Poirot et les Quatre (traduit) - Agatha Christie - E-Book

Poirot et les Quatre (traduit) E-Book

Agatha Christie

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Beschreibung

- Cette édition est unique;
- La traduction est entièrement originale et a été réalisée pour l'Ale. Mar. SAS;
- Tous droits réservés.

Dans ce livre, le grand détective n'est pas confronté aux habituels tueurs occasionnels, mais à un ennemi bien plus dangereux : une organisation entière, dirigée par les quatre plus terribles esprits criminels du monde. Dirigés par un diabolique mandarin chinois, ces quatre génies du mal ont un plan très ambitieux : s'emparer de la planète entière en utilisant de mystérieux et puissants moyens de destruction. Un jeu inhabituellement risqué pour le prince des détectives, une véritable intrigue internationale qu'il pourra résoudre grâce à une ressource inattendue...
 

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Table des matières

 

1. L'INVITÉ INATTENDU

2. L'HOMME DE L'ASILE

3. NOUS EN SAVONS PLUS SUR LI CHANG YEN

4. L'IMPORTANCE D'UN GIGOT DE MOUTON

5. DISPARITION D'UN SCIENTIFIQUE

6. LA FEMME DANS L'ESCALIER

7. LES VOLEURS DE RADIUM

8. DANS LA MAISON DE L'ENNEMI

9. LE MYSTÈRE DU JASMIN JAUNE

10. NOUS ENQUÊTONS À CROFTLANDS

11. UN PROBLÈME D'ÉCHECS

12. LE PIÈGE APPÂTÉ

13. LA SOURIS ENTRE

14. LA BLONDE PEROXYDÉE

15. LA TERRIBLE CATASTROPHE

16. LE CHINOIS MOURANT

17. LE NUMÉRO QUATRE REMPORTE UN TOUR

18. DANS LE FELSENLABYRYNTH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les quatre grands

 

Agatha Christie

 

1. L'INVITÉ INATTENDU

J'ai rencontré des gens qui apprécient la traversée de la Manche, des hommes qui peuvent s'asseoir tranquillement dans leur chaise longue et, à l'arrivée, attendre que le bateau soit amarré, puis rassembler leurs affaires sans faire d'histoires et débarquer. Personnellement, je n'y parviendrai jamais. Dès que je monte à bord, je sens que le temps est trop court pour m'installer. Je déplace mes valises d'un endroit à l'autre, et si je descends au carré pour manger, je boulotte ma nourriture avec le sentiment inquiet que le bateau peut arriver à l'improviste pendant que je suis en bas. Peut-être tout cela n'est-il qu'un héritage des courtes permissions de la guerre, lorsqu'il semblait si important de s'assurer une place près de la passerelle et d'être parmi les premiers à débarquer pour ne pas perdre de précieuses minutes de ses trois ou cinq jours de permission.

En ce matin de juillet, alors que je me tenais près du rail et que je regardais les falaises blanches de Douvres se rapprocher, je m'émerveillais des passagers qui pouvaient rester tranquillement assis dans leurs fauteuils sans même lever les yeux à la première vue de leur pays natal. Pourtant, leur cas était peut-être différent du mien. Sans doute beaucoup d'entre eux n'étaient-ils venus à Paris que pour le week-end, alors que j'avais passé un an et demi dans un ranch en Argentine. J'y avais prospéré, et ma femme et moi avions apprécié la vie libre et facile du continent sud-américain, mais c'est avec une boule dans la gorge que je voyais le rivage familier s'approcher de plus en plus.

J'avais débarqué en France deux jours auparavant, réglé quelques affaires nécessaires, et j'étais maintenant en route pour Londres. Je devais y passer quelques mois, le temps de revoir de vieux amis, et l'un d'entre eux en particulier. Un petit homme à la tête ovoïde et aux yeux verts - Hercule Poirot ! Je me proposais de le prendre complètement par surprise. Ma dernière lettre de l'Argentine n'avait donné aucune indication sur mon voyage - qui avait d'ailleurs été décidé à la hâte à la suite de certaines complications professionnelles - et j'ai passé de nombreux moments amusants à m'imaginer son ravissement et sa stupéfaction en me voyant.

Je savais qu'il n'était pas susceptible de s'éloigner de son quartier général. L'époque où ses affaires l'attiraient d'un bout à l'autre de l'Angleterre était révolue. Sa renommée s'était étendue et il ne laissait plus une affaire absorber tout son temps. Il visait de plus en plus, au fil du temps, à être considéré comme un "détective consultant", un spécialiste au même titre qu'un médecin de Harley Street. Il s'était toujours moqué de l'idée populaire du limier humain qui revêtait de merveilleux déguisements pour traquer les criminels et qui s'arrêtait à chaque empreinte de pas pour la mesurer.

"Non, mon ami Hastings, répondait-il, nous laissons cela à Giraud et à ses amis. Les méthodes d'Hercule Poirot sont les siennes. L'ordre, la méthode et les "petites cellules grises". Assis confortablement dans nos fauteuils, nous voyons les choses que les autres ne voient pas, et nous ne tirons pas de conclusions hâtives comme le digne Japp".

Non, il n'y avait guère de crainte de retrouver Hercule Poirot au loin.

A mon arrivée à Londres, j'ai déposé mes bagages dans un hôtel et je me suis rendu directement à l'ancienne adresse. Quels souvenirs poignants cela me rappelait ! Je n'ai pas attendu pour saluer mon ancienne propriétaire, mais j'ai monté les escaliers deux par deux et j'ai frappé à la porte de Poirot.

"Entrez donc, s'écria une voix familière de l'intérieur.

Je suis entré à grands pas. Poirot se tenait face à moi. Il tenait dans ses bras une petite valise qu'il laissa tomber avec fracas en m'apercevant.

"Mon ami, Hastings !" s'est-il écrié. "Mon ami, Hastings !"

Et, se précipitant en avant, il m'enveloppa d'une étreinte généreuse. Notre conversation était incohérente et inconséquente. Ejaculations, questions pressantes, réponses incomplètes, messages de ma femme, explications sur mon voyage, tout était mélangé.

"Je suppose qu'il y a quelqu'un dans mes anciennes chambres ? demandai-je enfin, lorsque nous nous fûmes un peu calmés. "J'aimerais bien me réinstaller ici avec vous."

Le visage de Poirot changea avec une soudaineté surprenante.

"Mon Dieu ! mais quelle chance épouvantable. Regard autour de vous, mon ami."

Pour la première fois, j'ai fait attention à ce qui m'entourait. Contre le mur se trouvait une vaste arche constituée d'un coffre de conception préhistorique. Près d'elle étaient placées un certain nombre de valises, soigneusement rangées par ordre de taille, de la plus grande à la plus petite. La conclusion était sans équivoque.

"Vous partez ?"

"Oui.

"Pour aller où ?"

"Amérique du Sud".

"Quoi ?"

"Oui, c'est une drôle de farce, n'est-ce pas ? C'est à Rio que je vais, et chaque jour je me dis que je n'écrirai rien dans mes lettres - mais oh ! la surprise du bon Hastings quand il me verra !"

"Mais quand pars-tu ?"

Poirot regarde sa montre.

"Dans une heure".

"Je croyais que vous aviez toujours dit que rien ne vous inciterait à faire un long voyage en mer ?"

Poirot ferma les yeux et frissonna.

"Ne m'en parlez pas, mon ami. Mon médecin, il m'assure qu'on n'en meurt pas - et c'est pour une seule fois ; vous comprenez, que jamais - jamais je ne reviendrai."

Il m'a poussé sur une chaise.

"Viens, je vais te raconter comment tout cela est arrivé. Sais-tu qui est l'homme le plus riche du monde ? Plus riche encore que Rockefeller ? Abe Ryland."

"Le roi du savon américain ?

"Précisément. Un de ses secrétaires m'a contacté. Il s'agit d'une supercherie très importante, comme vous l'appelleriez, en rapport avec une grande entreprise de Rio. Il souhaitait que j'enquête sur place. J'ai refusé. Je lui ai dit que si on me présentait les faits, je lui donnerais mon avis d'expert. Mais il s'est déclaré incapable de le faire. Je ne devais être mis au courant des faits qu'à mon arrivée sur place. Normalement, cela aurait dû clore l'affaire. Dicter à Hercule Poirot, c'est de l'impertinence pure et simple. Mais la somme offerte était si énorme que, pour la première fois de ma vie, j'ai été tenté par de l'argent. C'était une compétence - une fortune ! Et il y avait une deuxième attraction - vous, mon ami. Depuis un an et demi, je suis un vieil homme très solitaire. Je me suis dit : "Pourquoi pas ? Je commence à me lasser de cette interminable résolution de problèmes stupides. J'ai atteint une notoriété suffisante. Laissez-moi prendre cet argent et m'installer quelque part près de mon vieil ami."

J'ai été très touchée par cette marque d'estime de Poirot.

"J'ai donc accepté", a-t-il poursuivi, "et dans une heure, je dois partir pour prendre le train. C'est une des petites ironies de la vie, n'est-ce pas ? Mais je vous avoue, Hastings, que si la somme proposée n'avait pas été aussi importante, j'aurais peut-être hésité, car j'ai récemment entamé une petite enquête de mon côté. Dites-moi, qu'entend-on généralement par l'expression "les quatre grands" ?"

"Je suppose qu'il trouve son origine à la Conférence de Versailles, et puis il y a les fameux 'Big Four' dans le monde du cinéma, et le terme est utilisé par des animateurs de plus petite envergure".

"Je vois, dit Poirot d'un air pensif. "J'ai rencontré cette expression, vous comprenez, dans certaines circonstances où aucune de ces explications ne s'appliquait. Elle semble faire référence à une bande de criminels internationaux ou quelque chose de ce genre ; seulement..."

"Seulement quoi ?", ai-je demandé alors qu'il hésitait. demandai-je, alors qu'il hésitait.

"Seulement, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un projet à grande échelle. Ce n'est qu'une petite idée à moi, rien de plus. Ah, mais il faut que je termine ma valise. Le temps avance."

"Ne partez pas", ai-je insisté. "Annulez votre passage et embarquez avec moi sur le même bateau."

Poirot se redressa et me lança un regard de reproche.

"Ah, c'est que vous ne comprenez pas ! J'ai donné ma parole, vous comprenez, la parole d'Hercule Poirot. Rien d'autre qu'une question de vie ou de mort ne peut me retenir maintenant."

"Et cela ne risque pas d'arriver", ai-je murmuré avec dépit. "À moins qu'à la onzième heure, la porte s'ouvre et que l'invité inattendu entre".

J'ai cité le vieux dicton avec un léger rire, puis, dans la pause qui a suivi, nous avons tous les deux sursauté lorsqu'un bruit a retenti dans la pièce intérieure.

"Qu'est-ce que c'est ? m'écriai-je.

"Ma foi ! rétorque Poirot. "Cela ressemble beaucoup à votre 'invité inattendu' dans ma chambre".

"Mais comment quelqu'un peut-il être là-dedans ? Il n'y a pas d'autre porte que celle de cette pièce."

"Votre mémoire est excellente, Hastings. Passons maintenant aux déductions."

"La fenêtre ! Mais c'est un cambrioleur alors ? Il a dû avoir du mal à l'escalader - je dirais que c'était presque impossible."

Je m'étais levé et je me dirigeais à grands pas vers la porte lorsque le bruit d'un tâtonnement sur la poignée de l'autre côté m'arrêta.

La porte s'ouvre lentement. Un homme se tient dans l'encadrement de la porte. Il était couvert de poussière et de boue de la tête aux pieds ; son visage était maigre et émacié. Il nous fixa un instant, puis vacilla et tomba. Poirot se précipita à ses côtés, puis il leva les yeux et s'adressa à moi.

"Brandy, vite."

Je versai un peu de cognac dans un verre et l'apportai. Poirot réussit à s'en administrer un peu et, ensemble, nous le soulevâmes et le portâmes sur le divan. Au bout de quelques minutes, il ouvrit les yeux et regarda autour de lui d'un air presque absent.

"Qu'est-ce que vous voulez, monsieur ? dit Poirot.

L'homme ouvrit les lèvres et parla d'une étrange voix mécanique.

"M. Hercule Poirot, 14 rue Farraway."

"Oui, oui, c'est moi".

L'homme ne sembla pas comprendre et se contenta de répéter exactement sur le même ton

"M. Hercule Poirot, 14 rue Farraway."

Poirot lui posa plusieurs questions. Parfois, l'homme ne répondait pas du tout ; parfois, il répétait la même phrase. Poirot me fit signe de sonner au téléphone.

"Faites venir le Dr Ridgeway."

Par chance, le docteur était là, et comme sa maison se trouvait juste au coin de la rue, quelques minutes s'écoulèrent avant qu'il n'entre en trombe.

"C'est quoi tout ça, hein ?"

Poirot donne une brève explication et le médecin commence à examiner notre étrange visiteur, qui semble tout à fait inconscient de sa présence ou de la nôtre.

"Le Dr Ridgeway a dit, quand il a eu fini, qu'il s'agissait d'un cas curieux. "Curieuse affaire".

"Fièvre cérébrale ? ai-je suggéré.

Le médecin a immédiatement reniflé avec mépris.

"Fièvre cérébrale ! Fièvre cérébrale ! La fièvre cérébrale n'existe pas. Une invention des romanciers. Non, cet homme a subi un choc quelconque. Il est venu ici sous la force d'une idée persistante - trouver M. Hercule Poirot, 14 rue Farraway - et il répète ces mots machinalement sans savoir le moins du monde ce qu'ils signifient."

"Aphasie ? dis-je avec impatience.

Cette suggestion n'a pas provoqué chez le médecin un reniflement aussi violent que celui qu'avait provoqué ma dernière suggestion. Il ne répondit pas, mais tendit à l'homme une feuille de papier et un crayon.

"Voyons ce qu'il va en faire", a-t-il remarqué.

L'homme n'en fit rien pendant quelques instants, puis il se mit soudain à écrire fébrilement. Avec la même soudaineté, il s'arrêta et laissa le papier et le crayon tomber sur le sol. Le médecin les ramasse et secoue la tête.

"Rien ici. Seulement le chiffre 4 griffonné une douzaine de fois, chaque fois plus grand que le précédent. Il veut écrire 14 Farraway Street, j'imagine. C'est un cas intéressant, très intéressant. Pouvez-vous le garder ici jusqu'à cet après-midi ? Je dois me rendre à l'hôpital, mais je reviendrai cet après-midi pour prendre toutes les dispositions nécessaires. C'est un cas trop intéressant pour qu'on le perde de vue."

J'ai expliqué le départ de Poirot et le fait que je me proposais de l'accompagner à Southampton.

"Ce n'est pas grave. Laissez l'homme ici. Il ne fera pas de bêtises. Il est complètement épuisé. Il dormira probablement huit heures d'affilée. Je vais parler à votre excellente Mme Funnyface et lui dire de garder un oeil sur lui."

Et le docteur Ridgeway sortit avec sa célérité habituelle. Poirot s'empresse de faire ses valises, un œil sur l'horloge.

"Le temps défile avec une rapidité incroyable. Allons, Hastings, vous ne pouvez pas dire que je vous ai laissé sans rien faire. Un problème des plus sensationnels. L'homme de l'inconnu. Qui est-il ? Qu'est-ce qu'il est ? Ah, sapristi, mais je donnerais deux ans de ma vie pour que ce bateau parte demain au lieu d'aujourd'hui. Il y a ici quelque chose de très curieux, de très intéressant. Mais il faut avoir le temps - le temps. Il faudra peut-être des jours, voire des mois, avant qu'il ne puisse nous dire ce qu'il est venu nous dire."

"Je ferai de mon mieux, Poirot", lui ai-je assuré. "J'essaierai d'être un substitut efficace."

"Oui".

Sa réponse m'a semblé un peu douteuse. J'ai ramassé la feuille de papier.

"Si j'écrivais une histoire", ai-je dit à la légère, "je la mêlerais à votre dernière idiosyncrasie et l'appellerais Le mystère des quatre grands". J'ai tapoté les chiffres crayonnés en même temps que je parlais.

C'est alors que j'ai sursauté, car notre invalide, sorti soudainement de sa stupeur, s'est redressé sur sa chaise et a dit clairement et distinctement :

"Li Chang Yen.

Il avait l'air d'un homme soudainement réveillé par le sommeil. Poirot me fit signe de ne pas parler. L'homme continua. Il parlait d'une voix claire et haute, et quelque chose dans son énonciation me donnait l'impression qu'il citait un rapport écrit ou une conférence.

"Li Chang Yen peut être considéré comme le cerveau des quatre grands. Il est la force dirigeante et motrice. Je l'ai donc désigné comme le numéro un. Le numéro deux est rarement mentionné par son nom. Il est représenté par un "S" traversé par deux lignes, le signe du dollar, ainsi que par deux bandes et une étoile. On peut donc supposer qu'il s'agit d'un sujet américain et qu'il représente le pouvoir de la richesse. Il ne fait aucun doute que le numéro trois est une femme et que sa nationalité est française. Il est possible qu'elle soit l'une des sirènes du demi-monde, mais rien n'est sûr. Le numéro quatre..."

Sa voix a faibli et s'est brisée. Poirot se pencha en avant.

"Oui", demande-t-il avec impatience. "Numéro quatre ?

Ses yeux s'arrêtent sur le visage de l'homme. Une terreur irrésistible semblait l'avoir emporté ; les traits étaient déformés et tordus.

"Le destructeur", souffle l'homme. Puis, avec un dernier mouvement convulsif, il retomba dans un état d'évanouissement.

"Mon Dieu ! murmura Poirot, j'avais raison à ce moment-là. J'avais raison."

"Vous pensez... ?"

Il m'a interrompu.

"Portez-le sur le lit de ma chambre. Je n'ai pas une minute à perdre si je veux attraper mon train. Non pas que je veuille le prendre. Oh, si je pouvais le manquer en toute bonne conscience ! Mais j'ai donné ma parole. Venez, Hastings !"

Laissant notre mystérieux visiteur à la charge de Mme Pearson, nous partîmes en voiture et rattrapâmes le train de justesse. Poirot était tour à tour silencieux et loquace. Il restait assis à regarder par la fenêtre, comme un homme perdu dans un rêve, n'entendant apparemment pas un mot de ce que je lui disais. Puis, se remettant soudain à s'animer, il m'abreuvait d'injonctions et d'ordres, et insistait sur la nécessité de marconigrammes constants.

Nous avons eu une longue période de silence juste après avoir passé Woking. Le train, bien sûr, ne s'arrêtait nulle part jusqu'à Southampton ; mais juste à ce moment-là, il a été retenu par un signal.

"Ah ! Sacré mille tonnerres ! s'écria soudain Poirot. "Mais j'ai été un imbécile. Je vois enfin clair. Ce sont sans aucun doute les saints qui ont arrêté le train. Sautez, Hastings, mais sautez, je vous le dis."

En un instant, il a détaché la porte cochère et a sauté sur la ligne.

"Jetez les valises et sautez vous-même."

Je lui ai obéi. Juste à temps. Alors que je descendais à côté de lui, le train s'est mis en marche.

"Et maintenant, Poirot, dis-je, un peu exaspéré, vous allez peut-être me dire de quoi il s'agit.

"C'est, mon ami, que j'ai vu la lumière."

"J'ai répondu que cela m'éclairait beaucoup.

"Cela devrait être le cas, dit Poirot, mais je crains - je crains fort - que ce ne soit pas le cas. Si vous pouvez porter deux de ces valises, je pense que je peux m'occuper du reste."

2. L'HOMME DE L'ASILE

Heureusement, le train s'était arrêté près d'une gare. Une courte marche nous conduisit à un garage où nous pûmes obtenir une voiture et, une demi-heure plus tard, nous filions rapidement vers Londres. C'est à ce moment-là, et pas avant, que Poirot a daigné satisfaire ma curiosité.

"Vous ne voyez pas ? Pas plus que moi. Mais je vois maintenant. Hastings, j'étais en train de m'écarter du chemin."

"Quoi ?

"Oui, très intelligemment. Le lieu et la méthode ont été choisis avec beaucoup de connaissance et de perspicacité. Ils avaient peur de moi."

"Qui était ?"

"Ces quatre génies qui se sont regroupés pour travailler en marge de la loi. Un Chinois, un Américain, une Française et... un autre. Prions le bon Dieu que nous arrivions à temps, Hastings."

"Vous pensez qu'il y a un danger pour notre visiteur ?"

"J'en suis sûr."

Mme Pearson nous a accueillis à notre arrivée. Ecartant ses extases d'étonnement à la vue de Poirot, nous lui avons demandé des renseignements. Nous fûmes rassurés. Personne n'avait appelé et notre invité n'avait fait aucun signe.

C'est avec un soupir de soulagement que nous sommes montés dans les chambres. Poirot traversa la chambre extérieure et se rendit dans la chambre intérieure. Puis il m'appela, la voix étrangement agitée.

"Hastings, il est mort."

J'ai couru le rejoindre. L'homme était couché comme nous l'avions laissé, mais il était mort, et ce depuis un certain temps. Je me suis empressé d'aller chercher un médecin. Je savais que Ridgeway n'était pas encore rentré. J'en trouvai un presque immédiatement et le ramenai avec moi.

"Il est bien mort, le pauvre. Le clochard avec qui tu t'es lié d'amitié, hein ?"

"Quelque chose de ce genre", dit Poirot d'un ton évasif. "Quelle est la cause de la mort, docteur ?

"Difficile à dire. Il s'agit peut-être d'une sorte de crise. Il y a des signes d'asphyxie. Il n'y a pas de gaz, n'est-ce pas ?"

"Non, la lumière électrique, rien d'autre.

"Et les deux fenêtres sont grandes ouvertes. Il est mort depuis environ deux heures, je dirais. Vous préviendrez les personnes compétentes, n'est-ce pas ?"

Il prend congé. Poirot a fait quelques appels téléphoniques nécessaires. Enfin, à ma grande surprise, il appela notre vieil ami l'inspecteur Japp et lui demanda s'il pouvait venir.

A peine ces démarches terminées, Mme Pearson apparaît, les yeux ronds comme des soucoupes.

"Il y a ici un homme de 'Anwell, du 'Sylum. Vous l'avez déjà vu ? Dois-je lui montrer ?"

Nous avons donné notre accord et un homme costaud en uniforme a été introduit.

"Bonjour, messieurs", dit-il joyeusement. "J'ai des raisons de croire que vous avez un de mes oiseaux ici. Il s'est échappé la nuit dernière."

"Il était ici", dit Poirot à voix basse.

"Il ne s'est pas encore enfui, n'est-ce pas ? demande le gardien avec une certaine inquiétude.

"Il est mort."

L'homme avait l'air plus soulagé qu'autre chose.

"Vous ne le dites pas. Eh bien, j'ose dire que c'est mieux pour toutes les parties."

"Était-il dangereux ?"

"Omicidal, vous voulez dire ? Oh, non. 'Sans bras'. Manie de la persécution très aiguë. Plein de sociétés secrètes chinoises qui l'avaient fait taire. Ils sont tous pareils."

J'ai frémi.

"Depuis combien de temps était-il enfermé ? demanda Poirot.

"Depuis deux ans".

"Je vois, dit Poirot tranquillement. "Personne n'a jamais pensé qu'il pouvait être sain d'esprit ?"

Le gardien se permit de rire.

"S'il était sain d'esprit, que ferait-il dans un asile d'aliénés ? Ils disent tous qu'ils sont sains d'esprit, vous savez".

Poirot n'en dit pas plus. Il emmène l'homme voir le corps. L'identification s'est faite immédiatement.

"C'est bien lui, dit le gardien d'un ton ironique ; c'est un drôle de type, n'est-ce pas ? Eh bien, messieurs, je ferais mieux de partir maintenant et de prendre mes dispositions en fonction des circonstances. Nous ne vous dérangerons pas plus longtemps avec le cadavre. S'il y a une enquête préliminaire, vous devrez y comparaître, j'ose le dire. Bonjour, monsieur."

Avec un salut plutôt grossier, il sortit de la pièce en titubant.

Quelques minutes plus tard, Japp arrive. L'inspecteur de Scotland Yard est jovial et élégant, comme à son habitude.

"Je suis Moosior Poirot. Que puis-je faire pour vous ? Je pensais que vous étiez parti sur les plages coralliennes de quelque part ou d'autre aujourd'hui ?"

"Mon bon Japp, je voudrais savoir si vous avez déjà vu cet homme."

Il conduit Japp dans la chambre à coucher. L'inspecteur regarde la silhouette sur le lit avec un visage perplexe.

"Voyons voir, il me semble familier et je suis fier de ma mémoire. Mais, Dieu bénisse mon âme, c'est Mayerling !"

"Et qui est - ou était - Mayerling ?"

"Un type des services secrets - pas l'un des nôtres. Il est allé en Russie il y a cinq ans. On n'a plus jamais entendu parler de lui. J'ai toujours pensé que les Bolchéens l'avaient tué."

"Tout concorde, dit Poirot lorsque Japp a pris congé, à l'exception du fait qu'il semble être mort d'une mort naturelle.

Il resta à regarder la silhouette immobile avec un froncement de sourcils mécontent. Un coup de vent fit voler les rideaux de la fenêtre et il leva vivement les yeux.

"Je suppose que vous avez ouvert les fenêtres lorsque vous l'avez allongé sur le lit, Hastings ?"

"Non, je ne l'ai pas fait", ai-je répondu. "Autant que je me souvienne, elles étaient fermées".

Poirot releva brusquement la tête.

"Fermées, elles sont maintenant ouvertes. Qu'est-ce que cela signifie ?"

"Quelqu'un est entré par là", ai-je suggéré.

"Peut-être", approuva Poirot, mais il parlait distraitement et sans conviction. Au bout d'une minute ou deux, il reprit :

"Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire, Hastings. Si une seule fenêtre était ouverte, cela ne m'intriguerait pas autant. C'est le fait que les deux fenêtres soient ouvertes qui me paraît curieux."

Il se précipite dans l'autre pièce.

"La fenêtre du salon est également ouverte. Nous l'avions également laissée fermée. Ah !"

Il se penche sur le mort, examine minutieusement les commissures des lèvres. Puis il lève brusquement les yeux.

"Il a été bâillonné, Hastings. Bâillonné et empoisonné."

"Bon sang ! m'exclamai-je, choqué. "Je suppose que l'autopsie nous permettra de tout savoir."

"Nous ne découvrirons rien. Il a été tué en inhalant de l'acide prussique puissant. Il a été coincé juste sous son nez. Puis le meurtrier est reparti en ouvrant d'abord toutes les fenêtres. L'acide cyanhydrique est extrêmement volatil, mais il a une odeur prononcée d'amande amère. Sans trace d'odeur pour les guider et sans soupçon d'acte criminel, la mort serait attribuée à une cause naturelle par les médecins. Cet homme faisait donc partie des services secrets, Hastings. Et il y a cinq ans, il a disparu en Russie."

"Les deux dernières années, il a été à l'asile", ai-je dit. "Mais qu'en est-il des trois années précédentes ?"

Poirot secoua la tête, puis m'attrapa le bras.

"L'horloge, Hastings, regarde l'horloge."

J'ai suivi son regard jusqu'à la cheminée. La pendule s'était arrêtée à quatre heures.

"Mon ami, quelqu'un l'a trafiqué. Il lui restait encore trois jours à courir. C'est une horloge à huit jours, vous comprenez ?"

"Mais pourquoi voudraient-ils faire cela ? Une idée de fausse piste en faisant croire que le crime a eu lieu à quatre heures ?"

"Non, non, réorganisez vos idées, mon ami. Faites travailler vos petites cellules grises. Vous êtes Mayerling. Vous entendez quelque chose, peut-être, et vous savez bien que votre destin est scellé. Vous avez juste le temps de laisser un signe. Quatre heures, Hastings. Numéro quatre, le destructeur. Ah ! une idée !"

Il se précipite dans l'autre pièce et saisit le téléphone. Il demande Hanwell.

"Vous êtes l'asile, oui ? J'ai cru comprendre qu'il y avait eu une évasion aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous dites ? Un petit moment, s'il vous plaît. Voulez-vous répéter ? Ah ! parfaitement."

Il raccroche le combiné et se tourne vers moi.

"Vous avez entendu, Hastings ? Il n'y a pas eu d'évasion."

"Mais l'homme qui est venu, le gardien ? dis-je.

"Je me demande, je me demande vraiment".

"Vous voulez dire... ?"

"Numéro quatre - le destructeur".

J'ai regardé Poirot, abasourdi. Une minute ou deux plus tard, ayant retrouvé ma voix, j'ai dit:-

"Nous le reverrons, n'importe où, c'est une chose. C'était un homme à la personnalité très marquée".

"L'était-il, mon ami ? Je ne crois pas. Il était costaud, bluffant et rougeaud, avec une grosse moustache et une voix rauque. Il ne sera plus rien de tout cela à l'heure qu'il est, et pour le reste, il a des yeux et des oreilles indéfinissables, et des fausses dents parfaites. L'identification n'est pas aussi facile que vous semblez le croire. La prochaine fois..."

"Vous pensez qu'il y aura une prochaine fois ? Je l'ai interrompu.

Le visage de Poirot devient très grave.

"C'est un duel à mort, mon ami. Vous et moi d'un côté, les quatre grands de l'autre. Ils ont gagné le premier tour, mais ils ont échoué dans leur plan pour me mettre hors-jeu, et à l'avenir, ils devront compter avec Hercule Poirot !"

3. NOUS EN SAVONS PLUS SUR LI CHANG YEN

Pendant un jour ou deux après la visite du faux préposé à l'asile, j'ai eu l'espoir qu'il reviendrait, et j'ai refusé de quitter l'appartement ne serait-ce qu'un instant. Pour autant que je puisse le voir, il n'avait aucune raison de soupçonner que nous avions percé son déguisement. Je me suis dit qu'il pourrait revenir et essayer de retirer le corps, mais Poirot s'est moqué de mon raisonnement.

"Mon ami, dit-il, si tu veux, tu peux attendre pour mettre du sel sur la queue du petit oiseau, mais moi, je ne perds pas mon temps ainsi.

"Dans ce cas, Poirot, pourquoi a-t-il pris le risque de venir ? S'il avait l'intention de revenir plus tard pour récupérer le corps, je vois bien l'intérêt de sa visite. Il aurait au moins éliminé les preuves contre lui ; en l'état, il ne semble pas avoir gagné quoi que ce soit."

Poirot haussa le plus gaulois de ses haussements d'épaules. "Mais vous ne voyez pas avec les yeux du numéro quatre, Hastings", dit-il. "Vous parlez de preuves, mais quelles preuves avons-nous contre lui ? Certes, nous avons un corps, mais nous n'avons même pas la preuve que cet homme a été assassiné - l'acide russe, lorsqu'il est inhalé, ne laisse aucune trace. De plus, nous n'avons trouvé personne qui ait vu quelqu'un entrer dans l'appartement pendant notre absence, et nous n'avons rien découvert sur les mouvements de notre défunt ami, Mayerling.....

"Non, Hastings, Numéro Quatre n'a laissé aucune trace, et il le sait. Nous pouvons qualifier sa visite de reconnaissance. Peut-être voulait-il s'assurer que Mayerling était bien mort, mais plus probablement, je pense, il est venu voir Hercule Poirot et s'entretenir avec l'adversaire qu'il est le seul à devoir craindre."

Le raisonnement de Poirot m'a paru typiquement égoïste, mais je me suis abstenu de discuter.

"Et l'enquête ? demandai-je. "Je suppose que vous y expliquerez clairement les choses et que vous donnerez à la police une description complète du numéro quatre.

"Et dans quel but ? Pouvons-nous produire quoi que ce soit qui puisse impressionner un jury de coroners composé de vos solides Britanniques ? Notre description du numéro quatre a-t-elle une quelconque valeur ? Non ; nous allons leur permettre de l'appeler "mort accidentelle" et peut-être, bien que je n'aie pas beaucoup d'espoir, notre habile meurtrier se félicitera-t-il d'avoir trompé Hercule Poirot dès le premier tour".

Poirot avait raison, comme d'habitude. Nous n'avons plus revu l'homme de l'asile et l'enquête, à laquelle j'ai témoigné mais à laquelle Poirot n'a même pas assisté, n'a suscité aucun intérêt de la part du public.

Comme Poirot avait liquidé ses affaires avant mon arrivée en raison de son projet de voyage en Amérique du Sud, il n'avait plus d'affaires en cours à ce moment-là, mais bien qu'il passât la majeure partie de son temps dans l'appartement, je n'arrivais pas à obtenir grand-chose de lui. Il restait enfoui dans un fauteuil et décourageait mes tentatives de conversation.

Un matin, environ une semaine après le meurtre, il m'a demandé si je voulais l'accompagner lors d'une visite qu'il souhaitait faire. Cela m'a fait plaisir, car je sentais qu'il commettait une erreur en essayant de résoudre les choses tout seul, et j'ai voulu discuter de l'affaire avec lui. Mais je me suis rendu compte qu'il n'était pas communicatif. Même lorsque j'ai demandé où nous allions, il n'a pas répondu.

Poirot aime être mystérieux. Il ne donne une information qu'au dernier moment. En l'occurrence, après avoir pris successivement un bus et deux trains, et être arrivé dans le quartier de l'une des banlieues sud les plus déprimantes de Londres, il consentit enfin à s'expliquer.

"Nous allons, Hastings, voir le seul homme en Angleterre qui connaît le mieux la vie souterraine de la Chine."

"En effet ! Qui est-ce ?"

"Un homme dont vous n'avez jamais entendu parler : M. John Ingles. Il s'agit en fait d'un fonctionnaire retraité à l'intelligence médiocre, dont la maison est remplie de curiosités chinoises avec lesquelles il ennuie ses amis et ses connaissances. Néanmoins, des personnes bien informées m'ont assuré que le seul homme capable de me fournir les informations que je recherche est ce même John Ingles".

Quelques instants plus tard, nous avons gravi les marches des Laurels, nom donné à la résidence de M. Ingles. Personnellement, je n'ai pas remarqué de laurier d'aucune sorte, et j'en ai donc déduit qu'elle avait été nommée selon la nomenclature obscure habituelle des banlieues.

Nous avons été admis par un serviteur chinois au visage impassible, qui nous a conduits en présence de son maître. M. Ingles était un homme à la carrure carrée, au visage un peu jaune, avec des yeux enfoncés qui avaient un caractère étrangement réfléchi. Il se leva pour nous saluer, mettant de côté une lettre ouverte qu'il tenait à la main. Il y fit référence après son salut.