Mahâtmâ Gandhi - Romain Rolland - E-Book

Mahâtmâ Gandhi E-Book

Romain Rolland

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Beschreibung

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Cette magnifique biographie partielle du père du mouvement indépendantiste de l’Inde, le Mahâtmâ Gandhi fut écrite en 1922 juste après son arrestation, soit au plus prés des événements politiques qui bouleversèrent son pays. Elle est suivie d’une postface écrite en 1924 et complétée en 1926 qui décrit la libération de Gandhi. Romain Rolland, lauréat du prix Nobel de littérature en 1915, animé de son idéal humaniste, s’attache à décrire au mieux ce grand personnage historique et son mouvement politique de non-violence. Il contribuera, avec cette oeuvre, à faire découvrir cet homme au destin extraordinaire à ses contemporains européens.

TEXTE INTÉGRAL AVEC 162 NOTES DYNAMIQUES.

EXTRAIT : « De tranquilles yeux sombres. Un petit homme débile, la face maigre, aux grandes oreilles écartées. Coiffé d’un bonnet blanc, vêtu d’étoffe blanche rude, les pieds nus. Il se nourrit de riz, de fruits, il ne boit que de l’eau, il couche sur le plancher, il dort peu, il travaille sans cesse. Son corps ne semble pas compter. Rien ne frappe en lui, d’abord, qu’une expression de grande patience et de grand amour. Pearson, qui le voit en 1913, au Sud-Afrique, pense à François d’Assise. »
 

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Mahâtmâ Gandhi

Romain Rolland

Alicia Éditions

À la terre de gloire et de servitude, des Empires d’un jour et des pensées éternelles,

Au peuple qui défie le Temps,

À l’Inde ressuscitée.

Pour l’anniversaire de la condamnation de son Messie.

(18 mars 1922).

Au début de cette étude, j’adresse mes remerciements affectueux à ma fidèle collaboratrice, ma sœur, et à mon ami Kalidâs Nâg, dont le grand savoir et l’infatigable obligeance ont guidé mes pas dans la forêt de la pensée hindoue.

Je remercie égaiement l’éditeur S. Ganesan, de Madras, qui a mis à ma disposition une grande partie de ses publications.

Table des matières

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Gandhi depuis sa libération

Bibliographie

Notes

Chapitre Un

LA GRANDE ÂME MAHÂTMÂ…1

l’Homme qui s’est fait un avec l’Être de l’univers.

De tranquilles yeux sombres. Un petit homme débile, la face maigre, aux grandes oreilles écartées. Coiffé d’un bonnet blanc, vêtu d’étoffe blanche rude, les pieds nus. Il se nourrit de riz, de fruits, il ne boit que de l’eau, il couche sur le plancher, il dort peu, il travaille sans cesse. Son corps ne semble pas compter. Rien ne frappe en lui, d’abord, qu’une expression de grande patience et de grand amour. Pearson, qui le voit en 1913, au Sud-Afrique, pense à François d’Assise. Il est simple comme un enfant2, doux et poli même avec ses adversaires3, d’une sincérité immaculée4. Il se juge avec modestie, scrupuleux au point de paraître hésiter et de dire : « Je me suis trompé » ; ne cache jamais ses erreurs, ne fait jamais de compromis, n’a aucune diplomatie, fuit l’effet oratoire, ou mieux n’y pense pas5 ; répugne aux manifestations populaires que sa personne déchaîne, et où sa chétive stature risquerait, certains jours, d’être écrasée, sans son ami Maulana Shaukat Ali, qui lui fait un rempart de son corps athlétique ; littéralement malade de la multitude qui l’adore6 ; au fond, ayant la méfiance du nombre et l’aversion de la Mobocracy, de la populace lâchée ; il ne se sent à l’aise que dans la minorité, et heureux que dans la solitude, écoutant la still small voice (la petite voix silencieuse), qui commande7…

Voici l’homme qui a soulevé trois cent millions d’hommes, ébranlé le British Empire, et inauguré dans la politique humaine le plus puissant mouvement depuis près de deux mille ans.

De son vrai nom, Mohandas Karamchand Gandhi. Il est né dans un petit État semi-indépendant, au nord-ouest de l’Inde, à Porbandar, la ville blanche, sur la mer d’Oman, le 2 octobre 1869. Race ardente, remuante, hier encore agitée par les guerres civiles. Race pratique, ayant le sens des affaires, et rayonnant pour son commerce d’Aden à Zanzibar. Son grand-père et son père furent tous deux premiers-ministres, tous deux disgraciés pour leur indépendance, forcés de fuir, et leur vie menacée. Il sortait d’un milieu riche, intelligent, cultivé, mais non de la caste supérieure. Ses parents appartenaient à l’école Jaïn de l’Hindouisme, dont un des grands principes est l’Ahimsâ8, qu’il devait victorieusement affirmer dans le monde.

Pour les Jaïnistes, l’amour plus que l’intelligence est la voie qui mène à Dieu. Le père du Mahâtmâ n’attachait aucun prix à l’argent, et en laissa peu aux siens, ayant presque tout dépensé en charités. La mère, sévèrement religieuse, était une Sainte Élisabeth hindoue, jeûnant, faisant l’aumône et veillant les malades. On lisait régulièrement le Râmâyana, dans la famille. Sa première éducation fut confiée à un Brahmane, qui lui faisait répéter les textes de Vishnu9. Mais plus tard, il s’est plaint de n’avoir jamais été grand clerc en sanscrit : une de ses rancunes contre l’éducation anglaise, qui lui fit perdre les trésors de sa langue. Il est cependant très instruit des Écritures hindoues ; mais il ne lit les Vedas et les Upanishads que dans des traductions10.

Il passa par une grave crise religieuse, tandis qu’il était encore à l’école. Par révolte contre l’hindouisme idolâtre et dégénéré, il fut — il crut être — pendant quelque temps un athée. Avec des camarades, il alla, dans son impiété, jusqu’à manger de la viande en cachette (le plus affreux des sacrilèges, pour un Hindou !) Il en faillit mourir d’horreur et de dégoût11.

Marié encore enfant12, il alla, à dix-neuf ans, compléter ses études en Angleterre, à l’Université de Londres et à l’École de Droit. Sa mère ne consentit à le laisser partir qu’après lui avoir fait prendre les trois vœux Jaïns qui obligent à l’abstention du vin, de la viande et des relations, sexuelles.

Il arriva à Londres, en septembre 1888. Après les premiers mois d’incertitude et de déceptions — il avait gaspillé naïvement beaucoup de temps et d’argent, pour devenir, dit-il, un gentleman anglais, — il s’astreignit à une vie stricte et à un travail sévère. Des amis lui firent connaître la Bible ; mais l’heure n’était pas encore venue pour lui de la comprendre. Il fut lassé par les premiers livres, et n’alla pas plus loin que l’Exode. Au contraire, ce fut à Londres qu’il découvrit la beauté de la Bhagavad Gîtâ. Il en fut enivré. Elle était la lumière dont avait besoin le petit Indien exilé. Elle lui rendit la foi. Il reconnut que « pour lui, le salut était possible seulement par la religion hindoue13 ».

Il retourna aux Indes, en 1891. Triste retour. Sa mère venait de mourir, et on lui avait caché la nouvelle. Il devint avocat à la Haute-Cour de Bombay. Quelques années plus tard, il devait renoncer à sa profession, qu’il jugea immorale. Même aux temps où il la remplit, il se réservait le droit d’abandonner une cause, quand l’injustice lui en apparaissait.

Déjà à cette époque, de grandes personnalités indiennes éveillaient en lui des pressentiments de sa mission future : « le roi sans couronne » de Bombay : le Parsi Dadabhai, et le professeur Gokhale, tous deux brûlant d’un religieux amour pour l’Inde : Gokhale, un des meilleurs hommes d’État de sa patrie, et des premiers à restaurer l’éducation indienne ; Dadabhai, fondateur du nationalisme indien (au témoignage de Gandhi)14 ; tous deux aussi, maîtres de sagesse et de douceur. Ce fut Dadabhai qui, contrôlant l’ardeur juvénile de Gandhi, lui donna en 1892 sa première leçon pratique de Ahimsâ dans la vie publique : la passivité héroïque, s’il est possible de joindre ces deux mots, l’élan passionné de l’âme qui résiste au mal, non par le mal, mais par l’amour. Nous reviendrons sur cette parole magique, sublime message que l’Inde adresse au monde.

C’est en 1893 que commence l’action indienne de Gandhi. Elle se divise en deux périodes. De 1893 à 1914, elle a pour champ l’Afrique du Sud. Depuis 1914, elle s’exerce sur l’Inde.

Que cette action de vingt ans au Sud-Afrique n’ait pas eu plus de retentissement en Europe, est une preuve de l’incroyable étroitesse d’horizon de nos hommes politiques, de nos historiens, de nos penseurs et de nos hommes de foi : car c’est une épopée de l’âme, sans égale en notre temps, non seulement par la puissance et la constance du sacrifice, mais par sa victoire finale.

En 1890-91 se trouvaient installés dans l’Afrique du Sud, principalement au Natal, 150.000 Indiens. L’afflux de ce peuple étranger provoqua dans la population blanche une xénophobie, que le gouvernement se chargea d’interpréter par des mesures d’ostracisme. Il voulut interdire l’immigration des Asiatiques, et forcer à partir ceux qui étaient établis dans le pays. Des persécutions systématiques leur rendirent la vie intolérable : taxes accablantes, humiliantes obligations de police, outrages publics, et bientôt lynchages, pillages et destructions, sous l’égide de la civilisation blanche.

En 1893, Gandhi arriva en Sud-Afrique, appelé à Pretoria pour plaider une cause importante. Il était dans l’ignorance complète de la situation des Indiens en Afrique. Dès ses premiers pas à Natal, mais surtout au Transvaal hollandais, il fit des expériences cruelles. Cet Hindou de haute race, qui avait toujours été bien traité en Angleterre et qui, jusque-là, considérait les Européens comme des amis, se trouva en butte aux plus grossières avanies, jeté à la porte des hôtels et des trains, insulté, souffleté, frappé à coups de pied. Il fût reparti sur-le-champ pour l’Inde, s’il n’avait eu un contrat qui le liait pour douze mois avec ses clients. Pendant ces douze mois, il apprit la maîtrise sur soi-même. Mais le terme venu, il avait hâte de repartir, quand il sut que le gouvernement préparait un projet de loi qui enlevait aux Indiens leurs dernières franchises. Les Indiens d’Afrique étaient sans forces pour lutter, sans volonté, inorganisés, démoralisés. Il leur fallait un chef, une âme. Gandhi se dévoua. Il resta.

Alors, s’ouvre la lutte épique d’une conscience contre la force de l’État et de la masse brutale. Encore avocat à cette époque, il commença par démontrer juridiquement l’illégalité de l’Acte d’exclusion asiatique ; et, contre la plus virulente opposition, il gagna sa cause, en droit, sinon en fait, devant l’opinion de Natal et de Londres. Il fait signer d’énormes pétitions, suscite le Congrès indien de Natal, forme une Association d’éducation indienne ; un peu plus tard, il fonde un journal, Indian Opinion, publié en anglais et en trois langues indiennes. Puis, voulant assurer à ses compatriotes un régime honorable en Afrique, afin de mieux les défendre, il se rend pareil à eux. Il avait à Johannesburg une clientèle lucrative15 : il l’abandonna pour épouser, comme François, la Pauvreté. Avec les Indiens misérables et persécutés, il fait vie commune ; il partage leurs épreuves, et il les sanctifie : car il leur impose la loi de Non-Résistance. Il crée, en 1904, à Phœnix, près de Durban, une colonie agricole, sur les plans de Tolstoy, qu’il admirait16. Il y rassemble les Indiens, leur fournit des terrains, et leur fait prendre le vœu solennel de pauvreté. Lui-même se charge des tâches les plus serviles. Là, pendant des années, ce peuple silencieux résiste au gouvernement. Il s’est retiré des villes ; la vie industrielle du pays en est paralysée. C’est une grève religieuse, contre laquelle toute violence se brise, comme celle de la Rome impériale contre les premiers Chrétiens. Mais bien peu de ces chrétiens auraient porté la doctrine de pardon et d’amour jusqu’au point de venir, comme Gandhi, au secours de leurs persécuteurs menacés. Chaque fois que l’État du Sud-Afrique se trouva aux prises avec de graves dangers, Gandhi suspendit la non-participation des Indiens aux services publics, et offrit aussitôt son aide. En 1899, pendant la guerre des Boers, il forma une Croix-Rouge indienne, qui fut deux fois citée à l’ordre du jour, avec éloges pour sa bravoure sous le feu. En 1904, la peste éclata à Johannesburg : Gandhi organisa un hôpital. En 1906, les indigènes se soulevèrent au Natal : Gandhi prit part à la guerre, à la tête d’un corps de brancardiers, et le gouvernement de Natal l’en remercia publiquement.

Ces services chevaleresques ne désarmaient pas la fureur xénophobe. Jeté en prison à diverses reprises17 — (et même peu après les remerciements officiels pour la guerre du Natal) — condamné à la réclusion et aux travaux forcés, bâtonné par la populace furieuse18, une fois laissé pour mort, Gandhi connut toutes les souffrances et toutes les humiliations. Rien n’altéra sa foi. Elle grandit par l’épreuve. C’est en 1908 qu’il écrivit, en réponse à l’école de la violence dans l’Afrique du Sud, son fameux petit livre : Hind Swarâj (Home Rule Indien), l’Évangile de l’amour héroïque19.

La lutte se maintint pendant vingt ans, et elle atteignit son maximum d’âpreté entre 1907 et 1914. Le gouvernement du Sud-Afrique avait fait passer précipitamment un nouvel Acte asiatique, malgré l’opposition des Anglais éclairés. Alors, Gandhi organisa la Non-Résistance, dans toute son ampleur. En septembre 1906, à Johannesburg, fut prêté solennellement par les Indiens réunis le serment de « Résistance passive ». Tous les Asiatiques, de toute race, de toute caste, de toute religion, riches et pauvres, y apportèrent la même abnégation ; les Chinois d’Afrique s’unirent étroitement aux Indiens. On les emprisonna par milliers ; faute de prisons assez grandes, on les enferma dans les mines. Mais la prison semblait exercer un attrait sur eux. Le général Smuts, qui les persécutait, leur avait donné le nom de Conscientious Objectors. Gandhi fut incarcéré trois fois20. Il y eut des morts, des martyrs. Le mouvement grandit. En 1913, il s’étendit du Transvaal au Natal. De formidables grèves, des meetings passionnés, une marche en masse des Indiens à travers le Transvaal, surexcitèrent l’opinion en Afrique et en Asie. L’indignation gagna l’Inde, et le vice-roi, lord Harding, s’en fit lui-même, à Madras, l’interprète retentissant.

L’indomptable ténacité et la magie de la grande âme opéraient : la force plia les genoux devant l’héroïque douceur21. Le plus acharné contre la cause indienne, le général Smuts qui, en 1909, déclarait qu’il n’effacerait jamais du Livre des Statuts une mesure injurieuse pour les Indiens, s’avoua, cinq ans après, heureux de la faire disparaître22. Une Commission impériale donna raison à Gandhi sur presque tous les points. En 1914, un Acte supprima l’impôt de trois livres, et accorda la liberté de résidence dans le Natal à tous les Indiens qui voulaient y rester comme travailleurs libres. Après vingt ans de sacrifices, la Non-Résistance avait vaincu.

Gandhi retourna dans l’Inde, avec le prestige d’un chef.

Le mouvement d’indépendance nationale s’y annonçait, depuis le commencement du siècle. Une trentaine d’années avant, le Congrès National Indien avait été fondé par quelques Anglais intelligents : A. O. Hume, sir William Wedderburn, libéraux victoriens, qui longtemps lui avaient maintenu un caractère loyaliste, tâchant de concilier les intérêts de l’Inde avec la souveraineté anglaise. La victoire du Japon sur la Russie réveilla l’orgueil asiatique, et les provocations de lord Curzon blessèrent les patriotes indiens. Au sein du Congrès se forma un parti extrémiste, dont le nationalisme agressif trouva des échos dans le pays. Pourtant, le vieux parti constitutionnel resta, jusqu’à la guerre mondiale, sous l’influence de J. H. Gokhale, sincèrement patriote, mais fidèle à l’Angleterre et le sentiment national, qui dès lors pénétrait cette Assemblée des représentants de l’Inde, les acheminait tous vers la revendication d’un Home Rule (Swarâj), sur le sens duquel ils n’étaient pas d’accord : ceux-ci, s’accommodant de la coopération anglaise, ceux-là voulant chasser de l’Inde les Européens ; les uns prenant modèle sur le Canada et l’Afrique du Sud, les autres sur le Japon. Gandhi apportait sa solution, moins politique que religieuse, plus radicale au fond que toutes les autres (Hind Swarâj). Il lui manquait, pour l’adapter aux réalités pratiques, une connaissance exacte du milieu : car, si sa longue mission au Sud-Afrique lui avait été une expérience prodigieuse de l’âme hindoue et de l’arme irrésistible de l’Ahimsâ, il était resté vingt-trois ans éloigné de son pays. Il se recueillit et observa23.

Il était encore si loin de songer à la révolte contre l’Empire que, lorsque la guerre éclata, en 1914, il se rendit en Angleterre, pour y lever un corps d’ambulanciers. « Il croyait honnêtement (écrit-il en 1921) qu’il était citoyen de l’Empire. » Il le rappellera, maintes fois, dans ses lettres de 1920 à tous les Anglais de l’Inde : « Chers amis, nul Anglais n’a coopéré plus étroitement que moi à l’Empire, pendant vingt-neuf ans d’activité publique. J’ai mis ma vie quatre fois en danger pour l’Angleterre… Jusqu’en 1919, j’ai parlé pour la coopération, avec une conviction sincère… »

Il n’était pas le seul. L’Inde entière s’était laissée prendre, en 1914, à l’idéalisme hypocrite de la guerre du Droit. En sollicitant son concours, le gouvernement anglais avait fait miroiter à ses yeux de grandes espérances. Ce Home Rule, tant désiré, était présenté comme un des enjeux de la guerre. En août 1917, l’intelligent secrétaire d’État pour l’Inde, E. S. Montagu, promit à l’Inde un gouvernement responsable ; une consultation de l’Inde eut lieu, et en juillet 1918, le vice-roi, lord Chelmsford, signait avec Montagu un rapport officiel sur la réforme constitutionnelle. Le danger était grand pour les armées alliées, en ces premiers mois de 1918. Lloyd George avait, le 2 avril, adressé un Appel au peuple de l’Inde ; et la Conférence de guerre, réunie à Delhi à la fin du même mois, laissa entendre que l’indépendance de l’Inde était proche. Aussi, l’Inde répondit-elle en masse, et Gandhi, une fois de plus, prêta à l’Angleterre l’aide de sa loyauté. L’Inde fournit 985.000 hommes ; elle fit d’immenses sacrifices. Et elle attendit, confiante, le prix de sa fidélité.

Le réveil fut terrible. Vers la fin de l’année, le danger était passé ; passée aussi la mémoire des services rendus. L’armistice conclu, le Gouvernement ne se donna plus la peine de feindre. Bien loin d’accorder des libertés à l’Inde, il suspendit celles qui existaient. Les Bills Rowlatt, présentés au Conseil Impérial Législatif de Delhi, en février 1919, témoignèrent d’une injurieuse méfiance pour le pays qui venait de donner tant de gages de son loyalisme ; ils perpétuaient les dispositions de l’Acte de Défense de l’Inde pendant la guerre, rétablissant la police secrète, la censure, toutes les tracasseries tyranniques d’un véritable état de siège.

Ce fut, dans l’Inde déçue, un sursaut indigné. La révolte commença24. Gandhi l’organisa.

Il s’était cantonné, pendant les années précédentes, dans les réformes sociales, s’occupant surtout d’améliorer la condition des travailleurs agricoles. Et, sans qu’on y eût pris garde, il avait fait, dans les troubles agraires de 1918, à Kaira dans le Gujerat, à Champaran dans le Behar, l’essai victorieux de l’arme formidable qu’il allait bientôt employer aux luttes nationales : cette Non-résistance passionnée, qui lui est propre, et que nous étudierons plus loin, sous le nom qu’il lui a donné de Satyâgraha.