Malaise sur la Côte Lorientaise - Marie Vaillant - E-Book

Malaise sur la Côte Lorientaise E-Book

Marie Vaillant

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Beschreibung

L'amour et l'argent peuvent rendre capable de tout, même du pire...

À Quimperlé comme à Lorient, la vie s’écoule paisiblement. Trop, au goût de ces quelques notables qui se réunissent pour des orgies aux dépens de jeunes filles naïves. L’une d’elles, Lise, meurt. Accident ? Homicide volontaire ? En tout cas, pour Jo qui lui vouait un amour fou, la vie va basculer…

Deux ans après, alors que le temps semble avoir effacé ce sombre souvenir, survient une succession de meurtres. Certes, le criminel semble particulièrement retors, mais saura-t-il échapper à l’équipe aguerrie d’OPJ, Aubain et Voirin, secondée par de fins limiers, les inséparables Fanch et Antoine, et leur auxiliaire Paotr à la truffe duquel rien n’échappe ?

Marie Vaillant nous invite à suivre l'enquête endiablée de l'équipe d'OPJ sur le terrain des fraudes, de la prostitution et des meurtres

EXTRAIT

« La valeur n’attend pas le nombre des années », disait Corneille.
Bien que très jeune encore, Nicole disposait déjà d’un ensemble de valeurs très prometteuses, hélas non cotées en bourse, mais clairement soutenues par ses talents de femme d’affaires. Douteuses cependant, les affaires. Elle assurait avec discrétion le rôle d’entremetteuse dans des soirées du « demi-monde » lorientais.

Au départ, ce ne fut pas le fait d’une irrésistible vocation, seulement le résultat d’une pressante nécessité de s’assurer un salaire. Nicole avait honnêtement obtenu son bac, tout au moins, nul n’en avait médit ; les vacances étaient depuis longtemps terminées, et aucun des commerces sollicités sur la place de Quimperlé n’avait répondu favorablement à sa demande d’emploi. Ceux de Lorient ne s’étaient pas montrés plus accueillants.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Marie Vaillant est née et a grandi à Quimper. Peintre et sculpteur, elle a exposé à Pont-aven. Elle a aussi créé et posé un calvaire à la pointe de Bellangenet, en Clohars-Carnoët. À Tahiti, elle a travaillé la pierre locale pour l’évêché de Papeete. Voici quelques années, elle a troqué le ciseau du sculpteur pour la plume de la romancière pour signer ici son quatrième roman à suspense : Malaise sur la côte lorientaise.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Ce roman se déroule en 1979, dans l’ancien Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, désormais désaffecté. Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« La conscience n’empêchejamais de commettre un péché.Elle empêche seulement d’en jouir en paix. »

Théodore Dreiser

Je salue ici les nouveaux lecteurs qui, avec moi, se lancent dans l’aventure, et ceux qui, déjà avertis, m’honorent de leur fidélité.

I

« La valeur n’attend pas le nombre des années », disait Corneille.

Bien que très jeune encore, Nicole disposait déjà d’un ensemble de valeurs très prometteuses, hélas non cotées en bourse, mais clairement soutenues par ses talents de femme d’affaires.

Douteuses cependant, les affaires.

Elle assurait avec discrétion le rôle d’entremetteuse dans des soirées du “demi-monde” lorientais.

Au départ, ce ne fut pas le fait d’une irrésistible vocation, seulement le résultat d’une pressante nécessité de s’assurer un salaire. Nicole avait honnêtement obtenu son bac, tout au moins, nul n’en avait médit ; les vacances étaient depuis longtemps terminées, et aucun des commerces sollicités sur la place de Quimperlé n’avait répondu favorablement à sa demande d’emploi. Ceux de Lorient ne s’étaient pas montrés plus accueillants.

Sa présentation n’était certainement pas en cause à moins que ses atouts, un peu trop... évidents, n’aient brutalement réveillé les jalousies corporatives. Dès lors, l’éventail de ses possibilités de carrière commerciale se resserra dramatiquement. Chacun sait que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.

Elle peut aussi le vendre.

Il serait exagéré de prétendre que la jeune personne fit une étude de marché avant de franchir le pas. Elle se contenta de tester le produit sur un public choisi d’amateurs aisés.

Les résultats financiers dépassèrent largement ses espérances.

Sa clientèle se constitua bientôt d’un nombre défini et sagement limité de fidèles habitués. Elle était composée de messieurs de la bonne société en proie au doute sur la fiabilité de leur outillage et qui ressentaient le désir, sinon le besoin, de stimuler une libido sur le déclin.

Ces messieurs étaient avides de tendre chair fraîche que Nicole se faisait un jeu de leur fournir en faisant appel à un jeune personnel intérimaire.

Il y avait, dans le cercle de ses amis actionnaires, un certain Marc Autret, issu des couches populaires moyennes et dont les parents s’étaient saignés aux quatre veines pour lui offrir des études de qualité dans un lycée catholique de Quimper.

Il y avait noué quelques relations plus ou moins amicales avec des jeunes de son âge et en avait cultivé certaines, aujourd’hui fort utiles.

Il en était ainsi de Kaoziou*, depuis devenu évêque, qui l’avait introduit dans les milieux bourgeois de la ville de Lorient et à qui il vouait une certaine reconnaissance. L’évêque appartenait à une vieille famille morbihannaise de propriétaires terriens dont les biens immobiliers avaient fondu comme les neiges d’aujourd’hui au pôle Nord. Il n’en restait guère, au centre du vieux Faouët, qu’une vieille bâtisse en pierre de taille ayant toujours la fière allure d’une châtelaine, sous la voilette de lierre qui lui masquait la façade.

Marc Autret était un observateur attentif du fonctionnement des sociétés humaines. Il avait très vite identifié l’énergie qui en actionnait le moteur : sexe et argent.

Il était intelligent, ambitieux et rigoureusement amoral.

Il s’intéressa aux activités de Nicole et la plaça très vite sous son patronage.

Lorsque la jeune femme se faufila dans son cercle de relations sous l’évocateur sobriquet de Ninon, il était déjà à la tête d’une petite entreprise de construction pavillonnaire haut de gamme.

Il était aussi l’heureux propriétaire de l’une des plus belles résidences des abords de l’étang du Ter, proche de la ville de Lorient. Il en avait confié la construction à sa propre entreprise, ce qui, en principe, le mettait à l’abri de toute malfaçon. Dès l’achèvement des travaux, gros œuvre, finitions et décoration, il s’en montra suffisamment satisfait pour s’en servir comme référence publicitaire pour ses affaires puis, l’imagination ne lui ayant jamais fait défaut, il l’utilisa aussi et plus particulièrement selon sa vocation première, comme maison de plaisance, au sens strict du terme. Cela faisait à présent quelques années qu’ensemble, Ninon et lui, y organisaient périodiquement des parties fines dont la finalité était de distraire ses amis et relations d’affaires. Nicole était tout aussi entreprenante et inventive que le promoteur ; elle sous-traitait la partie prestations de services et recrutait le “personnel” féminin dans le petit monde lycéen dans lequel elle s’immisçait à la faveur de son jeune âge.

Elle invitait pour chaque occasion – le diable seul sait avec quels arguments – quelques jeunes filles souvent mineures, mais toujours jolies, des quartiers ouvriers de banlieue.

Sans doute ces demoiselles étaient-elles réellement naïves car, ce soir-là, et sans plus s’en étonner, celles qui furent sélectionnées par Nicole se laissèrent convier à une soirée qualifiée par leur hôtesse de réception mondaine. Elles ne s’informèrent ni de l’adresse, ni du nom, ni de la raison sociale de leur hôte et n’en parlèrent à personne.

Ninon leur promettait la soirée de leur vie, ce en quoi elle ne mentait pas. Quoi de plus tentant pour ces gamines ?

Elles s’étaient toutes pomponnées et maquillées avec soin en vue de l’événement et, bien évidemment, elles étaient toutes en beauté lorsqu’elles suivirent Nicole vers le gros 4x4 de location avec chauffeur qui les attendait, en face de la mairie de Lorient.

La soirée dont il est question, fut cependant marquée d’un incident qui devait avoir des suites très regrettables.

— Si vous êtes gentilles et si vous savez vous y prendre, vous pourrez facilement vous faire un bon paquet d’argent, leur déclara d’entrée de jeu l’hôtesse.

Dès lors, Lise Le Bars qui s’était laissé tenter comme les autres, comprit ce dont il s’agissait. Brillante lycéenne au lycée Dupuy-de-Lôme, elle était inscrite en classe de préparation aux grandes écoles dans ce même établissement, ce qui n’empêche pas de succomber à une tentation savamment distillée et de commettre parfois quelques imprudences.

En arrivant à destination, elle s’esquiva discrètement et appela Jo depuis son portable – Geoffroy de son nom de baptême – qui accourut avec son scooter, tel un prince charmant sur son fringant destrier volant au secours de sa princesse. Elle l’attendait à l’extérieur, dissimulée derrière un bosquet, à l’angle de la terrasse, et Jo, curieux du sujet comme on peut l’être à vingt ans, voulut en juger par lui-même ; il s’approcha d’une baie vitrée et balaya la salle de réception d’un regard circulaire.

Incrédule, il y constata la présence du docteur Louarn, son médecin de famille, ainsi que celle d’un industriel, figure locale que la presse désignait sous le nom de Lefeuvre et qui s’adonnait aux coques, celles de bateaux de régates. Il y avait même un évêque, monseigneur Kaoziou, confesseur de sa mère, et familier de sa maison. Restaient deux autres hommes légèrement plus jeunes que les précédents, qu’il ne connaissait pas. Tous ces messieurs semblaient déjà plus ou moins sous l’emprise de l’alcool – ou de la drogue – et l’ambiance prenait le chemin fangeux de l’orgie romaine. Quant aux jeunes filles, ne sachant quelle contenance adopter, elles s’étaient bien sagement alignées sur un sofa et observaient, médusées, cet édifiant échantillon de la société bourgeoise.

Nicole était là aussi, mais se tenait en retrait, n’apparaissant que très furtivement entre les doubles-rideaux ouverts, il semblait qu’elle n’eût pas l’intention de participer aux divertissements. Très discrètement, presque à la sauvette, elle prenait des photos de tout ce beau monde.

— J’en ai assez vu, c’est à vomir. Allez, viens, allons-nous-en ! dit le jeune homme à sa compagne.

*

L’impensable se produisit à quelque temps de là, vers la mi-juillet.

Lise avait souhaité faire un tour sur la côte et ce que désirait Lise, Jo le voulait aussi. Il n’avait pas de voiture à l’époque, juste un scooter avec lequel ils s’étaient risqués à affronter la circulation dense de la saison estivale. Ils avaient pris la direction de Ploemeur, continuellement doublés de trop près par des automobilistes stressés. Ils s’en étaient prudemment démarqués en prenant l’une des petites routes un peu moins fréquentées, qui mènent vers le Pérello en passant par Kerloret et le Guermeur.

Enlacé par les bras amoureux de Lise, il chevauchait le vent et possédait le monde. Il était incroyablement heureux et roulait posément pour faire durer l’instant magique. La vie s’offrait à eux, belle et pleine de promesses auxquelles ils voulaient croire. Ils étaient si jeunes encore !

Le temps était superbe qui incitait au farniente et leur intention était de passer un après-midi tranquille sur le sable en alternant bains de soleil et bains de mer. Ils s’étaient équipés en conséquence et n’avaient plus qu’à ôter pantalon et tee-shirt pour se retrouver en maillot de bain.

Ils n’en eurent pas le temps. À peine leur moyen de locomotion était-il sur béquille qu’ils se retrouvèrent entourés d’une bande de copains qui leur proposèrent de se joindre à eux pour gagner la plage.

Seul le diable sait pourquoi ils acceptèrent, d’autant que Nicole faisait partie de leur groupe.

Nicole que ceux qui la connaissaient pouvaient présenter comme un démon en jeans, furieusement jalouse de la beauté de Lise, de son intelligence, de l’amour que lui portait le romantique et beau Geoffroy, et assez perverse pour y porter atteinte.

Lequel d’entre eux voulut savoir si oui ou non le petit fort du Talud était habité ? Lequel en posa la question ? Personne ne s’en souvint, mais là n’était pas le problème. La curiosité les mena entre les prunelliers sauvages sur l’étroit chemin côtier qui y mène, et tout de suite après la plage du Petit Pérello, à l’aplomb d’une crique resserrée entre deux pointes rocheuses et ouverte jusqu’au chemin, Nicole se débarrassa de celle qu’elle tenait désormais pour une menace permanente.

Lise n’était plus une simple rivale à présent, elle présentait à ses yeux un danger en raison de ce qu’elle savait des soirées du bord du Ter. Ne s’étant pas laissé circonvenir, elle pouvait être tentée d’en parler et ainsi mettre fin à un business très lucratif. Nicole avait pris goût à l’argent et méprisait superbement ces empêcheurs de gagner des ronds que sont les scrupules.

Cela se passa très vite alors que, depuis la falaise, ils regardaient tous un canot pneumatique rebondir sur les vagues en s’approchant du port, de l’autre côté de la jetée. Un coup d’épaule lui suffit pour éliminer la jeune fille qui se tenait imprudemment près d’elle.

Ce fut bien pensé et efficace.

Lise chuta de plus de quatre mètres sur les rochers en contrebas et, avec encore plus de violence, Jo fut projeté en enfer.

*

Les funérailles de Lise eurent lieu en présence des familles et de leurs nombreux amis, Jo se tint près de son père qui, dépassant sa propre peine, lui entoura brièvement les épaules d’un bras affectueux et Nicole, soupçonnée mais pas encore ouvertement accusée d’avoir poussé la défunte, se tenait néanmoins avec une impudence intolérable au bord de la fosse, au premier rang.

Ce fut très certainement cette attitude qui souleva en Jo cette immense vague de révolte et ce désir de vengeance. Sur le bord de la tombe, il en fit le serment à la compagne qu’il s’était choisie pour la vie et qui n’était plus.

Ils avaient été heureux deux ans. C’est court deux ans, mais ils en avaient retiré tant de bonheur qu’ils en avaient été éblouis.

Deux ans, et déjà c’était fini.

À l’issue de la cérémonie, ils furent deux dans le groupe de copains à accuser Nicole du geste homicide ; deux témoignages concordants, à la suite de quoi la jeune meurtrière fit quelques mois de préventive mais, lors du procès, Jo s’aperçut que son avocat, nommé Le Menner, était l’un des inconnus présents à la soirée orgiaque des bords du Ter. L’homme de robe avait du talent et de la pugnacité. Il invoqua l’absence de preuves tangibles et fit jouer la présomption d’innocence pour, au final, obtenir un acquittement.

Au bénéfice du doute, précisa cependant la presse.

À l’issue du jugement, ne pesaient plus sur cette garce de Nicole que de vagues soupçons de meurtre qu’aucune preuve n’était venue étayer et, à présent, cependant que Lise gisait à deux mètres cinquante sous terre, elle pouvait se promener librement sous le soleil, quelque part, là où bon lui semblait.

Ainsi donc, s’interrogea Jo, avec un bon avocat, il serait possible de tuer impunément ?

Eh bien, chiche ! Pourquoi pas ? Il est bon de faire le ménage de temps à autre.

« Ce n’est qu’un sursis, ma belle », murmura-t-il en sortant du prétoire. « Je tiendrai la promesse faite à Lise. »

Encore eût-il fallu qu’il retrouve la meurtrière.

Nicole avait profité de l’acquittement prononcé pour disparaître du paysage lorientais.

Mais patience ! Il était impossible que le jeune homme s’en tienne là... Vis-à-vis de son infante défunte, ce serait inexcusable. Il retrouverait sa meurtrière. Cette sorte de fille a le vice dans la peau et, étant donné sa prestation dans l’organisation de la soirée sur les bords du Ter, s’il avait quelque chance de la retrouver, ce ne serait sûrement pas chez les bonnes sœurs.

Menée à terme, cette réflexion l’incita à fréquenter la faune libertine de Lorient. Il s’immergea dans un monde noctambule plus ou moins corrompu, en compagnie de quelques gros commerçants débauchés et blasés. Cependant, par manque de vocation ou d’ambition, il ne tenta pas d’y tenir un rôle prépondérant. Il se cantonna dans la catégorie du petit voyou immature et inconséquent, pas méchant, mais semblant avide d’argent facile et de plaisirs interlopes. Il traficota principalement dans les milieux de la drogue et baguenauda aussi dans ceux de la prostitution sans jamais croiser le chemin de Nicole.

Elle ne se montrait nulle part.

En revanche, il y rencontra quelques-uns des hommes investis dans la politique locale et quelques avocats parmi lesquels Le Menner qui ne sembla pas le reconnaître. Il est vrai qu’il avait beaucoup maigri depuis le drame et qu’il gardait à présent les cheveux plus longs, ce qui lui donnait l’air d’un héros romantique.

L’homme de loi n’y fut pas insensible. Sans perdre un instant, mais en y mettant toutes les subtilités dont sont capables les hommes de robe, il entreprit de faire sa conquête.

Jo n’avait certes pas prémédité ce qui allait en découler, mais il ne mit pas longtemps à se rendre compte que, suivant les opportunités, l’avocat fonctionnait à l’énergie hybride.

L’homme était issu d’une haute et ancienne bourgeoisie du Centre-Finistère ayant reçu les reliefs d’un apanage près de Scaër.

Ce fut Le Menner lui-même qui le pria de s’installer chez lui. Jo n’y résista pas très longtemps. Il fit bientôt taire sa répugnance et s’installa à demeure, en pensant que si l’un des protagonistes de la “sauterie” des bords du Ter savait où se terrait Nicole, c’était probablement celui-là. Investir son domaine privé reviendrait à le tenir dans son champ d’observation rapprochée.

D’autre part, le jeune homme était curieux de savoir ce qui avait motivé le zèle exceptionnel que l’avocat avait démontré lors du procès. Il doutait que ce fût le désir de venir en aide à une pauvre fille en détresse.

Préalablement à sa mise en examen, avait-il eu affaire à elle ? La connaissait-il en dehors des rendez-vous de parloir ? Ce n’était pas certain car, au bord du Ter, elle paraissait soucieuse de se soustraire aux regards des invités et faisait preuve d’une grande circonspection en prenant des photos. Que voulait-elle en faire ?

Obéissait-elle à une demande de Marc Autret, le maître des lieux, ou était-ce une initiative personnelle ? En ce cas, il en entendrait parler, maintenant qu’il était dans la place.

Et de fait, cela ne tarda pas outre mesure. L’opération commença par un subtil effet de miroir.

Le Menner était assis à son bureau, face à une grande glace rétro dans laquelle il pouvait voir son compagnon de dos, assis et paraissant rêver devant la fenêtre ouverte.

Ce n’était pas tout à fait exact. Jo était au contraire très attentif à ce qui se passait dans la pièce. Comme le ferait un animal domestique tout dévoué à son maître, il suivait attentivement le reflet de chacun de ses gestes sur la porte laquée d’un secrétaire placé sur sa gauche.

Depuis quelque temps, insensiblement comme lors d’un changement de saison, un discret coup de froid s’était installé sur leur relation, immédiatement ressenti par la sensibilité à fleur de peau du jeune homme, lui indiquant qu’il était temps d’agir.

Un refroidissement dont il ne parvenait pas définir l’origine malgré un regain de vigilance. Bien sûr, le maître avait des soucis d’ordre professionnel, mais il en était ainsi depuis le début de leur histoire. Ce ne pouvait être l’explication de ce manque d’empressement qui perdurait entre eux depuis quelque temps déjà. Il y avait autre chose...

Une femme ? Nicole peut-être ? Curiosité suffisamment motivée pour qu’il y porte quelque intérêt.

À coup sûr, une femme viendrait ruiner les plans patiemment élaborés durant de trop longs mois, au prix d’une humiliation difficilement subie et qu’il n’oublierait pas de porter à charge dans cette affaire. Et si c’était Nicole ? Ah ! Si c’était elle, alors, il pouvait espérer que, bientôt, l’épreuve prendrait fin. Comment ? Il n’en savait rien encore, mais il s’y emploierait.

Jo ne releva pas l’apparente indifférence de son partenaire, mais patiemment, discrètement comme un chat dans son panier guette une souris, il redoubla d’attention et se mit à observer Henri avec l’espoir de percer ce passionnant mystère.

L’avocat venait de glisser quelques grosses coupures dans une enveloppe Kraft de format A5, sur l’angle supérieur gauche de laquelle il ne traça que ses initiales LMH, sans en mentionner le destinataire, avant de la faire adroitement disparaître dans la poche de sa veste.

Il usait d’une discrétion qui dessina un sourire fugace sur le beau visage de l’observateur. En plus de ceux qu’impliquait une vie dissolue, Henri avait donc un nouveau secret.

Un secret peut-être sans importance, mais dont il tenait volontairement écarté le compagnon qui partageait sa vie.

Enfin, songea Jo, quelque chose bougeait.

Se pouvait-il que le contenu de cette mystérieuse enveloppe soit une explication au coup de froid qui s’était installé dans les relations entre Le Menner et lui depuis des jours ? À qui était-il destiné ?

Cela vaudrait la peine d’être éclairci.

— Que fais-tu ce matin ? demanda-t-il à l’avocat.

— Rien de particulier. Je dois élaborer une plaidoirie pour une affaire d’abus de faiblesse exercé au détriment d’une femme un peu trop naïve.

Jo n’avait jamais pensé qu’une femme puisse être qualifiée de naïve. Lise ne l’était pas. Imprudente parfois, mais naïve, sûrement pas.

— Oh ! C’est possible des choses semblables ?

Ce ne sont certes pas les adjectifs qui manquent pour parler des femmes, mais les supposer naïves, non ; surtout pas sa mère qui n’entendait personne et restait fermée à toute influence autre que celle de sa vanité.

— Plus souvent que je ne saurais te le dire, mon biquet. Sur ce, je file.

Jo se leva, lui fit la bise tout en se faisant la réflexion qu’il serait peut-être intéressant de le suivre pour savoir à qui iraient ces liquidités.

C’est alors que, conséquence probable d’une trop longue tension nerveuse, recommença le cauchemar de son enfance dont chacun sait que l’on ne guérit jamais.

« Alors, fais-le ! Qu’est-ce que tu attends ? »

Cela résonna dans sa tête aussi clairement que si celui qui venait de parler était physiquement présent dans la pièce et, comble de l’horreur, il avait la voix de son père lorsqu’il morigénait l’enfant qu’il était, il y a peu de temps encore : « Eh bien, fais-le ! Qu’est-ce que tu attends ? »

Stupéfait, traumatisé, Jo redevint instantanément le petit garçon terrorisé qu’il fut si souvent, et obéit encore une fois à son papa.

La porte d’entrée venait de se refermer sur les pas de l’avocat. Fébrilement, Jo s’habilla sans prendre le temps d’une douche, et, à bord du coupé que lui avait offert Le Menner, il suivit à distance la Mercedes du maître.

Elle le mena jusqu’à la rue Paul Bert, devant une bâtisse de bon aloi où son conducteur l’arrêta en bloquant la circulation. En l’absence de digicode, il y pénétra comme dans un moulin, par une entrée coincée entre deux magasins de prêt-à-porter. La présence d’un cabinet d’architectes dans les étages pouvait expliquer cette liberté d’accès. Trois ou quatre véhicules séparaient la Mercedes de l’avocat de la voiture de Jo qui préféra ne pas prendre le risque de révéler sa présence en ce lieu. Il attendit que Le Menner eût rétabli la circulation pour aller se garer plus loin, puis revint sur ses pas, juste à temps pour voir le docteur Louarn, leur médecin de famille, pénétrer à son tour dans l’immeuble en se tâtant la poche. Jo s’en approcha mais en restant sur le trottoir d’en face afin d’observer, au travers des vitres claires de la porte, l’homme se diriger vers les boîtes à lettres et accomplir à son tour l’opération qu’Henri avait probablement effectuée quelques minutes auparavant.

Le jeune homme traversa la chaussée après le départ du praticien afin de faire la connaissance de celle d’entre elles qui avait englouti ce qui semblait fort être un écot contributif.

Elle s’appelait Ninon et ne faisait pas la fine bouche. Elle l’avait béante encore, aussi gourmande que le bec d’un jeune coucou dans le nid d’un bouvreuil, prête à avaler toute friandise qui se présenterait à elle.

Sur le trottoir, à quelques pas de là, Jo avisa la terrasse d’une crêperie. Elle lui offrirait un poste d’observation idéal, depuis lequel il pourrait surveiller l’entrée de l’immeuble.

Ce ne fut pas inutile.

En effet, une demi-heure plus tard, le temps d’ingurgiter deux crêpes avec un pichet de cidre, le jeune homme eut l’opportunité de recenser cinq des papas nourriciers de Ninon.

Cinq messieurs dont l’intrusion dans le hall d’entrée avait été aussi brève que fut précautionneuse leur réapparition dans la rue. Cinq têtes connues de la bonne société qu’évoquait parfois Le Menner, en manifestant l’ambition de s’y introduire progressivement.

Qui était cette Ninon qui se cachait derrière cette vorace boîte à billets ? Qui opérait ce chantage ? Car, de toute évidence, il s’agissait d’un chantage. Quoi d’autre ? Et quel était le terreau secret duquel il se nourrissait ?

L’arme que possédait ce maître chanteur devait être assez redoutable pour que sa menace fasse plier les cinq personnalités qui venaient d’alimenter Ninon.

Hormis les griefs qu’il avait lui-même à son encontre, qu’avait donc à se reprocher Henri ?

De là provenait très certainement le problème relationnel qui s’était insidieusement établi entre eux. Jo nota le jour, la plage horaire et la date des opérations, puis il régla ses consommations. Il s’apprêtait à rejoindre son véhicule lorsqu’il vit sortir une jeune et jolie brune de l’immeuble de Ninon. Elle tenait fermement de la main une besace pendue à son épaule.

Cette femme ! Cela faisait une éternité qu’il ne l’avait pas revue. Il la reconnut néanmoins tout de suite en dépit du temps écoulé. Difficile de l’oublier, son image était à jamais gravée dans sa mémoire.

Elle venait vers lui en trottinant et le dépassa sans même lui accorder un regard.

Aurait-il donc tant changé, en à peine plus de deux ans, pour qu’elle ne le reconnût pas ?

Elle allait dans la direction du parking où il avait garé son bolide et, mû par une irrésistible pulsion, il lui emboîta le pas ; l’un suivant l’autre, elle le mena par la rue du port jusqu’à la succursale du Crédit Agricole.

Bien que n’ayant rien à y faire, il y entra aussi et se plaça à quelques clients derrière elle, assez loin pour n’être pas invité à se faire servir à son tour par l’une des hôtesses.

De sa sacoche, la belle sortit une petite collection d’enveloppes pansues en papier Kraft dont l’une portait des initiales dans l’angle supérieur gauche, comme il y en avait sur celle que Le Menner avait discrètement glissée dans sa poche.

L’employée de banque s’en saisit et en extirpa méthodiquement les contenus dont elle nota le nombre et la valeur des billets sur un formulaire de dépôt. Elle compléta l’opération avec le numéro du compte crédité et le nom du titulaire, puis en donna reçu à la dame.

C’est ainsi que discrètement, Jo apprit la nature des sordides activités de Ninon.

Telle il l’avait connue, telle elle était encore. Elle n’avait vraiment pas changé.

*Conversation, débat, parlotte, parole.

II

À Quimperlé, ce vendredi dix juillet était le grand jour au lycée de Kerneuzec. Un jour attendu avec impatience par les candidats au bac et néanmoins redouté de tous. Les résultats de l’épreuve étaient enfin placardés au tableau d’affichage et ils étaient nombreux à le consulter.

— Eh ouais, je l’ai ! constata Mélodie. Et une mention en prime ! s’écria-t-elle encore, avec dans la voix une nuance d’étonnement et dans le regard, une lueur de satisfaction.

Ces derniers temps, ses parents avaient laissé transparaître un pessimisme qui interdisait tout espoir démesuré. La jeune fille leur reconnaissait quelques excuses ; comme beaucoup de ses copains et durant une bonne partie de l’année scolaire, elle s’était trouvée en panne de motivation, ce qui lui avait valu quelques moments de déprime en attendant le verdict et, cependant et à sa grande surprise, elle s’en sortait avec une mention très bien.

La souveraineté familiale en serait absolument époustouflée.

— Yeah ! Moi aussi ! Ouais ! Ah oui, mais moi, c’est sans mention, tempéra avec une pointe de dépit Amélie. Enfin, je l’ai, c’est l’essentiel.

Puis, prenant les poignets de sa condisciple, elle l’entraîna dans une sorte de danse des kangourous, ponctuée de cris de pucelle hystérique censés proclamer la victoire. Chaque lauréate s’y soumettait comme à un devoir sacré, cependant que les garçons s’adonnaient à une compétition de sauts en hauteur, très personnalisée et non homologuée.

C’est un rituel, semble-t-il, comme la danse de la pluie chez les Indiens ou une mystérieuse cérémonie d’intronisation dans un ordre garant d’un avenir protégé. Toutefois, des recalés, il y en a toujours. Ils ont une utilité de faire-valoir pour ceux qui ont triomphé de l’épreuve. Le plus fâcheux étant, en fin de parcours, de découvrir que l’on figure parmi ceux-là.

Ce ne sont pas des cas isolés, ils sont ainsi chaque année un petit nombre qui peine à s’éloigner du tableau d’affichage, qui doute d’avoir bien regardé. De temps à autre, ils y reviennent tous faire une petite halte afin de traquer l’erreur possible, effectuer une énième vérification et s’assurer que leur nom ne soit pas allé se faufiler par inadvertance dans une colonne inappropriée. Enfin, le doute n’étant plus permis, l’échec étant avéré, il ne reste plus qu’à se convaincre de l’assumer.

— Merde ! Je le crois pas ! C’était bien la peine de tant se crever le cul !

— Qu’est-ce qu’ils vont me passer, mes vieux !

— Moi, c’est pire ! Les miens s’en foutent totalement. Faut dire que je les ai longuement conditionnés pour.

Elle avait un joli prénom, Mélodie, et un joli sourire en sortant du lycée de Kerneuzec. Elle pensa qu’elle n’y reviendrait plus, n’ayant plus rien à y faire et sa satisfaction se tempéra d’une nuance de nostalgie. Une page de sa jeune histoire se tournait.

Elle descendait à présent le boulevard portant le même nom que le bahut et se dirigeait d’un pas léger vers les anciens haras, convertis en logements sociaux, où logeaient ses parents.

Elle était contente d’avoir obtenu le diplôme, bien qu’elle ne se fît pas d’illusion sur la capacité du sésame. Il ne lui donnerait pas grand avantage dans la course à l’emploi. Ce n’était donc qu’une étape sur le long parcours d’une formation dont elle ne savait pas encore en quoi elle consisterait. Son avenir se profilait sur le futur en forme de point d’interrogation.

Une situation problématique qui néanmoins exigeait une réponse dans l’urgence, à cause des inscriptions. Comme tout le monde, elle en avait déjà déposé plusieurs, sans attendre les résultats du bac. Maintenant, les options devraient se préciser. Il lui faudrait confronter ses aspirations à des possibilités financières quasi inexistantes.

Comme son prénom le laissait espérer, Mélodie avait une personnalité harmonieuse. C’était une jeune fille posée, bien faite de sa personne, grande, fine, avec un visage aux traits réguliers d’un ravissant classicisme. Une belle brune en vérité, que les plus hardis des garçons courtisaient volontiers.

Autrefois, cela suffisait à bercer les midinettes de certaines illusions, mais de nos jours, les jeunes filles ont d’autres aspirations et la fortune a changé ses valeurs.

Il faut désormais se forer les méninges en espérant qu’il en surgisse la géniale combine qui vous propulsera au firmament, et avoir l’estomac de la faire fructifier sans trop se poser les problèmes d’éthique qui pourraient se montrer contrariants.

La nouvelle bachelière arrivait au rond-point récemment baptisé des “Bonnets Rouges”, en face du parking du centre commercial de la rue du Couëdic, lorsqu’une voiture de sport en sortit plein gaz. Une voiture de frimeur adaptée à la “drague” et pour laquelle il n’eût pas été étonnant que le gars au volant se soit endetté jusqu’au cou auprès de bailleurs de fonds inconséquents.

— Il est malade, ce mec ! Il se croit aux vingt-quatre heures du Mans ou quoi ? protesta la jeune fille en se vrillant l’index sur la tempe d’une manière très explicite.

Mélodie ne s’intéressait que très peu aux automobiles en tant que telles, elles ne représentaient à ses yeux qu’un moyen de locomotion plus ou moins pratique et confortable. Son petit ami Thomas avait ce qu’il fallait pour cela, mais son véhicule ne permettait que les déplacements locaux. Le jeune homme ne prenait pas le risque de s’aventurer trop loin de son port d’attache, afin de ménager sa vieille Renault, une antique R21 turbo diesel plus âgée que lui, qu’il bichonnait méticuleusement, avec un amour de collectionneur.

Rien à voir avec celle-ci. Un modèle exceptionnellement gourmand, au point qu’il avait fallu le doter de deux pots d’échappement avec, pour rattraper le coup, un design de panthère noire à l’affût, prête à bondir et dont les rugissements confortaient cette impression. L’équipage ne pouvait qu’attirer l’attention et fixer les regards.

Mélodie nota que l’engin était immatriculé dans le Morbihan.

Deux hommes étaient à bord, dont le regard rencontra pendant une fraction de seconde celui de la jeune fille. Le chauffeur n’avait probablement pas atteint la trentaine d’années, mais rien, dans sa façon de se comporter aux manettes, n’indiquait qu’il avait à cœur d’en vivre beaucoup d’autres. Il monta rageusement les vitesses pour parcourir la rue du Couëdic avec une rapidité insensée qui fit très vite disparaître le bolide du champ de vision de la jeune fille et de ses réflexions du moment.

Elle pressa le pas, savourant à l’avance le plaisir d’annoncer sa réussite à ses parents.

Tout en bas de la rue, il y avait un attroupement au carrefour avec la rue Thiers. Un carrefour de quatre rues, rassemblées en ce lieu comme des commères de quartier pour commenter l’événement du jour.

Des riverains sortaient précipitamment des maisons et se regroupaient sur la chaussée, en deçà de voitures à l’arrêt. Il venait certainement de s’y produire un accident, ce dont elle ne tarda pas à avoir confirmation.

— Des fous, je vous dis. Ils ont dans les mains des engins qu’ils ne savent pas maîtriser et voilà ce qu’ils en font...

— Si ce n’est pas malheureux de voir ça...

Une jeune femme gisait sur la chaussée et, à quelques mètres plus loin, le petit yorkshire hirsute qu’elle devait tenir en laisse attendait en tremblant qu’elle se relève.

Parmi les curieux, on pouvait distinguer deux visages familiers. Celui d’un Bigouden très digne sous une casquette de pêcheur des bords de Seine, et tenant à la main une laisse que mâchouillait distraitement le chien qui se tenait à l’autre extrémité. Fanch Le Berre s’était offert un nouveau couvre-chef. Une casquette de Parisien, plus estivale que la précédente.

Près de lui, émergeait de la foule la face réjouie de son toujours gros ami rennais qui, visiblement, avait récupéré les kilos perdus l’été précédent.

Les deux compères s’étaient retrouvés au Pouldu* pour de nouvelles vacances qu’ils espéraient plus paisibles que celles de l’an passé.

Mais ça, c’était avant ; quelques minutes avant.

— Quelqu’un la connaît ? demanda le Bigouden.

La question resta sans réponse.

— Elle devait être distraite ou préoccupée, pour s’aventurer sur la chaussée au moment où survenait une voiture, fit encore observer le gros Rennais, lui aussi arrimé comme un ballon de baudruche à une superbe créature à poils, de nationalité anglaise.

Ces deux hommes, d’âge et de moralité respectables, étaient pourtant connus des forces de police. Ils avaient déjà collaboré avec elles à maintes reprises. L’un, le gros, était un ex-flic de la BRI* de Rennes, aujourd’hui à la retraite. Il s’appelait Antoine et s’y entendait tout aussi bien que son saint patron de Padoue pour vous retrouver certaines petites choses utiles comme par exemple des témoins, des suspects, des preuves et même parfois des coupables.

L’autre, sous la casquette, se nommait Fanch. Un Bigouden que les hasards d’une retraite très active avaient parfois confronté au crime.

Il partageait sa vie avec un épagneul breton sans identité ni papiers, un jadis SDF qui répondait à présent au nom de Paotr (garçon), ce qui en faisait son fils adoptif.

Le chien collaborait, enthousiaste, avec son papa d’adoption, aux enquêtes de police qui, avec autant d’à-propos qu’un PV, leur tombaient dessus sans prévenir. Il y avait entre l’homme et la bête une complicité et une complémentarité telles que Fanch n’en avait jusqu’à ce jour partagé qu’avec Clément, son ami d’enfance aujourd’hui disparu.

— Elle a dû croire qu’elle avait le temps de traverser, mais le cinglé qui conduisait pied au plancher ne lui a laissé aucune chance. Il n’a pas dévié de sa trajectoire et n’a même pas freiné ! affirma une riveraine, en réponse à Antoine.

— Un jeune drogué sans doute... En tout cas, il n’a pas attendu son reste, constata un nouveau venu. C’est révoltant de voir ça !

— Il a bien fait, parce qu’il ne s’en serait peut-être pas mieux sorti que sa malheureuse victime ! dit un routier descendu précipitamment de son camion arrêté en contrebas.

Il y avait de la désolation, mais aussi une très forte indignation dans les propos que l’on pouvait entendre parmi les gens rassemblés autour du jeune corps étendu.

— Avez-vous prévenu le Samu et la police ? s’enquit Mélodie en arrivant.

— Oui, c’est fait, lui affirma une jeune femme.

— Il y a des témoins de l’accident ?

— Moi, j’ai tout vu, dit une jeune fille que Mélodie reconnut comme l’une de ses voisines.

— Salut Édith ! Alors il faut que tu attendes la police et que tu lui dises ce que tu sais. Je reste avec toi si tu veux...

— Oui, s’il te plaît. Tu reviens de “Kerneu” ? Tu es reçue ?

— Oui, mention très bien.

— C’est trop !

— Si tu le dis... Tu allais là-bas aussi ?

— Oui, mais puisqu’il faut attendre les flics, j’irai plus tard.

— Les copines y sont toujours. Appelle-les pour savoir.

Comme par magie, un téléphone portable apparut entre les doigts de la jeune fille et ses pouces entamèrent une danse fébrile, effleurant à peine l’écran tactile, comme s’il était brûlant.

Quiconque les voyant l’une près de l’autre, aurait pu les croire apparentées, elles étaient de même taille, minces, brunes et portaient les cheveux longs toutes les deux, mais là s’arrêtaient les ressemblances. Édith avait le visage rond d’une gamine, le nez retroussé, les yeux marron et une petite bouche de bébé boudeur.

Elle attendit un moment, la mince tablette technique collée à l’oreille, puis un timide sourire fleurit aux commissures de ses lèvres.

— Je l’ai, dit-elle simplement. Comme toi, mention très bien.

— Bravo ma belle, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut nous endormir sur nos lauriers ! C’est maintenant que la galère va commencer. Qu’est-ce que tu entreprends après ?

— Je ne sais pas. Il faut que j’en parle à mes parents et que l’on voie ensemble ce qu’ils peuvent financer...

Les géniteurs d’Édith étaient mareyeurs et propriétaires de l’un des pavillons bordant la petite rue en surplomb de la place pavée ; ils ne roulaient sans doute pas sur l’or, mais leurs revenus devaient pouvoir relever le défi.

— Et toi ? s’enquit la jeune fille.

— Moi ? Je ne me fais pas trop d’illusions. Les miens n’ont pas beaucoup de moyens. Une LP* en commerce international, à l’IUT** de Quimper me plairait bien, mais faut voir ce que ça coûte.

Les services de police s’annonçaient à grand renfort de sirènes, les techniciens de police scientifique (PTS) se déployèrent sur le terrain, cependant qu’un enquêteur s’informait des témoins éventuels.

— La jeune fille, là-bas, elle a tout vu !

Il y eut un mouvement dans la foule des badauds. Un ex-collègue gendarme, jeune encore, vint serrer la main du gros Antoine et lui demander ce qui venait de se passer. Puis, sans même attendre la réponse, il se dirigea, deux doigts au képi, vers les deux jeunes filles. Les deux vacanciers lui emboîtèrent le pas, suivis des deux chiens tenus en laisse.

— Bonjour Mesdemoiselles, que pouvez-vous me dire au sujet de cet accident ? questionna le gendarme.