Romain Rolland, sa vie, son oeuvre - Romain Rolland - E-Book

Romain Rolland, sa vie, son oeuvre E-Book

Romain Rolland

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Beschreibung

"Romain Rolland, sa vie, son oeuvre" de Jean Bonnerot est une biographie exhaustive qui plonge dans la vie et les contributions littéraires de Romain Rolland, une figure majeure de la littérature française. À travers une narration détaillée et bien documentée, Bonnerot offre une analyse approfondie de l'évolution personnelle et professionnelle de Rolland. Jean Bonnerot commence par explorer les origines et l'enfance de Romain Rolland, né en 1866 à Clamecy, dans une famille de juristes. Bonnerot décrit comment son éducation et son environnement familial ont influencé ses premières aspirations littéraires et intellectuelles. Dès son jeune âge, Rolland a montré un intérêt marqué pour la musique et la littérature, deux thèmes récurrents dans son oeuvre. Le livre retrace ensuite le parcours académique de Rolland, en soulignant son passage à l'École normale supérieure et son séjour en Italie, qui ont joué un rôle crucial dans la formation de sa pensée et de son esthétique littéraire. Bonnerot analyse les premières oeuvres de Rolland, notamment ses pièces de théâtre et ses essais, en mettant en lumière leur réception critique et leur impact culturel.

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TABLE DES MATIÈRES

____________

Sa famille et son enfance à Clamecg

Années de collège et de lycée

À l’École Normale, 1886-1889. — L’influence de Tolstoï sur Romain Rolland

À l’École de Rome, 1889-1891. — L’influence de M

lle

Malwida de Meysenbug

Ses premiers essais dramatiques, 1898-1902 :

Saint-Louis, Aërt, Les Loups

Le Théâtre du

Peuple

Les vies des hommes illustres:

Beethoven

et

Michel-Ange

R. Rolland professeur, critique et historien musical

Jean-Christophe

(

1904-1912)

Jean-Christophe

et le grand prix de littérature à l’Académie Française (1913)

Retour à la musique :

Haendel

et l’

Encyclopédie de la Musique

Colas Breugnon,

1914

Pendant la guerre :

Au-dessus de la Mêlée

(1915), les

Précurseurs

(1919). Le Prix Nobel

Liluli

(

1919),

Empédocle d’Agrigente

(1918),

Pierre et Luce

(1918

)

Clérambault,

1920

L’œuvre de R. Rolland. Son style et son influence

Un visage pâle et maigre d’ascète et de rêveur ; moustache blonde et courte ; cheveux grisonnants bien lissés ; deux grands yeux gris bleu, deux éclairs, deux rayons vivants animent et illuminent l’ovale allongé de cette figure souffrante, d’un abord si réservé qu’il en devient timide ; gauche de gestes, parce qu’il ne se sent pas à son aise devant un visiteur ; parlant d’une voix fine et frêle qui, parfois, s’enfièvre, s’emporte pour affirmer une vérité, tel est Romain Rolland.

Son portrait n’a jamais été exposé aux vitrines des libraires entre la photographie d’une chanteuse de l’Opéra et d’un ministre. Lui-même, quand il vivait à Paris, n’était pas un habitué des vernissages ou des premières. Et seuls se rappellent peut-être sa silhouette, ceux qui ont suivi ses cours d’histoire de la musique en Sorbonne ou à l’École des Hautes Études Sociales, ou qui l'ont aperçu certains jeudis, dans la petite boutique des Cahiers de la Quinzaine, entre Charles Péguy, les frères Tharaud, Daniel Halévy ou Georges Sorel.

Mais ses livres sont universellement connus. L'Aube, en France, a atteint 115 éditions, et tous les autres volumes de Jean-Christophe ont dépassé 50 éditions. Des traductions anglaises, allemandes, espagnoles, hollandaises, italiennes, danoises, polonaises, russes et suédoises attestent depuis longtemps sa renommée dans le monde. On peut aimer ou ne pas aimer son œuvre, mais on ne peut pas plus la négliger qu’on ne peut ignorer sa vie qui en est l’âme et la raison d’être. L’une explique l’autre et la contient. C’est pour faire connaître celle-ci et celle-là que ces pages ont été écrites.

Il y a d’autres livres sur R. Rolland, plus compacts, plus touffus : défenseurs ardents et détracteurs passionnés se sont multipliés. On ne trouvera ici ni une apologie ni un réquisitoire, mais des faits contrôlés, des textes précis, avec leurs références, des dates exactes. R. Rolland est un historien, non pas un de ces « scribes nés notaires et avoués de l’État, préposés à la garde de ses chartes, de ses titres et procès, et armés jusqu’aux dents pour les chicanes futures », dont il est question dans Clérambault (page 105), mais un homme de bonne foi, respectueux des textes et de la chronologie : c’était bien le moins qu’une fois on consentît à parler de R. Rolland comme doit le faire un historien. Rien ne sera avancé qui ne trouve ici sa preuve — ou qui ne puisse être immédiatement contrôlé. À cet effet, une bibliographie a été jointe, qui indique, outre les titres des articles et ouvrages de R. Rolland, les principaux articles de revues et de journaux publiés sur lui et son œuvre — articles amis ou ennemis ; la bibliographie n’a pas à choisir, mais à recueillir et à classer pour aider le travail des historiens. Les références seront aussi exactes et claires que possible ; ce n’est pas une simple liste faite à coup de ciseaux au hasard des catalogues. Certes tous les articles de revues et de journaux n’y figurent pas. Il faut bien laisser au critique le soin de découvrir à défaut d’erreur, quelque léger oubli — et lui permettre d’exercer sans encombre son métier.

Sa famille et son enfance à Clamecy

Romain Rolland est issu d’une de ces vieilles familles françaises « qui, depuis des siècles, restent fixées au même coin de province et pures de tout alliage étranger » (Antoinette, p. 7).[1] Son arrière-grand-père paternel, d’origine franc-comtoise, J.-B. Boniard, fut un ardent révolutionnaire, « un des douze Apôtres de la Raison », institués par Bias Parent dans la Nièvre. Il écrivit beaucoup comme Olivier (Antoinette, p. 23), c’était presque une manie, un besoin séculaire d’écrire, chaque jour jusqu’à sa mort, avec une patience simple et presque héroïque, « des notes détaillées, de ce qu’il avait lu, dit, fait, entendu, mangé et bu ». C’était, pour lui, des notes que personne ne devait lire, et que lui-même ne relirait jamais. Presque toutes les pages de cet immense journal ont été brûlées après la Révolution et Romain Rolland l’a déploré[2] souvent. « Les parents brûlent par honte, pour faire disparaître toute trace... mais ceux qui accomplissent ces pieuses destructions ne se doutent pas qu’ils brûlaient en bien des cas leurs meilleurs titres de gloire ». Quelques fragments épars, échappés à la ruine, se rapportent aux événements du 14 juillet 1789, et Romain Rolland s’en inspirera, plus tard avec émotion, lorsqu’il écrira son drame sur la glorieuse journée populaire. — Du côté maternel ce sont, Bourguignons ou Nivernais, des magistrats ou des gens de robe : une tradition familiale rapportait même que des liens de parenté les unissaient avec les Lamoignon. — Du côté paternel, une génération de notaires nivernais.

Vous vous rappelez le paysage : ce petit pays du centre de la France, « pays plat et humide », où vivaient Antoinette et Olivier Jeannin, les amis de Jean-Christophe, et vous revoyez la « petite ville endormie, qui mire son visage ennuyé dans l'eau trouble d’un canal immobile ; autour champs monotones, terres labourées, prairies, petits cours d’eau, grands bois... Nul site, nul monument, nul souvenir. Rien n’est fait pour attirer, tout est fait pour retenir » (Antoinette, p. 8). C’est là-bas dans le Nivernais, Clamecy la « Bruges bourguignonnes »[3] qui, sur le flanc de la colline où s’endort et rêve son passé, reflète, dans le double miroir où s’unissent les eaux de l’Yonne et du Beuvron, les clochers anciens de ses églises, ses rues tortueuses en cascade et ses maisons basses aux tuiles dérougies par le temps. Ville frondeuse, aux confins de deux régions délimitées par la nature et fixées par l’histoire : Bourgogne et Morvand, elle dépend des comtes et des ducs de Nevers jusqu’au jour où Jean Rouvet, un homme de génie, créant et organisant, au XVIe siècle, le flottage régulier des bûches de bois, lui donne le goût et l’amour de la liberté. Et les premières grèves de France sont peut-être celles des ouvriers flotteurs clamecycois, groupés près du vieux pont de Bethléem, où se tient, protecteur de leurs droits, le buste de Rouvet, par David d’Angers. En remontant vers la ville haute, on rencontre le monument (élevé en 1905) d’un autre Nivernais, Claude Tillier, le pamphlétaire et l’illustre romancier de Mon Oncle Benjamin.

Jean Rouvet et Claude Tillier furent les compatriotes de Romain Rolland : s’il ne les a pas connus, il est un peu leur descendant et leur héritier, et les cloches de l’église Saint-Martin, qui chantent, amicales et un peu tristes à l’aube de Christophe, sont les mêmes qui ont bercé leur enfance lointaine. « Des siècles de souvenirs vibrent dans cette musique. » (l'Aube, p. 27). Les derniers battements du bronze tintaient encore des offices du dimanche, lorsque s’éveilla à la vie, dans la maison de maître Rolland, notaire à Clamecy, le lundi 29 janvier 1866,[4] le tout petit enfant, auquel on donna les prénoms de Romain-Edme-Paul-Émile.

C’était un blondin délicat et de petite taille ; Olivier Jeannin ne lui ressemble-t-il pas comme un frère ? (Antoinette, p. 13). « Sa santé avait été gravement éprouvée par des maladies continuelles pendant son enfance ; et bien qu’il en eut été d’autant plus choyé par tous les siens, sa faiblesse physique l’avait rendu de bonne heure un petit garçon mélancolique, rêvasseur, qui avait peur de la mort et qui était très mal armé pour la vie... » Mais la vie ne le changera pas : devenu homme, il restera « doux, poli, patient en apparence, mais d’une sensibilité excessive » (Dans la Maison, p. 43) ; « une parole un peu vive le blesse, une injustice le bouleverse ; il en souffre pour lui et pour les autres. »

Près de lui veillait une sœur aînée, dont Antoinette semble, parfois, l’image douce et gracieuse.

Si Olivier ressemble beaucoup à Romain Rolland, si tel épisode est un souvenir d’enfance de l’auteur, si telle silhouette ou tel paysage rappelle une figure amie ou un décor familier, il serait imprudent et inexact d’en conclure que les dix volumes de Jean-Christophe sont une confession ou une autobiographie. Olivier et Jean Christophe, si différents qu’ils paraissent l’un de l’autre, sont à des degrés divers et transposés, idéalisés, par le rêve, le portrait de Romain Rolland : l’un plus intellectuel, timide à l’excès, mais plus réfléchi, c’est Olivier ; — l’autre, brutal et intransigeant, est le héros cher à l’auteur et créé par lui, afin de lui représenter toujours l’homme qu’il voudrait être. Un léger brouillard d’automne enveloppe le décor et voile les visages pour qu’on ne reconnaisse pas nettement les choses et les gens ; tout se fond dans une grisaille lointaine.

Années de collège et de lycée

C’est au collège de Clamecy que Romain Rolland, un peu après la guerre de 1870, commença ses études et les poursuivit jusqu’à la rhétorique; l’École Polytechnique, à laquelle le destinaient ses parents, ne lui plaisait point ; mathématiques et sciences exactes se heurtaient à son impérieux besoin de rêve, de légende et de foi. Seule la musique lui semblait le refuge et le bienheureux abri ; il ne pouvait point s’en passer, il l’aimait; il voulait lui consacrer tous ses instants; il l’appellait « le chant des siècles et la fleur de l’histoire » (Musiciens d'autrefois, p. 9) et disait que c’était « un aliment aussi indispensable à la vie que le pain » (Introd. à une lettre de Tolstoï, p. 1). Sa douce mère, excellente musicienne, avait été son premier maître.

Son amour et sa reconnaissance pour elle ne feront que grandir avec les années, jusqu’à ce mois de mai 1919 où il vint à Paris dire adieu à sa mère mourante : tous ses beaux souvenirs d’enfance, hier encore vivants, étaient du même coup rejetés dans le passé. Il n’avait que cinq ou six ans quand elle lui fit poser ses petits doigts sur les touches d’ivoire, et, lui donnant sa première leçon, entr’ouvrit à son âme candide un monde immense de joies. Puis ce furent les morceaux joués à quatre mains avec sa sœur, les partitions déchiffrées dans le silence du salon. Heureux temps qu’il évoquera plus tard avec piété. « Tout est musique pour un cœur musicien. Tout ce qui vibre et se meut et s’agite et palpite, les jours d’été ensoleillés, les nuits où le vent siffle, la lumière qui coule, le scintillement des astres, les orages, les chants d’oiseaux, les bourdonnements d’insectes, les frémissements des arbres, les voix aimées ou détestées, les bruits familiers du foyer, de la porte qui grince, du sang qui gonfle les artères dans le silence de la nuit, — tout ce qui est, est musique ; il ne s’agit que de l’entendre ». (L'Aube, p. 136).

Éducation musicale encore bien imparfaite dont les romances, les airs italiens, quelques morceaux de Weber et de Mozart firent longtemps tous les frais. Il souhaitait de la compléter ; de courir les concerts vivants des grandes villes, et de « sentir couler dans son cœur les flots de bonté, de lumière et de force qui ruisselaient des grandes âmes de Beethoven et de Wagner. » Se consacrer, s’abandonner tout entier à la musique était son rêve. Les années passaient. Il fallait prendre une décision ; ses parents choisirent l’École Normale : concours difficile dont la préparation exigeait au moins deux ou trois années dans un lycée de Paris. C’est ainsi que toute la famille vint, à la fin de l’année 1882, s’installer dans la capitale, à quelques pas de ce jardin du Luxembourg, si cher à Jean-Christophe (Dans la Maison, p. 35). Le père abandonna son étude, sans hésitation mais sans souffrance, et, fidèle à son fils et à son foyer, se relégua, s’exila volontairement dans une vie de bureau quotidienne, ingrate et médiocre. Il dit adieu à sa ville « que l’Yonne paresseuse et le Beuvron baguenaudant ceignent de leurs rubans » (Colas Breugnon, p. 17), et aux paysages familiers, peuplés de cliers souvenirs et tout pleins de son enfance : clochers de Basseville, coteau de Vézelay où pointe la Madeleine, chemins silencieux qui vont droit, sans se presser. Il renonçait au bon air du Morvand pour les brumes empestées de Paris ; il quittait amis, parents. Il ne discuta pas ses préférences : son fils entrait comme externe en rhétorique, 3e division, au lycée Louis-le-Grand, le 28 novembre 1882, et, sans doute, aurait besoin de son conseil, de son amitié, de sa présence : il l’accompagna.

Trois rhétoriques successives, pendant lesquelles il eut comme professeurs MM. Bernage et Gaspard en lettres et M. Lemoine en histoire, et comme camarades Victor Bérard, Paul Gavault, Paul Claudel, Émile Reibell en 1883, Raoul Barthe, F. Strowski, Léon Civry en 1884 et 1885 — et une philosophie en 1885-86 avec M. Charpenier. Son meilleur camarade, et bientôt son ami, était déjà Félix Suarès, pensionnaire à la maison voisine de Sainte-Barbe. Wagner et Stendhal, romantisme et musique, mysticisme et libéralisme étaient les thèmes infinis de longues discussions après la classe. Tous deux cherchaient, étouffant à l’étroit, « dans un monde moral ennemi ». Le 17 juillet 1886, il eut la joie de lire son nom sur la liste d’admissibilité à l’École Normale : détail amusant, un homonyme, Joseph-Paul Rolland, voisinait près de lui dans l’ordre alphabétique. L’oral eut lieu. Il fut enfin reçu le 10e, le 4 août 1886, tandis que Colardeau, Barthe et Suarès, ses condisciples de Louisle-Grand, étaient les trois premiers de la promotion.[5]

À l’École Normale (1886-1889). — L’influence de Tolstoï sur R. Rolland,

Ainsi sa vie s’orientait définitivement ; il avait l’espoir maintenant de revenir un jour à la musique, qui avait été son « Paradis », en passant par la littérature. Il connut à l’École le biologiste Le Dantec, l’orientaliste Foucher, le sinologue Chavannes, les géographes Raveneau, Dalmeyda, Ardaillon, Lorin, le poète Henri Ronger, les philosophes Georges Dumas, Lalande, Mélinand, les archéologues Gauckler, Bertaux, Toutain, le voyageur Émile Gautier. Ses trois années (1886-1889) vont être décisives. Il enrichit ses connaissances, il cultive sa pensée, il perfectionne son esprit. La philosophie et la littérature le tentèrent d’abord ; mais ses professeurs, Brunetière et Boissier, Ollé-Laprune et Brochard, ne surent pas le retenir près d’eux, et, dès la seconde année (1887-88), il choisit la section d’histoire et de géographie. Sous la direction très sûre de Paul Guiraud, — disciple de Fustel de Coulanges, — de Gabriel Monod et de Vidal de La Blache, il se créa très vite une discipline, une méthode, une personnalité ; l’érudition sévère et prudente lui apprit l’art de dépouiller les faits comme des classements d’archives, de déchiffrer les vies comme des textes toujours inédits, l’art de les assembler, de les coordonner et d’en faire jaillir, comme un éclair vivant au frottis de deux silex, une œuvre humaine. Une troisième année le conduisait à l’agrégation d’histoire et de géographie ; il était reçu 9e sur 14, le 31 août 1889.

Evénements universitaires sans grande importance, si on les compare aux « découvertes » que R. Rolland vient de faire au cours de ces trois années. Dégoûté de l’idéalisme officiel et fade que ses premiers professeurs avaient voulu lui inculquer, passionnément épris de vie et de vérité, ennemi des illusions quelles qu’elles soient, et des discussions oiseuses qui sont de faux jeux d’esprit, inquiet, cherchant une foi sûre pour asseoir son œuvre d’homme, seul, sans guide, sans ami, sans maître « dans le désert infini de sa pensée », R. Rolland trouva les deux chefs qui devaient lui montrer le chemin.

Années d’affaissement et d’angoisse que R. Rolland, dialoguant avec Jean- Christophe (« Dialogue de l’auteur avec son ombre » au début de la Foire sur la Place, p. xxv) ne manquera pas d’évoquer avec une certaine tristesse. « Combien nous avons souffert, et tant d’autres avec nous, quand nous voyions s’amasser chaque jour autour de nous une atmosphère plus lourde, un art corrompu, une politique immorale et cynique, une pensée veule s’abandonnant au souffle du néant avec un rire satisfait... Nous étions là, nous serrant l’un contre l’autre angoissés, respirant à peine... Ah ! nous avons passé de dures années ensemble. Ils ne s’en doutent pas nos maîtres des affres où notre jeunesse s’est débattue sous leur ombre. »

Plus douloureux est le cri qu’il jette aux premières pages de son Beethoven (p. 3, éd. des Cahiers) et dont l’écho, lointain comme un appel au fond des bois, résonne tristement à l’aube du xxe siècle : « L’air est lourd autour de nous. La vieille Europe s’engourdit dans une atmosphère pesante et viciée. Un matérialisme sans grandeur pèse sur la pensée et entrave l’action des gouvernements et des individus. Le monde meurt d’asphyxie dans son égoïsme prudent et vil. Le monde étouffe. »