Sacré moine à Dinard - Catherine Schubert - E-Book

Sacré moine à Dinard E-Book

Catherine Schubert

0,0

  • Herausgeber: Alain Bargain
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2020
Beschreibung

L'avenir de Marc Morini et de Margot Bonnet s'assombrit tandis qu'ils enquêtent sur le meurtre d'une famille.

Dans l’arrière-pays dinardais, Jacques Trioux et sa famille sont retrouvés sauvagement assassinés. La commune de Tréméreuc est sous le choc. Au terminal de Saint-Malo, dans les toilettes du ferry de la compagnie Brittania, un homme gît, une balle en pleine tête. Afin de résoudre ces deux enquêtes, Marc Morini, capitaine au sein de la section de recherches de Saint-Brieuc devra faire équipe avec Margot Bonnet, une capitaine de police de Rennes, particulièrement portée sur la nicotine et la boisson. Qui est ce moine en vadrouille sur les routes de la région que les enquêteurs aimeraient interroger ? Alors que leurs investigations conduisent les deux capitaines jusqu’à Marseille, Marc Morini voit sa vie privée basculer. Malgré ces péripéties, arrivera-t-il, grâce à l’aide de Bonnet, à arrêter l’assassin ?

Où cette enquête va-t-elle donc mener ce duo au caractère bien trempé ?

EXTRAIT

"Soudain, on frappe à la porte. Gwenaël laisse tomber la cuillère pour se précipiter vers la porte d’entrée.
— Qui peut venir à cette heure-ci ? s’inquiète la mère.
— Sans doute un péquenaud qui a besoin d’un outil quelconque, réplique le père, énervé d’être dérangé à l’heure du journal télévisé.
— Va voir, s’il te plaît, supplie sa femme.
Agacé, le père souffle bruyamment. Pourtant, pour rassurer son épouse, il décide d’accéder à sa requête. Il va quitter la table à l’instant même où quatre hommes cagoulés pénètrent dans la grande pièce. Le premier des assaillants tient Gwenaël par le cou, un revolver sur la tempe. Les jambes chancelantes, le père retombe sur sa chaise. La pâleur du visage de son épouse l’épouvante autant que les armes de ces inconnus. Il lui prend la main. Elle la refuse." 

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"C'est un polar pur, simple mais efficace dans la lignée des grands auteurs du genre. Catherine Schubert nous fait participer à l'enquête, il nous faut réfléchir, émettre des hypothèses, relever les indices. le récit est rythmé, avec des rebondissements, du suspense à chaque page. Je ne les ai pas vues défiler et c'est avec regret que j'ai lu le mot fin. A lire sans hésiter." - pbrient, Babelio

"L'écriture est fluide, agréable et visuelle. La lecture est captivante , envoutante, addictive. Un excellent moment de lecture. Un roman policier à lire sans modération." - yael81, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Catherine Schubert : Originaire de Bretagne, l’amour me mène très jeune en Allemagne. Mère de trois enfants, j’ai parcouru en famille une partie du monde. Aujourd’hui, je partage ma vie entre les Côtes-d’Armor et la Bavière. Passionnée d’écriture et de philosophie, j’aime relater la complexité des relations humaines, qui peut parfois conduire au crime. Je suis membre de l’association “L’Assassin habite dans le 29”.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 384

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Je remercie Laurianne Pondaven et Frédérique Menez pour leur travail de relecture et leurs encouragements.

Je remercie toute l’équipe des éditions Bargain pour leur confiance.

Je remercie Luciano Proia et Valérie Vassas de Callac.

Merci à Martine Bond, Philippe Brient et Isabelle Chaumard.

PROLOGUE

Campagne de Tréméreuc, lundi 28 octobre 2013, 19 h 24

Tous feux éteints, la Mercedes se gare devant la propriété aux volets fermés. Le passager arrière gauche descend et s’avance à pas feutrés vers le portail en bois. Le bruit du vent qui souffle étouffe le grincement des charnières usées. Seul le chant d’un chat-huant trouble le calme de la nuit tombante.

L’index droit sur la bouche, le “Gros”, comme le surnomment ses complices, donne le signal au conducteur d’avancer. Éclairée par la lune, la voiture roule au pas dans l’allée.

Attaché dans sa niche, un malinois aboie en tirant sur la chaîne qui le retient prisonnier. Il s’époumone en sautant sur place comme un fauve en cage. Le Gros referme le porche et, la main tremblante, essuie son front moite d’un revers de manche.

***

La fourchette dans l’assiette, Maëlys joue avec ses pâtes, soufflant sur le parmesan qui virevolte avant de se noyer dans la sauce tomate.

— Dis, Papa, pourquoi qu’il aboie, Rex ? demande-t-elle en regardant une mouche s’aventurer sur la table.

À ses côtés, Gwenaël avale ses nouilles à grande vitesse. La partie de foot l’a affamé et rendu heureux. Il a marqué son premier but et sait désormais : il deviendra un grand footballeur. Tendant son assiette à sa grand-mère, qui la remplit une deuxième fois, il baye aux corneilles.

— Mange doucement, mon garçon, tu vas t’étouffer.

Gwenaël secoue la tête en enfonçant sa fourchette dans la bouche.

— Pourquoi qu’il aboie, Rex ? redemande Maëlys en jouant avec un spaghetti.

Son père la rassure d’un sourire. Il est satisfait du petit bordeaux qu’il a trouvé à Dinard, l’appréciant encore plus avec la terrine de chevreuil qu’a mijotée sa mère. Il faut dire que la bête était belle. Il se souvient des grands yeux noirs au bout du fusil.

— Hein, Papa ? Dis-moi pourquoi qu’il aboie, Rex ? insiste Maëlys en s’agitant sur sa chaise.

Son père tend l’oreille. Effectivement, le malinois s’égosille. Encore un chat ou un renard qui erre dans le jardin.

— Ne t’inquiète pas, ma fille, Rex est encore jeune et fougueux. C’est certainement Mistigri qui le nargue. Allez, mange tes pâtes, elles vont refroidir.

— J’ai pas faim, Papa !

Assise en face de sa fille, la mère caresse son ventre arrondi. Elle déguste son dernier morceau de camembert qu’elle accompagne d’un morceau de baguette et d’une feuille de laitue. La viande la dégoûte. Elle espère qu’après l’accouchement elle retrouvera du plaisir à mordre dans un bon steak saignant. Encore une semaine, deux tout au plus.

La pluie frappe les volets et le vent qui hurle dans la cheminée produit une musique angoissante. La tempête souffle de plus belle. Le père de famille jette un coup d’œil sur sa montre. Bientôt le journal télévisé de 20 heures. Un dernier verre pour finir son fromage avant de suivre les informations de la fronde en Bretagne contre l’écotaxe et les rebondissements des futures primaires de la droite.

— Il n’aboie plus, Rex, marmonne Maëlys en mâchant quelques spaghettis.

Le père tend l’oreille. Effectivement, le chien s’est calmé.

— Je te l’avais dit, le chat a dû se fatiguer de le narguer. Il va falloir tout de même que je l’emmène à l’école de dressage. Il n’est pas encore trop tard.

— C’est quoi, une école de dressage, demande Gwenaël en attendant son dessert.

— Les premiers voisins sont à trois cents mètres. Les aboiements de Rex ne doivent pas beaucoup les déranger, ironise la grand-mère.

— Oui, c’est quoi, une école de dressage ? demande à son tour Maëlys.

— Mange ! Allez, encore une fourchette et tu auras bien mangé.

— Tu es trop gentil avec elle, réplique la mère, le regard tourné vers sa fille.

— Elle n’est pas malade et elle a les joues toutes roses, conclut le père en caressant le nez de Maëlys.

Le rire de la gamine réconcilie ses parents. La grand-mère termine son yaourt fait maison. Avant d’avaler sa dernière cuillerée, elle jette un coup d’œil vers la porte qui donne sur l’escalier menant aux chambres. La petite dernière dort paisiblement au premier étage.

Le père déguste sa dernière goutte de vin. Il regarde le ventre de sa femme, puis pose les yeux sur sa petite fille et son garçon. Un sentiment de plénitude l’envahit.

Il bâille en s’étirant. Gwenaël déguste une crème au chocolat, léchant sa cuillère avec gourmandise. Sa sœur a opté pour un parfum vanille.

Soudain, on frappe à la porte. Gwenaël laisse tomber la cuillère pour se précipiter vers la porte d’entrée.

— Qui peut venir à cette heure-ci ? s’inquiète la mère.

— Sans doute un péquenaud qui a besoin d’un outil quelconque, réplique le père, énervé d’être dérangé à l’heure du journal télévisé.

— Va voir, s’il te plaît, supplie sa femme.

Agacé, le père souffle bruyamment. Pourtant, pour rassurer son épouse, il décide d’accéder à sa requête. Il va quitter la table à l’instant même où quatre hommes cagoulés pénètrent dans la grande pièce. Le premier des assaillants tient Gwenaël par le cou, un revolver sur la tempe. Les jambes chancelantes, le père retombe sur sa chaise. La pâleur du visage de son épouse l’épouvante autant que les armes de ces inconnus. Il lui prend la main. Elle la refuse.

Impossible de réagir sans risquer une rafale de mitraillette. Habitant à l’entrée du village, la famille Lambert est trop loin pour entendre ou voir ce qui se passe dans la maison.

L’un des hommes, le plus petit, ordonne à tous les membres de la famille de mettre leurs mains sur la tête. Maëlys chouine. Elle est fatiguée et veut aller se coucher. Le regard de son père ne la rassure pas. Malgré son jeune âge, elle y perçoit un mélange de peur et d’incompréhension.

Sous les regards inquiets des parents, le Gros déplace les meubles du salon. Il pousse la table basse vers la fenêtre, recule le divan et les deux fauteuils en cuir marron puis commande au père d’apporter quatre chaises.

Tenus en joue, les enfants, la mère et la grand-mère se serrent les uns contre les autres. Le père s’exécute, sous les ordres du “Petit”, qui du doigt désigne la place de chaque chaise.

Le père les dispose une à une en demi-cercle, puis rejoint sa famille. Dehors, la pluie et le vent s’en donnent à cœur joie, tandis qu’une musique funeste siffle dans la cheminée. La mère frissonne. Ses jambes flageolent. Elle a des difficultés à rester debout.

Le troisième homme, qui semble plus jeune que les autres, monte sur un escabeau à deux marches et à l’aide d’une perceuse sans fil perfore le plafond.

La grand-mère est prise de soubresauts et sanglote. Gwenaël cherche une réponse dans le regard vide de son père. Comprenant le danger, la mère tente l’impossible.

— Qu’est-ce que vous voulez ? De l’argent ? Des bijoux ? On peut vous donner tout ce que vous voulez.

Le chef de la bande fait un pas vers la famille rassemblée au fond de la salle à manger qui donne directement sur le salon. À travers la cagoule noire, on ne voit que ses yeux au regard mort.

— On m’a pris ce que j’avais de plus cher. L’argent et vos bijoux ne m’intéressent pas.

La lueur de haine qui illumine brusquement son regard fait frissonner la grand-mère.

Elle commence une prière. Elle sait que Dieu l’écoutera et arrêtera ce cauchemar.

La mère mendie d’un regard embué une explication à son mari.

Il secoue la tête. Il ne comprend rien. Le bruit de la mèche qui perce le plâtre accroît l’angoisse des deux enfants qui pleurent.

L’agresseur ajuste un crochet de boucher puis y noue fortement une corde que lui a passée son chef.

Le Petit ordonne aux enfants de prendre place sur les deux chaises du milieu, puis à la grand-mère, sur la chaise de droite, tandis que la mère s’assied sur la chaise de gauche. Le Gros attache les enfants par la taille autour des barreaux du dossier et serre une corde autour des bras et du buste des deux femmes.

Le père comprend que la corde attachée au crochet lui est destinée. Il ne connaît pas la raison pour laquelle il doit mourir aujourd’hui et aussi violemment. Néanmoins, il est rassuré à l’idée que ses enfants, sa femme et sa mère seront épargnés. Il fait confiance à son épouse, elle saura aider leurs enfants à faire face à ce choc. Voir mourir son père est une expérience traumatisante. Il se surprend à prier en silence. Ce n’est pas dans ses habitudes de s’adresser à Dieu. Il ne sait même pas s’il croit en Son existence. Néanmoins, il ne voit aucune autre solution pour protéger sa famille.

Le Chef lui ordonne de s’approcher. Il rassemble ses dernières forces pour rassurer les enfants qui pleurent. L’agresseur lui ficelle les mains derrière le dos brusquement et lui passe la corde au cou, qu’il ajuste au crochet. Pour éviter l’étranglement, le père se tient en équilibre sur la pointe des pieds.

— Jacques ! hurle la mère, qu’est-ce qui nous arrive ?

— Ne t’inquiète pas, Nadine, tout sera bientôt terminé, murmure son mari d’une voix troublée.

La grand-mère prie de plus belle. Dieu la connaît. Elle passe plusieurs heures par semaine à la paroisse. Elle nettoie l’église, anime la chorale des enfants, donne des cours de catéchisme. Il ne va pas laisser ces monstres torturer ses enfants et ses petits-enfants sans réagir.

Le Chef se tient derrière elle et d’un coup sec lui arrache le collier qu’elle porte autour du cou. Elle tousse, étranglée par le geste brutal. La chaîne se brise et tombe à terre, mais le médaillon reste intact. L’assaillant l’embrasse puis le serre dans sa main, les yeux embués.

Jacques tremble de plus belle. Des images qu’il croyait mortes lui reviennent en mémoire. La peur prend possession de tout son corps et la sueur perle sur son front. Ses lèvres frémissent.

L’horloge du salon sonne vingt heures trente. Jacques s’efforce de respirer régulièrement pour éviter l’asphyxie. Il s’attend à mourir d’une seconde à l’autre. Il s’en veut énormément d’imposer sa mort à ses enfants. Il s’efforce de sourire à sa petite fille, qui le fixe de ses grands yeux brouillés de larmes.

Soudain, le Petit se place derrière la chaise de la gamine et lui enfile un sac en plastique sur la tête avant de le serrer autour du cou. Désespérément, Maëlys se bat de toutes ses forces. Ses jambes s’agitent violemment. Avec ses petits doigts, elle cherche à se libérer, mais l’homme aux mains gantées ne baisse pas la pression. Avec ses petits ongles vernis, elle gratte le pull de laine noir que porte son assassin. Puis, ses gestes se font plus lentement, comme dans une vidéo au ralenti. Son calvaire dure deux minutes et vingt-trois secondes. Ses bras tombent le long de son corps inerte.

Sur les joues pâles de son frère aîné, des larmes coulent doucement. Nadine hurle. Jacques pleure. La grand-mère est effondrée. Dieu l’a abandonnée. Gwenaël cherche son père du regard. Mais celui-ci, tête baissée, semble déjà mort.

L’agresseur se place derrière le garçon, qui secoue la tête vivement pour empêcher l’homme de lui enfiler un autre sac en plastique. Mais, contre la force d’un adulte, il n’a aucune chance.

Son calvaire dure à peine plus longtemps que celui de sa sœur. Sous la violence des mouvements de ses jambes, le chausson droit atterrit aux pieds de son père, qui fond en larmes.

La mère n’a plus la force de crier. Elle sanglote. Elle va mourir également et rejoindre ses enfants. Elle le regrette pour son nouveau-né qui n’aura pas la chance de voir le jour. Elle est prise d’un tremblement nerveux. Et si Zoé se réveillait ? Des larmes coulent sur ses joues blêmes. Leur sale besogne terminée, ces hommes visiteront la maison, puis découvriront la petite dernière dans son lit. Cependant, elle refuse de mourir sans comprendre la raison de cet acharnement meurtrier. À côté du corps sans vie de son fils, elle interpelle son mari.

— Pourquoi, Jacques ? Pourquoi ?

Elle sait qu’il sait. La grand-mère jette un regard de haine vers sa bru. Elle ne peut pas croire que son fils est la cause de ces malheurs. L’assassin des enfants se place derrière elle et interpelle Jacques.

— Dis au revoir à ta mère !

Jacques croise le regard embué de Korydwenn. Si belle et rayonnante au moment du repas, la septuagénaire paraît avoir vieilli de vingt ans en moins d’une heure.

— Maman, pardonne-moi, murmure-t-il, la voix étranglée par le chagrin.

Le Petit passe une corde autour du cou de la grand-mère et serre de toutes ses forces. Jacques frémit. Le visage de sa mère change de couleur, jusqu’à devenir bleu. Ses yeux fixent son fils intensément. Pendant plus de quatre minutes, un genou calé contre le dossier de la chaise, le meurtrier serre la corde avec force.

Puis, sans un mot, il se place derrière la chaise de Nadine. Elle demande le temps de faire une prière. L’assassin cherche l’approbation de son chef, qui hoche la tête. Nadine récite doucement un “Notre Père”, puis un “Je vous salue Marie”. Dans le silence de la pièce, on entend son murmure, mêlé à des sanglots.

— Sainte Marie mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheresse.

Soudain, sa voix devient inaudible. La corde qui écrase sa gorge lui coupe l’oxygène. Ses jambes s’agitent violemment et, dans son ventre, le bébé gesticule avant de mourir à son tour.

Jacques pleure en silence. Il s’attend à être pendu comme la carcasse d’un porc.

Le Gros et le Petit, poing américain aux doigts, se placent devant lui.

Sans un mot, sans une explication, le Petit frappe violemment Jacques au foie. Sous la puissance du coup, son corps valse en arrière et la corde l’étrangle. Le Gros lui assène un coup violent au niveau de la tempe droite, puis du nez et de la mâchoire. Le Petit préfère le foie et l’estomac, qui subissent des chocs intenses. Jacques gémit, du sang coule de ses narines et de ses oreilles. Le calvaire dure plus de dix minutes.

Le Gros enfile un sac sur la tête de la victime. De la bouche du père, un dernier râle s’échappe, puis le silence pesant envahit la pièce.

Le Chef allume une cigarette et tire une bouffée avant d’expirer bruyamment la fumée.

Le Petit, adossé contre le mur, regarde son portable. Il sourit à la lecture d’un message qu’il attendait.

— T’es con ou quoi ? Éteins ton téléphone.

— C’est ma mère, ma femme a accouché. Je suis papa, j’ai une petite fille !

Son chef ne bronche pas, le regard vidé de toute émotion.

— Excuse-moi, je ne voulais pas t’ennuyer avec mes histoires de famille.

Le Gros et le Jeune montent les marches qui mènent au premier étage.

— Vous ne prenez rien, nous ne sommes pas des voleurs, ordonne le Chef d’une voix sourde.

Durant un quart d’heure, ils fouillent les chambres minutieusement. Dans une des pièces, le cadet découvre une petite fille, une sucette dans la bouche. Il retire sa cagoule et s’émerveille devant cette enfant qui lui rappelle sa petite sœur. Apercevant l’homme au pied de son lit, la petiote se lève, s’accroche aux barreaux et sourit. Il lui tend les bras. Elle se laisse porter sans résistance et pose sa tête sur son épaule.

Il descend l’escalier, en lui murmurant des paroles douces à l’oreille, puis, arrivé au rez-de-chaussée, décide de se rendre dans la cuisine pour lui éviter la vision d’horreur.

Un instant, il pense cacher la gamine à ses complices. Cependant, que deviendrait-elle, seule dans cette maison, au milieu des cadavres ? Il n’a pas d’autre choix.

— Venez voir ce que j’ai trouvé dans une des chambres d’en haut.

Le Petit le rejoint. Il secoue la tête, agacé, persuadé d’avoir terminé le sale boulot. Il souffle, puis appelle son chef.

— Bassem, viens voir.

Dans la cuisine, les trois hommes entourent la petite fille, sa tétine dans la bouche et son doudou contre le nez. D’un geste de la main, elle réclame un verre d’eau. Le chef enlève sa cagoule.

— Quel âge peut-elle avoir ?

— Je sais pas, Chef, si je compare avec ma petite sœur, je dirais un an et demi.

— Bon, qu’est-ce qu’on en fait ? s’énerve le Petit.

Les trois hommes se toisent. Le cadet serre la petite fille contre sa poitrine. Il ne peut pas s’imaginer que l’on puisse la tuer. Soudain, il se rend compte de ce qu’ils ont fait. La sœur et le frère de cette enfant n’étaient pas vraiment plus âgés. Il frémit et ferme les yeux pour retenir ses larmes.

— Bassem, tu vas pas te laisser prendre d’affection pour cette môme ? Elle est un danger pour nous. Ce con lui a refilé son ADN à la serrer contre lui. Allez ! Au point où on en est.

— Ferme-la !

— Déconne pas, il faut la tuer et la faire disparaître.

La sucette dans la bouche, Zoé bafouille des syllabes incompréhensibles et rigole pour amuser la galerie.

La tétine tombe sur le carrelage de la cuisine. La désignant avec son petit index, elle ordonne à Bassem de la ramasser. L’assassin de ses parents se baisse pour prendre la sucette rose, qu’il nettoie avec soin en la passant sous l’eau, avant de la placer doucement dans la bouche de l’enfant souriant.

— On l’emmène !

L’ordre est donné avec tant de force que même le Petit n’ose s’y opposer. Rassuré, le Jeune embrasse affectueusement la petiote, qu’il porte vers la voiture.

Le Chef quitte la maison en dernier, laissant la porte d’entrée ouverte. Sur la terrasse, anesthésié, le malinois dort encore. Le Gros retire la flèche de son flan puis, caressant l’animal avec sa main gantée, murmure :

— Dors, mon brave, tu n’as pas démérité. Nous avons été plus forts que toi. J’espère que tu trouveras une famille aimante.

Un chat vient se frotter contre ses jambes.

— Eh, toi, tu es beau et tu ronronnes. Si je pouvais, je t’emmènerais.

— Bon, tu te ramènes, le Gros ?

— J’arrive, Chef, j’ouvre le portail.

— OK, referme-le ensuite à clé, j’ai laissé le petit portail côté jardin ouvert, réplique Bassem.

Le Gros acquiesce.

— Le chien et le chat pourront chasser pour trouver un peu de nourriture. Dans cette maison isolée, et en ce début de vacances de Toussaint, il est fort probable que les corps ne soient pas découverts rapidement.

La voiture démarre. Bassem et le Jeune ont pris place à l’arrière. Assise sur les genoux du chef de bande, la petite se laisse caresser les cheveux, avant de s’endormir paisiblement.

Côté passager, le Petit bouillonne. Il connaît les risques pris en circulant avec cette gamine.

Cependant il sait que s’opposer à Bassem équivaut à une condamnation à mort.

Le Gros conduit sans se poser de question, un sourire aux lèvres.

S’il avait pu choisir, il aurait opté pour le chien et le chat. Mais c’est Bassem, le chef. D’après le GPS, ils seront à Paris vers 5 heures du matin.

Dans la voiture, la petite dort, recouverte d’une couverture qui la dissimule presque entièrement, et les trois passagers somnolent. Avant de s’endormir, Zoé a réclamé sa mère. Bassem lui a promis qu’elle allait la retrouver très bientôt. Une idée lui vient en tête. Il sort son portable pour écrire un message.

La pluie a cessé et la lune joue à cache-cache avec un cumulonimbus. La route est longue. La voiture file sur l’asphalte, loin de la maison de l’horreur.

I

Samedi 2 novembre 2013 – 8 h 37 – Route de Ploubalay en direction de Tréméreuc

Pour Firmin Blanchet et Ronan Kermat, ce début de week-end avait plutôt bien commencé. Certes, un habitant de Tréméreuc les avait dérangés pour une banale histoire de vol de poules ; pourtant, ils étaient loin de se douter de ce qui les attendait.

Depuis cinq semaines déjà, l’automne s’était installé en grande pompe. Vents à plus de cent kilomètres par heure, une pluie qui giflait tout sur son passage et un ciel dont seule la Bretagne avait le secret. Pourtant Firmin respirait le bonheur.

— On t’invite ce soir à boire un coup. Demain, c’est dimanche et on n’est pas de service.

— On ?

Ronan avait posé la question d’un ton monotone. En fait, il n’avait pas vraiment envie de tenir la chandelle.

— Oui, Chantal et moi, ça va faire un an que nous sommes ensemble. Ça compte, un an !

— Ouais, c’est vrai, ça compte. Je viendrai, je ne suis pas de service, répondit le chauffeur, les yeux rivés sur la route.

Sur la D12, les restes d’une manifestation d’agriculteurs ralentissaient la circulation. Les essuie-glaces de la Renault commençaient à fatiguer. Ronan se demandait bien ce qui pouvait le motiver à sortir par un temps pareil.

— Tu te rends compte, on en est à régler les histoires de basse-cour maintenant.

— Je sais, mais qu’est-ce que tu veux, les gens n’arrivent plus à se parler, répliqua Firmin, que le bonheur avait rendu philosophe. Détends-toi, c’est jour de paye, ou presque.

Un éclair illumina soudainement le ciel maussade. De gros nuages noirs résistaient aux rafales qui balayaient les feuilles des peupliers formant sur le bas-côté de la route un tapis multicolore. La foudre venait de s’abattre sur un arbre dans un champ, faisant trembler le sol dans un vrombissement immense.

— Dire qu’on aurait pu rester au chaud, à la gendarmerie. Tout ça pour trois ou quatre poules !

— Tu te répètes, Ronan. Allez, courage, pense à ce soir. Chantal va nous préparer un apéro avec certaines de ses spécialités dont tu me diras des nouvelles.

— T’as l’air follement amoureux, toi ? s’étonna Ronan, quelque peu envieux.

Firmin rougit, gêné de voir son intimité ainsi violée. Les pommettes couleur écrevisse, il avoua :

— Je crois que Chantal est la femme de ma vie. J’ai demandé au lieutenant une semaine de vacances et il me l’a accordée. C’est un chic type.

Ils venaient de quitter la D12 pour se diriger vers Tréméreuc. La D118 était vidée de toute âme. Pas un chat ni même un hérisson. Seuls la pluie et le vent leur tenaient compagnie.

— On voit que l’été est bien fini, pas une voiture. En août, tu fais à peine du trente kilomètres par heure sur cette route quand les touristes vont à la plage ou se dirigent vers Dinard. Et tu l’emmènes où, ta bien-aimée ?

— En République dominicaine, j’ai trouvé un hôtel sympa qui propose all inclusive avec vue sur la mer.

— All inclusive ? répéta Ronan, un accent anglais encore plus disgracieux que celui de son collègue.

— Oui, ça veut dire que tu peux manger et boire toute la journée et même la nuit si tu veux.

En admirant la silhouette de son supérieur hiérarchique, Ronan se dit qu’il avait bien choisi son hôtel.

— Au moins, tu en auras pour ton argent !

— Ça, tu le dis ! confirma Firmin, la main sur l’estomac.

À l’entrée de Tréméreuc, la pluie avait cessé, laissant le vent œuvrer à sa guise. Un chasseur qui partait s’engouffrer dans un bois voisin les salua d’une main, tandis que l’autre tenait un épagneul à la robe blanche et rousse.

— Tiens, c’est le fils Laguillier qui va en repérage. C’est un drôle de gaillard, celui-là !

Firmin avait pensé à haute voix. Ronan acquiesça timidement, persuadé que le “Boiteux”, comme on l’appelait à Tréméreuc, était un bon bougre. C’est vrai qu’il aimait bien le chouchen, mais au moins, s’il se saoulait, c’était avec une boisson locale, participant ainsi au développement économique de la région.

Arrivés au Perthus de l’enfer, ils avaient encore à parcourir cinq cents mètres avant de parvenir à la ferme des Kervignon. Au prochain croisement, Ronan tourna à gauche du calvaire.

Le maréchal des logis-chef gara la Renault dans l’allée de la propriété, derrière une fourgonnette qui aurait eu droit à la retraite si elle avait été syndiquée. La pluie reprit de plus belle, parfois accompagnée de bourrasques qui mettaient les képis des deux gendarmes à rude épreuve.

Parfois le vent s’arrêtait net, alors la pluie semblait encore plus humide et froide. Sans attendre leur reste, les deux militaires se précipitèrent vers la véranda d’entrée pour éviter d’être totalement trempés. Le pire serait de tomber malade avant le départ pour Bajas de Haino, pensa Firmin, sa semaine de vacances à l’esprit.

Un homme les attendait de pied ferme au pas de la porte et, sans un mot, les fit pénétrer dans la cuisine de la ferme.

En qualité de maréchal des logis-chef, Firmin questionna le premier, faisant tourner son képi entre ses doigts boudinés.

— Alors, monsieur Kervignon, racontez-nous tout et en détail, s’il vous plaît.

Debout, coincée entre le réfrigérateur et la cuisinière, la fermière lança un regard déterminé vers son mari afin de lui donner du courage.

— C’est ma femme qui m’a conseillé de vous appeler, mais moi, je ne veux pas d’ennuis.

Il avait insisté sur le fait qu’il aurait préféré régler ses affaires en privé, sans l’aide de la gendarmerie, mais qu’avec ces gens-là, c’était compliqué depuis qu’ils étaient fâchés.

Aux regards ahuris des deux gendarmes, madame Kervignon saisit que son mari s’embrouillait autant qu’il embrouillait tout le monde. Elle essuya ses mains enfarinées sur son tablier et prit la parole.

— Ce que mon mari veut dire, c’est que le chien des Trioux nous a volé trois poules en quatre jours. Trois poules, ça fait déjà douze œufs en moins, sans compter que les autres ne pondent plus, tellement elles sont traumatisées par ce monstre.

Sylvie s’arrêta de parler, le temps de constater que les deux membres de la maréchaussée la comprenaient bien, puis poursuivit d’une voix plus énervée :

— C’est le comble, j’ai dû acheter des œufs à Intermarché. C’est du jamais vu, nous avons dix poules pondeuses et j’ai dû acheter des œufs !

Elle avait la trentaine passée. Avec les cheveux coiffés en chignon, une blouse d’un autre âge et les rides qui dessinaient des stries au coin des yeux, elle en faisait dix de plus. D’un ton énergique, elle avait appuyé sur le verbe devoir comme si le prix dépensé allait la ruiner.

— Calme-toi, Sylvie, ça va se régler.

— Ça va se régler, ça va se régler ; si je n’avais pas insisté, tu aurais laissé faire.

Comprenant que l’histoire risquait de durer, le gendarme Kermat décida de prendre place sur une chaise, au coin de la table, pas loin de la cheminée. Il avait quitté la chaleur de son bureau pour ce qui ressemblait à une fable de la Fontaine de mauvais goût.

Blanchet, assis en face de Sylvie qui tordait une mèche de cheveux autour de son index gauche, sortit un carnet et un stylo de sa poche.

— Reprenons depuis le début. Le chien des Trioux vous a volé trois poules en quatre jours, c’est bien ça ?

— Oui, c’est ça ! affirma la maîtresse de maison d’un ton qui ne laissait aucun doute à la véracité de ses propos.

— Et comment êtes-vous certaine que c’est bien le chien des Trioux, questionna Ronan pour éviter de s’endormir, bercé par le crépitement du feu.

Furieuse de la question posée, Sylvie s’exclama haut et fort, les bras levés vers le ciel :

— J’en suis certaine, je le connais bien, ce chien. Ils sont les seuls à posséder un malinois dans le coin. Faut déjà être dérangés pour avoir une bête comme ça quand on a des gosses.

Avec le regard d’un chien battu, monsieur Kervignon supplia son épouse de se calmer, d’autant plus que Firmin Blanchet prenait des notes, aussi concentré qu’un bon écolier, avant d’assurer d’un ton autoritaire :

— Bon, écoutez, nous allons rendre visite à la famille Trioux et tirer cette affaire au clair. Je vous promets que si ce malinois est responsable de la mort de vos poules, il ne recommencera plus.

L’œil tourné vers la fenêtre de la cuisine, Ronan constata l’arrêt momentané de la pluie. Il se leva brusquement de sa chaise, avant de se diriger en direction de la porte, suivi de Firmin, étonné de voir son adjoint déguerpir si vite.

Dehors, une rafale de vent s’amusa à envoyer les képis dans un parterre de rosiers à tailler.

— Eh bien, Ronan, qu’est-ce qui se passe ?

— Comme il ne pleut plus et qu’on avait fini, je me suis dit qu’il serait bien de regagner la voiture. J’aimerais pas que tu tombes malade avant tes vacances.

— T’as raison, le pire serait de ne pas pouvoir partir.

Firmin était aux anges. Cette histoire de poules et de chien allait se régler dans la journée. Il connaissait les Trioux, qui passaient pour des gens fiers, mais ce n’étaient ni des délinquants ni des égoïstes. La voiture quitta la ferme.

Firmin poursuivit, la voix étouffée par l’émotion.

— C’est là-bas que je vais demander Chantal en mariage.

— Dans ton hôtel all inclusive ?

— Oui, devant l’océan, sur la plage, un verre de champagne à la main.

— Ouais, c’est pas mal. Mais bon, t’aurais pu le faire à Saint-Jacut-de-la-Mer ou à Dinard, c’est pareil et moins cher.

— Ah, mon pauvre Ronan, t’es pas romantique pour deux sous. Tu oublies le soleil, la chaleur, le paradis, quoi !

Encore deux cents mètres et ils apercevraient la belle maison des Trioux, construite en bordure de forêt, pas très loin du village.

II

À la sortie du village, il y avait la forêt et à l’orée du bois, la maison des Trioux. En été, on voyait à peine le toit en ardoise, mais en automne et en hiver, quand les feuilles des arbres couvraient le sol, on pouvait voir les fenêtres du premier étage avec leurs beaux rideaux et les volets en bois sculptés.

Un lièvre traversa la chaussée, forçant Ronan à piler. La pauvre bête s’engouffra à la lisière d’un chemin.

— Eh ben, dis donc, il y en a un qui est pressé ce matin.

À peine avait-il prononcé cette phrase que Firmin hurla.

— Regarde le malinois, il course le lièvre, vas-y, suis-le.

Remis de ses émotions, Ronan prit la direction de la forêt. Le chien courait comme si sa vie en dépendait.

— Gare la voiture ici, on ne va pas pouvoir les suivre dans les sous-bois. On va aller causer avec monsieur Trioux. Si je me souviens bien, il y a une entrée du jardin de ce côté-là.

Malgré une haie drue et verdoyante, on apercevait la maison donnant sur une belle terrasse en bois exotique. Le salon d’été souffrait des caprices de la météo. Un des fauteuils avait valsé dans le parterre d’herbes aromatiques, tandis que la nappe de la table jouait au tapis volant, se soulevant avec chaque rafale, avant de retomber sur le sol humide.

— La maison a l’air d’être vide, insista Ronan, qui voulait retrouver la chaleur de son bureau.

— Oui, mais à mon avis, ils ne seraient pas partis sans ranger la table et les chaises du salon de jardin dans le hangar. Ils ont dû aller faire des courses ; hier, il faisait beau pour la fête des défunts. S’il le faut on mettra un mot dans la boîte aux lettres pour les convoquer.

Les deux gendarmes continuèrent de longer le grillage à la recherche du portillon dont se souvenait Firmin.

— Quand j’étais jeune, je venais souvent ici avec mon père, qui était un ami du garde champêtre. À sa mort, la maison est restée longtemps inhabitée. C’est la première fois que j’y reviens depuis. Ça me fait tout drôle.

Ronan n’écoutait plus, tant la pluie mouillait ses os. Ils étaient partis sans anorak, persuadés que la tempête venue d’Irlande s’arrêterait aux abords de l’océan.

— Tiens, qu’est-ce que je te disais, le voici, le portillon. D’ailleurs, il est ouvert. C’est certainement par là que le malinois rentre et sort. Ils ont de la chance qu’il n’ait pas encore mordu d’enfant.

D’un geste de la main, Ronan chassa une mouche, puis deux et trois qui lui tournaient autour du visage. La pelouse détrempée jouait de la musique à chaque pas des deux hommes qui essuyaient du regard l’immense terrain.

— Je ne me rappelais pas que c’était aussi grand.

— Ils ont peut-être agrandi.

— Ça m’étonnerait. Je me souviens d’une discussion entre le garde champêtre et mon père. On ne pouvait pas agrandir. Impossible d’acheter une parcelle de plus. Tout ce que tu vois là, en dehors de cette propriété, ça appartient à l’État.

Ronan jeta un coup d’œil sur la forêt aux alentours. C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans ce coin. Il avait grandi près de Quimper.

Un ballon s’était égaré près d’une agapanthe qui attendait l’hiver en rêvant au printemps. Sur le chemin en pierres qui menait à l’entrée de la demeure, les gendarmes croisèrent un chat qui miaulait intempestivement en se frottant contre les jambes de Ronan qui tentait de se débarrasser de cet hôte encombrant.

— Va-t’en, sale bête, tu manques me faire tomber en te mettant entre mes pattes.

— T’as fait une touche ?

— Tu parles, moi et les animaux, ça fait deux.

Le chat ne se laissa pas intimider et marchait entre les deux militaires, la queue en l’air, fier comme Artaban. Plus ils se rapprochaient de la porte d’entrée, plus les mouches étaient nombreuses. Ronan frissonna. Impossible pour lui de savoir si c’était la pluie qui le faisait trembloter ou une idée de ce qu’il pouvait découvrir.

— C’est pas normal tout ça, gémit-il.

— Tout ça, quoi ? répliqua Firmin.

— Le chien, le chat, les mouches, on devrait demander des renforts.

Au regard courroucé et quelque peu amusé de son supérieur hiérarchique, Ronan savait qu’il avait dit une bêtise.

— Du renfort ? Avec quels arguments ? Un chien qui court après un lièvre, un chat qui miaule et des mouches qui se sont agglutinées sur les fenêtres. Tu ne veux pas qu’on appelle le GIGN, non plus ? Allez, viens. Comme je te dis, ils sont partis en courses, ce sont les vacances de Toussaint, les enfants sont allés avec les parents à Dinard ou peut-être même à Saint-Malo.

— T’as raison, c’est cette maudite pluie qui me fout le bourdon.

Tout en tapant sur l’épaule de son collègue, Firmin rétorqua :

— Bon courage, on n’est pas encore à la moitié de l’automne et tu regrettes déjà l’été.

Malgré le parfum de l’herbe humide, une odeur âcre parvenait de la maison et, si le vent soufflait d’est en ouest, l’odeur devenait insoutenable.

La porte d’entrée était entrouverte. Des mouches prisonnières du vestibule volaient dans tous les sens. Espérant l’inespéré, Firmin cria :

— Monsieur Trioux, vous êtes là ? C’est la gendarmerie !

Aucune réponse, aucun bruit, à part le vol incessant des diptères. Et cette odeur de putréfaction qui piquait les narines des deux gendarmes. Ronan se protégeait le nez avec un mouchoir. Firmin avançait sans un mot, avec difficulté et arme au poing. Il cria de toutes ses forces :

— Monsieur Trioux, madame Trioux ? Vous êtes là ? Les enfants ?

— Je crois qu’il faudrait appeler les renforts, précisa Ronan, le mouchoir sur son nez.

D’un signe de tête, Firmin répondit par la négative. Il poussa du pied la porte qui donnait sur une grande pièce de vie où trônait une immense cheminée squattée par des centaines de mouches et autres insectes volants qui, attirés par l’air vivifiant venu de l’extérieur, s’engouffrèrent dans le hall de la maison.

Le maréchal des logis-chef Firmin Blanchet n’en croyait pas ses yeux tant le spectacle était abominable. Il poussa un petit cri qui attisa la curiosité de son collègue. Ronan savait que, au fond de lui-même, ce n’était pas une bonne idée. Pourtant, il jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de Firmin puis, sans demander son reste, se précipita dans la cour. L’avant-bras posé sur le tronc d’un noisetier, la tête courbée vers un tas de feuilles, il ne put retenir son petit-déjeuner, faisant fuir un écureuil.

Firmin l’avait rejoint, le teint livide et la main tremblante.

— J’ai prévenu le commandant de la brigade, il va venir tout de suite. Ça va, toi ?

— Comment tu peux me demander ça ? Qu’est-ce qui s’est passé là-dedans ?

— Je ne sais pas.

Ce fut la seule réponse qui vint à l’esprit de Blanchet. Il ne savait pas ou plutôt ne souhaitait pas savoir. Ils restaient muets, cherchant simplement à évacuer de leurs mémoires les images qui torturaient déjà leurs esprits.

La pluie et le vent violent leur semblaient désormais bienfaisants. Une sirène hurlante se rapprochait de la maison. Firmin se précipita vers le portail en fer forgé pour l’ouvrir. Malgré la température basse de cette fin d’octobre, il était en nage. Sur son front brûlant des gouttes de sueur perlaient, se mêlant à la pluie. Son teint blafard laissait entrevoir l’état de son âme. Il ressemblait à un damné ayant croisé le diable ou à un Breton venant de rencontrer l’Ankou sur sa carriole. Par bonheur, le lieutenant venait de garer son véhicule dans l’allée du jardin. Ils n’étaient plus seuls.

— Bonjour, mon lieutenant, c’est terrible, venez voir, mais je vous préviens…

Le maréchal des logis-chef ne put finir sa phrase tant l’émotion étouffait sa voix.

— À vous voir, Blanchet, je peux m’imaginer, on dirait que vous avez croisé le démon.

— Pire, mon lieutenant, pire !

En fin de carrière, Daniel Thibault avait acquis une expérience de l’insoutenable qui pouvait le rendre parfois impassible. Pourtant, c’était un homme sensible et apprécié de tous. Pour l’amour des siens, il avait appris à laisser derrière lui les cadavres qu’il croisait au hasard des enquêtes. À sa demande, il avait été muté dans les Côtes-d’Armor, pensant qu’ici, il entreverrait un petit bout de paradis.

Depuis cinq ans qu’il commandait la gendarmerie de Ploubalay, le lieutenant Thibault avait rencontré des maris ivres et agressifs, des jeunes hommes excités par la vitesse et récupérés contre un arbre, des apprentis gangsters sans gros butin et quelques activistes écologistes. Sa plus grosse enquête avait concerné un infanticide commis par une mère en état de démence.

Néanmoins, devant les visages blêmes de ses deux hommes, il sentait bien que quelque chose d’inimaginable s’était produit dans cette maison, quelque chose que l’entendement humain ne pouvait saisir.

Malgré la cinquantaine passée et ses tempes grisonnantes, Daniel Thibault respirait une jeunesse arrogante. Sa silhouette svelte et sa démarche sportive résultaient de marathons qu’il courait dès que son emploi du temps le lui permettait. Avec fierté, il racontait volontiers avoir fini celui de New York dans les quarante premiers. Une première pour un gendarme français.

Son visage ovale à la peau hâlée était agrémenté d’une moustache noire, qui partait d’un nez aquilin pour relier les extrémités de la bouche, et d’une barbichette au menton.

Le gendarme Kermat sursauta, surpris par le vrombissement d’un moteur de voiture. Malgré son estomac vide, la nausée ne le quittait plus. Ses narines étaient imprégnées de cette odeur horrible qui l’avait saisi dans le pavillon des Trioux. Un coupé Volkswagen pénétra dans la cour. Le maréchal des logis-chef Blanchet voulut l’intercepter, mais la voix du lieutenant Thibault l’arrêta net.

— Le procureur est venu directement de Dinan. Je l’ai appelé dès que vous m’avez appelé. Je savais bien que cette affaire n’était pas pour nous.

Charles-Henri de Montignac était tout le contraire du commandant de la gendarmerie de Ploubalay. Pédant, expéditif, maudissant le sport, qu’il remplaçait par des bons petits plats agrémentés de vins de pays et surtout, il détestait voir ses ordres discutés.

— J’espère que vous ne m’avez pas fait venir pour rien, Lieutenant ? De surcroît un samedi !

Thibault n’eut pas le temps de se justifier, le procureur poursuivit :

— J’ai un déjeuner à Saint-Jacut-de-la-Mer et je n’aimerais pas devoir l’annuler.

— Je suis désolé, Monsieur le procureur, mais les gens ne décident généralement pas de la date ni de l’heure de leur mort.

Agitant l’index, de Montignac rétorqua :

— Vous êtes un malin, vous, Thibault.

— Ce que veut dire le lieutenant, c’est que, jusqu’à ce matin, on ne savait même pas que ces personnes étaient mortes, intervint Blanchet, qui se devait de défendre son commandant.

— Oui, oui, j’ai bien compris. Bon, allons-y, qu’on en finisse !

Kermat, encore sous le choc, se précipita vers le magistrat pour l’empêcher d’avancer.

— N’y allez pas, c’est horrible, c’est terrible !

Dans son costume surfait, le juge ressemblait à un homme politique en campagne électorale. D’un geste brusque de la main, il chassa des mouches venant de s’apercevoir de sa présence puis, de sa main libre, sortit un mouchoir à ses initiales, qu’il porta à ses lèvres.

— Bon, ça suffit, qu’est-ce qui se passe ici ? Reprenez-vous, gendarme, et vous, Thibault, dites à vos hommes de se ressaisir.

— Oui, Monsieur le procureur, venez, je vous accompagne dans le pavillon.

Sachant ce qui les attendait, Thibault avait décidé de ne pas épargner le procureur. Puisqu’il voulait voir, qu’il entrât le premier.

— Après vous, monsieur de Montignac.

— Quelle odeur, et ces mouches !

Les murs de l’entrée étaient recouverts de diptères. D’autres, agglutinés au plafond, attendaient que la porte s’ouvre pour recouvrer la liberté. De Montignac s’avança doucement dans le couloir afin de se diriger vers le salon. À travers la porte entrouverte, une odeur insoutenable parvenait jusqu’aux narines des deux hommes, les forçant à retenir leur respiration. Ils marchaient en apnée avant d’inspirer par la bouche. Devant l’entrée du salon, le procureur marqua un arrêt. Les yeux clos, il poussa du coude la porte. Il lui fallut une bonne dose de courage pour soulever les paupières. Soudain, sans se soucier de sa réputation et encore moins du lieutenant Thibault, il se précipita dans le jardin.

Sous les yeux hagards de Blanchet et de Kermat, il desserra sa cravate en maudissant le ciel et la terre. Son visage livide témoignait de ce qu’il avait vu.

Le lieutenant Thibault rejoint les trois hommes.

— Vous prévenez la brigade de Saint-Brieuc ou préférez-vous que je le fasse, Monsieur le procureur ?

— Faites-le, Lieutenant, faites-le et dites-leur de venir avec toute la cavalerie. Quant à moi, je peux oublier mon déjeuner.

Kermat haussa les épaules, se demandant comment de Montignac pouvait encore avoir faim après avoir vu ce qu’il avait vu.

Le magistrat avait vite repris de l’assurance. Il remit sa cravate convenablement et, d’un ton autoritaire qui ne souffrirait aucune discussion, il déclara :

— Thibault, dites à tous vos hommes que nous devons compter sur eux, l’enquête va sans doute être aussi difficile que longue. Toutes les demandes de congés sont annulées.

Blanchet voulut répliquer, mais le regard du lieutenant l’arrêta net. Adieu la demande en mariage, Saint-Domingue, la mer, le soleil, l’hôtel all inclusive et le champagne sur la plage. D’une tape amicale sur l’épaule, Ronan lui manifesta son soutien.

Si Chantal l’aimait vraiment, elle comprendrait. Le maréchal des logis-chef l’espérait également.

III

De mémoire de Tréméreucois, on n’avait encore jamais vu autant de gyrophares dans les rues du village. Quatre véhicules qui se succédaient roulaient à vive allure dans la rue du Moulin, là où en 1929, à la suite de violents orages, la rupture d’un barrage en amont du Frémur, avait détruit le moulin. Quelques badauds suivaient des yeux les voitures se dirigeant vers l’orée du bois.

Informée la première par un chasseur qui revenait de la forêt, la patronne du bistrot situé près de la mairie alerta aussitôt Tanguy Caradec, qui prit la direction de la maison des Trioux, accompagné de Gabriel Lozach.

— C’est pas possible, c’est pas possible, répétait Tanguy en s’essuyant le front avec un mouchoir en papier.

— Les voies du Seigneur sont impénétrables, répliqua Gabriel en fixant le firmament à travers le pare brise.

— Au moins, Monsieur le curé, vous auriez pu vous arranger avec le ciel pour que tout cela n’arrive pas trois jours avant la randonnée des châtaignes. Que vont penser les touristes qui sont restés chez nous pour y participer ? s’inquiéta Caradec.

— Que sais-je, Monsieur le maire ? Mais ayons une pensée pour ces pauvres gens. Une si bonne famille, la grand-mère, une si bonne paroissienne.

Le maire agita la main devant son visage, une manière comme une autre de démontrer son impuissance. Même si le malheur venait de frapper la famille Trioux, il comptait sur les rentrées d’argent que rapportaient les randonnées automnales organisées par la municipalité pour renflouer le maigre budget de la commune. Puis il avait une réputation à sauvegarder pour ne pas voir les touristes déserter le village qui l’avait vu naître.

L’allée de la propriété des Trioux occupée par plusieurs voitures, dont celle du légiste Morvan Le Guilvinec, ressemblait à un parking improvisé. Le Guilvinec fut le premier Briochin à pénétrer dans le salon de la maison, suivi aussitôt par le capitaine Marc Morini de la brigade de recherches de Saint-Brieuc.