Le retournement - Hammou Boudaoud - E-Book

Le retournement E-Book

Hammou Boudaoud

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Beschreibung

Adam entreprend de découvrir l'histoire d'Abdelkader et Soliman, membres de la résistance en Algérie pendant la période de l'indépendance. Pour ce faire, il rencontre plusieurs personnes qui ont autrefois croisé leur chemin. "Le retournement", telle une fresque littéraire, fusionne la petite histoire individuelle avec la grande histoire collective, offrant ainsi un éclairage authentique sur les événements de la révolution algérienne.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Hammou Boudaoud, auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'analyse de la situation politique mondiale, s'appuie sur son importante expérience universitaire pour nous livrer ce roman rempli d'enseignements précieux.

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Couverture

Page de titre

Hammou Boudaoud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le retournement

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Hammou Boudaoud

ISBN : 979-10-422-2750-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Le retournement

 

 

 

 

 

Dans une région isolée sur le début des hauts plateaux, dans l’extrême Ouest du pays, située entre la mer et l’étendue du désert, entre la chaleur de l’été et le froid d’hiver, ses habitants bougent pour répondre aux exigences de leur vie quotidienne. Dans cette région Abdelkader est né, a vécu, jusqu’à devenir un homme à la cinquantaine. Au cœur de la nature vierge, des grains d’espoir ont été semés, et de la trompe de la terre est sortie la volonté du ciel. Cette terre que ses propriétaires ont tant essayé de dresser pour donner le meilleur d’elle fut stérile si elle n’avait pas fait naître tant d’hommes comme lui. Il avait la vertu de la patience. Parmi tous ses frères, il s’est caractérisé par la sagesse et l’éveil. Au temps du colonialisme, il a voulu qu’émerge l’âme d’une nation perdue, ses dossiers clos avec préméditation.

L’Algérie ne fut dans les années cinquante du siècle dernier qu’une entité suspendue entre la nostalgie à un passé lointain et une domination coloniale ravageuse. Les principes qui ont appelé à l’égalité et à la fraternité sont entrés dans une contradiction mortelle. Le colonialisme ne voyait pas l’existence historique de ce pays. Les principes du droit de l’homme et toutes les valeurs démocratiques qu’ils charrient ont été le privilège des uns au détriment des autres. Ils ont donné les pleins droits de vivre à certains et ont signé la peine de mort d’innocents nombreux.

Grand de taille, bien bâti, calme de caractère, Abdelkader exerçait le métier d’agriculteur, comme tout le monde dans sa région. Il fut à l’abri du besoin malgré la confiscation autoritaire des terres, première procédure de spoliation des plus fertiles. Ailleurs, les mouvements refusant la colonisation naissaient dans toutes les régions du pays, sporadiques, mais réels. Par les armes pour certains d’entre eux, par le chemin ô combien difficile, du combat politique, strict.

Abdelkader fut marié, père de sept enfants, trois filles et quatre garçons, socle d’une vie calme de paysans, régie selon les normes et traditions ancestrales, celles qui expriment leur culture. L’agriculture, l’élevage et l’honneur. Comme partout sur cette terre, les fêtes de la fin de l’année en repère pour organiser le quotidien. Ils vivaient seuls, mais à travers la solidarité et l’entraide et une législation paysanne bien réelle. C’est au cours d’une journée printanière, ensoleillée, pas comme les autres, qu’une personne rendit visite à Abdelkader. Ce fut Amar, petit de taille, robuste, calme de caractère, on l’entend à peine quand il parle ou quand il passe.

La visite dura la moitié d’une matinée dont l’obscurité des nuages fut vaincue par un Râ lumineux, ses rayons inondant une terre fertile qui respecte ses saisons où les oiseaux chantent quand ils passent aux dessus des maisons d’argile et de pierre blanche, implantées ici et là, sur la hauteur de la vallée. L’herbe pousse au début du printemps, la verdure couvre les plaines, les roses fleuries, les saisons font leur cycle habituel, la nature pose sa charge, la terre sort ses fruits, les fleurs, leur odeur, la touche du Maître apparaît sur ses créatures quand sa sagesse a voulu donner à la vie ses raisons.

Abdelkader sortit de sa maison au milieu du hameau à la rencontre d’Amar. Le soleil ne fut pas chaud comme d’habitude. La fin du printemps débutait, les agriculteurs s’apprêtaient à moissonner leurs récoltes, se déplaçant d’un champ à un autre pour s’entraider. Enturbanné de blanc sur sa tête, sa djellaba de poils de chameau, Abdelkader rejoignit son visiteur sous l’ombre d’un arbre de chêne étalant généreusement ses branches et s’assieds avec lui sur un tapis de chanvre. La discussion pouvait commencer.

— Quel bon vent t’amène, ami Amar ?

— Tu es un homme généreux, de bon voisinage Abdelkader ; je voulais te parler de quelque chose qui me chagrine, pour qu’on trouve ensemble une solution à mon problème. Je te fais confiance, et je te considère parmi les sages de cette région.

— Je sais que tu sais parler, dit Abdelkader, tu maîtrises les mots et tu les emplois dans leur contexte, mais je vois surtout que tu n’es pas bien, tu parais soucieux.

Amar prit une gorgée de thé vert que son hôte lui a offert et riposta :

— Tu es au courant du malentendu concernant la parcelle de terre aux limites de la vallée. La situation est arrivée à son summum, et je n’ai pas trouvé de solution raisonnable qui arrange tout le monde. La terre est source de vie du douar, les malentendus et les conflits sont nombreux. Je suis un homme paisible, je ne cherche pas les problèmes ; c’est pourquoi j’ai décidé de te parler, de vive voix. J’échange cette parcelle contre la tienne. Si tu acceptes l’échange, tu résous mon problème. Tu prendrais la mienne contre une autre que tu me donnes ici à tes côtés.

— C’est bon, répondit Abdelkader, mais je pense que tu voulais dire autre chose aussi, n’est-ce pas ?

— C’est vrai, tu ne te trompes pas, répondit Amar en souriant. Je veux être l’un de tes proches, je veux l’une de tes filles, mais pour le moment, je suis une personne démunie, je n’ai rien à donner comme dot, je le ferai plus tard si tu acceptes.

Abdelkader le fixa dans les yeux et poursuivit :

— Tout est éphémère dans cette vie, celle-ci n’est pas seulement liée à l’argent, je te connais ; tu es un homme de foi, ne te préoccupe pas de cela.

Abdelkader, sans difficulté, en homme qui connaît les hommes, accéda à la requête d’Amar et contribua à sa destinée : une vie saine et paisible. Avant de prendre congé, Amar, empli du bonheur de la promesse d’un homme pieux, fixa dans les jours prochains une nouvelle visite et Abdelkader reprit le cours de sa journée. Outre sa vie paysanne ancestrale, il enseignait le Coran à presque la moitié des habitants du village durant leur enfance. Sous des aspects rustres, il avait en lui une connaissance du texte dont il savait diffuser la quintessence à ses contemporains, bien loin d’une récitation sans âme, ou des propos inopportuns qui se blablatent pendant les rendez-vous particuliers, les fêtes ou les cérémonies. Sa maturité précoce et sa riche connaissance le faisaient se convaincre que l’oppresseur devait être combattu, à n’importe quel moment, et par différentes méthodes. La sienne, c’était la sensibilisation, l’éveil et la prise de conscience de la propriété de cette région un peu isolée dans un coin du pays. Il savait dans son for intérieur que la situation de son petit bled allait changer, qu’à son calme apparent allait succéder une tempête qui n’aurait d’autre issue que La Liberté.

La vie a passé, Abdelkader à son métier, Amar, marié, a continué la sienne avec la même ambition que son bienfaiteur, tous deux faisant partie d’une génération ayant les mêmes convictions, les mêmes principes. Ils pensaient à un moyen pour changer leur situation qui perdure. Ils ont compris que leurs chants le jour du labeur sont un espoir, que leur espoir en une vie meilleure n’est pas exempt d’embûches. La suite verra leur terre abreuvée du sang des innocents, comme une offrande de l’âme et du corps que rien, aucune force, n’ont pu arrêter tant la volonté commune unit pour la même fin.

Comme prévu donc, Amar revint voir Abdelkader, ému cette fois, parlant vite et confusément, ne comprenant même plus ce qu’il voulait dire. Il faisait froid, la journée ensoleillée ne chauffait plus, le gel de la nuit et les journées courtes annonciateurs de l’hiver qui frappait à la porte étaient déjà là.

Abdelkader vit son mal être et demanda :

— Que-ce qui t’amène dans ce froid ? Il est tard, la région n’est pas sécurisée, comment viens-tu au milieu de la nuit ?

— Je le sais, répondit Amar. Je voulais te dire une chose que je ne t’ai pas dite. Le moment est venu. Malgré les opportunités qui nous étaient offertes, on n’a rien fait jusqu’à maintenant. Depuis des jours, je rencontre quelques collègues agriculteurs, ils sont jeunes pour la plupart, mus par la volonté de prendre les armes ; leur volonté d’être libre les fait délaisser les travaux des champs.

— De quels jeunes parles-tu ?

— Mohammed, Youcef, Ahmed… et bien d’autres.

Abdelkader se tut, et dit quelques mots au fond de lui sans les prononcer : « Je connais la plupart d’eux, ils sont les miens, les habitants de cette région ».

Le vent de la liberté soufflait et les jeunes du cru y étaient sensibles. Ils essayaient de s’organiser clandestinement avec les moyens du bord. La volonté de se révolter croissait en même temps que le désespoir, avec les nouvelles désastreuses de l’oppression répressive.

Après un moment, Abdelkader sortit de sa réflexion pensive.

— Qu’ont-ils décidé ?

— On part demain à l’aube.

— Où ?

— Tu sais, dit Amar, la région est sous le joug d’Antoine et son régiment, et que, malgré l’éparpillement de ses soldats partout, ils ne connaissent pas bien la région. Les bergers qui partent le matin pâturer nous offrent l’occasion de nous dissimuler parmi eux. On se donne rendez-vous au djebel Assas, si nous atteignons la montagne à l’aube, personne ne pourra relever nos traces.

Les habitants du village assiégés par des fers barbelés vivaient une misère, soumis au travail pénible sans le droit de manger ce qu’ils semaient, leur survie mêlée à la poussière, sans Liberté, n’ayant pour une vie digne que le don de leur sang et de leur sueur.

— Je suis d’accord avec toi mon ami, prépare-toi à partir avec eux, bon courage. Mais, dis-moi, à qui tu vas laisser tes petits enfants ?

Amar se tourna vers son ami et dit d’un ton calme et serein : « Si je meurs, la terre sera abreuvée de mon sang, les fleurs et l’espoir germeront, le bien dominera sur notre maison, et la joie restera écrite sur les yeux de mes petits. Et si je vis, mon destin sera entre mes mains, j’en ferai ce que je voudrai, en toute liberté ».

Avec la bénédiction d’Abdelkader, Amar rejoignit le groupe comme prévu, et la vie routinière du douar a repris son cours. Les agriculteurs ont repris leur boulot, le temps est passé, dur, difficile, faisant ancrer tous les espoirs dans ces jeunes conscients de l’enjeu de leur avenir sans perspective.

Abdelkader savait qu’il allait s’occuper des enfants de son gendre. Comme tous les Algériens, il suivait les événements de près. Un jour, un homme, Ahmed, choisi par le groupe de résistants, fut envoyé au douar pour y apporter des nouvelles. À son écoute, Abdelkader fut rassuré, son gendre était vivant et d’autres qu’il connaissait aussi. Les femmes furent mobilisées également. Leur vie fut une lutte mêlée de tâches ménagères, de travail dans les champs et de transmission d’informations aux maquisards ; elles aussi, ont subi la répression et les condamnations des autorités coloniales.

La révolution s’amplifiait sur tout le territoire, la volonté d’être libre était en marche et ancrée dans tous les esprits. L’Algérie fut partagée en Wilayas, au nombre de six, le douar où vivait Abdelkader, situé dans les hauteurs, fut un carrefour, le fait qu’il soit situé dans une zone géographique montagneuse a fait de lui un lien du mouvement révolutionnaire dans la région, un passage sécurisé pour joindre la frontière du Maroc, lui, sous protectorat. Des milliers de personnes y ont circulé pour traverser à Oujda, la ville limitrophe. L’armée des frontières y a vu le jour ainsi que le bureau politique de Tlemcen, ville à l’extrême ouest du pays, appelée la ville des bougies. Car elle consommait la lumière durant la nuit, son histoire est réputée, sa population, un mélange d’Arabes, de Berbères, de Turcs, aussi une minorité de juifs andalous, donnant une mosaïque sociale dans laquelle se sont répandus les sciences et les arts depuis toujours, faisant de cette ville une racine du pays et de son histoire. Le village d’Abdelkader s’appelle El Gor, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud, un nom berbère, il accueille la tribu d’Angad, qui veut dire linguistiquement les gens de Najd, arrivés de l’Arabie. Les Angad sont des Arabes de Beni Makil, ils se sont beaucoup mélangés avec les tribus berbères à leur arrivée au Maghreb, et, se sont ralliés au sultan de Tlemcen Abou Hammou II. Jaawna, Ghassel, M’tarfa, Atamnia, sont les différentes parties de cette tribu guerrière qui a protégé le sultan à l’époque de ses expéditions à Fès. Jaawna, dont les Ouled Sidi Ali Belhamel furent les plus notables, se sont rapprochés de cheik Belkbir, gouverneur d’Oran à la fin du 18e siècle qui leur a permis d’avoir la région d’El Gor dans laquelle ils se sont installés jusqu’à maintenant. Angad ne signifie pas en vérité l’origine éthique, mais l’origine géographique. Elle s’étale des plaines et des reliefs prolongés de Tlemcen au fleuve de Moulouya. La tribu s’est partagée entre le Maroc et l’Algérie, le côté algérien commençant à la frontière marocaine jusqu’au sud de la ville de Sidi Bel Abbes, la commune de Télagh précisément.

El Gor n’a jamais oublié son histoire guerrière, car c’était la première zone en nombre de martyrs durant la révolution de 1954 dans la région. Elle fut un lieu de passage de l’armée des frontières. Les soldats furent capables de traverser plusieurs kilomètres. En une seule nuit, ils arrivaient de l’ensemble du territoire. L’idée de la révolution s’est éparpillée entre les maquis, les perspectives de la vie politique commençaient à changer.

Abdelkader fut l’une des figures connues de la région, la révolution s’y est enclenchée, la volonté et l’ambition des hommes aussi. Puis, commença le règlement des comptes. Il y eut ceux qui furent des martyrs, les véridiques, ceux qui ont lutté et furent patients pour avoir une seule récompense, la liberté. Il y eut finalement ceux qui, sans vergogne, avaient pour but d’accéder au pouvoir, de décider à la place de tous au nom de leur seule ambition personnelle.

 

***

 

« Ma belle-mère ne m’aimait pas. On ne s’entendait pas. Après le décès de ma mère et le remariage de mon père, je me sentais comme un étranger à la maison » dit un jour Youcef à Adam, dans un café à la gare de Lyon à Paris, en 1993. En sirotant son café sans sucre, il narrait à Adam l’histoire de la révolution, l’histoire d’Abdelkader et de son ami Soliman en regardant à travers la vitre limpide de l’estaminet.

Youcef parlait calmement, sans s’en rendre compte, passionné par son récit, haussait le ton, mais la voix couverte par le grand nombre de passagers, et le bruit des trains qui entraient en gare, parfois plusieurs en un laps de temps court. Adam buvait ses mots dans ce café plein à craquer.

Paris, ville des diables et des anges, d’amour et d’histoire, des sentiments et des retrouvailles, ville de la Seine et la tour Eiffel.

— Comment as-tu choisi cette ville ? demanda Youcef à Adam.

— J’ai contacté beaucoup d’universités, et je ne sais pas au juste pourquoi j’ai choisi cette ville, peut-être son histoire, sa réputation, ou bien d’autres raisons… je ne sais pas. Je me suis retrouvé ici finalement.

— J’ai vu ta mère avec un immense plaisir l’an passé ici quand elle m’avait rendu visite, elle est restée la même et elle m’a dit que tu voulais à l’époque partir en Angleterre.

— Effectivement, je voulais voir ce pays fascinant par son histoire et ses secrets, mais je ne parlais même pas anglais et ne savais pas vraiment quel cursus y suivre.

Adam ne savait pas encore, avant de répondre aux questions de Youcef, qu’il allait être effectivement deux ans après à Westminster, à l’école de langue, qu’il allait habiter le nord de Londres, à Seymour Road. Il ne savait pas qu’il allait y séjourner deux ans, que son cœur allait battre pour Atika, brune pakistanaise, pudique, dont le sourire fait dissiper le brouillard londonien, tellement il était radieux.

Il n’y avait rien d’attirant davantage à Londres hormis l’histoire, les Britanniques eux-mêmes ne voyaient pas l’avenir, ils vivent psychologiquement à part, dans un état d’introspection généralisé, nostalgiques au passé. Ils apparaissaient tolérants vis-à-vis des étrangers. On trouve le noir à la place du blanc dans la musique et les arts, l’hindou sikh se balade dans les rues de Londres avec le turban de ses ancêtres, les Arabes du Moyen-Orient ou du Maghreb vivent dans un pays régi par des lois. Ils sont obligés de s’adapter avec leur nouvelle situation. Leurs pays d’origine ne sont qu’un souvenir, le favoritisme est terminé, le passe-droit. Dans leur nouveau milieu, le travail, les principes et les valeurs sont en compétition.

Adam ne savait pas avant de répondre aux questions de Youcef dans ce café de Paris, qu’il allait y mener une vie estudiantine dans une ambiance cosmopolite avec des Français d’Angers, de Perpignan, de Pau, parmi eux Émilie, timide, réservée, mais studieuse et rigoureuse n’ayant manqué aucun cours et qui faisait la moue quand elle fut embêtée pour les photocopies. Il y avait aussi les hindous, les sikhs, les Anglais de souche, les Irlandais et les Écossais… L’amitié n’a pas de frontières, la volonté de découvrir fut leur point commun à tous. Il y avait des Arabes, représentés par Hind, irakienne, mettant souvent un foulard vert en harmonie avec la couleur de ses yeux. Il y avait aussi Sara, juive quadragénaire, très curieuse, éprise de la culture arabe, dont on ne savait pas si elle était mue par le plaisir du savoir ou parce qu’elle était intéressée pour des raisons qui lui sont propres, ou parce qu’elle est restée nostalgique à son ancienne vie et ses anciens souvenirs éparpillés au Moyen-Orient entre Le Caire et Damas.

Adam ne savait pas que les études dans cette période de la fleur de l’âge étaient un plaisir, l’horloge du Big Ben (tour construite sous la Reine Victoria dans un style gothique) apparaissant derrière les fenêtres de l’établissement comme témoin imperturbable de tous ceux qui ont visité Londres.

C’était la vie londonienne normale que tout étudiant aurait vécu. Adam ne savait pas que deux années allaient passer vite entre le Tower Hill et Hammersmith, et qu’il allait laisser le brouillard de Londres derrière lui et retourner à Paris à son domicile rue de Calais dans XVIIIe arrondissement. Qu’il en serait revenu avec une expérience enrichissante, ouvert au monde après s’être replié sur lui-même, les valeurs et les idéaux se sont alternés devant ses yeux, sa vision a changé. Il s’est rendu compte que cette société découverte était émancipée, et que son pays d’origine est réprimé, oublié dans un coin de maux et de silence, n’aspirant pas au changement.

Comment as-tu pu me reconnaître pour la première fois, alors qu’on ne s’est jamais vu auparavant ? dit Adam à Youcef. Comme as-tu pu seulement avec le sentiment et le regard, me distinguer parmi tous ces passagers ? Tout en le fixant dans les yeux, encore ému par la rencontre.

— C’est vrai, je suis parti avant que tes parents se marient, je t’ai connu par l’intuition, puisque tu ressembles beaucoup à ton père, je le connais depuis tout jeune. Et toi, tu as pu me reconnaître facilement ?