Petits châteaux de Bohême - Gérard de Nerval - E-Book

Petits châteaux de Bohême E-Book

Gérard de Nerval

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Beschreibung

Extrait : "C'était dans notre logement commun de la rue du Doyenné, que nous nous étions reconnus frères – Arcades ambo, – dans un coin du vieux Louvre des Médicis, – bien près de l'endroit où exista l'ancien hôtel de Rambouillet. Le vieux salon du doyen, aux quatre portes à deux battants, au plafond historié de rocailles et de guivres, – restauré par le soin de tant de peintres, nos amis, qui sont depuis devenus célèbres, retentissait de nos rimes galantes..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À UN AMI

O primavera, gioventa de l’anno,

Bella madre di fiori

D’herbe novelle e di novelli amori…

Pastor fido.

Mon ami, vous me demandez si je pourrais retrouver quelques-uns de mes anciens vers, et vous vous inquiétez même d’apprendre comment j’ai été poète, longtemps avant de devenir un humble prosateur.

Je vous envoie les trois âges du poète – il n’y a plus en moi qu’un prosateur obstiné. J’ai fait les premiers vers par enthousiasme de jeunesse, les seconds par amour, les derniers par désespoir. La Muse est entrée dans mon cœur comme une déesse aux paroles dorées ; elle s’en est échappée comme une pythie en jetant des cris de douleur. Seulement, ses derniers accents se sont adoucis à mesure qu’elle s’éloignait. Elle s’est détournée un instant, et j’ai revu comme en un mirage les traits adorés d’autrefois !

La vie d’un poète est celle de tous. Il est inutile d’en définir toutes les phases. Et maintenant :

Rebâtissons, ami, ce château périssable
Que le souffle du monde a jeté sur le sable.
Replaçons le sofa sous les tableaux flamands.
Premier château
ILa rue du Doyenné

C’était dans notre logement commun de la rue du Doyenné, que nous nous étions reconnus frères – Arcades ambo, – dans un coin du vieux Louvre des Médicis, – bien près de l’endroit où exista l’ancien hôtel de Rambouillet.

Le vieux salon du doyen, aux quatre portes à deux battants, au plafond historié de rocailles et de guivres, – restauré par les soins de tant de peintres, nos amis, qui sont depuis devenus célèbres, retentissait de nos rimes galantes, traversées souvent par les rires joyeux ou les folles chansons des Cydalises.

Le bon Rogier souriait dans sa barbe, du haut d’une échelle, où il peignait sur un des trois dessus de glace un Neptune, – qui lui ressemblait ! Puis, les deux battants d’une porte s’ouvraient avec fracas : c’était Théophile. – On s’empressait de lui offrir un fauteuil Louis XIII, et il lisait, à son tour, ses premiers vers, – pendant que Cydalise Ire, ou Lorry, ou Victorine, se balançaient nonchalamment dans le hamac de Sarah la blonde, tendu à travers l’immense salon.

Quelqu’un de nous se levait parfois, et rêvait à des vers nouveaux en contemplant, des fenêtres, les façades sculptées de la galerie du Musée, égayée de ce côté par les arbres du manège.

Vous l’avez bien dit :

Théo, te souviens-tu de ces vertes saisons
Qui s’effeuillaient si vite en ces vieilles maisons,
Dont le front s’abritait sous une aile du Louvre ?

Ou bien, par les fenêtres opposées, qui donnaient sur l’impasse, on adressait de vagues provocations aux yeux espagnols de la femme du commissaire, qui apparaissaient assez souvent au-dessus de la lanterne municipale.

Quels temps heureux ! On donnait des bals, des soupers, des fêtes costumées, – on jouait de vieilles comédies, où mademoiselle Plessy, étant encore débutante, ne dédaigna pas d’accepter un rôle : – c’était celui de Béatrice dans Jodelet. – Et que notre pauvre Édouard était comique dans les rôles d’Arlequin !

Nous étions jeunes, toujours gais, souvent riches… Mais je viens de faire vibrer la corde sombre : notre palais est rasé. J’en ai foulé les débris l’automne passée. Les ruines mêmes de la chapelle, qui se découpaient si gracieusement sur le vert des arbres, et dont le dôme s’était écroulé un jour, au dix-huitième siècle, sur six malheureux chanoines réunis pour dire un office, n’ont pas été respectées. Le jour où l’on coupera les arbres du manège, j’irai relire sur la place la Forêt coupée de Ronsard :

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras :
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes, qui vivaient dessous la dure écorce ?

Cela finit ainsi, vous le savez :

La matière demeure et la forme se perd !

Vers cette époque, je me suis trouvé, un jour encore, assez riche pour enlever aux démolisseurs et racheter deux lots de boiseries du salon, peintes par nos amis. J’ai les deux dessus de porte de Nanteuil, le Watteau de Vattier, signé ; les deux panneaux longs de Corot, représentant deux Paysages de Provence ; le Moine rouge, de Châtillon, lisant la Bible sur la hanche cambrée d’une femme nue, qui dort ; les Bacchantes, de Chassériau, qui tiennent des tigres en laisse comme des chiens ; les deux trumeaux de Rogier, où la Cydalise, en costume régence, – en robe de taffetas feuille morte, – triste présage, – sourit, de ses yeux chinois, en respirant une rose, en face du portrait en pied de Théophile, vêtu à l’espagnole. L’affreux propriétaire, qui demeurait au rez-de-chaussée, mais sur la tête duquel nous dansions trop souvent, après deux ans de souffrances qui l’avaient conduit à nous donner congé, a fait couvrir depuis toutes ces peintures d’une couche à la détrempe, parce qu’il prétendait que les nudités l’empêchaient de louer à des bourgeois. – Je bénis le sentiment d’économie qui l’a porté à ne pas employer la peinture à l’huile.

De sorte que tout cela est à peu près sauvé. Je n’ai pas retrouvé le Siège de Lérida, de Lorentz, où l’armée française monte à l’assaut, précédée par des violons ; ni les deux petits Paysages de Rousseau, qu’on aura sans doute coupés d’avance ; mais j’ai, de Lorentz, une maréchale poudrée, en uniforme Louis XV.– Quant au lit renaissance, à la console médicis, aux deux buffets, au Ribeira, aux tapisseries des quatre éléments, il y a longtemps que tout cela s’était dispersé. – Où avez-vous perdu tant de belles choses ? me dit un jour Balzac. – Dans les malheurs ! lui répondis-je en citant un de ses mots favoris.

IIPortraits

Reparlons de la Cydalise, ou plutôt, n’en disons qu’un mot : – Elle est embaumée et conservée à jamais, dans le pur cristal d’un sonnet de Théophile, – du Théo, comme nous disions.

Théophile a toujours passé pour solide ; il n’a jamais cependant pris de ventre, et s’est conservé tel encore que nous le connaissions. Nos vêtements étriqués sont si absurdes, que l’Antinoüs, habillé d’un habit, semblerait énorme, comme la Vénus, habillée d’une robe moderne : l’un aurait l’air d’un fort de la halle endimanché, l’autre d’une marchande de poisson. L’armature colossale du corps de notre ami (on peut le dire, puisqu’il voyage en Grèce aujourd’hui), lui fait souvent du tort près des dames abonnées aux journaux de modes ; une connaissance plus parfaite lui a maintenu la faveur du sexe le plus faible et le plus intelligent ; il jouissait d’une grande réputation dans notre cercle, et ne se mourait pas toujours aux pieds chinois de la Cydalise.

En remontant plus haut dans mes souvenirs, je retrouve un Théophile maigre… Vous ne l’avez pas connu. Je l’ai vu, un jour, étendu sur un lit, – long et vert, – la poitrine chargée de ventouses. Il s’en allait rejoindre, peu à peu, son pseudonyme, Théophile de Viau, dont vous avez décrit les amours panthéistes, – par le chemin ombragé de l’Allée de Sylvie. Ces deux poètes, séparés par deux siècles, se seraient serré la main, aux Champs-Élysées de Virgile, beaucoup trop tôt.

Voici ce qui s’est passé à ce sujet :