Odeur de sang à Penvénan - Catherine Schubert - E-Book

Odeur de sang à Penvénan E-Book

Catherine Schubert

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Beschreibung

Capitaine de gendarmerie au sein de la brigade de recherches de Saint-Brieuc, Marc Morini est confronté à quatre crimes monstrueux.

Rien ne laisse penser que les victimes se connaissaient, voire même qu’elles se soient un jour rencontrées, pourtant, Morini et ses collègues sont
persuadés qu’il y a un lien entre ces affaires. Par chance, un détail au départ insignifiant, va se révéler essentiel dans la poursuite de l’enquête et les
conforter dans cette idée. Morini et son équipe, plus habitués à gérer de petits larcins ou de rixes entre ivrognes qu’à lutter contre un tueur en série, vont alors tout mettre en oeuvre pour arrêter l’assassin avant qu’une cinquième victime n’endeuille le département.

Face à un terrifiant tueur en série, c'est la course contre la montre pour le capitaine Morini et son équipe !

EXTRAIT

Son cœur s’emballait. Arnaud pensa mourir à l’instant même. L’odeur pestilentielle lui piqua à nouveau les narines, un mélange d’excréments, de boue et de
restes d’aliments. Arnaud chercha à maîtriser les douleurs de son corps mutilé pour faire marcher ses méninges. Des couinements parvenaient à ses oreilles, d’abord sourds, puis de plus en plus distincts. Au loin, il aperçut des masses noires et trapues s’avancer en courant lentement. Un éclair traversa son esprit. Il était dans un enclos de cochons.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Catherine Schubert
Originaire de Bretagne, l’amour me mène très jeune en Allemagne. Mère de trois enfants, j’ai parcouru en famille une partie du monde. Aujourd’hui, je partage ma vie entre les Côtes d’Armor et la Bavière. Passionnée d’écriture et de philosophie, j’aime relater la complexité des relations humaines, les blessures, les frustrations qui peuvent parfois conduire au crime.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Le temps passe… l’Ankou frappe. »Proverbe breton

REMERCIEMENTS

- Monsieur Gilbert Lannoy, adjudant-chef de gendarmerie en retraite pour ses conseils précieux concernant le fonctionnement de la gendarmerie et le déroulement d’une enquête judiciaire.

- Monsieur Christophe Guillaumot, capitaine de police au SRPJ de Toulouse pour les réponses à mes questions et ses encouragements qui m’ont donné l’envie de continuer.

- À tous les membres de l’équipe des éditions Bargain pour leur confiance et leur aide.

- À Rainer, mon mari, qui m’a toujours soutenue pendant l’écriture de ce roman.

I

La tête confuse et les yeux brouillés, Arnaud reprenait doucement ses esprits. Devant lui, un inconnu se tenait droit, pieds légèrement écartés et mains dans le dos. Arnaud sentait le vent frais fouetter son visage. Il essaya de se lever, en vain. Il observa autour de lui. Seule la lune éclairait la nuit noire.

Une odeur pestilentielle lui monta au nez. Il constata les liens qui lui entravaient le tronc et les bras, ainsi que le bas des jambes. Il était dans le corps d’un tétraplégique, dans l’impossibilité de bouger. Malgré ses paupières lourdes, il vit l’homme s’avancer vers lui pour se poster derrière la chaise bancale.

Arnaud sentit son souffle puissant dans la nuque. Une odeur d’alcool et de tabac mêlés lui arracha une grimace. Il se souvint de la soirée arrosée chez un ancien copain de fac, alors, soudainement une idée surgit dans son esprit. Il reprit espoir. Sans doute que des potes lui jouaient un sale tour. Une sorte de bizutage qu’il trouva déplacé. Il voulut parler, mais sa langue pâteuse était paralysée. Il ne se souvenait pas avoir autant bu, tout juste quelques bières et deux ou trois alcopops.

Soudain, une main gantée de cuir lui ouvrit la bouche de force. Il tenta de secouer la tête pour marquer sa désapprobation. La blague devait cesser. Dans sa tête, des milliers d’images virevoltaient violemment. Il n’arrivait plus à se concentrer, mélangeant fiction et réalité. Une douleur atroce lui arracha une grimace, puis asphyxié par la fumée d’un cigare, il toussota. Bouche grande ouverte, il tira la langue dans l’espoir de refroidir le feu qui la tuméfiait.

Dans un sursaut salutaire, Arnaud espérait que ce bizutage s’arrête sur le champ. Cependant il se rendait bien compte que quelque chose ne collait pas. Sa réflexion fut de courte durée. Un coup puissant sur l’avant-bras lui brisa le radius, provoquant une souffrance encore plus abominable. Que se passait-il ? Qui était cet homme muet, habillé en treillis et cagoulé qui le retenait prisonnier ?

Son cœur s’emballait. Arnaud pensa mourir à l’instant même. L’odeur pestilentielle lui piqua à nouveau les narines, un mélange d’excréments, de boue et de restes d’aliments. Arnaud chercha à maîtriser les douleurs de son corps mutilé pour faire marcher ses méninges. Des couinements parvenaient à ses oreilles, d’abord sourds, puis de plus en plus distincts. Au loin, il aperçut des masses noires et trapues s’avancer en courant lentement. Un éclair traversa son esprit. Il était dans un enclos de cochons. Les premières bêtes arrivées tournaient autour de la chaise en reniflant fortement. Les suivantes se mêlèrent à la pagaille. Arnaud sentit une masse humide et chaude caresser ses mollets.

D’un violent coup de pied, l’inconnu repoussa les porcs qui s’écartèrent en couinant. Arnaud reprit espoir. Son martyre allait enfin cesser. La sueur froide de son front le fit doucement frissonner, puis une douleur atroce lui arracha un cri qui perça la nuit. La lame d’un couteau venait d’entailler ses mollets. Le sang qui coulait doucement excita les porcs qui s’agitaient aux pieds de la chaise. Des dizaines de groins reniflaient les chevilles du jeune homme qui essaya de repousser les bêtes, mais ses jambes entravées ne bougèrent pas d’un millimètre. Dans son regard, une lueur de détresse, voilée de larmes, brillait. Il savait ce qui pouvait arriver. Il essaya de croiser les yeux de son bourreau, mais la lune qui jouait désormais à cache-cache avec les nuages n’éclairait plus le ciel. Il faisait nuit noire. Le vent soufflait dans les cimes des arbres, des vagues venaient se fracasser sur la plage en contrebas.

Arnaud hurla. Un porc venait de mordre son mollet droit, puis un deuxième et un troisième. Un verrat de près de deux cents kilogrammes s’attaqua au tibia gauche. Animées par l’excitation du groupe, les bêtes devenaient incontrôlables.

Arnaud avait cessé de pleurer. Il savait que sa vie s’arrêterait là, cette nuit, dans cet enclos. Il ne savait pas pourquoi, mais il savait qu’il n’y avait plus d’espoir.

Lorsque la lune perçait un nuage, il apercevait son bourreau admirer le spectacle.

Puis, peut-être pris de remords ou estimant que les tortures avaient assez duré, le tortionnaire s’avança vers la chaise pour se planter derrière Arnaud. Les chairs broyées de ses mollets procuraient des souffrances incommensurables au supplicié. Sa langue trouée l’empêchait de parler. Son bras cassé pendait comme celui d’un pantin. Pourtant à l’idée que son calvaire s’arrêterait là, Arnaud se sentit soudainement heureux. L’adrénaline augmenta son rythme cardiaque. Les porcs couinaient au fond de l’enclos, la batte de baseball leur imposant le respect.

Arnaud s’attendait à voir ses entraves dénouées. Pourtant, une odeur de plastique lui bouchait le nez. Il mit quelques secondes à comprendre ce qui lui arrivait. Par tous les moyens et avec toute l’énergie qui persistait en lui pour rester en vie, il chercha désespérément de l’oxygène. L’asphyxie gagnait peu à peu son corps. Il essaya d’aspirer fortement, mais au lieu de lui apporter de l’air, le polyéthylène se colla contre son nez et sa bouche. Il ne comprenait pas pourquoi il devait mourir si jeune. Il pensa à sa mère et à sa grand-mère, la mère de sa mère. Les battements de son cœur s’affaiblissaient. Il perdit connaissance. L’église de Penvénan sonna une heure du matin.

II

Il frissonna, puis s’enroula dans la couverture en laine. Le vent frais qui passait à travers la fenêtre entrouverte de la cuisine rafraîchissait l’air ambiant du salon. Ses sens ankylosés et son esprit troublé lui rappelaient que le pire n’était pas écarté. La fatigue accumulée au cours des derniers jours le neutralisait. Pourtant, il savait qu’il fallait se lever.

À la deuxième sonnerie du téléphone, il sortit le bras emprisonné dans la couverture et d’une main engourdie saisit son portable posé sur la table basse, entre un verre d’eau et son arme de service. Cinq heures du matin. Il pensa à la chanson de Jacques Dutronc, mais cependant avait déjà une idée de ce qui l’attendait.

— Allô ?

— Marc, il faut que tu te ramènes.

La voix d’Erwan lui sembla plus grave que d’habitude. À moins que le manque de sommeil ne trompât ses sens.

— On a un quatrième client. Ramène-toi vite !

— Merde !

Une sensation étrange l’étrangla. Il se racla la gorge et murmura.

— C’est bizarre, j’avais cette impression étrange en rentrant cette nuit. Je me doutais bien que ce salaud allait recommencer. J’ai juste pensé… ! Et où ?

Erwan comprenait. Lui-même avait espéré, sans vraiment y croire.

— À Penvénan, dans un petit parc animalier familial.

— Celui près de Le Royau ?

— Tu connais ?

À l’autre bout de la ligne, la respiration de Marc se faisait plus rapide. Il s’y était souvent promené avec Camille. Elle s’inspirait des animaux pour ses nouvelles toiles. Ils aimaient particulièrement le bruit des vagues, associé au vol des mouettes au-dessus des troupeaux de cervidés. Il questionna son adjoint, un ton désabusé.

— Le légiste a été prévenu ?

— Oui, il vient d’arriver. Tu veux que j’avise la juge d’instruction ?

— Non, laisse.

Il toussota doucement avant de poursuivre d’une voix qu’il souhaitait plus claire.

— Je m’en charge. Je suis là dans une heure.

Debout devant le miroir de la salle de bains, Marc s’aspergea le visage d’eau froide dans l’espoir d’effacer les rides qui le vieillissaient prématurément. Il se trouva vieux, usé par une enquête pénible et douloureuse.

Il en était même à douter. Pourtant, Camille souriait. Il approuva.

— Oui, je sais, tu as raison. Je devrais être plus confiant, mais tu vois, là, j’en suis même à me demander si ce salaud passera Noël en prison.

Néanmoins, ce n’était pas dans ses habitudes que d’imaginer le pire. Il était d’ordinaire optimiste. C’est ce qui faisait sa force. Cependant, il devait reconnaître avoir sous-estimé l’adversaire. Il replongea la tête dans l’eau glacée avant de s’examiner dans la glace. Les rides étaient toujours là, provocantes et méprisantes à la fois. Une grimace déforma ses lèvres.

Il était bien le même homme que la veille, un capitaine de gendarmerie en proie à des doutes. Dans son esprit, des questions s’entrechoquaient violemment. Il posa les mains sur ses tempes. Que faisait l’assassin à cinq heures du matin, le dernier samedi du mois d’octobre ? Dormait-il encore ? Traquait-il une nouvelle proie ? Savourait-il son succès ?

Déçu de n’obtenir aucune réponse à ses questions, le militaire secoua la tête avant d’avaler un reste de café froid qui lui remonta l’estomac, puis quitta la caserne précipitamment. Jacques Dutronc avait tort, Saint-Brieuc dormait encore. Seule la sirène hurlante d’une ambulance vint momentanément troubler un calme précaire. C’était l’aube d’un samedi d’automne ordinaire.

Le capitaine connaissait la Nationale 12 comme sa poche. Certes il avait passé de longues années en Corse du Sud, avant de découvrir l’amour en Bretagne. Sur cette nationale, il aurait pu conduire les yeux fermés si la prudence ne l’appelait pas à la raison. Il connaissait chaque virage, chaque déformation. À Tréméloir, il rejoignit la départementale 6. Un tracteur força le croisement. Les moissons terminées, il fallait s’occuper des meules de paille avant les tempêtes. Marc ralentit, puis passant près du zoo de Châtelaudren, il frissonna. Tout avait débuté là. Derrière Tréméven, il suivit la départementale 7. À travers la fenêtre ouverte de la Renault, un vent frais caressait son visage. Il se rapprochait de la côte. Il aimait ce parfum d’iode et d’algues. Les peupliers s’étaient habillés de rouge et de jaune. Dans le ciel, des mouettes jouaient à cache-cache avec quelques nuages téméraires. À ses côtés, Florence Michaud relisait des notes. Parfois, leurs regards se croisaient et ils se souriaient comme deux adolescents.

Devant l’entrée du parc animalier de Penvénan, un journaliste tentait d’apercevoir les gendarmes afin de récolter une information qu’il négocierait au meilleur prix. Déjà sur place, la brigade de recherches de la gendarmerie de Saint-Brieuc s’affairait au pied d’un homme sans vie.

III

Malgré l’heure matinale, la coiffure de la juge d’instruction était irréprochable et son maquillage, élégant. Erwan fut particulièrement sensible au délicat parfum qui s’échappait de ses gestes.

— Bonjour Lieutenant ? Alors ? Vos premières impressions ? Pensez-vous qu’il s’agisse du même tueur ?

Erwan en était persuadé, cependant il savait que la juge exigerait des preuves qu’il ne possédait pas encore, il préféra donc rester dans le vague.

— Ça en a tout l’air Madame la juge, même supplice, même mode opératoire. Mais, le légiste vous en dira plus.

La juge souffla découragée.

— Donc, nous pouvons nous attendre à recevoir une enveloppe demain matin ?

Erwan n’en était pas certain, cependant il acquiesça d’un signe de tête.

— Le légiste est là-bas, dans l’enclos des porcs, au fond de la grange à foin, vous voyez ? Près du petit pont.

Impossible à Florence Michaud de rater le médecin qui travaillait sous deux gros spots.

Elle remercia le lieutenant et prit quelques notes. Erwan admira le geste gracieux de la main qui traçait des mots sur un carnet et se demanda ce qui poussait une femme aussi belle à venir à une heure aussi précoce de la journée dans l’enclos des porcs vietnamiens. À la pensée de la sienne endormie dans le lit conjugal, il sourit heureux.

Le légiste accueillit la juge d’un petit geste de la main avant de s’avancer vers elle afin de lui éviter la mare de boue à l’odeur pestilentielle.

— Venez par ici Madame la juge, ne restez pas là, allons plutôt vers l’entrée de l’enclos, près de la table en bois.

Dans ce parc de cinq hectares, l’enclos des porcs vietnamiens, devenu en quelques années l’une des attractions phares, se trouvait coincé entre un vaste pré où dormaient encore des biches et leurs faons et une petite cour de ferme où se promenaient deux chèvres et un mouton que la lumière artificielle avait réveillés. Au fond de la cour, un âne broutait du foin en battant la queue d’énervement.

— Je ne suis encore jamais venue ici, je pourrais peut-être un jour y venir avec mes petits-enfants. Qui est le propriétaire de ce parc ?

— D’après ce que je sais, le propriétaire est un ancien marin-pêcheur qui a hérité de ces terres voici plus de vingt ans et comme il aime les animaux pardessus tout, il a créé ce parc qui attire pas mal de gens de la région, en plus des touristes l’été.

Florence Michaud fronça les sourcils avant de répliquer, une pointe d’acidité dans la voix.

— Il aime peut-être les animaux, mais cela ne l’a pas empêché de pêcher le poisson.

Le docteur Morvan Le Guilvinec venait de se souvenir que la procureure était végane.

— Nous sommes en Bretagne madame Michaud et la pêche fait partie de notre vie.

— Ça va Docteur, je connais la rengaine, depuis que je vis chez vous. Je sais, je sais, la pêche et la chasse font partie de votre vie. C’est comme qui dirait, dans vos gènes.

— C’est exact, tout comme le cidre…

— Et la bière ! Changez de registre Morvan, je connais toutes vos répliques, vous feriez un bon prévenu.

— Entre vos mains ma chère Florence, je me ferais une joie d’être le prévenu le plus obéissant.

Florence Michaud éclata de rire avant de rétorquer.

— Chacun ses fantasmes, bon plus sérieusement, le propriétaire du parc a été prévenu je suppose ?

— Oui et non, d’après ce que j’ai compris, le lieutenant Le Bihan a essayé de joindre Gaël Leroux, mais il semble qu’il soit parti très tôt ce matin en mer.

— Bon bon, je verrai ça plus tard avec le capitaine Morini, donnez-moi vos premières impressions. D’après ce que j’ai pu voir furtivement, la victime est…

—…C’est ça, très jeune, coupa le médecin avant de poursuivre, sans papiers, son âge est encore difficile à déterminer avec exactitude. Je dirais entre dix-sept et vingt-deux ans. L’autopsie en dira plus.

Avec son ventre rondouillet et sa tonsure, le légiste ressemblait plus à un moine sorti tout droit de l’abbaye Notre-Dame de Timadeuc qu’à un expert en médecine légale.

— Malheureusement, je suis à peu près certain que “notre” tueur a encore frappé. Même fracture de l’avant-bras droit, même brûlure profonde de la langue et la mort, par asphyxie, la tête enveloppée dans un sac-poubelle en plastique transparent et le lieu du crime, un parc animalier. Sans oublier la chaise en plastique blanc dont un pied est cassé.

— C’est de la folie tout de même, on ne va pas être obligé de mettre le GIGN devant chaque zoo familial de la région, il faudrait au moins une centaine d’hommes. Il y a déjà des rondes de police et de gendarmerie, mais l’assassin semble être au courant de tous leurs déplacements.

Les vagues venant mourir sur la plage chuchotaient en contrebas.

— Je comprends votre colère Madame la juge, mais en plus de surveiller les entrées de chaque parc animalier, il faudrait surveiller l’intérieur de ces parcs, ce qui équivaudrait à plusieurs centaines d’hectares. Cela me semble impossible.

— Vous avez raison Docteur, je verrai ça avec le capitaine Morini, peut-être a-t-il une idée à ce sujet. La mort remonte à quelle heure environ ?

— Je dirais entre minuit et deux heures du matin. Vous en saurez plus demain à la première heure, je vous ferai parvenir mon rapport en exprès.

Une vague plus violente que les précédentes résonna soudainement. Florence frissonna.

— Ah Docteur, une dernière question avant de vous libérer, d’après ce que j’ai pu voir, les tibias du jeune homme ont été…

La juge Michaud s’arrêta de parler, un haut-le-cœur lui coupant le souffle. Le docteur acquiesça.

— Oui, les porcs ont commencé à lui dévorer les jambes.

Elle n’osa pas poser la question qui la taraudait tant la réponse l’effrayait. Comme s’il pouvait lire dans ses pensées, Morvan Le Guilvinec poursuivit.

— Les porcs ont commencé à mordre leur victime alors qu’il était encore en vie.

Même après plus de 30 ans de carrière, Florence avait des difficultés à accepter la monstruosité humaine. Elle avait cette impression douloureuse qu’après chaque enquête, elle descendait toujours plus bas dans l’abîme de l’horreur. Pourtant là, il lui semblait avoir atteint le fond de l’abomination. Le légiste présenta sa main gauche dépourvue de gant chirurgical qu’elle serra dans la sienne, avant d’insister sur l’urgence du rapport médico-légal. D’un battement de paupières, Morvan promit de faire son possible avant d’ajouter avec un respect digne d’un chevalier moyenâgeux.

— Madame la juge, mes hommages.

Accroupi près de la chaise en plastique blanc, le capitaine Marc Morini inspecta la victime avec attention. Ce n’était pas son premier cadavre, pourtant le sentiment de consternation qui le submergeait était toujours présent, plus encore lorsqu’il s’agissait d’une personne aussi jeune. Il murmura, les lèvres collées sur un dictaphone.

— Samedi 30 octobre 2010, 6 heures 37, parc animalier de Le Royau, à Penvénan.

Une moue déforma sa bouche. L’odeur nauséabonde qui s’échappait de la mare aux cochons lui souleva le cœur. Les gendarmes avaient réussi tant bien que mal à enfermer les porcs dans l’étable qui leur servait de dortoir, ce qui les rendaient furieux. Certaines bêtes se jetaient contre la porte en bois qui menaçait de céder. Un jeune adjudant, les yeux rivés vers l’étable, restait la main collée à son arme, prêt à tirer.

De sa main gantée, Marc Morini examina le cou de la victime et retourna un médaillon en or avant de penser à voix haute.

— Arnaud ! Eh bien Arnaud, t’étais bien jeune pour mourir.

Il entendit un pas derrière lui. Il savait qu’Erwan l’avait rejoint. Erwan, que Camille appelait « ton ami » avec une pointe de tendresse dans la voix, ne le quittait pas très longtemps, surtout lorsqu’ils parcouraient les chemins sinueux d’une enquête.

— Et si ce n’était pas son pendentif ? Mais celui d’un ami ? Dans ce cas-là, notre jeune inconnu ne s’appelle pas Arnaud, mon capitaine.

Morini leva les yeux vers son adjoint, et d’un geste de la main, évacua cette idée qui lui déplaisait.

— Je suis certain que c’est son médaillon, je ne sais pas pourquoi mon lieutenant. Juste une intuition !

Erwan adhéra à cette opinion d’un hochement de tête, sachant que la confirmation arriverait dans la journée. Il s’accroupit à son tour pour chuchoter dans l’oreille de son chef d’équipe.

— Dis donc, t’en as mis du temps pour te réveiller ce matin, j’ai laissé sonner plusieurs fois.

— T’exagères ! Deux fois.

— Certainement pas, au moins quatre.

— Bon OK, c’est vrai, j’ai eu du mal à me réveiller.

— T’étais pas tout seul dans ton lit ? Cachottier !

— Pas du tout, je me suis assoupi à 2 heures 25, seul sur mon canapé. Alors tu peux calculer, ma nuit a été courte. J’ai d’ailleurs quelques heures de sommeil à récupérer, mais je crois que c’est remis ad kalendas graecas. Plus sérieusement, tu vois Erwan, c’est étrange, en me couchant, j’étais persuadé que…

— Moi aussi, c’est pour cela que je n’ai pas trouvé le sommeil de la nuit. Je l’ai passée dans un fauteuil du salon pour ne pas réveiller Monique. Je savais que nous n’étions pas au bout de nos peines. Pourtant, j’ai espéré. Mais bon, « l’espoir fait vivre, l’attente fait mourir ». Ce n’est pas de moi, mais ne me demande pas qui est l’auteur de cette phrase, je ne le sais plus. Par contre, je sais pourquoi tu ne voulais pas que je prévienne la juge.

Morini se releva d’un bond. Bras croisés, il scruta le regard moqueur du lieutenant Erwan Le Bihan.

— Ah, et pourquoi ?

— Tu voulais lui servir de chauffeur, avoue-le ?

— J’avoue mon lieutenant ! Et je n’ai même pas honte. Jamais je ne laisserai une femme seule conduire dans les rues désertes de nos campagnes et ce, à cinq heures du matin.

— Surtout si elle te plaît ?

Le capitaine haussa les épaules et répliqua à voix basse.

— C’est plus agréable en effet. Et comme t’es un bon pote, tu te chargeras de ramener Florence à Saint-Brieuc.

— Florence ? T’es sûr que t’étais seul dans ton lit ?

— C’est bon Erwan ! Je n’ai pas besoin de nounou. Mais, Madame la juge n’était pas chez moi. Ça te va comme explication ? Bon, je te rejoins plus tard à la section de recherches, il faudra voir si on a signalé la disparition d’un jeune homme prénommé Arnaud.

* * *

Quatre morts en onze jours et ce dernier n’était pas plus âgé que les autres. Morini fronça les sourcils, espérant se débarrasser d’un frisson douloureux. Vingt ans à peine. Encore un enfant, assassiné sans motif apparent. Tout concordait avec les trois premiers crimes. Et pourtant, le capitaine de la brigade de recherches de la gendarmerie de Saint-Brieuc et son équipe ne possédaient aucune piste susceptible de confondre l’assassin. Rien ne reliait les victimes entre elles.

Les yeux rivés sur le cadavre du jeune homme, Marc Morini eut une pensée pour les parents d’Arnaud. Avaient-ils déjà remarqué son absence ? À cet âge, il arrivait de découcher sans prévenir.

C’était juste une idée. Sans enfant, il ne pouvait qu’imaginer la difficulté d’élever des gosses. Il avait bien une nièce, mais il ne lui parlait qu’une fois par an, le jour de son anniversaire, ou le lendemain, selon les aléas du métier.

Ce n’est pas qu’il n’aimait pas les enfants, bien au contraire. Mais la vie en avait décidé autrement. Peut-être qu’avec Camille ? Cette question, il se l’était posée des milliers de fois. Aujourd’hui, Camille n’était plus là et avec ce môme allongé dans le cercueil de l’institut médico-légal, il préféra répondre par la négative, pensant qu’il était bien lâche. Qu’importe, il savait que la question ne se posait plus.

Le capitaine accepta sans sourciller le café que venait de lui dégoter fièrement un jeune maréchal des logis. À l’odeur, Marc savait qu’il serait simplement bon à réchauffer ses os usés par des nuits d’insomnies. Il n’en demandait pas plus.

— Qui a découvert le corps ? Le parc est fermé depuis 17 heures hier soir, non ?

— Oui mon capitaine, j’en suis sûr parce que mon ex-petite amie travaillait ici pendant l’été, mais elle m’a quitté.

Marc considéra avec dérision la jeune recrue.

— Désolé pour vous, alors ? Qui a découvert le corps ?

— Pardonnez-moi mon capitaine, c’est la première fois que je, enfin, voilà, c’est le vieux monsieur là-bas. Ne soyez pas surpris, il doit avoir un taux d’alcoolémie assez élevé. Je veux dire, l’odeur n’est pas très agréable.

Marc regretta son manque de tact. La vie n’était facile pour personne et parfois, déballer d’une phrase son cœur permettait de faire le point. D’un geste paternel, il tapota l’épaule de son collègue, puis s’avança sans grande conviction vers le témoin.

Il était difficile de donner un âge précis au clochard. Les années passées dans la rue l’avaient épuisé. Il se déplaçait avec difficulté et la couleur de ses cheveux, malgré la crasse, virait déjà vers le blanc.

Il commença par raconter sa vie, sans vraiment se plaindre, cherchant juste à donner un peu de piment à son quotidien.

En écoutant Georges raconter sa vie, Morini apprit qu’il dormait dans le parc depuis quelques mois, depuis que des jeunes de Tréguier lui lançaient des pierres lorsqu’ils le voyaient s’approcher des berges du Jaudy.

Il avait découvert ce lieu un peu par hasard et la compagnie des animaux le rendait heureux.

— J’ai demandé à Leroux, il a dit qu’il avait rien contre, si j’étais parti avant les premiers visiteurs. Mais comme je me rends utile, je reste aussi la journée. Je connais tous les animaux ici et eux me connaissent aussi.

Afin d’esquiver l’haleine chargée de Georges, le capitaine détournait la tête, faisant mine d’examiner les allées du parc, en essayant de se concentrer sur le seul témoignage qu’il avait à se mettre sous la dent.

— Que faisiez-vous exactement près de cet enclos ?

— Je voulais voir si les petits faons allaient bien. Morini hocha la tête, avant de rétorquer.

— À cinq heures du matin ? Il fait encore nuit pourtant, où dormez-vous habituellement ?

— Près de l’entrée du parc et j’ai ma lampe de poche pour me déplacer.

Le vieillard fouilla dans la poche trouée de sa veste et sortit un gadget publicitaire qui pouvait avec un peu d’imagination servir de lumière. Chaque mouvement du clochard dégageait un parfum de sueur, d’alcool et de vieux tabac qui arrachait une grimace au capitaine.

— Et puis, j’ai ma copine.

— Votre copine ?

Le SDF leva le doigt vers le ciel.

— Ma petite sœur la lune, elle me donne aussi de la lumière quand ces couillons de nuages ne sont pas trop nombreux.

Marc hocha la tête avant de hausser la voix.

— Dites-moi Georges, vous n’essayez pas de vous moquer de moi, je présume ?

— Alors vous la maréchaussée, on est sympa avec vous, on cherche à vous aider et vous prenez ça pour de la moquerie. Ça m’apprendra à vouloir faire le malin et à rendre service à un gendarme.

Marc Morini inspira fortement, oubliant l’odeur repoussante qui enrobait le vieil homme. Il se mordit la lèvre afin de réprimer une sensation de dégoût qui le submergea.

— Georges, vous voulez me faire croire que vous vous êtes rendu à l’enclos des porcs à 5 heures du matin pour vérifier que les faons qui dormaient à côté se portaient bien ? Je suis désolé, mais je ne vous crois pas.

Georges sembla d’abord déstabilisé par les doutes du capitaine de gendarmerie, puis reprit du poil de la bête.

— Ben dis donc, pour un Corse, vous êtes bien têtu vous ! Vous n’auriez pas un peu de sang breton dans les veines ?

Cette fois-ci, Marc n’oublia pas le parfum d’oignons pourris, mêlé à l’odeur de sueur et de vinasse qui accompagnaient le SDF. Il mit la main devant son nez avant d’exploser.

— Ça suffit ! On n’est pas dans une cour de récréation ni même dans le local d’une association humanitaire. Un jeune homme a été, ici, dans ce parc où vous avez passé la nuit, assassiné dans d’atroces souffrances. Alors si vous ne me dîtes pas tout de suite ce que vous cherchiez à 5 heures du matin près de l’enclos des cochons, je vous arrête pour entrave à la justice ou même complicité de meurtre.

Georges, penaud, baissa la tête et traça avec le bout de sa chaussure droite un trait plutôt rectiligne pour un homme éméché. Il se dit que pour éviter des ennuis, il se devait d’être plus coopératif.

— Je suis venu voir si…

— Si ?

— S’il y avait de l’argent dans la boîte clouée sur l’arbre là.

Le capitaine voyait très bien cette boîte et d’un signe de la tête demanda plus d’explication.

— Ici, ils appellent ça la boite à cadeaux, les enfants et leurs parents peuvent y mettre une pièce ou deux qui serviront à acheter des petites choses pour les animaux. Tiens l’année dernière, avec cet argent, ils ont acheté un nouvel abreuvoir pour l’enclos des chèvres.

— Et de temps en temps, vous vous servez ?

Georges scrutait le sol à la recherche d’une aide providentielle. Les mains sur les hanches, Morini soupira.

— Ne vous inquiétez pas, cela restera entre nous.

Dans le regard de Georges une lueur de bonheur étincela. Il venait de ressentir la trouille de sa vie. Depuis qu’il vivait dans ce parc, il se sentait en sécurité et sa plus grande crainte était de retrouver l’asphalte et ses trottoirs. Il savait également qu’au moindre souci, Leroux le mettrait à la porte. Car lui qui n’avait connu que la ville avec ses rues, les gens, les berges du Jaudy, appréciait désormais le calme de la campagne et la présence des animaux. En général, il dormait dans le couloir des sanitaires, entre les toilettes et les lavabos. Le parc n’ouvrant qu’à dix heures du matin, il avait le temps de ranger son carton et son vieux duvet avant l’arrivée des premiers visiteurs.

La seule employée du parc, Gwendoline, une nièce de Gaël Leroux, ne voyait aucun inconvénient à la présence du vieil homme dans la réserve. Elle lui faisait quelques courses et en échange, il s’occupait de nourrir les animaux et de nettoyer les allées.

Les jours de petite affluence, Gwendoline se sentait rassurée de savoir le vieux Georges pas très loin. Certes, il n’aurait fait de mal à personne, mais à deux, ils se sentaient plus forts.

— Alors maintenant que nous partageons un secret tous les deux, vous allez tout me raconter en commençant par le début.

Le ton ferme du capitaine ne laissait aucune chance à Georges, il devait dire la vérité. Il lui restait malgré tout la possibilité de négocier.

— Pour ça, il me faudrait un café et quelque chose à me mettre sous la dent.

Au regard étonné de Morini, le vieil homme répliqua.

— Un peu plus loin à gauche, il y a une machine à café et un distributeur de biscuits au chocolat.

IV

Le cadavre d’Arnaud venait de partir pour l’hôpital de Saint-Brieuc afin d’y être autopsié. Deux gendarmes continuaient de fouiller le secteur à la recherche du moindre indice. Deux autres s’étaient chargés de contrôler les alentours de l’entrée du parc, tandis qu’un adjudant scrutait minutieusement chaque centimètre du grillage qui clôturait la réserve. Les animaux se réveillaient peu à peu. Une nouvelle journée débutait. Une journée de travail, de questionnement et d’incertitude attendait le capitaine et son équipe. Il fallait agir vite avant que ce monstre ne recommence.

Un cerf brama au loin.

— Alors Georges, j’attends, faites un effort et essayez de vous souvenir. À quelle heure vous êtes-vous endormi ? Avez-vous été réveillé dans la nuit ? Vous souvenez-vous d’un détail particulier.

— Eh, pas si vite, je ne suis plus tout jeune et mon cerveau est un peu embrouillé. En général, je m’endors vers 21 heures et c’est ce qui s’est passé hier soir. J’ai le sommeil profond et c’est Donald qui me réveille tous les matins vers 8 heures.

— Donald ?

Georges but une gorgée de café et croqua à pleines dents dans le biscuit au beurre recouvert de chocolat.

— Oui Donald, le King de la basse-cour comme le dit Gwendoline.

Marc passa la main sur son front moite. Cette nouvelle enquête démarrait bien avec comme seuls témoins, un ivrogne et des animaux.

— Et dans la nuit, vers minuit ?

— Minuit, l’heure du crime !

— Oui, si vous voulez, alors ? Vers minuit ou une heure du matin, vous n’avez rien vu, rien entendu ?

Georges fit mine de réfléchir, histoire de se rendre important. C’était bien la première fois qu’un membre de la maréchaussée s’intéressait à lui, pour autre chose que pour lui demander de quitter les lieux ou d’arrêter de mendier. Et puis, un deuxième café et quelques biscuits supplémentaires ne seraient pas de trop.

Georges se taisait et les yeux rivés vers son gobelet vide fit comprendre au capitaine qu’il avait soif. Marc s’approcha de la machine et sortit de sa poche une pièce d’un euro. Il plaça la pièce dans la fente réservée à la monnaie et tout en la retenant, dirigea son regard vers le SDF.

— Un café contre une info, sinon rien.

Georges haussa les épaules. Il ne savait rien, il n’avait rien vu, rien entendu. La nuit, le vent qui soufflait dans les arbres anéantissait chaque bruit. Et quand le vent chômait, le bruit des vagues prenait le relais. Seul le brame du cerf pouvait les défier. Soudain un éclair traversa son cerveau embué.

— J’ai une info mon capitaine, déclara-t-il avec arrogance, le torse bombé. Une info de première et elle vaut son pesant d’or.

Georges n’attendit pas la réaction du gendarme et s’exclama.

— Un café et un paquet de biscuits.

Marc se dit qu’il n’avait rien à perdre. Il eut même pitié de ce vieil homme qui mendiait son petit-déjeuner. Il laissa tomber une pièce, puis une deuxième.

— Tenez.

Georges n’en croyez pas ses yeux. Encore un café et ces délicieux petits gâteaux, rien de tel pour débuter la journée avec bonheur. Il savait désormais, dans une autre vie, il serait gendarme.

Au regard énervé du capitaine, il saisit qu’il fallait qu’il parle, au risque sinon de voir son gobelet valser.

— Je crois savoir par où est passé votre assassin ?

Marc souffla brusquement. Il détestait devoir sortir les vers du nez d’un témoin, surtout si un assassin courait les rues. D’un geste de la main, il questionna Georges, qui fier comme Artaban d’être pris au sérieux par la maréchaussée, lui ordonna de le suivre.

Ils marchèrent cinq minutes avant de parvenir à un vieux chêne pédonculé.

Marc se souvenait de ce chemin, il l’avait parcouru, tenant Camille par le bras. Ils avaient particulièrement apprécié l’automne et le bruit des glands qui se fracassaient sous leurs pas. Le gendarme porta la main à sa poitrine. Son cœur saignait. La voix de Georges le rappela violemment à la réalité. Il fallait se concentrer pour arrêter ce monstre avant un cinquième meurtre. Camille l’aurait voulu ainsi.

— Vous voyez derrière le tronc, il y a un morceau de grillage en moins, c’est par là que je passais avant de me faire choper par Leroux. Ce n’est pas très compliqué, il suffit de soulever le grillage et on se faufile sans problème. Mais c’est pas moi pour le trou.

Accroupi, Marc examina le trou caché derrière l’arbre trois fois centenaire.

— Et personne n’a pensé à le réparer ?

— Ça se fera au printemps, avant le début de la haute saison. De toute façon, de l’extérieur, on ne voit pas le trou à cause des herbes.

Effectivement le gendarme constata les hautes herbes de l’autre côté du grillage.

— Et comment avez-vous vu le trou à travers les herbes ?

— Je flânais le long du chemin…

Georges avait prononcé ces mots avec l’âme d’un poète, avant de poursuivre.

— Quand une bouteille de bière est tombée de mon sac et a roulé dans l’herbe. Elle avait disparu, J’ai d’abord cru à la farce d’un korrigan.

Le capitaine souffla brusquement. Il se moquait de ces superstitions folkloriques.

— Mais, je me suis dit que ma bouteille n’était peut-être pas très loin, alors je l’ai cherchée, c’est que ça vaut son pesant d’or une bonne bouteille de bière bretonne. Et c’est ainsi que je suis tombé sur le trou dans le grillage.

Marc approuva.

— Merci Georges, vous avez bien mérité votre petit-déjeuner, Un gendarme viendra dans la matinée prendre vos empreintes et votre ADN, alors vous ne bougez pas du parc, aujourd’hui ?

Le vieil homme hocha la tête. Il ne savait pas vraiment ce que pouvait signifier son ADN, mais il savait que la journée ne serait pas vraiment ennuyeuse et à son âge, c’est ce qui comptait le plus. L’ennui était mortel, lui donnant une petite idée de ce que serait la mort.

— Et si un détail vous revient, n’hésitez pas à me contacter.

Georges rangea la carte de visite dans la poche usée de son vieux jean.

— Ne me remerciez pas mon capitaine, ce fut un honneur pour moi d’aider la nation. D’ailleurs, je crois que j’ai vu votre homme il y a deux ou trois jours.

Morini n’en croyait pas ses oreilles. Il resta immobile, les bras croisés sur la poitrine.

— Deux ou trois jours ? Et comment pouvez-vous penser qu’il s’agisse de l’assassin ?

Le torse bombé et la panse repue, Georges se réjouissait de l’intérêt de la gendarmerie. Cette journée était assurément à marquer d’une pierre blanche.

— C’était mercredi après-midi, je m’en souviens comme si c’était hier parce qu’il y avait pas mal de gosses dans le parc et moi, j’aime pas les gosses, affirma le clochard en frissonnant.

— Je comprends ! Alors ?

— Alors, je me suis rendu vers mon arbre pour y pisser un bon coup, le mercredi, les mômes squattent les toilettes. Au lieu de s’en occuper, les parents les laissent faire n’importe quoi. Vous verriez les sanitaires le mercredi soir, une vraie piscine.

Au regard passablement énervé du gendarme, le SDF savait qu’il devait arriver à l’essentiel.

— Donc, je vais pisser contre le chêne quand je vois un grand type costaud s’approcher de l’arbre. Il ne me voyait pas, mais moi je le voyais. Il s’est accroupi et a examiné le bas du grillage.

Georges toussota et à la grimace qui déforma son visage, le capitaine comprit que le souvenir de cet homme l’effrayait encore. Il poursuivit d’une voix voilée.

— Il a essayé d’écarter un peu plus le grillage. Je n’osais plus bouger. Il marmonnait dans une langue étrangère et il semblait passablement fâché.

— Vous pourriez le décrire ?

— Pas vraiment, j’étais caché, je sais juste qu’il semblait très grand et très fort. Il était habillé tout en noir. Puis, un gosse est arrivé et lui a demandé ce qu’il faisait avec le grillage, que ce n’était pas bien de le casser parce que les animaux pouvaient s’échapper.

Georges se tut, encore sonné par le souvenir de cet inconnu. Puis, il reprit son témoignage, la voix troublée.

— J’ai eu la peur de ma vie pour ce sale môme qui n’avait pas sa langue dans la poche.

Il s’en voulait toujours de n’être pas intervenu pour éviter le pire. Il n’avait pas toujours été lâche. La vie, les années qui s’accumulaient, sa santé qui se détériorait, l’avaient rendu faible. Il avait peur des altercations. Et puis, une bagarre qui avait mal tourné deux ans plus tôt avait entamé le reste de courage qui l’animait alors.

Morini s’attendait au pire, bien qu’aucun incident grave n’ait été signalé à la gendarmerie. La voix abîmée par la nicotine et l’alcool du vieil homme résonna à nouveau.

— Le type s’est alors relevé et a sorti une pièce de la poche de sa veste, il l’a donnée au mioche avant de lui caresser la joue, sans un mot. J’étais terrifié. Le garnement est parti en courant vers le distributeur de pop-corn qu’il a lancé au lama. C’est tout ce que je peux dire.

Il y eut un silence de quelques secondes, même le vent semblait soudainement muet.

— Vous croyez qu’il m’a vu et qu’il va revenir pour me tuer ?

— Non, non, je ne crois pas qu’il vous ait vu, sinon, vous ne seriez plus ici pour me parler.

Georges parut soulagé. Le capitaine de gendarmerie n’avait aucune certitude, cependant il jugea bon de rassurer le vieil homme qui se dirigea vers les sanitaires. Les deux cafés avalés venaient de produire chez lui une pressante envie d’uriner.

Marc Morini prit le chemin de la sortie.

— Mon adjudant venez avec moi.

L’autre côté du grillage était bordé d’herbes folles et de détritus. Des branches du chêne dessinaient une multitude de bras qui partaient dans tous les sens. La lune quittait le ciel, laissant place à un soleil encore généreux pour la saison.

L’adjudant plaça dans un sac en plastique un paquet de cigarettes vide, un papier de chewing-gum, un préservatif usé.

— Qu’est ce qu’on fait avec les excréments d’animaux, j’en ramasse pour la scientifique mon capitaine ?

— Non laissez, ce doit être des excréments de chiens ou de chats.

— Regardez mon capitaine !

Marc attrapa le bout de tissu que lui tendait l’adjudant Meunier avec sa main gantée pour le comparer avec les photos envoyées par la scientifique. Par bonheur, il y avait du réseau. La photo agrandie laissait apparaître un pantalon de la même couleur que le morceau de tissu.

— Vous voyez Meunier, la photo correspond, le pantalon du gamin et le morceau de tissu sont comparables. Que pouvons-nous en déduire ?

L’air penaud, l’adjudant Meunier n’avait pas de réponse.

— Et bien Meunier, faites travailler un peu votre cerveau.

Un éclair de vivacité traversa le regard de l’adjudant.

— Cela signifie que l’assassin est passé par là avec sa victime.

— Oui, enfin, la scientifique devra le confirmer. Mais c’est fort probable. D’ailleurs, les collègues sont encore dans l’enclos des porcs. Prévenez-les de bien fouiller ensuite à cet endroit précis. Je rentre à la brigade.

— Bien mon capitaine, comptez sur moi.

V

Seul dans son bureau, Morini jeta son blouson sur le portemanteau en bois laqué et arrosa le ficus qui ornait le coin de la pièce, près de la fenêtre, avant d’ôter les feuilles jaunies par le temps. Il se sentait las, dépossédé de ses forces, confronté à l’horreur et à plusieurs nuits sans sommeil. Il s’affala dans le fauteuil et ferma les yeux pour faire le vide dans son cerveau embrouillé. Ses doigts massaient doucement ses tempes. Ses idées devenaient plus claires et précises. Il aspira fortement par le nez. Quatre crimes en douze jours, sans aucun indice valable pour faire avancer l’enquête, c’était du jamais vu pour son équipe, d’ordinaire plus efficace.

Il est vrai que la Bretagne ne regorgeait pas de tueurs en série et il était rare qu’une enquête criminelle de cette ampleur fasse la une des journaux. En poste près de Bastia, il avait eu affaire à un berger qui avait violé et tué trois touristes. Après deux mois d’enquête, le meurtrier avait rejoint la prison. La chance avait été de son côté car le salopard était fiché depuis des années.

Ici, dans la campagne armoricaine, le monstre qui agissait était inconnu des services de police et même d’Interpol. En dehors de celles des victimes, les traces d’ADN étaient quasi inexploitables. La brigade de recherches avait probablement à faire à un professionnel du crime.

Morini laissa des images défiler dans son cerveau. Il pensait que l’imagination pouvait nourrir la réalité. Un sadique torturait un jeune homme qui le suppliait de lui laisser la vie sauve. Pourquoi ? Pourquoi tant de souffrances infligées ?

Il se souvenait de chacun des lieux où avaient été découvertes chacune des quatre victimes.

C’était un don qu’il possédait. Le gendarme ne savait pas si celui-ci était inné ou le fruit d’années d’expérience, mais il était dans la capacité de se rappeler bon nombre de détails recueillis sur les lieux d’un crime, avant même que les photographes de l’identité judiciaire ne scellent à jamais les indices. Il était également doté d’une mémoire olfactive qui lui permettait de mieux s’imprégner des odeurs qu’il pouvait associer à chaque enquête.

Plus Marc réfléchissait, plus l’idée que le meurtrier souhaitait voir ses crimes découverts rapidement prenait forme dans son cerveau. Il fallait désormais comprendre son message. Voulait-il faire peur ? Avertir certains qu’ils se trouvaient également sur sa liste ?

Les indices étaient encore trop peu nombreux pour en tirer des conclusions. Pourtant, depuis plus de onze jours, l’équipe de la section de recherches de Saint-Brieuc, secondée par l’équipe scientifique basée à Rosny-sous-Bois, travaillait d’arrache-pied pour découvrir le lien qui reliait les victimes entre elles, car, seul ce lien les amènerait jusqu’à l’assassin.

Même si le capitaine savait que le temps jouait contre lui, il devait se montrer particulièrement consciencieux et ne pas se perdre dans un dédale de présomptions qui ne le mèneraient nulle part.

Morini soupira, angoissé à l’idée que la liste des victimes comportait d’autres noms. Des noms de jeunes hommes, à peine sortis de l’adolescence. Son estomac se rebella à nouveau. Le café du parc de Le Royau était difficile à digérer.

Le jeune homme trouvé mort dans le zoo familial n’avait ni papiers, ni effets personnels pouvant révéler son identité. C’était le cas des trois autres victimes auparavant.

Le meurtrier souhaitait vraisemblablement faire souffrir les familles le plus longtemps possible. Les laisser espérer jusqu’à l’instant fatal. Attendre des heures, un jour peut-être, avant de se décider à prévenir les autorités de la disparition de leur enfant. Pendant ce temps, l’assassin pouvait jubiler, contempler l’angoisse qui grandissait peu à peu dans le cœur des parents. Grâce aux papiers d’identité extirpés à ses victimes, il connaissait leur adresse. S’était-il rendu près du domicile de ses victimes pour savourer le chagrin des parents ?

Pourquoi n’avait-il pas arraché le médaillon d’Arnaud ? Et si Erwan avait raison, si ce médaillon était celui d’un ami, d’un petit ami peut-être ? Seule la famille pourrait répondre à cette question. Marc scruta sa montre.

— Neuf heures quatorze, murmura-t-il.

Il tressaillit, une fois de plus, il avait la conviction que les victimes n’étaient pas choisies au hasard d’une route. L’assassin agissait avec méthode. Celle-ci, comme les précédentes, avait été désignée par le meurtrier. Le capitaine n’en avait aucune preuve. Juste cette sensation étrange au creux de l’abdomen.

Il rouvrit les yeux et fixa l’écran de son ordinateur.

Il avait la certitude que ce week-end permettrait de faire avancer l’enquête. Pourtant, un sentiment étrange lui brûlait l’estomac, accompagné d’une angoisse qui le rongeait. Pour la première fois depuis longtemps, depuis le départ de Camille, il avait peur de ce qu’il allait découvrir. Certes, son boulot était de résoudre l’énigme, quel qu’en soit le prix à payer. Il pensa à Arnaud et à ses parents. Quel avait été le dernier geste du jeune homme avant sa mort ? Quelle fut sa dernière pensée, sa dernière parole ? Avait-il appelé sa mère au secours, son père, Dieu, les cieux ? Savait-il pourquoi il mourait dans ces conditions atroces ?

Depuis le départ de Camille, la mort accompagnait souvent les pensées de Marc Morini. Non pas qu’il fût tombé dans l’ésotérisme, mais il avait acquis malgré lui une nouvelle approche de la mort. Il pensait d’ailleurs souvent à la sienne, tentait de se l’imaginer, comme pour l’apprivoiser. Aurait-il la chance de la voir venir ? Il espérait juste rester lucide jusqu’au dernier moment.

La sonnerie de son portable le sortit brusquement de ses pensées.

— Allô ?

Une voix à l’autre bout s’exprimait avec un fort accent breton.

— Oui c’est moi-même.

Le capitaine Morini fronça les sourcils afin de mieux se concentrer.

— Ah c’est vous adjudant Carradec, comment ? …Oui, j’ai encore quelques difficultés avec l’accent breton, mais ça viendra. Comment ? …Très bien. Pouvez-vous l’amener jusqu’à Saint-Brieuc ? …C’est super, je vous rendrai la pareille le moment venu.

Avec plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la gendarmerie, Morini savait que les victimes conduisaient à l’assassin et rarement le contraire. Alors, l’une des priorités était de connaître l’identité du jeune homme découvert dans l’enclos des porcs du zoo de Le Royau. Il fallait disséquer sa vie afin d’obtenir les réponses aux questions que se posait l’équipe. Cependant, personne ne s’était encore manifesté à son sujet. L’étude d’une liste d’appels reçus et envoyés pouvait produire un miracle. Le capitaine devrait probablement attendre encore vingt-quatre heures si les parents ne se manifestaient pas auparavant. Car l’assassin narguait les gendarmes. Le lendemain de chacun des crimes, le facteur déposait dans la boîte aux lettres de la brigade de recherches une grande enveloppe marron contenant les effets personnels des victimes. Rien ne manquait à l’appel. Même pas les portables dernier cri des jeunes gens qui auraient tenté plus d’un. L’assassin voulait-il prouver qu’il ne tuait pas pour voler ? Voulait-il soigner sa réputation ? Voulait-il démontrer aux enquêteurs qu’il maîtrisait la situation ? Pour compliquer le tout, les enveloppes venaient des quatre coins de la Bretagne. La première avait été postée dans le centre-ville de Brest, la deuxième, dans la boîte aux lettres de la gare centrale de Rennes, la troisième, de l’aéroport de Lorient. L’inconnu se promenait tranquillement, bravant la maréchaussée sans vergogne.

Pour éviter la panique parmi la population, la poste n’avait pas été prévenue. Il était de toute façon impossible de surveiller toutes les boîtes aux lettres de Bretagne. Les enquêteurs n’étaient même pas certains que l’homme postait lui-même les enveloppes. Sur l’une d’entre elles, des empreintes de doigts d’enfant avaient été analysées, sans résultat.

Et quel était le motif de ces crimes ?

Malgré un travail minutieux, le décorticage des portables des trois premières victimes, Jérôme Marcellin, Antoine Jaouen et Pierre-Henri Le Borgne, n’avait encore apporté aucune lumière capable d’éclairer l’enquête.

VI

Charlotte entra sans frapper, déposa une tasse de café brûlant sur le bureau de son capitaine et le fixa avec tendresse.

— Erwan m’a prévenu pour ce matin. Pauvre gamin. On n’a pas encore son identité ?

Sans grande conviction, Marc hocha la tête.

— Apparemment il s’appelait Arnaud, mais ce n’est pas une certitude, juste un prénom sur un médaillon.

Elle prit place sur le coin du bureau et se pencha légèrement pour prendre sa main dans la sienne. Il contempla son décolleté et réprima la sensation de désir qui naissait doucement au creux de son ventre.

— T’as l’air complètement crevé. On devrait prendre un peu de repos et se faire une bonne soirée ensemble. Il y a si longtemps que tu n’es plus venu chez moi.

Il ne réagit pas. Elle insista.

— David serait si content.

Il trouva l’argument déplacé.

— Charlotte, tu crois que c’est le moment ? Avec tous ces morts et ce type qu’on n’arrive même pas à cerner. On n’a rien du tout pour le coincer !

— Mais nous, on est vivants, Marc. Et on a le droit à un peu de plaisir… et puis merde, je peux pas me passer de toi comme ça. On bosse ensemble, on habite la même caserne. C’est dur pour moi d’être si près de toi et de te sentir si loin.

Il caressa doucement sa main et lui sourit. Elle savait qu’il avait raison, pourtant elle regretta ce manque d’enthousiasme à l’idée de passer une soirée à deux et prit ses raisons pour des excuses bidon.

Mais, tant que l’assassin courait les rues des Côtes d’Armor, ils devaient tout mettre en œuvre pour le capturer et oublier le reste. Elle n’avait pas d’autre choix que d’attendre patiemment.

Marc retira précipitamment sa main.

— Excusez-moi, la porte était entrouverte.

— Allez-y entrez Kerjean, on va faire le point dans quelques minutes, dès que le lieutenant Le Bihan sera revenu.

Gêné d’avoir troublé ce tête à tête, l’adjudant-chef Régis Kerjean, spécialiste informatique de l’équipe du capitaine Morini, préféra rester sur le pas de la porte. Charlotte descendit du bureau et s’adossa au mur, le pied droit en appui.

— Dis donc, toi aussi t’as l’air d’avoir dormi dans un cercueil ? T’as vu ta tronche ?

Il ne fut pas surpris par la réflexion de sa collègue. Ils se connaissaient depuis des lustres.

— C’est à cause de ta femme ?

Il ouvrit les bras et les referma aussitôt, histoire de dire, peut-être, ou, il y a du vrai dans ce que tu dis.

— Votre femme ? Vous avez des ennuis mon adjudant-chef ? J’aimerais bien pouvoir compter sur vous tous, ou tout au moins savoir si vous avez des problèmes qui vous empêchent d’être totalement opérationnel ?

— Ne vous inquiétez pas mon capitaine, tout va bien.

L’adjudant-chef avait haussé la voix afin que la discussion cesse sur le champ. Par pudeur, il ne souhaitait pas étaler ses problèmes conjugaux. L’équipe ne devait aucunement pâtir des disputes qui l’opposaient à son épouse. Ces querelles ne dataient pas d’hier, mais sa femme avait dépassé les bornes en le menaçant de quitter le domicile conjugal avec les gosses, au moment même où une enquête difficile l’accaparait plus que d’habitude.

Régis avait espéré un peu plus de solidarité de la part de Maïwenn et tenté de la dissuader de partir, lui promettant qu’après l’arrestation de l’assassin, ils s’envoleraient vers le sud, pour fuir l’hiver et recoller les morceaux. Mais elle se moquait pas mal de l’arrestation de qui que ce soit. C’était ce fichu métier qui avait tué son couple et elle ne trouva aucune raison de l’épargner.

Régis jeta un coup d’œil agacé en direction de Charlotte qui répondit par une moue désolée. Elle avait souhaité l’aider, oubliant que l’adjudant-chef Kerjean n’aimait pas exposer sa vie en public.

— Erwan n’est pas encore revenu du palais ? Mais qu’est ce qu’il fout bon sang ?

Morini avait hâte de débuter la réunion. Il savait que les parents d’Arnaud ne tarderaient pas et souhaitait être prêt pour les recevoir.

— Il vient d’appeler, il arrive dans cinq minutes. Il a été retardé par des habitants inquiets de Penvénan. C’est la première fois qu’il se passe un crime près de chez eux répondit l’adjudante Kiefer.