se lit alors sur le visage du Bossu.
« … mais ne sois pas le dernier de la lignée, ordonne le mourant. Ne te révolte pas contre ton suzerain l’empereur, comme je l’ai fait. Cela m’a valu de perdre mon duché pendant de nombreuses années6. Et marie-toi vite pour avoir un héritier, un vrai ! »
Godefroid le Bossu a le sang qui se glace. Son père a raison, il lui faut un héritier. Mais le fait que le Barbu précise un vrai sous-entend qu’il est au courant de l’existence du jeune Robert…
Le Bossu a eu un fils illégitime avec une paysanne de Bouillon, la fille du meunier. Il n’a jamais reconnu l’enfant, mais en secret il aide financièrement sa mère, au nez et à la barbe du duc. Jusqu’à ce jour, il croyait son secret bien gardé. Mais apparemment, ce dernier est bien informé, et il lui fait savoir qu’il n’approuve pas.
Ide, qui vit à Boulogne, n’est pas au courant. Elle comprend un héritier, un vrai comme un héritier digne de la Maison d’Ardenne. Elle n’a d’ailleurs pas le temps d’approfondir, car le duc enchaîne :
« Toi, Ide, avec trois garçons, tu as bien assuré ta descendance. Continue de veiller à ce que les Maisons de Boulogne et d’Ardenne restent alliées. Leurs allégeances au Royaume de France pour l’une et au Saint-Empire pour l’autre ne doivent en aucun cas nuire aux rapports de bon voisinage qu’elles entretiennent. Mes enfants, c’est de la Flandre que vous devez vous méfier. Gardez-vous de ce voisin commun ! Pour ce qui est de tes fils, Ide, je ne les connais pas, mais je sais que tu feras ce qui est le mieux pour eux. »
Sur ces dernières paroles, le duc s’éteint dans la nuit. Le lendemain, Godefroid le Bossu s’empresse de gérer les affaires courantes du duché. Il est maintenant le duc Godefroid III de Basse-Lotharingie, comte d’Ardenne.
Quant à Ide, elle s’affaire à préparer la messe d’enterrement. Elle remâche sans cesse les dernières volontés de son père. Veiller à ce que les Maisons de Boulogne et d’Ardenne restent alliées et faire ce qu’il y a de mieux pour ses fils.
Une idée germe dans son esprit vif. Encore faut-il qu’elle obtienne l’accord de son frère et de son mari…
Eustache aux Grenons est un homme très occupé, et le peu de temps qu’il accorde à sa descendance est uniquement dévolu à son fils aîné, l’héritier Eustache. Elle est seule à assurer l’éducation de Godefroy, son puîné au tempérament si fougueux. Godefroy n’a que des miettes d’attention de la part d’Eustache II. À défaut de père, le garçon de onze ans a besoin d’un tuteur. Malgré l’affection maternelle qu’Ide lui porte, elle sait qu’elle ne peut pas être le mentor que le garçon mérite.
Son oncle Godefroid le Bossu pourrait remplir ce rôle.
Dans les semaines qui suivent, Ide obtient l’approbation de son mari et de son frère. Et c’est le cœur lourd, mais convaincu qu’elle fait son devoir, qu’Ide envoie son fils Godefroy vivre à Bouillon, au milieu des champs de blé d’Ardenne.
Île du Lido, République de Venise, avril 1071
Pietro Tron est un patricien vénitien. Sa famille, originaire de Mantoue, est implantée de longue date à Venise. Son nom se prononce Trono en latin.
Comme toute la noblesse et aussi comme une majorité de la plèbe, il assiste aux funérailles de Domenico Contarini, 30e doge de Venise. Son beau-père Giovanni Loredano l’accompagne dans la toute nouvelle église San Nicolò, construite sur l’île du Lido dans la lagune vénitienne.
« Cette cérémonie est grandiose, Giovanni ! »
« Je te reconnais bien là, Pietro. Tu as toujours admiré le faste et l’apparat liés au pouvoir. »
« Il faut bien reconnaître que Domenico Contarini fut un grand doge, qui a régné sur Venise pendant trois décennies », dit Pietro Tron avec une admiration teintée d’envie.
« Tu te trompes, mon gendre. Domenico n’a pas régné. Les doges ne sont pas des rois. Ils sont les premiers magistrats de la République, l’incarnation de la majesté de l’État dont ils sont le premier serviteur. »
« Mais tout de même, c’est le doge Contarini que l’on honore aujourd’hui », insiste Pietro.
« Tu te trompes encore ! Aujourd’hui, Venise ne célèbre pas l’homme. Par cet éclat et cette splendeur qui t’enivre tant, Venise célèbre Venise. L’hommage s’adresse à notre sérénissime république fondée il y a près de quatre siècles7. »
Pietro est avide de pouvoir. En tant que noble vénitien, issu d’une famille patricienne, il peut prétendre au dogat. Ambitieux, il se verrait bien désigné successeur de Contarini.
« La mort du doge, c’est ma chance, se dit-il. Une opportunité qui ne se représente pas souvent. J’avais neuf ans quand Contarini fut élu. Mon tour est venu, je serai trop vieux la prochaine fois. »
« Pietro, tu sais que je t’aime comme un fils, et c’est pour cela que je t’ai donné ma fille. Mais permets-moi de te dire que tu es trop présomptueux. Tu n’es qu’un marchand de blé. Tu dois avoir conscience de la place qui est la tienne dans la société », le rabroue Giovanni.
« Un riche marchand de blé et un armateur, oui. Et j’en suis fier ! Ce sont nous autres, les marchands, qui font tourner le monde. Et particulièrement Venise. »
Pietro est piqué au vif. Il désapprouve le fait que son beau-père ne partage pas son ambition.
« Et ma famille est ancienne. Les Tron ont beaucoup œuvré pour Venise », ajoute-t-il.