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« “Nadune m’a sauvée ! Elle m’a fait promettre de détruire le Cinquième Descendant avant de poursuivre ma mission de vie !” Alors, je m’étais lancé à corps perdu dans une recherche, avec elle, qui me ferait rencontrer des personnes toutes plus intrigantes les unes que les autres, dont la plus intimidante pour moi est restée non pas Nadune que je savais source de lumière et d’amour, mais Narjiss qui n’a pas cessé de m’intriguer par sa liberté d’être et sa force. Voici, avec le plus de fidélité possible, notre histoire qui m’a amené à cette forme de violence extrême : décapiter cette femme que je ne connaissais pas une semaine auparavant... »
À PROPOS DE L'AUTEURE
Caroline Couronne a voyagé dans plus de 40 pays avant de s’installer à Marseille en 2011.
Nadune ou la prophétie de la grande bleue est le fruit de toutes ses expériences.
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Caroline Couronne
Nadune
ou la prophétie de la grande bleue
Roman
© Lys Bleu Éditions – Caroline Couronne
ISBN : 979-10-377-8359-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Réponds aux deux questions ! Les deux seules questions qui vaillent !
« Qui es-tu ? »
« Quel est le sens de ta vie ? »
Ne partez pas en guerre contre les Fils des Ténèbres, faites plutôt en sorte d’être, vous et vos enfants, des sources de Lumière.
Jonathan Sacks
Texte poétique le Mundokopanisad
« Deux oiseaux se sont posés ensemble sur un figuier. L’un sautille avec agitation de branche en branche, picorant différents fruits qui sont alternativement aigres, amers, salés et sucrés. Ne trouvant pas le goût qui lui plaît, il devient de plus en plus agité et s’envole vers des branches toujours plus éloignées. L’autre oiseau reste impassible, stable, silencieux, et heureux. L’oiseau agité se rapproche progressivement de son compagnon silencieux, et, se lassant de sa quête frénétique, devient calme aussi, perdant inconsciemment son désir pour les fruits et faisant l’expérience du non-attachement, du silence, du repos et de la béatitude. »
Introduction
Je me mire et me vois ange
Stéphane Mallarmé
Je me souviens très clairement du profond désespoir m’ayant assailli, à onze ans, lorsque j’ai pris conscience de l’abominable sort réservé aux Indiens d’Amérique, décimés, et de l’impossibilité de revoir ces êtres magnifiques, sauvages et libres. J’étais petit et faible, mais je rêvais déjà, dans ce monde, de me forger une place de guerrier de la paix. Puis, je me suis endormi. Longtemps. Comme beaucoup d’entre nous. La vie s’est chargée de me réveiller sans douceur ! Il y a exactement une quinzaine d’années, tandis que je me trouvais au fond de la Russie, près de Ekaterinbourg, à l’Est de l’Oural, pour des raisons qu’un bon thérapeute identifierait certainement en diagnostiquant au minimum une dépression grave, et certainement un enclin aggravé à la mythomanie, le personnage de « Nadune » m’est apparu sans crier gare. Je me souviens parfaitement de ce moment : j’étais assis, face à un homme, d’origine russe, un client, particulièrement généreux et propriétaire de plusieurs mines de charbon, également un vigoureux chasseur d’ours. Nous sortions du banya, sorte de sauna terrifiant, plus de soixante-dix degrés Celsius, nous venions d’être fouettés par un « bancik »1 et ses branches d’eucalyptus pour favoriser la circulation sanguine, de plonger dans une eau à moins vingt degrés, pour retourner transpirer quelques minutes supplémentaires. Il m’avait ensuite convié à un dîner, dans un restaurant lui appartenant, nous étions entourés de ses gardes du corps et, entre l’entrée et le plat de résistance, j’ai tout à coup été pris d’un sentiment d’angoisse colossale ! Impossible de respirer, mes joues qui chauffaient, mes prunelles qui s’embrumaient : j’ai réalisé qu’il aurait pu me tuer, et me découper en morceaux, sans que personne ne sache que j’avais même été à cet endroit. Et là, sur un flash éblouissant, dans mon esprit, j’ai vécu une sortie de corps. Je me suis vu m’élever au-dessus de cette scène, et entendre une petite voix tempêter : « que fais-tu ici ! Tu perds ton temps ! En plus, tu discutailles avec un gaillard dont le passe-temps est d’exécuter des ours sauvages, de bousiller la nature. Moi ! Écoute-moi ! J’ai besoin de toi ! Il faut que tu retrouves la pierre magique ! Et que tu m’aides à retrouver le Cinquième Descendant ! Avant qu’il ne soit trop tard ! Tu as le pouvoir de changer les choses, d’influencer ce genre d’hommes, de faire passer le message si important qu’est celui de l’Amour. Je m’appelle Nadune ! La Déesse de l’Amour, je suis venue pour enseigner aux hommes et aux femmes à aimer, et à prendre conscience de leur étincelle divine ! ».
Imaginez ! Ridicule ! Sur le moment, cela m’avait paru totalement absurde ! Mais, des années plus tard, le 16 avril 2019, alors que je regardais la tête de Claire rouler à mes pieds, après avoir hésité de longues minutes sur le choix qui m’était proposé : la laisser libre, ou la décapiter, cet avertissement m’était revenu à l’esprit avec une puissance folle ! Il avait été trop tard ! Malheureusement, à cette époque, j’avais simplement mis cette hallucination sur le compte de la vodka de mauvaise qualité, mis fin à notre dîner, et l’homme en question ne s’était pas offusqué plus que cela, il m’avait reconduit chez moi sans attendre. Cette pseudo-apparition m’avait laissé finalement peu impacté, je m’étais dit que j’avais simplement trop bu et que, décidément, fumer un joint ne me réussissait pas. En rentrant dans ma chambre d’hôtel, j’avais tout de même pris soin d’écrire ce que je venais de vivre. Pour ne jamais le relire. Jusqu’à ce que je découvre, quinze ans plus tard, que, d’une part, je n’étais pas le seul à vivre cette expérience, d’autres femmes et hommes avaient rencontré Nadune, et surtout, après avoir découvert que « Nadune » n’était pas seulement ce nom imaginé, mais le nom d’un village, au Ghana, à moins de trois cents kilomètres du lieu de naissance de la mère de mes enfants, Ouagadougou, au Burkina Faso. « Nadune », ce mot existait donc ! Cette femme, cet esprit féminin en tout cas, existait, et surtout, elle menait une quête implacable et cherchait sans relâche ce Cinquième Descendant. Même si je décidais de ne pas me laisser emporter par cette histoire, il a fallu qu’un jour, cogne à ma porte une jeune Maghrébine, du nom de Narjiss Belkhacem, m’annonçant qu’un « esprit », dénommé Nadune, lui avait offert, ou plutôt soudoyé, une chance pour une Seconde Vie, en échange de sa contribution à cette quête. Plus étourdissant encore, Narjiss avait rencontré Nadune à la suite d’un évènement terrible où elle avait failli perdre la vie ! Complètement délirant ? Je sais. Cependant, j’avais été fasciné par cette jeune femme, et la façon dont elle avait débarqué dans ma vie. Elle m’avait parlé d’une pierre avec des fragments d’or, une pierre magique qu’il fallait trouver à tout prix et aussi d’un ancien amant à retrouver pour sauver l’Humanité ! Rien que ça ! Mais surtout, elle tenait des propos délirants sur une mission à remplir, pour laquelle elle n’avait que cinq jours ! J’avais voulu la chasser de chez moi, jusqu’à ce que dans ses propos elle me dise : « Nadune m’a sauvée ! Elle m’a fait promettre de détruire le Cinquième Descendant avant de poursuivre ma mission de vie ! ». Encore ce « Descendant » ! Je n’avais rien compris la première fois, et cette fois-ci, j’étais encore plus perdu. Mais désormais, nous étions deux ! Alors, je m’étais lancé à corps perdu dans une recherche, avec elle, qui me ferait rencontrer des personnes toutes plus intrigantes les unes que les autres, dont la plus intimidante pour moi est restée non pas Nadune que je savais source de lumière et d’amour, mais Narjiss qui n’a pas cessé de m’intriguer par sa liberté d’être et sa force. Voici, avec le plus de fidélité possible, notre histoire qui m’a amené à cette forme de violence extrême : décapiter cette femme que je ne connaissais pas une semaine auparavant. Sans aucun regret. Sans aucun remords, était-ce Nadune qui avait fait de moi un meurtrier ? Ou avais-je sauvé l’Humanité ? En reprenant le cours de notre histoire, que je suis le seul à pouvoir raconter aujourd’hui, le regard de Claire s’était éteint, à mes pieds ; mes mains ne tremblaient pas.
Commençons par Nadune : retrouver sa trace a été facilité par ma belle-famille africaine, et par mes capacités d’investigation. Rechercher des informations sur le terrain, questionner les gens, pratiquer l’élicitation –, faire parler les personnes sans qu’elles s’en rendent compte et obtenir les éléments recherchés – a toujours été un talent naturel. Les gens me parlent, ils me racontent tout, même ce que je ne veux pas savoir, alors passer de village en village, entre le Burkina, le Bénin, le Togo, et le Ghana, pour découvrir des traces de Nadune, n’a pas été si difficile. Après la mort de Narjiss, je m’étais fait accompagner par le neveu de mon ex-femme, et par quelques « sœurs », c’est-à-dire des femmes. En Afrique, un homme vous dira toujours qu’il a de nombreuses sœurs, qui sont plutôt des amies, mais il s’agit d’un lien beaucoup plus fort que l’amitié. Ces sœurs parleront facilement de leur grand frère, qui est surtout un protecteur. Difficile de s’y adapter au début, mais dans mon cas, j’étais ravi de cette sororité impromptue ! Nous avons passé plus de six mois, questionnant, discutant, dormant dans des villages sans aucun confort, dégustant du dolo – cette bière de mil au goût acre –, assistant à des fêtes des esprits, où les hommes portent des masques de « feuilles », et entrent en transe, jusqu’à ce que, dans un tout petit village, à la frontière du Burkina et du Ghana, une danse mette en scène un masque de cheveux filandreux azurites, et inspirant un sentiment de paix et de calme que tous les habitants semblaient ressentir. Lorsque je les ai entendus proclamer « Nadune, Nadune, Nadune », à ma surprise car je ne pensais pas voir de tels spectacles, j’ai compris que je pourrais découvrir ici la source de ce qui commençait à ressembler à une légende. Voici ce que j’ai rapporté de cette enquête, et que j’expliquerai en détail à Anaïs, devenue une si fidèle compagne, longtemps après avoir fait notre deuil de Narjiss :
Nadune était une femme née en 1833 av. J.-C. Originaire d’un tout petit village, au fond du Ghana, elle avait, parait-il, un aspect physique très particulier : sa peau était blanche, née au milieu de villageois noirs, une des premières Albinos recensée à ce jour, elle avait aussi des cheveux raides, formidablement longs, blancs avec un reflet bleuté profond. À sa naissance, sa mère avait jeté un seul regard sur ce bébé blanc, lumineux et luisant, puis l’avait immédiatement abandonnée. Elle avait vécu une vie de paria dans ce village jusqu’à devenir une jeune fille fine, élancée, et à la sensualité débordante. Pour ne rien arranger les choses, la jeune fille semblait posséder des pouvoirs magiques. Il m’a été raconté que Nadune semblait ne jamais souffrir ni de la faim ni de la soif et pouvait se déplacer de façon extrêmement rapide, avec une agilité de chat, et une légèreté d’alouette. Aussi, parait-il, lorsqu’on la regardait dans les yeux, on avait l’impression qu’elle pénétrait dans votre esprit, et s’installait à votre place dans votre corps. Ses yeux, d’un bleu translucide, étaient à la fois apaisants et effrayants. Elle disait connaître le passé, le présent et l’avenir. Elle murmurait pouvoir connaître exactement le moment où elle mourrait, et où chacun des villageois mourrait. Elle possédait, parait-il, une force physique extraordinaire et une agilité démesurée.
Elle semblait surnaturelle, et on peut imaginer qu’eût-elle été née petite et vilaine, sa vie en aurait été largement différente. Mais à dix-sept ans, elle respirait la sexualité, du moins aux yeux des hommes, et les femmes du village, de plus en plus jalouses, décidèrent, en commun, de chasser Nadune. Pourquoi, m’étais-je demandé, depuis l’aube des temps, l’Homme est-il toujours plus enclin à agir en commun pour le mal plutôt que le bien ? Cette femme, nous la connaissons sous le nom de Nadune, qui n’est autre que le nom de ce village, à trois cents kilomètres à peine de Ouagadougou. Mais elle n’avait jamais été nommée, et elle vécut sa vie entière, dont personne ne sut jamais la durée, sans avoir ni de prénom ni de nom donné par sa mère. Au crépuscule, Nadune, recroquevillée dans son petit abri de fortune où elle dormait chaque soir, à l’orée du village, reçut la visite d’un des anciens, un très vieil homme. Celui-ci lui tint à peu près ce discours :
« Les femmes du village ont choisi de te chasser dès demain à l’aube.
Si tu ne t’enfuis pas, elles entreront dans ta case, elles te couperont les cheveux, elles feront de toi la cible de leurs moqueries et demanderont à un des hommes non mariés de te violer. Ainsi, tu perdras toute ta dignité et ta pureté, puis tu seras chassée de ce village, tu ne seras plus en mesure de te nourrir, personne ne t’accueillera dans aucun autre endroit, tu seras condamnée à mourir seule, et à être dévorée par les animaux sauvages.
Mais, je sais, moi, que tu n’es pas née ici, de cette façon, avec ce corps, cette couleur de peau, et ces cheveux, pour mourir ainsi. Je sens, moi, que tu es un messager, tu possèdes le don d’immortalité si tu sais te servir de tes talents. Alors, je dois te transmettre quelque chose que j’ai découvert le jour de ta naissance. Il s’agit d’une pierre, sur laquelle des inscriptions sont gravées. J’ai passé les dix-sept dernières années à les déchiffrer, et il s’agit d’un message pour l’Humanité tout entière. Moi, je ne sais pas ce que c’est que cette “Humanité”, cela parle des hommes de la terre, cela parle de religions, mais je n’ai jamais vu d’hommes ou de femmes au-delà de mon village, je ne sais pas quelles sont ces religions, ni ce que cela veut dire. Ce message parle d’une Humanité qui couvre la planète entière, il parle de paix et d’Amour. Je veux te donner cette pierre, que tu la protèges, car je sais que tu pourras porter cette déclaration au-delà de notre village. »
Pendant tout le discours de l’ancien, Nadune l’avait regardé avec curiosité, et avec terreur. Pour elle, partir était épouvantable ! Relativement protégée, même si elle avait conscience que cela ne durerait pas, elle avait senti le regard des femmes, de plus en plus hostiles, et le regard des hommes languissants. Elle sentait le danger, et elle savait qu’il fallait partir, qu’elle n’avait pas d’autre choix.
Elle aurait regardé autour d’elle : « je ne possède rien, rien ne m’empêche de partir », s’était-elle dit. Juste une masse de cheveux, lourde, pesant sur ses reins, et souvent portés en énorme coiffe au-dessus de sa tête. Un pagne épais, fait de cuir de peau de buffle, couvrait le haut de ses cuisses, son ventre était laissé nu comme depuis sa naissance, elle recouvrait uniquement depuis quelques années sa poitrine faite de deux petits seins hauts et légèrement pointés vers le ciel. Il faisait nuit noire, elle avait pris la pierre que lui tenait l’ancien et l’avait déchiffrée. Le langage était fait de lettres étranges, ressemblant plus à des petits dessins d’enfants, et avait résonné immédiatement dans sa tête, elle avait compris ce qu’elle lisait tout de suite. À l’évidence, cette pierre ne comportait pas un message pour les gens de son village ni pour ceux des familles vivant aux alentours. Elle avait ressenti que cette pierre portait un message intemporel. Le texte qu’elle s’était mis à lire était nerveux, incisif, elle en comprenait le langage, mais pas le sens. Elle avait certainement imaginé les vibrations des doigts qui auraient écrit ces mots, les cœurs battants qui se seraient joints pour concevoir ces idées, et surtout toutes les souffrances et les malheurs présupposant les conditions nécessaires à une telle réflexion. Avec précaution, elle se serait mise à lire à voix haute, dans l’obscurité de sa petite hutte, sous le regard bienveillant de l’ancien :
« CONSTITUTION DE L’HUMANITÉ
Article un : nous, Humains, reconnaissons le besoin fondamental et vital de chaque être humain à être connecté à l’Amour.
Article deux : nous, Humains, comprenons que nous sommes Une seule et même Humanité.
Article trois : nous, Humains, reconnaissons, l’urgente nécessité de déclarer “Patrimoine de l’Humanité”, toute la période de l’enfance, et de consacrer toutes les ressources nécessaires à cette période pour développer le potentiel Humain des enfants.
Article quatre : nous, Humains, reconnaissons l’importance d’œuvrer collectivement pour la paix.
Article cinq : nous, Humains, reconnaissons l’extrême importance de constituer une gouvernance mondiale.
Article six : nous, Humains, reconnaissons, l’urgence d’œuvrer dans l’acceptation de la différence de l’Autre, et le respect de l’Unicité de Chacun.
Article sept : nous, Humains, comprenons que la Terre et l’ensemble des créations font partie intégrante du patrimoine commun de l’Humanité que nous devons collectivement préserver.
Article huit : nous, Humains, décidons collectivement de mesurer l’apport de valeur ajoutée d’un être humain dans sa capacité à préserver les générations futures et le patrimoine Terre.
Article neuf : nous, Humains, comprenons et acceptons collectivement que les armes sont un signe de honte et que si le conflit militaire peut être nécessité d’autodéfense, il ne saurait jamais être élevé au rang de vertu.
Article dix : nous, Humains, comprenons la nécessité de toujours se rappeler que l’étranger peut être nous, et que nous pouvons être l’étranger. À tout moment. Nous nous engageons à toujours faire preuve d’empathie face à l’étranger. Au déplacé ».
Imaginez le choc d’une telle lecture ! Avoir à peine dix-sept ans, être chassée de son village sans rien d’autre qu’une pierre parlant de sauver l’Humanité. Pauvre Nadune, elle a certainement maudit cet Ancien ! Avant de quitter la petite case, l’ancien aurait ajouté : « le jour viendra où ce texte sera le seul moyen de faire basculer le monde vers sa perpétuation. Ce jour-là, tu choisiras un ou une élue qui pourra porter ce texte à son peuple. Ce moment sera cataclysmique, ce sera celui où l’Homme sera devenu un loup pour l’Homme, celui où la cupidité aura pris le dessus, où malgré de nombreuses tentatives pour la paix, et de nombreuses périodes de supplices, l’Humanité tout entière sera en mesure de s’auto-détruire car elle aura oublié jusqu’à la notion de “Sens” et d’“Amour”. Ce sera dans cent ans, dans mille ans, dans dix-mille ans. Tu le sauras. Et tu trouveras l’élu. »
Au petit matin, Nadune se préparait à quitter le village lorsque les femmes de la tribu, qui avaient décidé de l’attaquer cette nuit-là, étaient entrées de force dans son petit abri ! La plus jeune d’entre elles, et aussi la plus belle, a pris Nadune par le poignet droit et l’a mise à genoux, lui donnant plusieurs coups de pied dans le ventre, puis dans le dos. Toutes les femmes ont entouré Nadune, en hurlant et en tapant des pieds, puis elles l’ont plaquée sur le sol et ont déchiré son petit pagne. Alors, un homme est entré dans le cercle, un des jeunes mâles encore non-attribué aux femmes, et sous les cris et les chants, il a violé Nadune, comme l’ancien l’avait prévu. Les poignets et les bras cloués au sol, rouée de coups par les femmes pendant que l’homme la martyrisait, Nadune perdait tout : sa virginité, sa dignité et son humanité. Elle n’avait pas fui assez tôt. Lorsque l’homme eut terminé, les femmes prirent un objet tranchant, taillé dans une pierre, et tandis que l’une des femmes tenait Nadune par les bras, et une autre par les jambes, toujours clouée au sol, elles ont arraché et coupé ses cheveux, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. La tête en sang, le sexe en sang, Nadune était laissée presque morte.
Rampant hors de son abri, tenant un petit bout de tissu autour de son corps, cachant son crâne nu, ses jambes et ses bras pleins de bleus, les yeux ahuris, Nadune était partie cette nuit-là, sans laisser de trace derrière elle. Depuis, la légende court qu’elle a traversé l’Afrique, on a très peu d’indices, plutôt des morceaux de légende ici et là, en passant par le Burkina Faso où l’on retrouve sa trace à Boni entre autres dans un des rares villages où les jeunes filles effectuent des danses vigoureuses en agitant les bras en l’air et en portant des masques avec des cheveux bleus. Elle aurait ensuite traversé le Mali, l’Algérie, puis aurait tenté de traverser la Méditerranée sur un petit bateau avec d’autres humains rencontrés au fil de ses aventures. Évidemment, les informations et les traces liées au passage de Nadune sont infimes, on sait seulement que l’embarcation dans laquelle elle se trouvait aurait chaviré au large des côtes Libyennes. Elle se serait noyée en pleine Méditerranée, et personne n’aurait jamais retrouvé son corps. J’ai également entendu raconter que Nadune serait tombée enceinte cette nuit, et que l’enfant, fruit d’un viol, serait né exactement neuf mois plus tard, quelque part à l’est de Tripoli. Né d’une mère albinos, l’enfant, parait-il, était venu au monde avec une peau noir ébène. Nadune l’aurait abandonné pour le laisser mourir, avant d’embarquer pour traverser la Méditerranée. On raconte, aujourd’hui, qu’elle n’a cessé depuis de hanter les villes qui longent cette mer, à la recherche de la descendance maudite, et que lorsque l’on rencontre Nadune, on est soit sauvé de la mort, soit, si elle décèle que l’on est descendant de cet enfant, fruit de la violence humaine la plus barbare, elle organise une exécution, dans l’espoir d’éliminer à jamais une lignée dont elle est à l’origine. Condamnée à sauver l’Humanité en portant un message d’Amour, elle ne peut y parvenir, tant que sa descendance perpétrera la violence originelle. On parle aujourd’hui d’une femme à la peau blanche, aux cheveux bleus, qui erre sur les côtes méditerranéennes, et dont l’esprit vient en aide aux hommes et aux femmes, confrontés à la violence humaine, à la mort, et à la douleur. Il est raconté que pour ceux qui ont la chance d’être visités par Nadune, un message de paix et d’Amour est transmis, leur enseignant le pardon, l’altruisme, et l’empathie. Tout ceci évidemment n’est que légende, les habitants de Marseille le savent bien. Habiter au pied de la Grande Bleue peut rendre fou, surtout en grand temps de Mistral. Mais Nadune, cette femme chassée de son village pour avoir été trop blanche, trop belle, trop pure, et partie porter le message d’une grande et unique Humanité, cette femme prophète disparue en pleine mer, demeure dans l’esprit des enfants de cette région, de tous les côtés de la Méditerranée. Une femme prophète, à la peau blanche, aux cheveux bleus, portant le message d’Amour, personne n’y croit et tout le monde l’espère.