Le monde de Gigi - William Maurer - E-Book

Le monde de Gigi E-Book

William Maurer

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Beschreibung

Un pigeon et un chat nouent une amitié insolite à Paris, accusés de bouleverser l’équilibre naturel entre proie et prédateur. L’affaire est portée devant les tribunaux avec Gigi, une jeune fille précoce, comme avocate. Coupables ou innocents ? La question se complexifie lorsque les végétaux et les forces célestes s’en mêlent et qu’un ange nommé Hermès est appelé à témoigner…

 À PROPOS DE L'AUTEUR

William Maurer est professeur double agrégé de lettres modernes et de musique, claveciniste et compositeur formé au conservatoire de Toulouse. Dès son jeune âge, il nourrit une passion pour les styles littéraires, percevant leur capacité à capturer la complexité du réel.

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William Maurer

Le monde de Gigi

Roman

© Lys Bleu Éditions – William Maurer

ISBN : 979-10-422-3786-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :

Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes ;

Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.

Jean de La Fontaine, Fables, I, 23

Chapitre premier

Mao et Meredith

Comment la nature permit une entente extraordinaire entre deux êtres voués à se haïr et ce qui s’ensuivit.

Paris, été 2022

Dimanche à midi. Entre le Trocadéro et la place Clichy.

Rues bondées. Nappes de soleil et gazon jaune.

Les humains marchent, discutent, sourient, rient, pleurent, pleurient, mangent, boivent, boivangent. Ambiance Amélie Poulain.

Il est 13 h 57 min 03 secondes ; la température : 25 °C ; la pression atmosphérique : 1011 hPa. À 20 km, au nord-ouest de la tour Eiffel, sur le toit d’un immeuble :

Un pigeon.

Silence total.

En face de lui : un chat.

Gros, gris, yeux verts, moustaches frétillantes comme des antennes de fourmis.

Le chat fixe le pigeon, le pigeon fixe le chat. Le chat et le pigeon se fixent, se toisent, silencieux, immobiles et concentrés, tendus dans un effort intense pour transcender leur incompréhension mutuelle.

Rencontre étrange. Hors du commun.

Le chat n’avait pas envie de zigouiller le pigeon. Le pigeon n’avait pas envie de fuir le chat.

Quelque chose se produisait. Quelque chose s’était produit. Avait changé. Oh ! Pas partout.

Seulement dans la chaîne des liens inter-espèces régissant le sacro-saint rapport félins/volatiles à travers deux échantillons présents ici, maintenant, qui se regardent, se fixent, se toisent.

Un zoologue retraité, seul, bedonnant et chauve, costumes gris à rayures blanches, souliers noirs, vernis pointus, assis sur un banc vert, assiste à la scène, prend ses jumelles, gros sourcils froncés, tremblant.

Tous les trois forment un triangle isocèle parfait réduit à l’état de point invisible pour le petit garçon blond, assis sur le fauteuil 4F qui regarde à sa gauche par le hublot de l’avion Air France 747 à destination de Moscou. À côté de lui, sa mère. Devant eux, deux hommes. Celui qui est juste devant lui a la tête penchée depuis le décollage et lui gâche en partie la vue.

Zoom à nouveau sur la terre ferme.

Le pigeon et le chat s’étaient retrouvés là, par hasard, à sonder le mystère de cette absence de réaction réciproque. Reprenant ses esprits, c’est le chat qui ouvre le bal, fournit un effort, montre ses crocs, tend sa patte griffue lentement. Le pigeon simule la terreur, commence à prendre son élan pour s’envoler. La scène se passe au ralenti. Comme dans Matrix.

Mais.

Une fraction de seconde : les yeux se croisent. Chacun devine la lassitude de l’autre. C’est fini. Ils s’arrêtent dans leur commencement d’action, reviennent à leur position initiale, immobiles, curieux, perdus, déçus.

— C’était quoi ça ? C’est pas très convaincant, dit sèchement le chat.
— Vous avez reason, sir, pas dou tout ! acquiesça le pigeon. C’était disgusting !

« Une British en plus », se dit le chat.

— OK. On la refait, dit-il.
— Exactly ! Je compte : three, two, one.

Deuxième essai, comme au base-ball : le chat ouvre la gueule pour montrer ses crocs de méchant, ressort ses griffes et tend sa patte avant-droite. Le pigeon s’applique dans l’expression de la proie terrifiée, ouvre son bec pour crier au secours, commence à battre de l’aile. ET ? Rien. Échec lamentable. L’opération ne veut pas « marcher ». Décidément. Il y a un vice dans l’engrenage. Cela bloque. Cela grince trop. Pas naturel. Cela sent trop le devoir d’écolier ! Impossible d’ignorer la fausse note dans le tableau, le caillou dans la chaussure, le cheveu sur la soupe ou l’écharde dans la patte, bref. On a compris. Ça ne passera pas à Cannes, cette affaire-là. L’authenticité fait défaut. Le scénario n’est pas crédible. Comment dit-on déjà ? Ah oui ! La « mayo » ne prend pas. Conclusion ? Retour à la case départ, comme au Monopoly.

— « Conçu par l’univers pour être un prédateur.

Je devrais sur-le-champ vous arracher le cœur ! » Non. Pas d’alexandrins. On la refait. Plus simple : je suis un prédateur. Je devrais te voler dans les plumes pour te zigouiller et te livrer à mon maître en gage de reconnaissance.

— Oui, et n’oublie pas que je devrais m’envoler en tremblant de tout mon duvet comme une proie digne de ce nom.

Silence.

— Mais… dit le chat.

— But ? interrogea le pigeon, inquiet.

— Je n’en ai pas envie… je crois, fit le chat.

Silence.

— And you ? reprit-il, ironique.

— Moi non-plou, on dirait… dit le pigeon, gêné.
— Mince alors.
— C’est ballot.

Silence.

— Ce n’est pas prévou, si ? dit le pigeon en roucoulant.
— Pas que je sache, damn it !

Silence.

— Ça arrive souvent, tu clouas ? dit le pigeon pour faire la conversation.

— Pas à ma connaissance. En tout cas, personne dans mon entourage n’a eu cette expérience…

Silence.

— Que féït-ong ? demanda le pigeon.

— Je ne sais pas. On devrait attendre.

— Attendre kwa ?

— Eh ben… d’avoir envie ! (Moue dédaigneuse).

— Ça risque de prendre du temps… Ou de ne pas arriver !? Que ferait-ong dans ce cas !

— On attend quand même.

— Mais… !?

— Que quelque chose se passe. On aura peut-être envie de faire quelque chose. Qui sait.

— Préviens-moi un peu avant quand même, que je me prépare à fuir en criant !

— Si tu veux.

— Et si jamais il ne se passe rien ? fit le pigeon aux yeux globuleux.

— Impossible, cocotte, il suffit de regarder devant soi : les humains n’arrivent pas à s’ennuyer ou à être heureux longtemps ; pour eux, c’est à peu près la même chose.

— Je parlais de nous… Quant aux humains… Vous ne les aimez pas beaucoup, on dirait.

— Non, mais eux oui, c’est le principal. Ils ne sont pas très futés. Ils ne comprennent rien. Depuis le temps que je leur dis que j’en ai marre de ces satanées croquettes.

— Au moins, on ne vous twaite pas comme la dernière des marginales à qui on lance des miettes de pain rassis en croyant faire une bonne action.

— On pourrait rester là, dit le chat, qui ne l’avait pas écoutée.

— Oui, rester là. Mais pour faire quoi ?

— Pour chercher.

— Pour chercher quoi ?

— Pour chercher pourquoi on ne veut pas faire ce que les chats et les pigeons font en général.

— Et si on ne trouve pas ?

— Mais tu m’enquiquines à la fin ! Tu m’en poses de ces questions ! Détends-toi un peu !

— Alors là… Si on ne trouve pas, on sera condamné…

— À quoi ? Quoi encore ? (Chat agacé).

— À la différence.

— Quoi ? fit le chat impatienté. Ces English, alors…

— Si je récapitule, dit le pigeon, prenant confiance en lui, se raclant la gorge et dessinant un schéma de son aile gauche. D’habitude, on se déteste et on agit en conséquence. Là, on ne fait pas ce que l’on devrait faire d’ordinaire. Donc, cela veut dire qu’on ne se déteste pas tant que cela. Sauf que ce n’est pas censé arriver, donc on ne sait pas quoi faire. Alors on a essayé de chercher pourquoi on ne faisait pas ce qu’on doit faire. La réponse : parce qu’on ne se déteste pas ; mais on ne sait toujours pas pourquoi on ne se déteste pas. Si l’on ne trouve pas, on est condamné : d’abord à reconnaître notre différence par rapport aux autres chats et pigeons du monde, puis à reconnaître la légitimité et la dignité de l’autre dans son irréductibilité, par-delà notre incompréhension réciproque.

— My god, tu me donnes le tournis ! Avec une double négation en plus… et cet accent de marshmallow en prime !

« Mais comment certains ont-ils pu pleurer le Brexit ? » pensa le chat.

— On pourrait innover ! dit le pigeon.

— That is to say ? fit le chat, moqueur.

— Si on s’appréciait, tiens ?

— Hum ?

Chat interloqué.

— Mais oui, fit le pigeon, les humains y arrivent bien eux (d’après ce qu’on m’a dit) et parfois on se demande comment ils font !

— Il y a une petite fille là-bas. Elle vient de faire tomber sa boule de glace. Elle a pourtant l’air moins bête que les autres. Si on allait lui demander ?

— Enfin ! Un peu d’aventure !

— Tu t’appelles ?

— Meredith, sir, dit le pigeon en faisant une belle révérence.

« Quel prénom de bourge, pfff… » pensa le chat.

— Enchanté…

— And you, my darling ? dit le pigeon, coquette.

— Mao.

« Oh my God, un commiouniste », pensa Meredith.

— Enchantée également !

Ce qu’elle ignorait c’est que le maître de Mao était un ingénieur du son et que son dada, c’était la Musique Assistée par Ordinateur.

Chapitre deuxième

Les cantiques de l’air et de la terre

Comment Hermès naquit de l’union de l’air et de la terre.

Au commencement du commencement

L’on dit toujours que Dieu se reposa le septième jour : ce n’est pas vrai. Il était trop triste pour se lever de son lit.

Au début, tout allait bien. Peut-être même un peu trop bien. Il était confiant et même à la fin de la semaine il avait vu que tout cela était bon : il avait même créé des êtres à son image. Hélas, tout cela n’avait servi à rien : il se sentait seul, toujours seul, et même encore plus seul qu’avant, lorsqu’il était physiquement seul et qu’il n’y avait rien d’autre autour de lui, que lui.

Quelque temps plus tard, la trahison de son ange favori et de ses disciples acheva de le désespérer : l’on raconte qu’il hésita longtemps avant de les répudier et qu’il pleura beaucoup en contemplant leurs chutes.

Ceux qui lui étaient restés loyaux lui conseillèrent de créer de nouveaux anges pour remplacer les dissidents.

Il acquiesça. Il leva le bras, mais pris d’un chagrin trop vif, ne put rien faire sortir de ses mains.

— Terre, Air, Feu et Eau, à vous que j’ai créés et séparés les uns des autres pour que vous ayez chacun votre place dans mon royaume, il est temps d’honorer votre créateur : unissez-vous et repeuplez les cieux maintenant que mes anges rebelles en ont été chassés.

Les quatre éléments s’inclinèrent et retournèrent sur Terre.

D’abord, l’Air et l’Eau s’unirent : les anges nés de leur union furent malades et faibles. Leur peau était blanche comme la lèpre et leurs yeux mélancoliques et transparents ne voyaient que leur propre abattement. Ils déplurent à Dieu et se laissèrent mourir de chagrin.

Puis, la Terre et le Feu s’unirent : les anges nés de leur union furent noirs et colériques. Ils ne reconnurent pas l’autorité de Dieu et leurs voix ne grondaient que pour appeler leurs propres cris. Alors Dieu les enferma dans un cachot où ils s’entretuèrent.

Puis, l’Eau et le Feu s’unirent : les anges nés de l’union d’éléments si contraires sombrèrent tous dans la folie. Dieu, pris de pitié pour ces créatures, les plaça sur Terre à un endroit où nul ne pouvait les trouver.

Puis, l’Eau et la Terre s’accouplèrent : les anges nés de leur union furent souriants et pleins d’entrain. Ils plurent d’abord à Dieu mais ne voulurent pas monter vivre au ciel. Dieu, pris de fureur, les changea en mortels.

Puis, l’Air et le Feu s’unirent : les anges nés de leur union furent d’une beauté sans égal. Ils devinrent ambitieux et imbus d’eux-mêmes. Jaloux du pouvoir de Dieu, ils s’enfuirent pour s’allier avec Satan et ses sbires.

L’Air et la Terre allaient s’unir lorsque Dieu ordonna à tous les éléments de revenir siéger seuls à son Conseil.

— Vous n’avez pas su faire ce que j’ai commandé, leur cria-t-il. Arrêtons-là. Vous ne vous unirez plus jamais. Partez.

Les éléments tristes et honteux s’en allèrent.

Lorsqu’ils descendirent du ciel, l’Air et la Terre se regardèrent.

C’est alors que l’Air lui dit :

« Laisse-moi te recouvrir par la brise de mes baisers,

Je ne suis pas hautaine au point de mépriser ta dureté,

Mes dents mordront dans tes sillons comme dans un fruit doré ;

Mes vents répandront les graines de tes fleurs où tu voudras,

Mes nuages révéleront ou cacheront le soleil selon tes désirs. Je ne suis pas aussi vide que le ferait croire ma transparence

Ma diaphanéité n’est pas si peu chair qu’elle ne puisse être à toi.

Laisse les apprêts de mon abstraction embrasser la rudesse de ta concrétude.

Tu pourras sentir ma caresse sur tes herbes et tes rochers

Et me donner l’enfant voulu par le Créateur. »

Alors la Terre lui répondit :

Ô, mon amour, je t’entends !

Tu es légère mais ta voix a la sincérité de mes pierres ;

La souplesse de tes volutes n’est pas offusquée de ma rigueur ;

Comme tu abaisses la beauté de ton sourire sur ma peau entaillée !

Ma difformité ne t’effraie pas ni le nombre de mes hôtes ;

Le chaos de mes couleurs ne te brûle pas l’évanescence.

Tu ne détournes pas ta bonté quand le Temps fait pourrir mes fruits

Et fait vieillir la vie que j’abrite.

Tous mes champs s’inclinent devant ta tendresse !

Viens à moi, ma bien-aimée

Et donnons à l’univers ce qu’il y a de plus vrai

En haut et en bas !

Alors, au plus haut sommet de la Terre, des nuages se mélangèrent et formèrent une tornade dont la pointe toucha celle de la plus haute montagne. L’Air et la Terre s’unirent. Au point où l’Air et la Terre se touchèrent, une lumière aveuglante apparut qui laissa place à un ange.

Un seul.

Il était petit et laid.

Lorsqu’il fut présenté à Dieu, celui-ci soupira mais l’accepta au royaume des cieux. Il ne punit pas l’Air et la Terre de lui avoir désobéi pour lui plaire. L’enfant fut élevé comme les autres : on lui donna le nom d’Hermès.

Durant ses premières années, il garda le silence à tel point qu’on le crut muet.

Lorsqu’il osa parler dans sa dixième année, l’on entendit que sa voix n’avait de charme que ce qu’en pouvait prédire la disgrâce de ses traits.

Il en devint le bouc émissaire de sa génération : les souffrances qu’ils lui infligèrent achevèrent de recroqueviller dans la torpeur cette âme déjà discrète. Sa timidité n’en fut que plus accrue et son regard terne et gris. Voilà ce qu’était devenu Hermès : un intrus, un vilain petit ange, trop chétif, trop maigre, aux ailes racornies, au visage ingrat que ne pourraient jamais racheter la pudeur du silence ou une existence entière confondue en excuse.

Chapitre troisième

La zilopholie

Comment Mao et Meredith rencontrèrent Gigi.

Retour en 2022

Gigi regarda le spectacle droit devant elle. Elle se tint droite, fronça les sourcils, essuya ses lunettes et considéra la situation présente.

Il faisait beau, les gens faisaient ce qu’ils font d’ordinaire : marcher, courir, discuter, discourir, puis rire, sourire, pleurer, pleurire, ou échanger, vendre, acheter, vendracheter, par deux, trois, quatre, etc.

Comme d’habitude, chacun remplissait sa fonction de base : le soleil était le soleil ; le ciel, le ciel ; les arbres, les arbres, les voitures, les voitures, etc., etc.

C’en était trop.

Gigi prit la décision solennelle et irrémédiable, longuement concertée entre elle et elle-même, de laisser choir sa crème glacée, toute sa crème glacée, avec ses parfums préférés (licorne, schtroumpf, et banane-minions), pour manifester l’acte inaugural et symbolique, le seul, le vrai : celui de sa désapprobation totale quant à la marche universelle des choses.

Rien n’allait comme il faut, ou plutôt tout allait trop bien comme il faut : les grandes personnes, c’était officiel, ne comprenaient décidément rien à rien. Soit, on lui mentait officiellement, soit on ne la croyait jamais sous prétexte qu’elle était ce qu’on appelle (non sans une pointe de condescendance mielleuse) : une enfant. Berk.

C’était une insulte qu’elle ne pouvait souffrir car, selon elle, l’enfant s’apparentait surtout à un être qu’on juge incapable de penser par lui-même dans la mesure où (quelle erreur !), il n’a pas atteint le nombre d’années requis par l’administration des adultes pour jouir de ce privilège, comme si l’âge était un critère définitoire de vérité ou de fausseté, d’aptitude ou de compétence.

N’importe quoi.

Que de bêtises.

Soupir.

De toute façon, elle ne pouvait pas faire confiance à ces gens-là. Quand elle leur demandait de lui expliquer l’origine des bébés, on l’ennuyait encore avec cette histoire absurde de chou et de cigogne. Elle était bien allée leur parler (aux cigognes, plus précisément aux pigeons, mais c’était à peu près la même chose) et celles-ci avaient été scandalisées de la fonction que les humains leur avaient assignée dans leur fable : comme si elles n’avaient pas mieux à faire que de s’occuper des rejetons de ces bipèdes prétentieux ; de plus, dans la mesure où elles avaient une sainte horreur des légumes, qu’auraient-elles bien pu faire d’un chou ?

Gigi marchait avec ses pensées.

Soudain, elle s’arrêta, regarda l’horizon, courroucée.

Le soleil était trop jaune, le ciel, trop bleu et les arbres, trop verts.

La femme de la télé avait pourtant dit : « forte pluie et orage pour demain. » Pfff, encore un mensonge des grandes personnes : preuve que quelque chose n’allait pas.

Un jour, elle était accourue voir ses parents, oncles et tantes qui déjeunaient dans le jardin, rêvant enfin de les confondre après les révélations sulfureuses des volatiles. Ce fut un terrible échec. « Ils m’ont dit que j’avais beaucoup d’imagination, je leur en montrerai, moi ! Je demanderai aux cigognes de me fournir une adestassion sur longueur et signée en plus ! »

Elle ne savait pas trop ce que cela voulait dire, mais ce papier semblait pour eux d’une importance cruciale.

Elle se retrouvait à nouveau sur le même banc, dans un coin reculé du parc, à ruminer tout son ressentiment ; elle n’avait plus de glace à faire tomber pour marquer sa fureur.

— Pssst… !

Elle enclencha sa vigilance et regarda autour d’elle. Rien. Elle referma les yeux et reprit sa réflexion.

— Pssst… !

Elle sursauta, agacée. Elle regarda à nouveau aux alentours. Rien.

— Pssst… !
— Ça suffit ! Ce n’est pas drôle ! Qui êtes-vous et où êtes-vous !?
— Là, jouste là !
— Mais là où ça !?
— Devang vous !

Elle réfléchit quelque temps pour repérer l’origine de ce bruit contrariant. Elle eut un éclair de génie et regarda en bas.

— Hello, Mademoiselle, lui dit un pigeon guindé.
— Salut, ma p’tite, lui fit un gros chat bougon.

Gigi émit un petit cri étranglé et tomba dans les pommes. Mao eut le réflexe de lui sauter sur les genoux, d’éviter qu’elle ne tombe du banc et la repousser contre l’arbre auquel elle était adossée. Meredith lui remit la tête à l’endroit. Les passants n’y virent que du feu.

— Mince ! Pour une première approche, y a pas de quoi être déçu ! Tu peux aller lui chercher un peu d’eau et lui éventer le visage ?

— Evidemmeng, répondit Meredith vexée, je ne souis bonne que pour jouer le rôle de broumisateur et d’évenntail !

Elle s’envola pour aller effleurer la surface du lac le plus proche. Elle s’en imbiba les ailes, point trop car elle devait revenir, mais assez pour asperger la figure de l’enfant. Une fois l’opération effectuée, elle se sécha les ailes et s’en servit comme ventilateur pour rafraîchir l’évanouie. Celle-ci se réveilla lentement comme d’un rêve enchanté.

Pour éviter un nouvel incident, Meredith lui mit les ailes sur la bouche et étouffa un éventuel cri pendant que Mao l’exhortait à rester calme. Une fois la panique passée, la jeune fille reprit son souffle et Meredith redevint pigeon aux côtés du chat.

— Ça va mieux ? fit-il un brin méfiant.

— Oui, oui… Je crois… Enfin, non, ce n’est pas possible, je deviens folle !

— Mais non, rassure-toi, my darling, renchérit Meredith. You’re not crazy !

Le pigeon parlait en anglais. Gigi allait partir une seconde fois.

— Laisse-moi plutôt gérer, fit Mao. L’anglais, c’est peut-être un peu trop pour elle.

— D’accord, répondit le pigeon boudeur.

— Je comprends, ça doit être un peu surprenant, oui !

— À peine… répondit Gigi, non sans une pointe d’ironie. Je discute avec un pigeon et un chat… Et en plus un pigeon et un chat !? Vous vous entendez tous les deux ?

— Oui, c’est justement un problème qu’il nous faut régler. Ce n’est pas comme ça d’habitude.

Gigi les avait déjà perdus dans sa réflexion :

« Entre mes impressions de ces derniers jours et cet incident, il y a vraiment quelque chose qui cloche dans l’univers, plus de doute. Cela ne peut être une coïncidence ! Elle devait mener l’enquête… »

— On pensait que tu pourrais nous aider… Tu as l’air d’avoir un peu plus de flair que les autres.

On ne comprend pas… On aimerait pouvoir se redétester comme avant, c’était si normal, si rassurant !

Le chat et le pigeon firent leurs regards de chien battu. Meredith avait un peu plus de mal : ses yeux n’étaient pas prévus pour être expressifs mais elle s’y employait de toutes ses forces.

— Vous avez raison d’être venus me voir ! Je m’excuse pour ma réaction… exagérée dirons-nous. Depuis que je suis née, j’ai la sensation que quelque chose ne tourne pas rond dans ce monde. Je suis persuadée que ce qui vous arrive est lié à ces phénomènes étranges.

— Quel phénomène ?

— Rien de ce qui nous entoure n’a l’air réel…

— Quoi ?

Mao et Meredith échangèrent un regard discret et anxieux. Ils commençaient à penser que la crème glacée lui était montée à la tête, à cette pauvre gosse.