Selkie - Laëtitia Burgun - E-Book

Selkie E-Book

Laëtitia Burgun

0,0

Beschreibung

Plongée dans un monde où les morts trouvent une voix, Ailsa Watson se retrouve hantée par leur présence. Elle tente désespérément de les éviter, mais une rencontre inattendue avec une défunte bouleverse ses plans. Impliquée malgré elle dans une enquête menée par le commissaire Kenneth Reid, Ailsa se voit contrainte de faire face à ses dons uniques. Alors qu’ils unissent leurs forces pour traquer un tueur en série, entre mythes, fantômes et humour noir, leur collaboration les entraînera dans une aventure aussi étrange que dangereuse.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Fascinée dès sa tendre enfance par les aventures d’Harry Potter, Laëtitia Burgun a toujours plusieurs histoires qui s’agitent dans son esprit, attendant d’être couchées sur le papier. Désormais, l’écriture occupe une place prépondérante dans sa vie, monopolisant presque tout son temps libre. "Selkie – La messagère" est sa troisième réalisation littéraire.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 679

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Laëtitia Burgun

Selkie

La messagère

Roman

© Lys Bleu Éditions – Laëtitia Burgun

ISBN : 979-10-422-3616-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes Electrastrar,

Vous me manquez chaque jour qui passe

Chapitre 1

Ailsa

J’étais tellement pressée de quitter mon lieu de travail que je n’avais même pas prêté attention au temps qu’il faisait. Je fus surprise de constater qu’il était en train de pleuvoir. Ça n’aurait pas dû être le cas. Je vivais en Écosse. Il pleuvait la moitié de l’année. J’adorais ça. Sauf quand je n’avais pas de parapluie pour m’abriter et que je m’étais apprêtée pour cette journée de travail dans une tenue qui n’était pas du tout adaptée à la météo actuelle.

Je fermais précipitamment mon manteau, resserrant mon écharpe autour de mon cou. Je levais les yeux en direction du ciel en colère avant de rabattre ma capuche sur ma tête. Je ne pouvais rien distinguer de toute manière. Il faisait nuit noire. Le soleil s’était couché depuis ce qu’il me semblait être une éternité. La seule manière dont je pouvais constater l’intensité de l’averse était au niveau de la luminosité des différents lampadaires à travers la rue. C’était plutôt intense. Conformément à ce qu’on pouvait attendre à Aberdeen au début du mois de janvier.

Je n’attendis pas que la pluie se calme. Je n’avais pas envie de retourner à l’intérieur de l’immeuble où se trouvait la maison d’édition où je travaillais. Mes collègues s’y trouvaient toujours, malgré l’heure tardive. Ils ne le savaient pas, mais certains n’étaient pas venus seuls. J’avais eu beaucoup de mal à ne pas prêter attention à ces invités indésirables que j’étais la seule à voir. J’étais partie dès que la politesse m’y autorisait afin de pas attirer l’attention sur mon introversion.

Je commençais à m’éloigner dans la rue, quittant le confort relatif des abords du petit immeuble où je travaillais. La plupart des gouttes tombaient à côté de moi quand je restais près du mur, mais je ne pouvais pas y rester. Je devais rejoindre ma voiture, ce qui me fit regretter de m’être garée aussi loin. J’allais être trempée quand j’arriverais. Je bousculais quelqu’un dans mon empressement, m’excusant rapidement avant de lui sourire sans arrêter de marcher.

Je ne connaissais pas assez la ville pour savoir où me garer pour être au plus près de mon lieu de travail. Je n’étais pas originaire de cette région de l’Écosse. Je n’avais même pas besoin de venir tous les jours pour travailler puisque je pouvais faire du télétravail. Je me garais sur le parking de la gare, même si je devais marcher pendant une dizaine de minutes pour arriver à bon port. Ce n’était pas dérangeant à l’accoutumée, mais ça le devenait quand il faisait nuit et qu’il pleuvait à verse.

Je ne partais jamais aussi tard des bureaux habituellement. Quand il fallait que je vienne à Aberdeen pour une réunion ou une autre obligation, je faisais comme tout le monde. Je partais à dix-sept ou dix-huit heures au plus tard. Ce n’était pas le cas aujourd’hui. Notre directrice avait demandé à ce que tout le monde soit présent pour ce premier jour de travail de l’année afin de faire une petite soirée tous ensemble. Un traiteur avait servi le dîner, de la musique avait été diffusée et ça avait été un moment agréable pour tout le monde. Sauf pour moi. J’étais trop introvertie pour être heureuse de passer la soirée loin de chez moi. J’aurais mille fois préféré rester chez moi où j’aurais pu me pelotonner dans mon fauteuil avec une tasse de chocolat chaud.

Je passais devant le Music-Hall sans ralentir. Je prenais toujours un peu de temps pour admirer le bâtiment normalement. Il me faisait penser au Parthénon avec ses pierres grises et les colonnes qui l’ornaient. Je remarquais quelques personnes qui s’étaient abritées sous l’avancée du toit pour se protéger de la pluie. Il y avait un groupe de jeunes femmes qui riaient entre elles, apparemment pas troublées le moins du monde par la présence d’une autre participante à leur groupe qu’elles ne pouvaient pas voir.

Je frémis en la regardant. Elle n’était plus de ce monde. Elle devait être proche du groupe auprès duquel elle restait, les regardant avec une pointe d’envie, de regret et de douleur. Ses cheveux blonds lui arrivaient à la taille, mais ils ne bougeaient pas malgré le vent qui ne cessait de repousser ma capuche en arrière. Le pantalon fleuri et le tee-shirt qu’elle portait m’indiquaient qu’elle avait quitté notre monde durant l’été. Les entités m’apparaissaient telles qu’elles étaient lors du dernier moment de leur vie. Par contre, elles n’étaient plus tangibles. Elles semblaient être presque transparentes. Je pouvais distinguer les murs du Music Hall derrière la femme qui riait aux mots d’une des membres du groupe. Ça me fit de la peine de la voir tenter de se fondre dans un groupe alors qu’elle ne faisait plus partie de ce monde.

Je me détournais en accélérant le pas. Il ne fallait pas que cette entité remarque que j’étais capable de la voir. Que j’étais une des seules en mesure de communiquer avec elle. Les choses se passaient toujours mal quand ça arrivait. Les défunts venaient me voir et me suppliaient de transmettre des messages à leurs proches ou me donnaient des missions plus ou moins étranges. Je n’aimais pas être celle qui était chargée de ce genre de choses. Je faisais en sorte que les entités ne remarquent pas que j’avais la capacité de les voir. Ça m’évitait tout un tas d’ennui par la suite.

Il y avait toujours une bonne raison qui expliquait que les défunts ne suivent pas la grande lumière blanche qui leur permettait d’accéder à un monde meilleur dans l’au-delà. J’avais déjà entendu de nombreuses histoires à ce sujet. Trop nombreuses pour tout dire. Les regrets des entités étaient toujours trop nombreux. Par contre, s’il y avait bien une chose que j’avais fini par comprendre, c’était qu’ils finissaient toujours par suivre la lumière quand ils finissaient par remarquer que leur vie sur Terre était définitivement terminée et qu’ils n’étaient plus en état de changer quoi que ce soit. J’avais beau transmettre des messages, faire de mon mieux pour les aider et passer pour une folle au passage, les entités finissaient seulement par quitter ce monde quand elles se rendaient compte qu’il y avait autre chose qui les attendait de l’autre côté.

Ce n’était pas pour rien que j’avais fait le choix de les ignorer. La plupart des revenants sautaient sur l’occasion quand ils remarquaient que quelqu’un pouvait les voir et les entendre. Le problème était qu’ensuite, ils ne voulaient plus me lâcher. C’était une horreur de parvenir à les semer. C’était encore pire en sachant que j’étais la seule à les voir et que les personnes qui m’entouraient pouvaient croire que je parlais toute seule. Cette fille finirait par choisir de suivre la lumière. Que je lui parle ou non.

Ce n’était pas la première entité que je voyais aujourd’hui. Si j’étais aussi heureuse de pouvoir travailler depuis chez moi, ce n’était pas seulement parce que j’étais introvertie. C’était également et surtout en raison de l’isolement de ma maison. J’étais tranquille chez moi. Aberdeen n’était pas la plus grande ville d’Écosse, mais ce n’était pas important. Il suffisait que du monde vive au même endroit pour que des entités soient présentes. Elles se rapprochaient des vivants qu’elles avaient connus. Rien qu’aujourd’hui, au bureau, j’en avais vu deux que j’avais dû faire en sorte d’ignorer tout au long de la journée. Un homme d’une soixantaine d’années n’avait cessé de suivre ma patronne en la regardant avec un sourire triste. Ce devait être son père. Un autre homme, qui devait à peine avoir une trentaine d’années au moment de son trépas, avait été près de la secrétaire durant l’après-midi. Il avait la même attitude triste que je pouvais voir chez les entités qui regrettaient de ne pas avoir passé autant que temps que possible avec une personne qu’elles aimaient.

Je continuais de faire comme si je ne voyais pas les entités se trouvant dans la rue. C’était pratique que je puisse marcher à grands pas afin de rester le moins longtemps possible sous l’averse. Je pus regarder droit devant moi sans fixer mon attention sur l’homme qui disparut à travers la vitrine d’un magasin d’électronique. Je baissais la tête quand je croisais un couple d’une quarantaine d’années. Ils n’avaient pas d’entités avec eux, mais leur proximité était si touchante que je ne voulais pas paraître intrusive.

Je vis quelques personnes en train d’attendre à un arrêt de bus en contrebas. Elles se pressaient contre les parois afin de profiter de l’abri proposé. Je me demandais si je devais en jouir pendant un instant moi aussi. Rester un peu sous l’abribus avant de reprendre mon chemin. Je n’eus pas le temps de me décider avant que quelqu’un ne surgisse devant moi.

Je me stoppais, sans être capable de retenir le cri de surprise qui remonta le long de ma gorge. Je plaquais une main contre mon cœur. J’étais certaine qu’il s’était arrêté durant un instant. Ce ne fut qu’en voyant la réaction des personnes qui attendaient le bus à travers la femme qui venait de me surprendre que je compris mon erreur.

Oh, misère. C’était une entité. Une jeune femme qui me regarda, les yeux agrandis par la surprise et le ravissement. Ce qui n’était pas le cas des personnes qui attendaient le bus. Elles me regardaient avec surprise et scepticisme. Voilà. C’était exactement ce que je disais quand je parlais du fait qu’on me prenait pour une folle. C’était à nouveau le cas.

L’angoisse me tordit l’estomac. C’était le genre de choses qui ne devait pas arriver. Je tournais la tête à gauche et à droite, le cœur battant à tout rompre. Une excuse… Il me fallait une excuse.

Je me mis à rire toute seule en voyant une ombre sur le sol. Je devais toujours avoir l’air d’une idiote, mais je continuais tout de même.

— Mais quelle quiche ! Avoir peur d’une ombre ! m’exclamais-je en continuant de rire.

Je devais avoir l’air d’une parfaite idiote. Je le savais. Mais je préférais que les gens pensent que je m’étais réellement effrayée en raison d’une ombre plutôt qu’ils sachent la vérité. Je savais de quelle manière ils pouvaient réagir lors de ce genre de moment. Soit ils me prenaient réellement pour une dingue, soit ils étaient effrayés, soit ils voyaient en moi l’opportunité de parler à leurs proches défunts. Les gens ne comprenaient pas que je n’aie pas la capacité de faire intervenir des entités. Je me contentais de voir celles qui apparaissaient devant moi. Malheureusement.

Je repris ma marche quand l’entité surgit à nouveau devant moi. Je ne pouvais pas faire autrement. Je la traversais. J’aurais eu l’air plus étrange que je ne l’étais déjà si je m’étais à nouveau arrêté. Il y avait bien quelques personnes qui s’étaient détournées du spectacle que j’offrais tandis que d’autres continuaient de me regarder. Elles se poseraient forcément des questions si je m’amusais à éviter quelque chose que j’étais la seule à voir.

J’eus tout de même le temps de voir que l’entité semblait être jeune. Je voyais beaucoup de personnes qui étaient trop jeunes pour mourir. Celles qui étaient plus âgées décidaient souvent de rejoindre directement la lumière après une vie bien remplie. Ça me fit tout de même un choc de la voir. Elle semblait s’approcher de mon âge. Si elle était plus âgée, c’était à peine d’une ou deux années. Ses cheveux châtains étaient regroupés en une tresse que je trouvais ouvragée même si de nombreuses mèches s’en échappaient. Malgré le peu de lumière que je pouvais avoir, je crus remarquer que ses yeux étaient de couleur noisette. Elle était plus grande que moi, son visage était en forme de cœur et j’avais l’impression que sa tenue était plus adaptée à une balade dans les Highlands qu’à une journée en ville. Je passais tout de même à travers elle comme si elle n’était pas là.

Le pire était sans doute que je ne ressentis rien de particulier. Pas de sensation de froid ou quelque chose s’y approchant. Il n’y avait que le sentiment de culpabilité de passer à travers une entité que j’étais la seule à pouvoir voir.

— Attends ! Attends ! s’exclama-t-elle en se mettant à me poursuivre, tu peux me voir ? Tu peux m’entendre ?

— Non, répondis-je bêtement entre mes dents serrées.

Cruelle erreur. Comment est-ce qu’elle devait croire que je n’étais pas capable de la percevoir si je m’amusais à lui répondre ? Et comment est-ce que les gens étaient censés croire que je n’étais pas timbrée si je donnais l’impression de parler toute seule ?

Je pressais le pas au moment de passer devant l’abribus où quelques personnes continuaient de me regarder comme si j’étais l’attraction de leur soirée. Ce qui n’empêcha pas la défunte de continuer à me suivre comme si j’étais sa bouée de salut. C’était toujours ce qui arrivait. Si je n’y prenais pas garde, elle allait me suivre jusque chez moi et ne jamais me laisser tranquille.

— Ce n’est pas la peine de me mentir ! s’exclama-t-elle d’une voix chantante, je sais que tu me vois et que tu m’entends ! J’essaye d’attirer l’attention des passants depuis des heures ! Tu es la première à me remarquer !

Je fermais les yeux pendant un instant. Mon manteau n’était pas fait pour une pluie aussi intense. Je sentais que le tissu commençait à être imprégné d’eau. Pourtant, ce que je devais dire n’était pas quelque chose que je pouvais annoncer à quelqu’un en continuant ma marche comme si de rien n’était.

J’avisais un perron abrité à l’angle de la rue, me dépêchant de le rejoindre. J’étais toujours aussi trempée, mais, au moins, j’étais à l’abri pour le moment. Je vérifiais rapidement que personne ne se trouvait près de moi avant de me tourner vers l’entité. Elle continuait de me regarder un peu comme si j’étais un ange qui venait de tomber du ciel pour lui venir en aide. Ce que je n’étais pas.

Il n’y avait personne aux alentours, mais je sortis tout de même mon téléphone portable. Il valait mieux que j’ai l’air occupée à parler à quelqu’un si on me surprenait ou même si une caméra était en train de me filmer. Je n’avais pas envie de devenir la source d’amusement des gens qui pourraient regarder les vidéos.

— Écoute, dis-je en m’humectant les lèvres, si personne ne peut te voir ou t’entendre, c’est pour une raison assez simple…

C’était simple, mais épouvantablement difficile à dire. Je haïssais ce genre de situations. Il y avait des vérités qui étaient blessantes, voire un peu traumatisantes. Sans parler du fait que je n’aurais pas dû avoir besoin de dire des choses pareilles.

— Tu es morte. C’est pour ça que plus personne ne peut te voir, annonçais-je avec autant de tact que possible.

J’avais déjà eu droit à plusieurs réactions face à cette réalité que personne ne voulait entendre et que je ne voulais pas dire. La plupart du temps, ça se finissait en pleurs que j’étais la seule à voir, ce qui ne fut pas le cas aujourd’hui, à ma grande surprise.

— Je sais, annonça-t-elle calmement.

Je la dévisageais, les yeux ronds, sans trop savoir quoi dire. Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes que je clignais des yeux, me rappelant qu’on pouvait me voir. Je fis donc mine de me concentrer sur mon téléphone.

— Pourquoi est-ce que tu essayes de parler aux gens si tu le sais ?

— C’est parce que j’ai besoin d’aide ! s’exclama-t-elle.

— Je ne peux pas t’aider, rétorquais-je du tac au tac.

— Bien sûr que si ! répliqua l’entité en sautant presque sur place, j’ai été tué et il faut qu’on retrouve mon corps !

Chapitre 2

Ailsa

Mon souffle se suspendit pendant que je regardais l’entité qui me faisait face. Je finis par baisser les yeux sur mon téléphone, surprenant mes doigts crispés autour de l’appareil. Je fis en sorte de desserrer lentement mes doigts afin de ne pas briser mon appareil. Quand je l’avais acheté, j’avais eu le plus grand mal à ne pas prêter attention à la femme qui avait passé son temps à entrer et sortir de la boutique en traversant les murs. Je ne tenais pas à recommencer trop rapidement.

— Je… Quoi ? éructais-je avec difficulté.

Ça n’eut pas l’air de troubler l’entité en face de moi. Elle se mit à jouer avec le bout de sa tresse comme si tout allait bien. C’était la première fois que je me trouvais en face d’une entité qui me parlait de sa mort avec tant de nonchalance. On aurait dit qu’elle était en train de me parler du temps. Même si le temps n’avait plus d’impact sur elle à l’heure actuelle. Contrairement à moi qui commençais à trembler en raison de l’état dans lequel je me trouvais. J’étais trempée et le vent froid qui soufflait sur Aberdeen en ce tout début du mois de janvier ne m’aidait pas à garder un peu de chaleur corporelle. Ce n’était pas un problème que les défunts pouvaient avoir.

— J’ai été tué, lâcha tranquillement la jeune femme transparente, j’ai l’impression que ça fait des heures. Il commençait à peine à faire nuit quand j’étais encore vivante et il ne pleuvait pas encore. Je n’ai pas envie que mon corps reste à moitié derrière une poubelle pendant encore des heures ou même des jours.

Ma bouche s’était ouverte toute seule. J’oubliais pendant un instant que j’étais la seule à voir cette jeune femme et je la dévisageais avec étonnement.

C’était la première fois qu’une entité réagissait de la sorte en parlant de sa mort. C’était même la première fois que j’en rencontrais une qui s’était fait tuer. J’aurais imaginé qu’il y aurait encore plus de larmes qu’à l’accoutumée. Ce n’était pas le cas.

Je savais comment les défunts réagissaient. Ceux qui étaient morts depuis peu avaient tendance à pleurer en prétextant avoir encore de nombreuses choses à vivre. J’avais droit à des supplications comme si j’étais capable de ramener les morts à la vie. Petit spoiler : ce n’était pas dans mes capacités. Je pouvais seulement voir les morts qui n’avaient pas encore traversé. Je n’étais pas capable de faire plus. On avait souvent loué mon don, mais j’avais plutôt tendance à le voir comme une malédiction.

Il y avait ensuite les entités qui avaient accepté leur mort, mais qui semblaient croire que je tenais à tout connaître de la manière dont elles avaient quitté le monde des vivants. Autre spoiler : je ne voulais pas savoir. Pourtant, les entités ne se gênaient pas. Elles me parlaient de leurs longues maladies, de la manière dont un bus avait déboulé pour les renverser ou de la chute accidentelle qu’elles avaient faite dans les escaliers.

L’étape suivante à ces deux options était toujours la même. Les entités tenaient à me dire tout ce qu’elles regrettaient de leur vie. Nouveau spoiler : je ne tenais pas à le savoir. Ce n’était pas en raison de mon manque d’empathie, bien au contraire. Les regrets qui poussaient les défunts à ne pas suivre la lumière blanche pour passer de l’autre côté étaient souvent importants. Il ne s’agissait pas simplement d’une parole mal placée ou encore de l’oubli d’un achat au supermarché. C’était des actes manqués qui auraient dû les empêcher de dormir quand ils étaient encore en vie.

Tout était déprimant quand je les entendais. Je savais que je ne pouvais rien faire pour les aider. Même si j’allais voir leur famille de leur part et qu’on ne me prenait pas pour une folle, je ne pourrais pas apaiser la peine des entités en disant qu’elles regrettaient de ne pas avoir été présentes lors des anniversaires, remises de diplômes ou autres moments importants d’une vie. Je ne pouvais pas non plus révéler un secret de famille enterré depuis des années ou encore solder les dettes d’un défunt qu’il avait caché à tous ses proches pendant des années.

Pourtant, je savais comment gérer ce genre de situations depuis le temps. À peu près. J’avais des discours tout prêts pour qu’ils sachent à quel point je compatissais, mais que je ne pouvais rien faire pour eux. Ça les mettait souvent en colère, mais j’avais fait le choix de ne pas m’investir pour tenter de calmer la peine des défunts. J’avais remarqué que ça les soulageait peut-être, mais c’était les vivants qui ressentaient souvent de l’abattement. Je me retrouvais trop souvent dans des situations délicates pour avoir envie de jouer ce rôle.

C’était pour cette raison que la réaction de la jeune femme en face de moi me troublait au plus haut point. Et encore, les mots n’étaient sans doute pas assez forts pour dire ce que je ressentais. J’étais tout simplement ébahie. Je ne pensais pas entendre un jour une entité parler de sa mort avec autant de détachement, surtout qu’elle avait apparemment été assassinée il y a peu. Elle devait encore être sous le choc. Je ne voyais que ça. Elle n’avait pas pris la pleine mesure de ce qu’il lui était arrivé.

— Et comment je suis censée faire ça ? demandais-je d’une toute petite voix.

La jeune femme eut l’air choquée. Elle entrouvrit les lèvres, m’observant d’un air sceptique.

— Tu es vivante ! Tu peux trouver mon corps et le signaler à la police !

— Je ne peux pas faire ça ! Je ne sais même pas où se trouve ton corps !

Il y avait surtout une autre raison qui me poussait à ne pas vouloir trouver le corps de cette femme. Je voyais des entités. Toutes ces personnes étaient mortes et je pouvais les voir. Par contre, je n’avais jamais vu de cadavre et je n’avais pas envie que ça arrive.

— C’est plutôt simple. Je venais d’une petite rue quand tu t’es arrêtée…

— Tu devrais plutôt dire quand tu m’as pratiquement sauté dessus, grommelais-je.

— Je ne peux pas te faire de mal. Je suis morte. Mais bon, il y a une petite ruelle un peu plus loin à gauche et mon tueur a caché mon corps derrière une poubelle. Mes jambes dépassent, mais il a mis un carton à moitié dessus. Je ne suis pas sûre qu’on le retrouve de sitôt. Cette ruelle n’est pas très bien éclairée.

Je l’observais, un peu dépitée. Je baissais les yeux sur mon téléphone quand des badauds passèrent en vitesse devant mon abri de fortune, ce qui me rappela que je ne devais pas parler de corps à voix haute.

— Je ne peux pas le faire, protestais-je encore une fois, je n’ai pas envie que la police puisse croire que j’ai quelque chose à voir avec ça.

— Pourquoi est-ce qu’ils le feraient ? s’étonna la jeune femme.

— C’est toujours ce qu’il se passe. On risque de croire que je suis une suspecte ou vouloir m’interroger par rapport à ce que j’ai vu.

Je ne voulais pas aller dans un commissariat de police. J’avais été forcé de m’y rendre une fois pour régler une amende pour un stationnement gênant. Il fallait croire que je n’avais pas fait assez attention au moment de me garer. Ce devait être pour ça que je me cantonnais à la gare depuis. Je ne voulais vraiment pas retourner au commissariat. S’il y avait bien une chose que j’avais remarqué quand j’y étais, c’était que les entités étaient nombreuses dans ce genre d’endroit. Certaines suivaient des policiers, comme si elles voulaient veiller sur eux malgré la mort, tandis que d’autres surveillaient simplement les lieux. Je n’avais pas parlé avec ces entités, mais j’avais compris qu’elles suivaient les enquêtes qui traitaient de leur propre mort. J’avais eu le plus grand mal à me montrer indifférente. Je n’avais pas envie de recommencer.

— Tu n’as qu’à passer un appel anonyme, rétorqua l’entité.

— Plus rien n’est anonyme avec les téléphones portables.

Ma réplique ne sembla pas décourager la jeune femme. Les défunts gardaient leurs caractères après leur mort et quelque chose me disait que l’entité n’était pas du genre à se laisser faire. Elle ne se satisfaisait pas d’un refus. Comme c’était le cas avec moi.

— Trouve une cabine téléphonique ! Je ne sais pas ! Je veux juste qu’on retrouve mon corps !

Ce fut à mon tour de croiser mes bras sur ma poitrine. Elle ne pouvait pas le savoir, mais j’avais également mon caractère.

— Et après, tu vas encore me demander plein de choses ! De transmettre des messages à tes proches, de donner tes directives pour ton enterrement ou encore de veiller sur ta sœur spirituelle !

L’entité écarquilla ses yeux de morte. Elle me regarda pendant plusieurs longues secondes. J’en profitais pour vérifier autour de moi, constatant que j’avais toujours un espace sûr afin qu’on ne m’entende pas me plaindre auprès de la défunte.

— Je veux seulement que tu m’aides à faire retrouver mon corps. Je ne demanderais rien de plus.

Je plissais les yeux en la regardant. Je savais comment ça se passait. Les entités me disaient qu’elles voulaient une chose et seulement une. Puis elle passait à une autre une fois que j’avais fait ce qu’elles avaient demandé. Puis encore une autre. Et ça devenait un enfer quand je devais réussir à les semer. Une idée germa dans mon esprit face à cette demande.

— Si je fais en sorte que ton corps soit retrouvé, tu me promets que tu ne me demanderas rien d’autre ? demandais-je.

— Promis ! Sur ma tête ! Ben quoi ? Je suis morte, j’ai le droit de blaguer sur moi-même !

J’étais atterrée. Qu’est-ce que je disais ? État de choc.

— Je vais le faire, me décidais-je, mais seulement si tu me laisses tranquille ensuite.

— Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !

Je lui jetais un coup d’œil sceptique. Elle me rendit un regard innocent. Peut-être que j’aurais aimé la connaître de son vivant. Elle me semblait intéressante.

En attendant, je savais comment faire en sorte de me débarrasser de son fantôme afin de rentrer chez moi sans elle. Les entités qui voulaient quelque chose ne lâchaient pas l’affaire, quitte à me poursuivre jusqu’à ma maison et m’empêcher de dormir. Autant que je me débarrasse de cette tâche au plus vite.

Est-ce que les cabines téléphoniques continuaient d’exister ? Je n’en avais aucune idée. Je n’en avais jamais eu l’utilité. Il y avait les téléphones portables maintenant. Tout le monde s’en servait et tout le monde en avait. Ce qui devait expliquer que je ne voyais pas de cabines.

Je m’avançais tout de même sous la pluie battante, regardant des deux côtés de la rue et au niveau de celle qui me faisait face. Je l’observais avec envie. Je pouvais rejoindre la gare à partir de là.

Je sursautais en voyant un scooter sur lequel se trouvaient deux personnes couper la route à une voiture, manquant de se faire renverser au passage. Je n’étais pas d’humeur à voir surgir deux autres entités. Celle avec laquelle j’étais en train de parler n’avait pas la capacité de converser avec les vivants, mais elle pouvait le faire avec ses semblables. Il y avait pire que de se retrouver à gérer une entité. C’était quand il fallait le faire avec un certain nombre d’entre elles. Ça en devenait une horreur sans non.

Par chance, il n’y eut pas de morts ou encore de blessés à déplorer. Essentiellement grâce aux réflexes du conducteur de la voiture. Je fus un peu plus surprise de voir s’allumer des lumières de police au niveau d’un véhicule qui devait être banalisé et qui attendait au feu rouge en face de moi.

Je n’étais pas capable de regarder autre chose que la scène qui était en train de se dérouler sous mes yeux. Le scooter s’arrêta sur l’autre voie pendant que la voiture se stoppait également sur le bas-côté.

Il faisait trop sombre pour que je discerne correctement l’homme qui venait de sortir de la voiture, d’autant plus qu’il ouvrit un parapluie dans la foulée, mais je remarquais qu’il ne portait pas l’uniforme de la police. Il rejoignit rapidement les personnes se trouvant sur le scooter, leur présentant un papier qu’il avait récupéré dans une poche intérieure de sa veste.

— Tu ne devais pas m’aider ? s’enquit l’entité à côté de moi, tu n’as pas l’air de faire grand-chose pour le moment.

— Je suis tout de même en train de t’aider.

Une idée avait germé à toute vitesse dans mon esprit. Je n’avais pas besoin d’appeler la police si je parlais à la police. Surtout quand elle arrivait au meilleur moment en face de moi.

Je me précipitais jusqu’au passage piéton, profitant du fait que le feu était rouge pour les véhicules tout en retenant ma capuche. J’arrivais dans la rue avant que le policier n’ait fini de parler avec les passagers du scooter. Ils avaient enlevé leurs casques. Je n’avais pas l’impression qu’ils avaient plus de seize ou dix-sept ans. C’était trop jeune pour jouer avec sa vie. Je savais ce que je disais.

J’attendis, un peu à l’écart. Je ne voulais pas paraître intrusive. Je pouvais sentir l’odeur d’épices qui émanaient du restaurant indien devant lequel je me trouvais. Ça me donna faim, même si j’avais sans doute trop mangé quand je me trouvais au bureau.

— Je ne rêve pas ? Tu attends qu’ils aient fini de parler ? s’exclama l’entité.

Je n’étais pas étonnée qu’elle m’ait suivi. C’était le contraire qui aurait été surprenant. Si elle avait daigné me laisser tranquille, j’aurais pu m’enfuir loin d’elle. Ça aurait sans doute été culpabilisant, mais je savais que son corps aurait fini par être retrouvé. Des fois, il fallait laisser les choses suivre leur cours. Mon intervention les précipitait plus qu’autre chose en raison des choses surnaturelles que je pouvais voir, contrairement aux autres. Comme je ne pouvais plus donner l’impression de parler toute seule, je me contentais de hocher la tête en réponse à la jeune femme qui se trouvait à côté de moi.

— Tu ne crois pas que la découverte de mon corps est plus importante que de voir ce mec en train de passer un savon à ces deux gamins ? s’enquit-elle.

Je n’avais pas la capacité d’entendre ce qu’il se disait à près d’une dizaine de mètres de moi. Je n’étais pas étonnée que l’entité en soit capable. Elles se trouvaient entre deux mondes et elles étaient capables de faire fi des bruits environnants, ce qui n’était pas mon cas. Je ne pouvais pas passer outre le bruit de la circulation ou des discussions qui se déroulaient sous l’abribus de l’autre côté de la rue. J’attendis donc que la conversation se termine entre les deux adolescents et le policier.

Je sentis mon manteau se tremper encore davantage pendant que je subissais l’averse. Je sautais sur l’occasion dès que le policier fit un signe de la main aux occupants du scooter avant de s’en éloigner. Je me rapprochais de lui, mon entité toujours sur les talons, afin de l’accoster.

— Excusez-moi… Est-ce que vous êtes policier ? demandais-je.

Je vis son parapluie se soulever tandis qu’il baissait des yeux surpris dans ma direction.

Je l’étais au moins autant que lui. Voire davantage encore. Je n’avais pas pu discerner ses traits quand il était sorti de la voiture, j’avais uniquement pu voir qu’il était grand. Maintenant que je me trouvais juste en face de lui, je remarquais que c’était bien le cas. Je devais relever la tête, offrant mon visage aux gouttes qui tombaient du ciel, afin de le regarder dans les yeux. Même si ce n’était pas ce qui me troublait le plus.

Il était jeune. Il devait à peine avoir un ou deux ans de plus que moi. Pour tout dire, il devait se rapprocher de l’âge de l’entité qui me suivait comme un bon petit chien. Et il était plutôt mignon. Non. Il était vraiment beau. Mignon n’était pas un qualificatif suffisant pour lui.

Ses cheveux, légèrement humides malgré son parapluie, étaient bruns. Ils étaient coupés court sur les côtés de son crâne et plus longs au-dessus de sa tête. Certaines mèches tombaient devant ses yeux qui étaient gris comme un ciel d’orage. Des yeux que je trouvais tout bonnement fascinants, d’autant plus qu’ils étaient entourés de cils que je trouvais incroyablement longs. J’aurais pu en être jalouse. Je notais ensuite son nez droit puis enfin ses lèvres. Elles étaient tellement bien dessinées que c’en était presque indécent. La lèvre supérieure me semblait légèrement plus remplie que la lèvre inférieure. Un début de barbe recouvrait sa mâchoire bien dessinée et son menton. Je ne savais pas que la police recrutait des éléments aussi intéressants.

— Oui, répondit-il finalement, je suis le commissaire Reid.

Donc c’était bien un policier. Pourquoi est-ce que ce n’était pas face à lui que je m’étais retrouvée quand j’avais dû payer mon amende ? J’aurais eu moins de mal à ne pas me concentrer sur les défunts de cette manière. Un commissaire ne devait pas se charger de recevoir le paiement des infractions. Ça aurait été trop beau.

— Ah non ! Je ne veux pas que ce soit un mec aussi beau qui trouve mon corps ! s’exclama l’entité à côté de moi.

Tant pis pour elle, ce serait quand même le cas. Je n’avais pas cent trente-six policiers sous la main.

— Est-ce que je peux vous aider ? demanda le commissaire Reid.

Je commençais à avoir chaud quand je croisais son regard. C’était du grand n’importe quoi. Ce n’était pas le premier type mignon ou carrément beau que je voyais.

— Je… J’ai trouvé un corps, déclarais-je.

Le choc traversa le visage du jeune et trop beau commissaire. Il se rapprocha de moi, m’abritant de son parapluie par la même occasion. Ce dut être pour cette raison que je ne reculais pas. À moins que ça ne soit en raison de l’odeur indéniablement masculine qui émanait de lui. Du bois de santal, du clou de girofle et une odeur plus fraîche de menthe givrée. Ça n’aurait pas dû être aussi attirant. Pourtant, ça l’était.

— Je vous demande pardon ? dit-il.

— J’ai trouvé un corps, répétais-je.

— Tu es en train de mentir, déclara l’entité à côté de moi.

Elle était stupide ou quoi ? Qu’est-ce que j’étais censée lui dire ? Que le fantôme d’une fille fraîchement tuée était venu me trouver pour que son corps ne reste pas à moitié caché derrière une poubelle ? Le commissaire était trop beau pour que j’ai envie qu’il me prenne directement pour une cinglée.

— Où est-ce que vous l’avez trouvé ? Est-ce que vous pouvez me montrer ?

Mauvaise idée. Si je devais lui montrer non seulement je verrais le cadavre, mais en plus, je ne pourrais jamais partir.

— Je ne peux pas vous l’expliquer ? dis-je d’une toute petite voix qui ne me ressemblait pas, je n’ai pas envie de revoir le… corps.

Un éclat de compréhension traversa le regard du commissaire. Je m’en voulus aussitôt de le rouler dans la farine, mais je n’avais pas le choix. Si je voulais rentrer chez moi, je ne pouvais que sauter sur cette occasion.

— Je comprends. Expliquez-moi ce que vous avez vu et où. Cette vision peut être un traumatisme pour les personnes qui n’y sont pas habituées.

— Traumatisme mon cul, marmonna l’entité à côté de moi.

Je me servis des explications qu’elle m’avait données pour renseigner le commissaire. Il hocha la tête au fur et à mesure de mes explications, sans me lâcher du regard. Il devait croire que mes balbutiements venaient de mon prétendu choc alors que c’était en raison de l’intensité de ses yeux gris. Je n’avais jamais vu personne avec des yeux de cette couleur. C’était fascinant.

— Je vais voir, déclara le commissaire Reid, attendez-moi ici. On aura sans doute des questions à vous poser.

Exactement ce que je voulais éviter ! Génial !

— Prenez ça, dit-il en me tendant son parapluie, je vais y aller.

— Oh, non ! C’est bon ! Je n’en ai pas besoin ! protestais-je.

— J’insiste.

Je pris le parapluie en rougissant pendant qu’il remontait le col de son manteau le long de son cou. Comme si ça pouvait le protéger de l’averse.

— Merci.

Il hocha la tête avant de s’éloigner à petites foulées sans remarquer qu’il était suivi par l’entité. Elle me fit un petit signe, apparemment ravie qu’on puisse retrouver son corps. Le commissaire fit un arrêt à l’angle de la rue, me jetant un coup d’œil. Était-ce parce qu’il se souciait de moi ou en raison de la peur qu’il avait que je disparaisse ? Je ne le savais pas. Au moins une des versions était juste.

J’attendis pendant quelques instants une fois qu’il eut tourné dans la rue adjacente. Je ne voulais pas voler son parapluie en plus de lui remplir les poches. Je traversais donc la route en vitesse, posant le parapluie contre sa voiture. Je le regrettais pratiquement dans la foulée quand la pluie recommença à imbiber mon manteau.

Je ne me retournais pas, marchant à grands pas en direction de la gare. Je regardais derrière moi à plusieurs reprises afin de vérifier que ma fuite se faisait sans témoin. J’accélérais le pas une fois que j’eus tourné à l’angle de la rue. C’était bon. J’avais accompli mon devoir envers cette entité. Il était temps que je rentre chez moi, même si je m’en voulais de la manière dont j’avais agi envers le commissaire Reid.

Chapitre 3

Kenneth

J’étais démuni en voyant la housse mortuaire qui contenait le corps de la jeune femme ayant été découvert un peu plus tôt être emmené. Je le suivis du regard alors que l’épuisement et le dépit prirent possession de moi. Encore une femme que je n’avais pas pu sauver. J’étais en train de faillir à ma mission à un niveau que j’avais du mal à appréhender.

— Kenneth !

Je fus forcé de détourner le regard quand on m’interpella. J’aperçus mon père qui garda les yeux fixés sur la scène que j’observais jusqu’alors. Le corps qu’on était en train de charger dans une ambulance. Personne ne pensait avoir la moindre chance de sauver cette femme. Sa peau était déjà froide quand j’étais arrivé à son niveau et ses doigts avaient commencé à se rigidifier. Il n’y avait plus rien à faire pour la sauver. Elle allait être conduite à l’hôpital. Il fallait tout de même qu’elle soit autopsiée. Même si je savais déjà ce que ces examens allaient révéler. Ce serait la même chose que pour toutes les autres.

— C’en est une autre ? demanda-t-il quand je le rejoignis.

Mon père était un homme de haute stature. Je faisais la même taille que lui, mais sa carrure me surpassait. Ses épaules étaient plus larges et il était plus musclé, même s’il était bien plus âgé que moi. Je ne pouvais pas dire que j’étais un gringalet, mais j’en avais l’air à côté de lui. Je donnais l’impression de disparaître à ses côtés. J’étais semblable à l’enfant que j’avais été et que je restais à côté de lui.

— Oui, répondis-je de manière laconique.

— Tuée selon le même procédé que les autres ?

— C’est ce qu’il me semble. L’autopsie va devoir le prouver, mais selon les premières constatations, elle a été frappée à l’arrière de la tête avant de se faire étrangler.

Je tournais la tête, observant les hommes de l’équipe scientifique remettre les lieux en l’état. Des photos avaient été prises, les indices avaient été mis sous scellés et ils avaient tenté de relever des empreintes. Comme à l’accoutumée, il n’y en avait pas. On aurait dit que ces femmes étaient tuées par des fantômes. Il s’agissait de mon enquête. J’avais failli à ma mission en ne mettant pas le responsable de ces crimes sous les verrous. Il avait à nouveau pu tuer une femme sans se faire inquiéter.

Mon père me fit signe de le rejoindre tandis que nos équipes étaient en train de tout remballer. Je le suivis pendant qu’il saluait les hommes et les femmes qui travaillaient sous son commandement. Tout le monde lui rendait son salut avec déférence pendant qu’on me regardait avec plus de scepticisme. Personne n’était sans connaître notre lien de parenté même si on ne se ressemblait pas spécialement.

Mon père avait toujours eu les cheveux noirs même s’ils avaient grisonné au fil des ans. Il avait commencé à les perdre voilà quelques années, mais il avait dissimulé cet état de fait en les rasant. Ça lui donnait l’air plus jeune même si ses traits avaient été marqués par toutes les affaires qu’il avait dû traiter et tous les drames qu’il avait vécus. Son visage semblait avoir été buriné au fil des années, même si ses yeux restaient vifs. Les yeux étaient d’ailleurs le seul point commun que nous avions. Des yeux gris qui étaient semblables à une tempête sur le point de s’abattre sur n’importe qui ayant l’audace de se mettre en travers de sa route.

C’était pour lui ressembler davantage que j’avais décidé de rejoindre la police. Je n’avais pas suivi la même voie que lui. Il avait suivi la carrière lambda d’un policier en travaillant d’abord sur le terrain puis en grimpant les échelons petit à petit jusqu’à arriver au sommet. J’avais rapidement compris que ce n’était pas une voie que je pourrais suivre. C’était pour cette raison que j’avais suivi des études afin de devenir enquêteur. Ce qui ne me servait pas à grand-chose en l’état actuel des choses. Je me sentais aussi inutile qu’un bateau au beau milieu du désert.

Les policiers surveillant les deux entrées de la ruelle ouvrirent les cordons de protections quand on arriva, nous permettant de rejoindre une toute petite rue pavée où les badauds étaient tenus à l’écart. Au moins, il n’y avait pas encore de journalistes dans les parages. Ce qui ne saurait tarder. Voilà des mois que cela durait. La presse avait surnommé cet homme le tueur d’Aberdeen. Et il avait encore frappé ce soir.

— Peut-être que des indices seront trouvés cette fois, déclara mon père une fois qu’on fut seuls dans la rue.

— Tu sais très bien que ça ne sera pas le cas, rétorquais-je, ce tueur est trop malin pour laisser ses empreintes sur un corps.

— Et tu sais que personne n’est infaillible. Il suffit qu’il ait été pris par le temps pour commettre une erreur. Elle sera peut-être minime, mais suffisante pour te permettre de trouver des indices.

— Est-ce que tu le penses ou est-ce que tu le dis pour tenter de me consoler un peu ?

Le sourire crispé de mon père parlait pour lui. J’avais du mal à me faire à l’idée qu’il agissait de la sorte pour tenter de me faire perdre un peu du désespoir qui m’habitait pendant que ce tueur me promenait à travers toute la ville. Ce n’était pas ainsi qu’il agissait avec le reste de ses hommes. Je ne voulais pas être traité de manière différente, mais je savais que s’il décidait de le faire, il me reprendrait cette enquête, ce qui ne devait pas arriver.

— Tu as étudié les tueurs en série, Kenneth. Tu sais qu’ils peuvent faire des erreurs.

— Ce tueur est organisé. Il n’y a que s’il se sent acculé qu’il commettra des erreurs, et je n’ai pas l’impression qu’il l’est jusqu’à présent.

— Il suffira d’une faille pour le mettre en porte-à-faux. Tu ne dois pas te décourager.

Je me tournais vers lui pour le regarder en face. Je savais ce qu’il se demandait depuis des semaines. Depuis la découverte du quatrième corps. Est-ce qu’il devait remettre cette enquête à un autre commissaire ou est-ce qu’il devait me laisser faire mon travail ? Ce travail m’avait été donné simplement puisque je venais à peine d’arriver en ville quand les meurtres avaient commencé et que je n’avais encore rien à faire. Il était logique qu’on me donne du travail.

Les meurtres s’étaient succédé par la suite. Un cinquième durant le mois de décembre et un sixième alors que nous étions à peine le deux janvier.

Je savais ce qu’on disait de moi. Toutes les rumeurs qui courraient à mon sujet. Je savais que je n’avais pas le droit de me décourager et que je devais faire face. C’était ce que j’allais faire même si c’était particulièrement dur.

— Si je suis découragé, c’est simplement parce que je dois rendre visite à une famille pour leur annoncer que leur fille est morte, annonçais-je à mon père.

C’était la vérité. Il n’y avait rien de plus déprimant que ça à mon sens. Rendre visite à une famille et leur annoncer que leur vie allait changer du tout au tout de la pire des façons était tout bonnement horrible. C’était une part de mon métier que j’aurais aimé échanger.

— Je sais que ce n’est pas facile, compatit mon père.

Je hochais simplement la tête. Ce n’était qu’une part du problème. Je devais dire à une famille que non seulement leur enfant avait été tué, mais en plus que nous avions affaire à un tueur en série qui nous menait en bateau. Il aurait dû être arrêté depuis longtemps.

— Comment est-ce que le corps a été trouvé ? demanda finalement mon père.

J’étais mal à l’aise face à cette question. Je passais encore davantage pour un débutant en raison de ce que j’avais fait. Ou plutôt, de ce que je n’avais pas fait.

Cette fille incroyablement mignonne était venue me voir pour me dire qu’elle avait trouvé un corps. Plutôt que de la garder à l’œil, je l’avais laissée pour vérifier ses dires. Une fois que j’avais constaté qu’il y avait bien un corps dans cette rue, j’avais appelé les renforts afin qu’ils se chargent de la scène de crime pendant que j’allais retrouver cette fille. Ce témoin. Qui ne se trouvait plus à l’endroit où je lui avais demandé de rester.

J’avais eu beau regarder autour de moi en espérant la retrouver, ça n’avait pas été le cas. Elle n’était plus présente. Ce n’était pas parce que je le souhaitais qu’elle allait réapparaître, contrairement à mon parapluie qui était posé contre ma voiture.

J’avais de nombreuses questions par rapport à elle. Pourquoi est-ce qu’elle s’était sauvée ? Qu’est-ce qu’elle avait vu ? Est-ce qu’elle pouvait être impliquée ? Est-ce que notre homme pouvait être une femme ? Je n’en savais rien et je ne pouvais pas le savoir puisqu’elle était partie. Au mieux, elle était un témoin qui aurait pu m’aider, au pire, j’avais laissé une tueuse en série s’en aller tranquillement. Ce que je ne pouvais pas dire à mon père. Il fallait que j’arrange les choses avant qu’il ne découvre à quel point j’avais merdé. Encore.

— On a été informé par une source anonyme, mentis-je, je vais faire en sorte de la retrouver afin de savoir ce qu’elle a vu.

Plus j’y pensais, plus je me disais que cette fille avait réellement été étrange. Elle était venue me voir comme si elle savait où je me trouvais et elle avait refusé de me montrer où elle avait trouvé le corps. Je l’avais cru quand elle avait dit qu’elle ne voulait plus voir une chose pareille. S’il y avait bien une chose à laquelle je ne tenais pas à m’habituer en travaillant en tant que policier, c’était de voir des cadavres. Les corps d’hommes et de femmes qui avaient une vie avant que le malheur ne leur tombe dessus sous des formes diverses et variés.

Il m’avait fallu plusieurs longues secondes pour retrouver ce cadavre. Je ne pensais pas qu’un simple passant aurait pu voir cette femme sans vie. Elle était bien cachée derrière une poubelle. Ses jambes dépassaient à moitié de l’arrière de la benne, mais elles avaient été dissimulées par des cartons. J’étais passé trois fois devant la scène de crime avant de fouiller un peu plus. Cette fille n’aurait pas pu la voir simplement en se promenant. Il y avait autre chose. Mon instinct de flic assez nul me le hurlait.

— Tu vois ! déclara mon père en me faisant une tape sur l’épaule, tu pourras sans doute avancer grâce aux informations de cette source anonyme.

Je n’osais pas lui demander s’il y croyait réellement. J’observais l’ambulance quitter les lieux à faible vitesse, passant devant nous pour rejoindre la rue en contrebas. Tout ce qu’il se passait à Aberdeen était en train de créer une psychose. Cette ville était splendide. J’avais dû partir afin d’avoir de l’expérience loin de ces lieux qui m’avaient vu grandir et afin de prouver ma légitimité. C’était avec plaisir que j’étais revenu ici afin de travailler. Le temps était souvent détestable, mais c’était ce qui faisait le charme de l’Écosse. La pluie rinçait tout et rendait l’air plus pur que nulle part ailleurs dans le monde. Même si ça rinçait également mes indices.

— Je vais voir la famille de cette fille, annonçais-je.

— Est-ce que tu sais comment elle s’appelait ?

— Maud Milne. Elle avait vingt-deux ans.

Soit à peine un an de moins que moi. J’étais écœuré de me dire que ce tueur lui avait pris de très nombreuses années.

— Va faire ton travail, déclara mon père en me tapotant à nouveau sur l’épaule, mais sèche toi avant. Tu n’avais pas de parapluie sur toi ?

Règle numéro un en Écosse, toujours avoir un parapluie sur soi. J’avais appris la règle numéro deux aujourd’hui. Il ne fallait pas le prêter à une jolie fille. Même si j’allais la retrouver pour la remercier de me l’avoir laissé.

Chapitre 4

Ailsa

Ce fut avec un profond soulagement que je poussais la porte de ma maison. J’étais toujours heureuse de rentrer chez moi, mais je l’étais encore davantage ce soir. L’entité ne m’avait pas suivi. C’était bon. J’étais en sécurité chez moi. J’étais enfin en paix loin du tumulte de la ville.

— Enfin ! Encore un peu et tu découchais, jeune fille !

La paix, la paix… Tout était relatif. Je n’étais jamais réellement en paix, même quand je me trouvais chez moi.

— Je t’avais dit que je partirais pour la journée, Alistair, contrais-je.

Je me tournais vers lui. Je pouvais distinguer la cuisine à travers son corps transparent. On pouvait dire qu’il était mon fantôme de compagnie. Le seul que j’étais capable de supporter presque au quotidien.

— Pour la journée, oui ! Il fait nuit ! La journée est passée depuis longtemps !

Je ne savais pas si j’étais d’humeur à supporter les caprices d’un homme de quatre-vingts ans mort depuis l’année passée. Alistair avait un sacré caractère. Je n’avais pas besoin de regretter de ne pas l’avoir connu de son vivant. Il me donnait assez de fil à retordre maintenant qu’il était mort.

— Ce n’est pas la peine de jouer avec les mots avec moi. Une journée dure vingt-quatre heures. Il n’est pas encore minuit.

J’en étais la première heureuse. La semaine était loin d’être finie. Nous étions mardi et il fallait que je trouve assez d’énergie pour effectuer mon travail les jours à venir. J’étais heureuse de pouvoir rester chez moi pour le faire.

Je posais mes affaires pendant que Alistair tempêtait près de moi. Il me donnait envie de rire. Il avait un très mauvais caractère, mais il avait un bon fond. Je le savais puisqu’il avait tenu à m’expliquer pour quelle raison il n’avait pas suivi la lumière blanche. Son explication était la plus pure que je n’ai jamais entendue.

Je suspendis mon manteau imbibé d’eau au crochet se trouvant derrière la porte. Je l’avais déjà enlevé quand j’étais montée en voiture, poussant le chauffage à fond dans le véhicule. Ça avait été nécessaire pour que j’arrête de claquer des dents. J’avais eu beau marcher aussi vite que possible, même mon jean avait commencé à me coller à la peau en raison de la pluie qui tombait à verse.

— Tu n’apprendras donc jamais qu’il faut toujours prendre un parapluie en Écosse ? maugréa Alistair en me regardant.

— Il ne pleuvait pas quand je suis arrivée au travail et la météo n’avait pas prévu de pluie aujourd’hui.

Je ne comprenais pas pourquoi je tentais de discuter avec lui. Il avait toujours le dernier mot quand j’avais un argument que je pensais assez percutant.

— Il n’y a plus que les jeunes qui se réfèrent aux prévisions météorologiques plutôt que de lever les yeux en direction du ciel…

Cette fois, je ne pris pas la peine de répondre. J’enlevais mes chaussures, les déposant sur le paillasson sur le pas de la porte. Alistair s’éloigna quand je m’avançais. Il continuait d’agir comme un vivant sur ce point. Il s’enlevait de mon chemin même si j’aurais pu le traverser aussi facilement que s’il n’était pas là. Je l’avais fait un peu plus tôt et j’avais même déjà pu voir des vivants traverser des entités sans savoir ce qu’ils faisaient. Par contre, ce n’était pas quelque chose que j’appréciais. Je pouvais les voir et je trouvais que c’était irrespectueux de les traverser. Ce n’était pas parce qu’ils n’étaient plus vivants qu’ils n’avaient plus de sentiments. D’ailleurs, je m’en voulais encore d’avoir traversé cette fille un peu plus tôt, mais je n’avais pas eu le choix.

— Le ciel de ce matin ne reflétait pas le moins du monde le temps qu’il fait ce soir, rétorquais-je tout de même.

J’étais grave. Je devais avoir le dernier mot avec un mort. Ça avait toujours été le cas. Et pas seulement avec les morts.

— Il faut quand même prendre un parapluie. Le temps est changeant en Écosse, grommela Alistair.

Cette fois, je me fis une raison. Je ne pensais pas que j’aurais le dernier mot. Alistair était un highlander pur souche. Le caractère n’était pas en option.

Je poussais un soupir en traversant l’entrée. Le sol était froid sous mes pieds, ce qui me fit frissonner. Le sol était ancien, entièrement en pierre brute. Il était un peu inégal par endroit et toujours froid sous mes pieds. Je l’adorais plus que tout.

Ma maison était parfaite. Quand j’étais arrivée dans la région, j’avais souhaité trouver un endroit où vivre, pas trop loin d’Aberdeen, mais qui soit suffisamment isolé pour que je puisse être tranquille. J’étais tombée amoureuse de cette maison dès que je l’avais vu sur les photos. Il avait fallu que j’obtienne un prêt pour l’acheter, mais je ne regrettais rien. Tout était parfait ici.

Il ne me fallait qu’une demi-heure pour me rendre à Aberdeen quand je devais travailler au bureau. Le supermarché le plus proche était à une dizaine de minutes. Pourtant, quand j’arrivais chez moi, c’était presque comme si j’étais seule au monde. Il fallait quitter une petite route afin d’en suivre une autre qui était encore plus petite pour arriver chez moi. Je croisais rarement d’autres voitures, mais quand ça arrivait, je devais rouler sur le bas-côté. Quand il y avait de la place. De petits murets en pierre, qui donnaient un charme indéniable aux routes écossaises, se trouvaient par moment de part et d’autre de la chaussée. J’adorais ces routes.

Après avoir traversé une forêt qui ressemblait à celles dont on parlait dans les contes, avec des arbres tordus, des ronces ou encore des tas d’arbustes qui empêchaient tout passage, je devais tourner sur une route encore plus étroite. Là, si je croisais quelqu’un, c’était mort. Même le bas-côté n’était pas suffisant pour que deux véhicules se croisent. Et je ne parlais même pas de la route minuscule, tout en terre et en caillasses, que j’empruntais pour rentrer chez moi. C’était encore une chose que j’adorais. Personne n’avait envie de la suivre. Je pouvais rentrer tranquillement chez moi. Les voisins les plus proches étaient une ferme au niveau de l’embranchement puis une petite maison un peu moins d’un kilomètre plus loin. Ma maison était située tout au bout de cette petite route. J’aurais difficilement pu trouver plus isolé. C’était parfait. Tout simplement parfait.

Ma maison n’était pas bien grande. Je pouvais même dire que ça ressemblait davantage à une maison de poupée qu’à une véritable habitation, mais ça me suffisait. Je pouvais même dire que c’était parfait. Encore une fois. C’était mon cocon et je l’aimais tel qu’il était.

L’entrée faisait à peine un mètre de longueur et était assez étroite. Je n’avais même pas assez de place pour y mettre une console afin d’y ranger mes clés. Je l’avais placé à l’angle de l’entrée et du salon.

Le plus gros avantage qu’il pouvait y avoir dans cette maison était qu’il n’y avait pas de couloir. Ainsi, il n’y avait pas de perte de place. Une fois que j’avais dépassé l’entrée, je n’avais qu’à tourner la tête à gauche pour distinguer la petite table ronde entourée de quatre chaises qui tenait lieu de salle à manger. Je pouvais également voir la petite cuisine dans sa continuité.

Autre avantage qui n’était pas négligeable, les vendeurs de la maison avaient décidé de la rénover avant de la vendre. Plutôt que d’avoir plusieurs petites pièces au niveau du rez-de-chaussée, j’avais un grand espace ouvert. Les pièces étaient délimitées par des demi-murs surmontés de colonnes en métal.

L’escalier en colimaçon me faisait face. Si je tournais à droite, je parvenais dans une ancienne pièce où j’avais à peine la place de mettre le fauteuil le plus confortable que je n’avais jamais vu et une bibliothèque le long du mur. Il fallait que je contourne l’escalier pour accéder au salon. Le principe était le même que dans le reste de la maison. L’espace était à peine suffisant pour que j’y cale un canapé d’angle et une télé que j’utilisais environ trois fois par mois. Enfin, je l’utilisais régulièrement, mais davantage pour avoir un bruit de fond que pour réellement m’y installer et regarder une émission ou autre chose. Ce n’était pas moi qui étais le plus souvent installée devant l’écran. Ce n’était pas non plus Alistair. La télé ce n’était pas non plus son truc. Le canapé était essentiellement occupé par les monstres de la maison. Je remarquais que Gipsy y était allongé de tout son long.

— Où est Slainte ? demandais-je à Alistair.

Je me rendis dans la cuisine, faisant l’appoint dans la gamelle de croquettes et d’eau des chats.

— C’est bien de voir que tu te soucies d’eux ! grommela le vieil homme, surtout quand on sait que tu n’étais pas là toute la journée !

— Ils avaient à manger et à boire. En plus, je dois bien partir de temps à autre si je veux continuer à les nourrir. Je ne peux pas compter sur toi sur ce point.

Je lui lançais un coup d’œil triomphant. Comme toutes les entités, Alistair était semblable à ce qu’il était au moment de son trépas. Ça signifiait qu’il ressemblait à un vieux grincheux, qu’il n’était pas bien grand et que ses sourcils broussailleux continuaient de se battre en duel. Il était un perpétuel râleur, peu importait les raisons, et je l’appréciais bien plus que la majorité des personnes vivantes que je connaissais. Je savais que son caractère de cochon dissimulait ce qu’il était réellement. Il avait l’apparence d’un ours mal léché qui dissimulait le nounours en peluche dont tout le monde rêvait.