Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Klaus Meyer, véritable pilier de Saint-Philibert, est retrouvé pendu dans d'étranges circonstances... C'est le capitaine Marc Morini, muté depuis peu à Vannes, qui se plonge dans cette enquête hors normes !
Klaus Mayer, doyen de Saint-Philibert, est retrouvé pendu dans le bois du Poulbert, à La Trinité-sur-Mer. Quelques heures avant sa mort, Nelly Costa, l’une de ses amies, disparaît sans laisser de trace.
Les heures sont comptées pour la section de recherches de la gendarmerie de Vannes afin d’espérer retrouver la mère de famille vivante.
Qui a tué le nonagénaire, originaire de Suisse et adulé de tous les habitants de Saint-Philibert ? Et quel est le lien entre la disparition de Nelly et le meurtre de son meilleur ami ?
Le capitaine Marc Morini, muté depuis peu à Vannes, se retrouve plongé avec son équipe dans une affaire hors du commun, qui va les mener jusque dans l’antre du diable.
Découvrez ce polar breton qui se mute en véritable entretien avec le diable !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Un livre dévoré rapidement, dans lequel j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre l’intrigue mais aussi les personnages qui je pense sont récurrents dans les livres de l’auteure." Aurore au pays des livres, Amazon
"Le récit est rythmé, avec des rebondissements, du suspense, un peu d’humour. A lire sans hésiter." Briphi17, Amazon
"Un excellent polar qui va ravir les amateurs de suspense, d’enquêtes, avec des personnages fouillés qui semblent très proches de nous.
Un très bon moment de lecture à consommer sans modération !" Co et ses livres (Corinne), Amazon
À PROPOS DE L'AUTEURE
Catherine Schubert Originaire de Bretagne, l’amour me mène très jeune en Allemagne. Mère de trois enfants, j’ai parcouru en famille une partie du monde. Aujourd’hui, je partage ma vie entre les Côtes-d’Armor et la Bavière. Passionnée d’écriture et de philosophie, j’aime relater la complexité des relations humaines, qui peut parfois conduire au crime. Je suis membre de l’association “L’Assassin habite dans le 29”.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 384
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
- Au Professeur Jean-Michel Constantin M.D. Ph. D – Chef de service de réanimation, anesthésiste-réanimateur, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) – Directeur du GRC 29, Groupe de recherche clinique ARPE, et secrétaire général de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) pour ses conseils très précieux.
- Aux modérateurs du groupe Facebook “Les Mordus de thrillers” pour leur soutien envers les auteurs de polars, et à sa créatrice Cécile Quidé.
- À Monique Aertgeerts Cornec, administratrice du groupe Facebook “Ces enquêteurs et enquêtrices qui nous font aimer la Bretagne”, pour son soutien envers les auteurs de polars bretons.
- À Matthias Hock, pour son autorisation d’utiliser le nom de son café-salon de thé “Schwarzer Riese” à Aschaffenburg, Basse-Franconie.
- À mon mari, pour ses relectures assidues.
- Aux membres de l’équipe des éditions Alain Bargain pour leur soutien et leur confiance.
Je dédie ce livre à ma maman, Madeleine Plétan.
De décembre 1986 à mars 2003, elle vécut heureuse au hameau du Pêcheur de Saint-Philibert.
Samedi 3 mai 2014 – 21 heures 25 – Bois de Poulbert, La Trinité-sur-Mer
Avec agilité, la jeune fille lance une corde par-dessus la branche d’un chêne. Puis, sur la pointe des pieds, elle rattrape le bout pendant pour le tirer vers le sol.
— Tiens, tu peux l’attacher !
Fort de ses cent vingt kilos, le jeune homme enroule la corde sous les bras d’un vieillard assommé, fait un deuxième tour avant de serrer le lien fortement. Et comme un marin aguerri, aidé de sa complice, il tire sur la corde tout en suivant des yeux le corps inerte qui monte vers la branche du chêne.
— C’est bon ! Sa tête touche la branche, dit-elle les lèvres tremblantes.
Il prend la main de son amie dans la sienne avant de répliquer.
— Comme ça, il n’a pas l’air bien méchant !
Elle ferme les paupières, des larmes coulent sur ses joues. Il la serre dans les bras.
Un gémissement les fait sursauter. Le vieil homme reprend peu à peu conscience. Il ouvre un œil, puis le deuxième. Dans la semi-pénombre, il peine à saisir où il se trouve et comprend qu’il est attaché. Il se débat et malgré son grand âge, balance ses jambes dans l’espoir de se libérer de ses entraves.
Les mains liées dans le dos l’empêchent de dénouer les nœuds qui le retiennent prisonnier. Plus il se balance, plus la corde blesse ses aisselles. Il grimace et gémit puis hurle.
Un chat-huant lui répond. La colère lui monte au cerveau. Dans un sursaut, il jette ses jambes en avant. Sa tête heurte la branche qui le retient. L’arcade sourcilière pisse du sang qui aveugle son œil droit jusqu’à ses lèvres brûlantes.
Il se résigne. Puis une question taraude son esprit.
— Pourquoi est-il attaché à cet arbre ?
Il frémit. Toute sa vie, il a décidé pour lui et pour les autres. Jamais, il ne s’est retrouvé dans une situation sans issue.
Il grogne, se balance à nouveau, hurle de douleur. La peau de ses aisselles s’irrite à chaque balancement. Il cherche à comprendre mais ne trouve aucune réponse.
Des pendus, il en a vu dans sa vie. Pourtant, jamais il n’aurait imaginé être un jour l’un d’eux. Par bonheur, il est attaché de telle sorte à pouvoir continuer à respirer.
Il réfléchit. Combien de temps tiendra-t-il avant de rendre l’âme. Plusieurs heures ? Jusqu’au petit matin ?
Il tente de calculer. D’après la pénombre qui tombe, on n’est pas loin des 22 heures. Personne mieux que lui ne sait lire l’heure en scrutant le ciel. Il lui faut donc tenir dix heures au moins. Peut-être douze avant le lever du jour.
Soudain, il sursaute. Des bruits sur le sol le font tressaillir. Un sanglier prêt à lui mordiller les pieds ? Il baisse les yeux, cependant dans la noirceur de la nuit qui tombe, il ne voit pas grand-chose. Les pupilles écarquillées, il cherche à déceler ce qui bouge sous ses pieds. Une odeur de fumée lui monte aux narines.
Il tressaillit. Va-t-il mourir brûlé vif ? Les oreilles aux aguets, il scrute chaque son et celui d’une fumée rejetée, lui fait comprendre qu’il ne mourra pas sur le bûcher.
— Qui fume en bas ? Qui est là ?
Aucune réponse ! Seule l’odeur de fumée qui le fait tousser.
— Répondez bon sang !
— C’est nous !
Il ne la voit pas, mais il reconnaît sa voix.
Il grogne alors et pris d’une envie terrible de la tuer, se balance violemment.
— Détache-moi !
Un long silence dans la nuit, suivi d’un hurlement transperçant la forêt.
— Détache-moi ! Allez sois mignonne, la récré a assez duré.
— Demandez pardon et j’y réfléchirai !
Jamais durant sa longue vie, il ne s’est trouvé dans une situation aussi inconfortable. D’ordinaire, c’est lui qui contrôle le cours des choses.
— Allez sois gentille, détache-moi et on va pouvoir s’expliquer. Je suis certain que nous pourrons devenir amis.
Le rire nerveux de la jeune fille trouble le calme précaire du bois de Poulbert. Le chat-huant chante à nouveau.
— Demandez pardon !
Il hurle et lance des obscénités.
Elle essaye de garder son calme. Son ami la serre dans les bras et l’embrasse sur le front. Elle se détache violemment de l’étreinte et court vers la voiture, ouvre le coffre, sort des ciseaux avant de hurler.
— Tiens-le !
— Qu’est-ce que tu veux faire ? Arrête !
— Tu m’aides ou non ? Sinon, tu peux te barrer, je me débrouillerai toute seule.
Il soupire et secoue la tête. Jamais, il ne la laisserait seule.
— Qu’est-ce que je dois faire ?
— Tu le tiens de toutes tes forces pour qu’il ne bouge pas.
En entendant les paroles de la jeune femme, le vieillard s’agite et cherche par tous les moyens à se détacher. Il balance violemment ses jambes de droite à gauche, puis d’avant en arrière.
Mais la force de la jeunesse du jeune homme ne lui laisse aucune chance. Il hurle, maudit, insulte et se résigne sans savoir ce que lui réservent ses tortionnaires.
Entre les mains fines et douces de la jeune fille, il sent son sexe se durcir. Puis, une sensation de froid réfrène ses ardeurs.
Soudain, une douleur atroce lui arrache un cri de désespoir qui parcourt la forêt. Il comprend ce qui lui arrive. Pour la première fois de sa vie, des larmes coulent sur ses joues ridées.
Les lames tranchent peu à peu le pénis du vieillard qui perd son sang, goutte par goutte, puis plus rapidement.
Le jeune homme consulte sa montre, 22 heures 25. De petits sursauts secouent le corps de la victime.
22 heures 56. Le vieil homme laisse échapper un dernier soupir.
La jeune fille range les ciseaux dans le coffre de la voiture.
— Ramasse tes mégots, nigaud !
Le jeune homme sait qu’elle a raison. Il les met dans sa poche de veste avant de tourner un dernier regard vers le vieillard.
La voiture démarre et quitte le bois de Poulbert. Il est 23 heures 15. La lune brille et éclaire le chêne où un écureuil a trouvé refuge.
Lundi 5 mai 2014 – 15 heures 27 – Gendarmerie de Carnac 10, chemin de Kergouillard
Tout en mâchouillant l’ongle de son annulaire droit, Sébastien Costa balançait violemment les jambes vers l’avant, essayant d’atteindre la petite table où traînaient quelques revues.
Un sourire égaya son visage miné par la crainte. C’était la première fois qu’il pénétrait de son plein gré dans les locaux d’une gendarmerie.
Connu comme le loup blanc dans la région, aucun gendarme ne prenait véritablement sa présence au sérieux.
Après le douzième essai, son pied droit toucha brutalement la table qui bascula. Deux exemplaires du magazine trimestriel de la Revue de la Gendarmerie nationale valsèrent jusqu’au comptoir. Au sommaire de celui de mai 2014, des articles sur les nouvelles technologies et les actions des forces de l’ordre.
— Oh, tu te calmes ! s’écria le gendarme chargé de l’accueil avant de se baisser pour ramasser les journaux.
Sébastien grommela qu’il attendait depuis plus d’une heure.
— Le lieutenant Christian Bruneau va bientôt arriver.
— Je vais en griller une en attendant, répliqua l’adolescent, espérant vaincre cette peur qui le grignotait de l’intérieur.
*
Un soleil de plomb brûlait l’asphalte du parking de la gendarmerie où trois véhicules étaient stationnés. Adossé contre une 306 aux pneus usés, Sébastien roula avec dextérité une cigarette. À quelques mètres des gendarmes, il préféra laisser dans sa chaussette les quelques grammes de cannabis qu’il traînait toujours avec lui.
Une voiture s’approcha de la grille qui glissa doucement sur les rails en métal. Descendu du véhicule, le lieutenant Bruneau continua à pied jusqu’à la porte de la gendarmerie. Il pensait que la fournaise de ce mois de mai présageait un réchauffement climatique qui allait propulser tous les terriens en enfer.
— Lieutenant ! Lieutenant !
Bruneau s’arrêta net de marcher. Il se retourna avec grâce vers le jeune homme qui l’interpellait puis essuya son front moite à l’aide d’un mouchoir.
— Ah Sébastien ! Qu’est-ce que tu as encore fait ?
Sans attendre de réponse, le gendarme poursuivit.
— Roulé sans casque ? Fumé des produits illicites ? Volé un CD dans un grand magasin ou tu t’es battu avec un de tes copains ?
Le visage pourpre de l’adolescent annonçait une colère sous-jacente.
— Mais putain écoutez-moi avant d’accuser ! Je n’ai rien fait ! C’est ma mère !
Bruneau souffla bruyamment. Il aurait préféré un avertissement pour un petit délit qu’une histoire qui commençait mal. Nelly Costa lui rappelait des souvenirs sensuels qu’il avait décidé d’oublier à jamais. Le courage n’était pas son point fort et à l’idée de perdre son épouse, il tressaillit. À moins que le frisson qui lui transperça doucement le dos, n’était que le réveil de sensations corporelles, endormies depuis trop longtemps. Il laissa échapper un soupir, puis se ressaisit.
— Vas-y rentre, nous serons mieux à l’intérieur.
Malgré les fenêtres ouvertes, un air chaud et humide rendait le travail des gendarmes plus laborieux.
En attendant le commandant de la brigade de Carnac qui s’était éloigné pour donner des ordres, Sébastien Costa examina une affiche où étaient répertoriés des enfants disparus, dont certains, depuis des années. Il frissonna.
Bruneau revint, visage fermé. Sans connaître la raison qui assombrissait cette deuxième partie de l’après-midi, le commandant ouvrit la porte de son bureau.
— Allez, rentre gamin !
Malgré les nombreuses filouteries commises par Sébastien, Bruneau ressentait une certaine affection pour ce gosse de seize ans qui semblait avoir grandi trop vite, seul avec une mère parfois dépassée, bien que toujours très aimante.
— Bon alors ? Ta mère ?
Assis sur une chaise bancale, l’adolescent se racla la gorge. La peur à nouveau reprenait peu à peu possession de son corps. Ses jambes tremblotaient et ses mains moites collaient sur la peau de ses genoux.
— Je ne sais pas par où commencer ? C’est… c’est maman, elle a disparu !
Les doigts boudinés du lieutenant Bruneau qui tapaient les mots de Sébastien s’arrêtèrent net. Il leva les yeux et tenta de garder son calme.
— Ta mère ? Disparue ?
Puis d’un geste désespéré, il essuya son front où perlaient de grosses gouttes de sueur. Sans attendre la réponse de l’adolescent, il examina le ventilateur du plafond qui tournait à grande vitesse. Apparemment, celui-ci fonctionnait parfaitement.
— Oui, puisque je vous le dis. Elle est partie samedi matin de la maison pour aller au marché de La Trinité-sur-Mer. Et depuis, elle n’est pas revenue.
— Et c’est seulement maintenant que tu viens le signaler ? s’écria le gendarme en tamponnant son visage avec son mouchoir humide.
— J’étais parti tout le week-end ! s’offusqua Sébastien, avant de poursuivre d’une voix plus calme, j’ai dormi chez un pote à Lorient. J’ai quitté la maison samedi après-midi.
Habitué aux interrogatoires des gendarmes, il savait qu’il fallait leur donner le plus de précisions pour les aider à comprendre.
Pour une fois qu’il pouvait dire la vérité dans l’enceinte d’une gendarmerie, il n’allait pas se priver. Il continua son explication mais préféra cependant éviter d’énoncer le prénom de sa copine, ses parents la croyant chez une amie à réviser pour un contrôle.
— Maman est partie vers La Trinité à 8 h 30, elle m’a dit qu’elle passerait peut-être voir une amie, Sandrine Le Corre, vous savez la couturière qui habite près de la plage de Kernevest ? Moi, j’ai quitté la maison en début d’après-midi. Hier nous sommes allés voir le match contre Ajaccio.
Sébastien fouilla dans sa poche et sortit un ticket d’entrée pour le stade Yves-Allainmat.
Il prit une forte inspiration avant de continuer d’une voix brisée par les larmes.
— Je suis rentré ce matin et maman n’était toujours pas revenue !
— Mais comment sais-tu qu’elle n’est pas rentrée depuis samedi puisque tu étais parti toi-même depuis samedi après-midi ? demanda avec espoir le commandant de la brigade.
C’était bien une question de gendarme. Toujours à douter et remettre en cause les témoignages des citoyens. Cette question, Sébastien se l’était posée des milliers de fois, pourtant les preuves étaient irréfutables.
— Parce que le frigidaire était toujours vide alors qu’elle devait passer chez le poissonnier, le crémier et l’épicier ; de plus, ma vaisselle de petit déjeuner était toujours dans l’évier et parce que Charlot…
— … Votre chien ?
— Oui, notre chien, souffla l’adolescent qui n’aimait pas être coupé, Charlot était enfermé dans la cuisine et il avait chié et pissé sur le carrelage. Je vous dis qu’elle n’est pas revenue depuis deux jours et je m’inquiète, merde ! Faites quelque chose, je vous en prie !
C’était bien la première fois qu’il suppliait un gendarme.
Bruneau finit de taper son rapport. Son portable vibra. Romy une fois de plus, appelait pour savoir où il se trouvait. Depuis sa petite escapade, sa vie était devenue un enfer. Pourtant, il avait juré à Romy qu’il n’aimait qu’elle et personne d’autre. Elle avait répondu que la confiance partie, il fallait la regagner. La voix anxieuse de Sébastien l’arracha brusquement à ses pensées.
— Alors ? Qu’est-ce que vous comptez faire pour retrouver maman ?
— Laisse-nous faire petit. Ne t’inquiète pas, on va la retrouver ta maman.
À l’instant même où il prononçait le dernier mot de sa phrase, Christian Bruneau tressaillit et des images du passé jaillirent dans son cerveau. Il revoyait Nelly dans ses bras, sur un rocher admirant le coucher du soleil. Et si un terrible malheur était arrivé à la mère de Sébastien ? Cette idée lui était insupportable. Il reprit ses esprits. Il était temps d’agir.
Mardi 6 mai 2014 – 08 heures 32 – Bois de Poulbert La Trinité-sur-Mer
Comme chaque matin, Garou avançait doucement, reniflant le sol à la recherche d’une friandise à croquer, puis, de temps en temps, il levait les yeux vers sa maîtresse pour savoir s’il se conduisait bien.
— Vas-y avance, nous sommes bientôt arrivés, répondait-elle d’une voix douce.
Et Garou repartait de plus belle, le museau balayant doucement le chemin de terre.
La rosée du matin réjouissait une libellule qui volait d’une feuille de chêne à une feuille de noisetier. Garou s’arrêta net devant la branche d’un cyprès de Lambert. Agrippé au tronc, un jeune écureuil le narguait en balançant la queue.
— Viens Garou ! Avance ! ordonna sa maîtresse, on est déjà en retard.
Sandrine jeta un coup d’œil sur le cadran de sa montre. Malgré les rayons de soleil qui perçaient à travers les branches d’arbre, elle frissonna, regrettant d’avoir oublié son chandail en laine.
Un pivert troubla le calme de la forêt. Sandrine tourna à gauche pour s’enfoncer dans le petit bois. Là-bas, sous le chêne pédonculé, personne pour la déranger. Elle aimait ce moment de tranquillité du début de journée. Surtout depuis que le soleil était réapparu dans le ciel breton. Il avait plu des semaines durant, jusqu’à Pâques.
Ici, dans le petit bois, Sandrine oubliait ses soucis. C’était sa manière de se ressourcer, de puiser de la force.
Elle laissa échapper un petit rire qui surprit Garou, peu habitué à voir sa maîtresse joyeuse et gaie.
*
Loin de son panier et de son os à ronger, le chien se laissait traîner. Sandrine tira sur la corde en soufflant bruyamment.
— Allez, avance ! On y est presque !
Pour Garou, cela signifiait devoir supporter la présence de Davy, cet impudent qui détestait les animaux. Dès la première rencontre entre sa maîtresse et ce malotru, il l’avait reniflé, cet homme ne l’aimait pas.
— Allez Garou, ne te fais pas prier.
Soudain, comme piqué par une mouche hématophage, le labrador se mit à courir, obligeant Sandrine à lâcher la laisse pour éviter de tomber.
— Garou, reviens ! Où vas-tu ? Reviens !
Mais Garou n’entendait plus rien, seul son odorat le guidait et il courait à perdre haleine, la laisse glissant à ses côtés comme un serpent pressé.
Arrivé sous le chêne pédonculé, il se mit à creuser la terre humide, envoyant tout ce qui se trouvait sous ses pattes derrière lui. Dérangées, deux corneilles décampèrent en croassant bruyamment.
— Mais enfin ! Qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça ? s’exclama Sandrine d’une voix essoufflée.
Couché au pied de l’arbre, museau entre les pattes, Garou gémit en suivant des yeux un ver de terre qu’il venait de déterrer.
Agenouillée à ses côtés, la jeune femme murmura.
— T’es malade ? T’es blessé ? Laisse-moi regarder.
Des mouches volaient d’une branche à l’autre, survolant les cheveux de Sandrine qui agitait les mains pour s’en débarrasser.
Caressant les poils de la bête, commençant par le train en remontant vers la nuque, elle chercha une blessure. Rassurée de ne trouver aucune trace de sang, elle posa sa chevelure sur les poils du chien qui souffla bruyamment. Il aimait ces moments de tendresse qui le rassurait. Paupières baissées, il s’amusa du papillon qui chatouillait son museau.
— Mais qu’est-ce qu’il y a comme mouches ce matin ! C’est dégoûtant. Certainement à cause d’un cadavre d’animal qui pourrit, pas très loin d’ici. Je comprends pourquoi tu es nerveux mon bon chien.
En remuant la queue, il grogna pour signifier son accord.
— Et cette drôle d’odeur qui me pique le nez ! Mais tu dois encore mieux la sentir que moi.
Soudain, Sandrine se tut. Index sur la bouche, elle murmura.
— T’entends ces pas sur les feuilles ? Une biche ?
Garou gémit.
— Ah, bonjour monsieur Mouth ! Vous aussi vous aimez vous promener dans la forêt en début de matinée ?
En compagnie d’un voisin, Sandrine retrouva sa sérénité. Depuis qu’hier la femme d’un gendarme avait lâché le morceau, la rumeur de la disparition de Nelly ne la quittait plus.
Afin de vaincre la peur qui reprenait possession de son corps, elle essaya de contrôler sa respiration.
Debout sur ses quatre pattes, Garou hurla, faisant fuir un écureuil qui s’était aventuré.
— Mais qu’est-ce qu’il a ce matin. D’abord, il traîne, ensuite il déguerpit comme un voleur et maintenant il pleure.
— Mon chien est également capricieux. Ce matin, il n’a même pas voulu sortir.
— Garou est nerveux à cause de cette puanteur ! Et ces sales mouches, c’est pire que sur un tas de fumier.
Le voisin haussa les épaules. Puis, dans l’espoir d’apercevoir les premiers rayons de soleil, il scruta le ciel.
— Vous savez que Nelly Costa a disparu depuis samedi ! déclara-t-elle, afin de rompre le silence de la forêt.
Il sursauta, arraché violemment à ses pensées par la voix de sa voisine.
— Oh vous savez, madame Costa a peut-être désiré prendre un peu de recul.
— Elle a peut-être été assassinée ?
— N’importe quoi ! Je vous en prie ! À Saint-Philibert !
Elle secoua la tête, les yeux humides. Elle n’appréciait pas véritablement Nelly Costa, cependant à la pensée de Sébastien, peut-être désormais orphelin, elle tremblota.
— C’est vrai qu’il y a beaucoup de mouches ce matin ! reconnut-il.
Il suivit des yeux les diptères qui virevoltaient entre le feuillage de l’arbre. Soudain, son regard s’arrêta sur une branche du chêne d’où pendait une corde. Tremblant d’un mauvais pressentiment, il la suivit, les pupilles légèrement dilatées.
Il savait que le pire pouvait se trouver au bout de cette corde. Pourtant, rien ne pouvait l’empêcher de garder les yeux ouverts. C’est alors qu’il aperçut une tête au milieu du feuillage verdoyant.
— Regardez ! Là, Sandrine ! Regardez ce qu’il y a dans l’arbre !
Prenant son courage à deux mains, elle tourna son regard vers la branche du chêne, puis, en sanglots, jambes chancelantes, se laissa tomber aux côtés du labrador.
— Oh non, ce n’est pas vrai ! Klaus, mon Dieu, Klaus !
*
Sandrine était inconsolable. Nelly et Klaus. Ce n’était certainement pas une coïncidence.
— Je comprends pourquoi tu as pleuré mon bon Garou. Tu es un bon chien ! murmura-t-elle en le caressant tendrement.
— On doit appeler la Gendarmerie !
Une moue déforma les lèvres de Davy Mouth. Il n’avait aucune envie d’être mêlé à une sale histoire.
— Écoutez ! Faites ce que vous pensez juste, mais laissez-moi en dehors ! Merci !
Puis, il tourna les talons et disparut au détour d’un pin.
— Vous n’avez pas le droit ! Revenez ! hurla-t-elle.
— Mais enfin Klaus est mort et nous n’y pouvons rien !
Elle éclata en sanglots. Il avait raison, cependant elle ne pouvait se résoudre à laisser Klaus attaché par cette corde sous les bras sans prévenir les autorités. Le corps tournoyait doucement comme une toupie. Soudain, le regard de Sandrine s’arrêta sur une partie du cadavre. Elle s’approcha du chêne. Elle ne s’était pas trompée.
Assise près de Garou, Sandrine sanglotait. Gémissant doucement, le labrador la renifla avec son museau humide et de sa patte avant droite, lui gratta l’épaule.
Elle l’entoura de ses bras et embrassa son poil couleur caramel.
— Tu as raison Garou, il faut appeler les gendarmes. Ça ne sert à rien de se morfondre. De plus, on doit bien ça à Klaus.
Le chien approuva d’un aboiement joyeux.
D’une main tremblante, Sandrine sortit le portable de la poche de son pantalon et composa le numéro de la gendarmerie de Carnac.
Mardi 6 mai 2014 – 10 heures 17 – Bois du Poulbert La Trinité-sur-Mer
Le corps de Klaus Mayer, 94 ans, pendait, accroché par une corde de cinq millimètres de diamètre à un chêne pédonculé de plus de deux cents ans.
Arrivé le premier sur les lieux, le commandant de la brigade de Carnac fut rejoint par son neveu, le brigadier Julien Laborde.
— Bon Julien aide-moi à le détacher.
— Je crois que c’est mieux si c’est moi qui monte sur tes épaules.
— T’as raison !
Avec l’agilité de sa jeunesse, Laborde grimpa sur les épaules du commandant de brigade qui eut quelques difficultés à conserver son équilibre.
— Bouge pas comme ça, tu vas me faire tomber !
En retrait avec son chien, Sandrine demanda d’une voix troublée.
— Voulez-vous que je vous aide ?
— Restez où vous êtes, ça risque d’être dangereux !
La phrase du lieutenant Bruneau à peine terminée, le corps du vieillard s’étala sur le sol, soulevant un nuage de poussière.
D’un pas incertain, Sandrine s’approcha du défunt avant d’éclater en sanglots.
— Je ne comprends pas pourquoi Klaus ? Il était si gentil.
— Eh oui, on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête des gens. En tout cas, c’est sûr qu’il ne s’est pas suicidé, déclara le jeune brigadier avec sérieux.
Larmes aux yeux, Sandrine secoua la tête.
— Personne ne l’a tué, à part un monstre. Ça, c’est sûr. Klaus était aimé de tout le monde.
Sandrine marqua une pause avant de continuer.
— Malgré son âge, on l’enviait pour sa grande forme.
Elle avait des difficultés à employer l’imparfait. La semaine dernière, ils s’étaient croisés et avaient échangé quelques mots. Elle poursuivit, un sanglot dans la voix.
— Il marchait chaque jour près de deux heures. D’ailleurs, il ne portait pas de lunettes, ni d’appareil auditif et se déplaçait sans canne.
— Vous avez l’air de bien le connaître ? s’interposa le lieutenant Bruneau.
— Tout le monde connaissait Klaus à Saint-Philibert. Et je vous répète qu’il était apprécié par tous les habitants !
— En êtes-vous certaine ?
— Mais bien sûr ! s’offusqua Sandrine. Quand je suis née, il était déjà là. J’ai grandi avec lui.
Elle regarda ses baskets qui méritaient un bon bain pour retrouver leur blancheur d’origine, puis ajouta.
— Qui vous permet de penser que Klaus avait des ennemis ?
Avec son expérience de plusieurs dizaines d’années, le commandant de la brigade de Carnac connaissait le peu d’objectivité des proches des victimes.
— Pensez-vous qu’un ami ferait subir de tels sévices ?
Le brigadier Laborde se pencha vers le corps allongé sur le ventre.
— C’est sûr qu’une personne au moins n’aimait pas beaucoup votre ami !
— Julien ! On ne te demande pas ton avis.
Sans pouvoir détacher son regard du corps sans vie, Sandrine répliqua la voix brisée.
— Ce n’est pas possible, qui a pu faire ça ? Mon Dieu, quelle horreur !
— Malheureusement, c’est possible. Il a été torturé… tenta de préciser le lieutenant Bruneau sans terminer son explication.
— Il a été émasculé, poursuivit son neveu en photographiant les parties atrophiées du corps du défunt.
— Un fou ! C’est certainement l’œuvre d’un fou ! s’écria Sandrine, angoissée à l’idée qu’un psychopathe sévisse dans le secteur. Vous savez qu’une femme a disparu ?
Le commandant de la brigade de Carnac souffla avec énervement. Il détestait les fuites relayées par certaines épouses bavardes.
— Les deux affaires ne sont sans doute pas liées. D’ailleurs, rien ne dit que la disparition de madame Costa a une origine criminelle.
— Et c’est tout ce qui vous vient à l’esprit ? Ah, on est bien protégés !
— Un peu de respect s’il vous plaît ! s’interposa le brigadier vexé, nous ne pouvons pas mettre un gendarme derrière chaque citoyen.
Avec la démarche d’un manchot royal, Bruneau se dandinait, mains dans le dos, scrutant chaque centimètre du sol, à la recherche du moindre indice susceptible d’aider l’enquête. Il devait se l’avouer, sa brigade n’était pas équipée pour diriger les investigations.
L’enquête allait être confiée à la brigade de recherches de la gendarmerie de Vannes, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
— Que faites-vous si tôt à cet endroit ? demanda Julien d’une voix sévère.
Le chien grogna, puis fatigué d’attendre, s’allongea au pied du chêne, museau entre les pattes.
— Je suis venue promener Garou avant de commencer ma journée. Ce n’est pas encore interdit, à ce que je sache !
— Et vous ne pouviez pas vous promener près de chez vous ?
La jeune femme secoua la tête, embarrassée par cette remarque déplacée. Le regard insistant du brigadier semblait la déshabiller et percer ses pensées. Un instant, Sandrine pensa qu’il connaissait sa rencontre fortuite avec Davy Mouth. Elle chercha du réconfort auprès du lieutenant qui venait de se pencher sur un trou fraîchement creusé.
— Il n’y a aucune loi m’interdisant de me promener dans ce bois ! Voilà le résultat, je fais mon devoir de citoyenne en vous appelant et vous…
— … Nous ne faisons que notre devoir madame Le Corre. Et bien sûr, vous avez le droit de vous promener où bon vous semble, coupa le lieutenant Bruneau avant d’ordonner à son neveu de faire les clichés d’usage.
Julien qui rêvait de devenir photographe professionnel, s’appliqua à mitrailler chaque centimètre carré de son appareil, avec une précision toute particulière.
Une tache de sang accrocha son objectif. À la manière d’un reporter de guerre, il s’accroupit et fixa le zoom avant d’appuyer sur le bouton. Il balaya du regard et trouva une deuxième tache de sang, plus grande encore que la première. Elle maculait une feuille du chêne tombée à terre. Soudain, avec la joie d’un paparazzi devant la sortie d’une star, le jeune brigadier resta figé au-dessus du trou creusé par le chien.
— Qui a fait ça ? demanda-t-il en se tournant vers son oncle et Sandrine.
— Certainement un animal répondit l’oncle avec sérieux. Un sanglier peut-être ou un…
Il arrêta sa phrase pour se tourner vers la maîtresse de Garou, avant de poursuivre.
— Ou un chien, n’est-ce pas madame Le Corre ?
Elle haussa les épaules, il continua.
— Votre chien ?
Elle souffla bruyamment. Garou venait d’être démasqué.
— Oui, je ne sais pas ce qu’il lui a pris. Il est devenu comme fou. D’ordinaire, c’est un chien docile.
— L’appel du sang, répliqua le brigadier.
De sa main gantée, il dégagea la feuille qui obstruait le trou, puis dégagea un morceau de chair.
— Christian, passe-moi un sachet en plastique, je crois qu’on tient là un bout du mystère.
En déposant le morceau de preuve dans le sac, Julien chercha le regard de Sandrine qui s’était rapprochée.
— Et c’est votre chien qui a mangé une partie de la preuve ?
Elle hocha la tête avant de courir contre un jeune chêne. Mains posées contre l’abdomen, elle lutta contre une envie pressante de libérer son estomac, essayant la respiration douce et contrôlée.
— Vous auriez pu l’en empêcher ! cria le brigadier en cherchant d’autres morceaux de chair.
— Un chien reste d’abord un animal. Ne vous inquiétez pas madame Le Corre, vous n’y êtes pour rien.
*
Pour éviter de voir le pourtour pollué, le lieutenant Bruneau encercla un grand périmètre autour du chêne d’une bande scène de crime jaune avec l’inscription « Gendarmerie ».
— Je peux partir ?
Sandrine souhaitait, plus que jamais, quitter cet endroit le plus rapidement possible. Elle se demandait comment elle avait réussi à rester près de ce chêne sans s’évanouir.
Le meurtre de Klaus la mettait dans un état de frayeur jamais connu. Elle tremblait pour ses enfants. Contrairement aux deux gendarmes, elle était persuadée que la personne qui avait tué Klaus était la même qui avait fait disparaître Nelly.
Si un homme aussi bon que Mayer pouvait être torturé et assassiné, aucun habitant de la région n’était désormais à l’abri.
*
Assise dans sa Renault Twingo, Sandrine était hébétée. À ses côtés, Garou la fixait de ses grands yeux marron. Sa patte avant droite posée sur le bras de sa maîtresse, il essayait de la consoler.
— Je sais que tu n’aimes pas que je sois triste, mais je connais Klaus depuis que je suis toute petite. Il était à côté du prêtre lors de mon baptême. C’est un peu un deuxième papa pour moi.
Elle se moucha, avant de poursuivre en pleurnichant.
— Bien sûr, vu son âge, je savais bien qu’il mourrait un jour ou l’autre, mais pas comme ça, pas assassiné, pas mutilé et pendu comme un vulgaire gibier.
Le chien acquiesça d’un petit grognement.
— Tu entends ? Ce doit être les gendarmes chargés de l’enquête.
Garou souleva l’oreille. Au loin, les sirènes des voitures de la brigade de recherches de Vannes troublaient le calme précaire de la forêt. Au pied d’un sapin, trois jeunes merles se chamaillaient pour un ver de terre débusqué.
Sandrine consulta sa montre, puis son portable. Elle devait encore porter la robe à la fille du boulanger. La future mariée devait s’impatienter. Devant un miroir usé, la couturière remit ses cheveux en ordre, puis essuya ses yeux à l’aide d’un mouchoir en papier.
Après un long soupir, elle mit le contact. La vie continuait.
Mardi 6 mai 2014 – 11 heures 22 – Bois du Poulbert, La Trinité-sur-Mer
Comme il l’avait promis à sa fille, le capitaine Marc Morini avait prévu un voyage en Corse en fin de semaine.
— Oui Louna, je serai là pour ton anniversaire, c’est juré ! avait-il promis, y croyant sincèrement.
La cérémonie semblait désormais bien compromise. Et c’était bien là le problème. Une promesse non tenue pouvait causer quelques dégâts. Il pensait à la confiance qui l’unissait à sa fille.
Un pincement au cœur lui arracha une moue de tristesse. Il avait choisi de servir dans la Gendarmerie. Cependant, depuis qu’il devait la partager avec Louna, sa mission devenait parfois difficile et compliquée.
*
En s’avançant vers ses collègues de Vannes, le lieutenant Bruneau chercha dans sa mémoire s’il les connaissait. Apparemment, il les rencontrait pour la première fois. Il aurait préféré le contraire. En effet, il lui semblait plus facile de travailler avec des collègues familiers qu’avec des inconnus. Le sourire forcé, il s’exclama.
— Bonjour Mon Capitaine, je suis le commandant de la gendarmerie de Carnac.
Depuis sa mutation à Vannes, Morini n’avait pas encore eu l’occasion de visiter Carnac, ses dolmens et les menhirs. Pourtant, il s’était juré de ne pas manquer le spectacle de ces pierres alignées, voici six millénaires, sans qu’on en connaisse encore précisément la raison.
— Bonjour Mon Lieutenant, heureux de faire votre connaissance.
Bruneau hocha la tête, signifiant qu’il ressentait la même satisfaction.
— Voici la victime Mon Capitaine, nous l’avons retrouvée ce matin, pendue sous les bras.
— Sous les bras ? coupa le maréchal des logis Télo Hervé, ce n’est pas courant.
— C’est exact, mais vous allez comprendre pourquoi son tueur a préféré l’attacher sous les bras plutôt que par le cou.
Le sourire qui illuminait le visage de Julien Laborde démontrait la joie ressentie en écoutant son oncle faire la leçon à ces “rambos” de la section de recherches.
— Ses mains étaient ligotées dans le dos et le sexe avait été coupé. D’après les traces retrouvées au sol, il se peut qu’il se soit, à cet endroit, vidé de son sang.
— Vu que vous avez descendu la victime avant notre arrivée, j’espère au moins que vous avez fait des clichés ?
Un rictus déforma la bouche pulpeuse de Laborde. Pour qui se prenaient ces cow-boys vannetais ? Ils n’étaient pas nés de la dernière pluie et connaissaient leur boulot.
*
Accroupi au pied du corps sans vie, Morini inspecta le visage du nonagénaire. Quelques cheveux blancs sur le front cachaient son œil droit d’où partaient quatre rides qui s’étiraient vers une tempe grisonnante. Sous la paupière gauche, une cicatrice dessinait un Z. Un nez droit surplombait une bouche aux lèvres fines.
Habitué à l’examen des victimes, Morini s’attarda sur le cou.
— Regarde Télo, cette trace de coup sur le front et ce sang séché.
— Oui Mon Capitaine je les vois, répliqua le jeune gendarme, accroupi à côté de son chef de groupe.
— Vous pensez à quoi ? s’interposa le neveu de Bruneau.
Morini détourna la tête vers le brigadier. Il était habitué aux remarques de collègues sceptiques, peu accoutumés à la vue d’un cadavre.
— Et vous Brigadier, qu’en pensez-vous ? Vous avez eu le temps d’inspecter le corps avant notre arrivée.
— Nous avons préféré vous laisser la priorité, rétorqua le lieutenant Bruneau, venu en aide au fils de sa sœur aînée.
Toujours accroupi, Morini tourna la tête du mort et de l’index indiqua une plaie.
— Ici, il y a une marque de coup qui pourrait démontrer que notre victime a d’abord été assommée par un objet coupant, un outil de jardinage peut-être ?
Restés sans voix, Bruneau et Laborde hochaient la tête, une manière de montrer leur admiration.
Le capitaine poursuivit son examen. Les marques de la corde sous les bras attestaient la force avec laquelle elle avait été nouée. Les poignets portaient les stigmates des liens qui les avaient entravés dans le dos. Impossible d’échapper à la vue du sexe mutilé, tranché proprement à l’aide de ciseaux ou d’un couteau.
Paupières baissées, Morini essaya de retracer le fil du meurtre.
— Il a été assommé, puis amené ici avant d’être pendu sous les bras, poignets ligotés dans le dos.
— C’est donc un assassinat Mon Capitaine !
— Pas si vite Télo, si ça s’est véritablement passé ainsi, ça peut être un assassinat ou bien les éléments ont dérapé. Seul, le ou les meurtriers nous le diront. Puis, ils lui ont coupé le sexe.
— Il s’est donc vu mourir lentement, bafouilla Laborde en tressaillant.
— C’est exact Brigadier.
Le visage blême, Bruneau murmura.
— Qui peut faire une chose pareille à un pauvre vieillard ?
Le capitaine Morini se releva et, de sa main non gantée, frotta son pantalon pour ôter la poussière et la terre.
— Dès que nous aurons des traces d’ADN et d’empreintes digitales, nous en apprendrons peut-être plus.
Insensible au dialogue entre son chef et le commandant de la brigade de Carnac, Télo Hervé poursuivait sa réflexion.
— Il a dû être accroché à cet arbre de nuit, il y a bien un ou deux jours.
— Je pense comme toi, répliqua le capitaine.
D’un regard inquisiteur, Laborde questionna son oncle. Le lieutenant haussa les épaules. Lui-même s’interrogeait. Il demanda.
— Comment savez-vous qu’il est mort il y a deux jours et que cela s’est passé de nuit ?
Morini était accoutumé à entendre ces questions de la part de collègues non habitués à traiter les affaires criminelles. Depuis plus de vingt ans, il côtoyait les cadavres et était en capacité de donner une date de mort approximative.
— En ce qui concerne la nuit, ce n’est actuellement qu’une supposition. De jour, il aurait pu être découvert rapidement et ses assassins confrontés à des promeneurs. De plus, vu la méthode choisie pour le tuer, il est fort probable que son meurtrier a assisté à la mort de sa victime, avant de déguerpir.
— Vous voulez dire qu’il est resté en spectateur à regarder sa victime se vider de son sang ? demanda, la voix nouée, le lieutenant Bruneau en frissonnant.
Morini se racla la gorge. Il comprenait ces questions. Pour un non initié, le crime restait une énigme.
— Je le pense effectivement. Mais je peux me tromper. Peut-être voulait-il s’assurer que sa victime soit bien morte avant de quitter la scène de crime ? Voulait-il que sa victime souffre et se voit mourir ?
Le brigadier Laborde tressaillit violemment. Comme pour se réchauffer malgré un soleil généreux, il se frotta les bras.
— Quel tordu peut être capable de faire une chose pareille parce que… parce que…
Bruneau vint au secours de son neveu.
— Parce que la femme qui nous a appelés a affirmé que ce vieil homme était une personne d’une grande gentillesse, aimée de tout le monde. Pensez-vous qu’il s’agisse du crime d’un fou ? Un fou, ici, sur notre territoire ?
Le capitaine comprenait les craintes des gendarmes de Carnac. Malheureusement, il lui était impossible de répondre à cette question. Seule l’enquête pourra confondre l’assassin.
— Les psychopathes s’attaquent en général aux enfants ou aux femmes, rarement aux vieillards. Mais vous savez, malheureusement, les criminels ne respectent que rarement les statistiques.
Ayant repris ses esprits, Laborde reposa sa question initiale.
— Vous ne nous avez pas répondu à propos de la date de la mort. Comment savez-vous qu’il a été tué il y a au moins deux jours ?
— Julien ! protesta le lieutenant, laisse le capitaine tranquille !
— Pas de problème Mon Lieutenant, le brigadier a raison de me poser la question. Il lui arrivera peut-être un jour de se trouver devant un cadavre et de devoir déterminer l’heure approximative de la mort.
Julien bomba le torse et écouta les explications de l’enquêteur vannetais.
— La couleur verdâtre de la peau de l’abdomen et le gonflement du ventre nous donnent une idée de l’heure de la mort. Les bactéries ont commencé leur travail de putréfaction. Bien sûr, vu que la victime s’est vidée de son sang avant de mourir, il est fort probable que l’altération des tissus ait été ralentie. Le légiste nous en dira plus.
Bouche bée, Julien resta muet, le regard émerveillé de tant de connaissances.
*
Le maréchal des logis Télo Hervé prenait des photos, tout en inscrivant sur sa tablette, les détails énumérés par le capitaine.
— Il avait l’air en bonne santé pour son âge ?
— Oui, s’interposa le lieutenant Bruneau. Malgré ses quatre-vingt-quatorze ans, il était en pleine forme. Enfin, d’après les dires de la personne qui nous a appelés.
La main au menton, Morini réfléchit. Les victimes de cet âge étaient plutôt rares. Surtout en Bretagne.
— Parlez-moi un peu de ce vieil homme Mon Lieutenant !
— Oh, vous savez, nous sommes de Carnac et Mayer habitait Saint-Philibert…
— … Ce n’est pas loin, coupa Hervé.
— Certes, mais on ne le connaissait pas, répliqua Laborde afin de venir en aide à son oncle.
Hervé se contenta de cette réponse. Après tout, lui-même ne connaissait pas tous les Vannetais.
Morini décida d’intervenir. Dans son cerveau, les questions commençaient à s’entrechoquer. À chaque nouvelle enquête, c’était toujours le même processus. Il fallait se mettre dans le bain. Pour comprendre, il lui fallait tout d’abord découvrir la vie de la victime, connaître ses relations et déchiffrer ses comptes bancaires. Pourtant devant ce corps sans vie de quatre-vingt-quatorze ans, il était dubitatif.
— Très bien, nous allons faire emmener le corps à l’institut médico-légal de Nantes, puis nous allons nous rendre à Saint-Philibert et si nous avons besoin de votre aide, nous vous ferons signe.
— Pas de souci Mon Capitaine, nos locaux sont également à votre disposition, ajouta le commandant de la brigade de Carnac, puis, entraînant son neveu, il quitta le périmètre de la scène de crime.
Le portable de Bruneau vibra. Romy appelait pour la troisième fois.
— La jalousie va bouffer notre couple, murmura-t-il avant de replacer le téléphone dans sa poche.
* * *
Fort de ses mille cinq cents habitants, abrité dans le golfe du Morbihan, Saint-Philibert attirait les touristes sur ses plages. Grâce à un climat clément, l’été, il fallait chercher une place pour étendre sa serviette sur le sable blond.
En vingt ans, de nombreux appartements estivaux avaient vu le jour, réjouissant les commerçants qui voyaient leur chiffre d’affaires grossir.
À quelques kilomètres de Saint-Philibert, après avoir traversé la rivière de Crac’h, on regagnait La Trinité-sur-Mer et son port de plaisance pour y rencontrer les amoureux de la voile du monde entier.
Et en continuant sur la route de Carnac, on arrivait aux alignements mégalithiques vieux de six mille ans.
En juillet et août, il fallait faire preuve de patience pour rouler sur les routes de la côte ressemblant plus au périphérique parisien qu’à des départementales de campagne.
Le long de la route des plages, au hameau du Pêcheur, on entendait les cris de joie des enfants jouant au ballon ou mimant les coureurs du tour de France.
Les petites maisons individuelles d’amoureux de la Bretagne renaissaient d’avril à octobre, puis arrivaient l’hiver et le silence. Seule Madeleine Plétan promenait son chien par tous les temps. On l’appelait Mado et tout le monde l’aimait.
Une fois par semaine, elle prenait sa Renault 5, roulait doucement sur la route des plages pour rejoindre la rue de la Chapelle afin d’assister à l’office dominical.
La magnifique chapelle dominant l’océan était une des fiertés des habitants du village.
Mardi 6 mai 2014 – 12 heures 15 – Mairie de Saint-Philibert
Le capitaine Morini décida de rendre visite à la maire du village. En tant que première magistrate de la commune, elle connaissait mieux que quiconque ses administrés. Cependant, il fallait qu’elle acceptât de partager ses informations avec les enquêteurs.
Il arrivait en effet que les maires redoutent plus les conséquences d’une enquête criminelle sur leur territoire que la recherche de la vérité.
Le capitaine devait user de tact et de diplomatie pour obtenir les renseignements escomptés.
*
Garée dans la rue de la chapelle, en face de l’océan, la voiture des gendarmes de la section de recherches de Vannes attirait les curieux qui discutaient fermement.
Corinne Mathieu-Dekokere s’agitait, une baguette en main.
— Il paraît que Klaus s’est suicidé dans la forêt ! On l’a retrouvé pendu dans un arbre du bois du Poulbert.
Pour donner plus d’ampleur à ses propos, Corinne mima de sa main libre une corde qui pendait d’une branche. À force de lire des polars, son imagination débordait.
— Mon Dieu ! s’interposa Catherine Lestrade, la bouchère de l’épicerie, en tremblotant. C’est terrible !
Puis, histoire de se rassurer, elle ajouta la voix indécise.
— Il avait pourtant l’air si heureux !
— Oh tu sais Catherine, coupa Corinne, les suicidaires cachent bien leur jeu. J’ai lu dernièrement une histoire sur un homme qui a réussi à cacher son malheur à toute sa famille avant de s’enfermer dans sa voiture pour s’asphyxier dans son garage.
Elle chercha le titre du livre afin d’étayer sa pensée, mais lisait tellement d’ouvrages, qu’elle n’y parvint pas.
— Ah bon ? s’étonna Catherine Lestrade.
— Oui, moi j’y crois pas au suicide. Je suis certaine qu’il a été assassiné !
Elle détourna la tête afin de s’assurer que personne n’avait entendu ses propos, puis d’une voix basse, poursuivit à l’intention de ses deux interlocutrices.
— J’en suis sûre parce que j’ai rencontré Klaus vendredi matin. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui allait se tuer. Il est venu à la mairie pour discuter d’une fête prévue cet été. Il n’avait aucune envie de mourir, ça, c’est sûr et certain. Il a été tué !
La bouchère recoiffa sa toison grisonnante avant de s’exclamer d’un ton outré.
— Ça va pas ! Ici à Saint-Philibert ? Jamais de la vie ! Il n’y a pas d’assassin. Corinne, tu lis trop de romans policiers. Tu devrais arrêter de surfer sur le site des “Mordus de thrillers” !