Souvenirs & confidences - Volume II - Alain Rimbault - E-Book

Souvenirs & confidences - Volume II E-Book

Alain Rimbault

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Beschreibung

"Souvenirs & confidences - Volume II" est un ensemble de réactions au sujet de l’acharnement de la star Claude François et de ses relations avec ses paires du milieu artistique. De nombreuses opinions ont été émises sur le surnommé « Cloclo », aussi bien de son vivant qu’après sa disparition, provenant d’une variété de personnalités. Certaines l’adulaient, d’autres le méprisaient. Durant sa carrière, l’artiste a démontré une éthique de travail incroyable, révélant un génie musical indéniable. Son talent pour le chant et la scène, son énergie débordante et son dynamisme sont des qualités foisonnantes qui ne laissaient personne indifférent.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Depuis des années, Alain Rimbault est fasciné par le monde du showbiz, particulièrement par la figure emblématique de Claude François qu’il découvre dans les années 60. Cette fascination le pousse à écrire sur l’artiste, à partir des témoignages et interviews recueillis, retraçant ainsi le mémorial de son existence.

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Alain Rimbault

Souvenirs & confidences

Volume II

© Lys Bleu Éditions – Alain Rimbault

ISBN : 979-10-422-2456-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je voudrais dédier ce livre à Slim Pezin

qui nous a quittés en ce début d’année 2024.

Ce grand guitariste, arrangeur chef d’orchestre a travaillé

pour les plus grands de la chanson.

Il fut le chef d’orchestre de Cloclo de 1971 à 1977.

Préface

Plus de 200 livres ont déjà été publiés sur le chanteur Claude François depuis son décès accidentel le 11 mars 1978.

En voici un, le 3e écrit par un inconditionnel du chanteur, Alain Rimbault. L’auteur m’en avait parlé, il m’avait dit que pendant la durée de sa retraite, il écrirait des livres sur son idole. Trois ans après la sortie du tome I de Souvenirs & confidences, il publie le tome II.

Tout au long de cet ouvrage, il s’agit de plus d’une centaine de témoignages de personnalités telles que ses proches collaborateurs, ses relations professionnelles, ses Clodettes, des photographes, des gens de la radio et de la télévision, de la presse et du spectacle, ainsi que des personnalités de divers horizons (sports, fans, amis, etc.), et même des artistes de la génération 1990/2000, le tout ponctué d’anecdotes, parfois étonnantes, qui ne manqueront pas de surprendre les lecteurs.

Il y a même des situations assez épicées et certains récits qui ne sont pas favorables à l’idole. Pourtant, beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé ou qui ont travaillé avec lui ou pour lui considèrent comme un privilège d’avoir croisé sa route.

Qu’importe, Alain Rimbault a tenu à rapporter in extenso ce que ces gens pensaient réellement du créateur du succès mondial de Comme d’habitude, comment ils l’ont connu et ce qu’ils ont partagé avec lui à un moment de leur carrière.

La genèse de ce livre relève bien l’intérêt et l’admiration qu’ils portent à l’artiste.

Ils sont unanimes pour dire qu’après sa disparition, le métier a changé de visage, et l’époque actuelle prouve que l’on ne s’est pas trompé, car Cloclo a emporté avec lui une partie magique du showbiz.

Julien Lescure

Avant-propos

Qui peut parler le mieux avec une grande pudeur, sans entrer dans les détails de Claude François, ce sont évidemment tous ceux qui ont véritablement travaillé avec lui, qui l’ont véritablement bien connu, côtoyé et aimé durant ses seize années de carrière. Certaines personnes ont beaucoup de respect envers Cloclo, mais d’autres n’omettent pas d’évoquer ses excès, ses coups de colère souvent trop nombreux et ses crises de nerfs. C’est vrai que Claude François était un personnage sanguin, mais aussi généreux. Tous ceux qui ont approché la star des années 1970 en ont parfois fait les frais.

Donc, de son vivant, Cloclo n’a jamais été épargné par les critiques. Entre ceux qui parlent de son physique, de son caractère, de son élégance, de son professionnalisme, il y a toujours eu ceux qui ne l’aimaient pas. Tous ces bien-pensants, ceux qui l’ont connu et qui ont profité de ses largesses et qui aujourd’hui crachent dans la soupe, et aussi ses enfants d’hier qui ne connaissent le chanteur que par leurs parents.

Heureusement qu’il y a ceux qui l’ont aimé pour ce qu’il a été, et ceux qui l’aiment toujours et pour toujours, et qui se souviennent de ses très beaux sourires qu’il nous faisait lorsqu’il nous signait des autographes.

Claude François était une star, idolâtré par les uns, détesté par les autres. C’était un personnage hors normes qui est resté, quoiqu’on en dise, le symbole musical d’un temps associé aux costumes métallisés à larges pattes d’éléphant et à ses Clodettes fort dévêtues. Derrière ses chorégraphies à paillettes, son sourire ultra-large et son visage doré, le Cloclo chanteur n’a vécu que pour son métier, perfectionniste jusqu’à l’obsession.

Mais tous ceux qui ont été près de lui, qui l’ont adoré ou même détesté, gardent de lui le souvenir d’un bourreau de travail sans concession avec lui-même, et possédant un grand flair musical. Bien sûr que c’était un patron intransigeant qui distribuait parfois des paires de claques quand il y avait une faute professionnelle, mais il savait à chaque fois se faire pardonner avec des cadeaux somptueux, car sous ses costumes de strass et de paillettes, c’était un dur au cœur tendre.

C’est vrai, Cloclo râlait, Cloclo exigeait, sa mauvaise humeur notoire avait sans aucun doute sa raison d’être lorsque des problèmes se posaient. Alors, dans ces moments-là, il fallait très vite lui donner la certitude qu’on le considérait plus comme un interlocuteur valable et intelligent que comme une idole sans cervelle, tel que décrit par certains. Finalement, c’était un homme comme un autre, mais doublé d’un caractère explosif, véritable bulldozer qui ne vivait que pour son métier. Tous les artistes de sa génération avaient du culot, lui il avait du métier.

Que retenons-nous aujourd’hui de Cloclo : l’image d’un homme élégant, souriant, dynamique, un artiste bouillonnant de jeunesse et de rythme, un chanteur populaire jamais démodé, véritable dieu de la variété qui a marqué les esprits de toute une génération, un chanteur légendaire bien plus populaire que mal aimé et bien plus courageux que sulfureux. Il a laissé une empreinte indélébile avec toutes ses chansons qui sont restées dans les mémoires. Son histoire s’est accomplie à la vitesse de l’éclair et il a eu une extraordinaire et légendaire destinée qui l’a emmené à être le numéro un des stars.

Depuis 1978, pas une année ne s’écoule sans un livre ou un article de presse sur Claude François. Chacun y va de son histoire. D’abord ceux qui le détestaient et le détestent encore, et qui aujourd’hui l’égratignent en narrant des faits d’un autre siècle, sans pour cela que l’intéressé puisse se défendre, tout simplement pour faire du buzz. Et puis, il y a ceux qui l’aimaient et qui l’aiment encore, qui eux racontent leurs récits avec plein de tendresse.

Après plus de quarante ans de la disparition de l’artiste, tous ces gens-là ne savent pas que malgré eux ils continuent d’entretenir la légende du mythe de celui que toute la France appelle familièrement Cloclo.

Alors qui de mieux placé pour parler de Claude François que ses proches collaborateurs, ses relations professionnelles, en passant par ses Clodettes, des journalistes, des personnalités de la radio et de la télévision, de la musique et du spectacle et des photographes, de toutes catégories sociales, et également des artistes de la génération 1990/2000.

Partie I

Les proches collaborateurs

Jean-Pierre Bourtayre

(Directeur artistique et compositeur)

« Je me souviens bien de ma première rencontre avec Claude, c’était vers 1968, quelque chose comme ça, rue Clément Marot, je l’avais croisé dans les radios. On se disait bonjour, mais on n’avait jamais travaillé ensemble. Je lui avais même proposé des chansons en 1964, mais son équipe n’avait pas donné suite.

Et puis un jour, au début des années 1970, sa parolière attitrée, avec qui il travaillait depuis longtemps, était en froid avec lui. Elle avait envie qu’on travaille ensemble, elle m’a donné un texte, j’ai fait la musique, et elle s’est débrouillée pour que je rencontre Claude. Mais au début, Claude ne voulait même pas me connaître parce qu’il avait horreur des nouvelles têtes. Il n’aimait pas tellement ça, ce qui fait que l’on a insisté. Nous nous sommes présentés dans ses locaux et on est entré dans son bureau. Je lui ai joué la chanson et il se trouve que ça lui a plu. Lorsque la chanson Avec la tête, avec le cœur est devenue un succès, il a eu un coup de cœur pour ce titre et aussi pour moi, et il m’a demandé de travailler avec lui de façon permanente pour faire d’autres chansons, et nous sommes alors devenus amis, et de fil en aiguille, il m’a engagé comme directeur artistique des disques Flèche.

C’est donc à partir de 1971 que je vais démarrer une longue carrière avec Claude et devenir son compositeur attitré.

On a travaillé ensemble pour tout ce qui était chansons et disques, et même le reste. Car quand Claude s’associait avec quelqu’un, il l’associait à tout ce qu’il faisait, que ce soient les disques, les chansons, ses affaires, on était ensemble pour tout. C’est comme ça que je suis devenu son producteur.

Claude était un être totalement à part, extraordinaire, dans le sens complet du mot. Exclusif, il exigeait de vous une disponibilité totale. Son rêve, c’était de vivre dans un grand appartement avec les gens qu’il aimait et avec lesquels il travaillait pour les avoir sous la main. Il était aussi formidable de générosité qu’abominable dans ses haines et ses colères.

Il était très méfiant et ne faisait confiance à personne, il mettait du temps à se laisser apprivoiser. Quand il tombait sur des gens réellement gentils ou désintéressés, cela lui paraissait presque anormal.

Claude était toujours tendu, c’était quelqu’un qui n’était efficace que dans la tension. Donc, même quand il ne l’était pas, il se forçait un peu à être tendu. C’est-à-dire qu’il prenait un prétexte minime pour monter un sujet en épingle, de façon à s’énerver, de façon à pouvoir travailler mieux. Parce que s’il n’était pas tendu, il pensait qu’il ne serait pas efficace. Dans ces moments-là, ses musiciens étaient toujours tremblants, c’était toujours très délicat.

Claude c’était quelqu’un qui avait une angoisse permanente accrochée au ventre. La moindre chose pouvait le mettre en danger tout de suite, et c’est ça qui le mettait surtout en rogne.

Dès qu’il sentait un danger, même s’il était minime, mais que ça risquait de mettre sa carrière en jeu ou un moment de sa vie en difficulté, là effectivement, il se mettait très en colère, mais lorsqu’il lui arrivait d’avoir un grand besoin de tendresse, lorsque quelquefois il avait le cafard, il aimait que je sois à ses côtés dans ces instants-là. Il m’avait surnommé affectueusement Boubou, et je l’aimais tout simplement, car j’avais envie que cela fonctionne entre nous.

Claude était un être très exigeant envers lui-même. Dans ses bureaux, il vérifiait tous les moindres détails, la plus petite phrase était relue. Claude adorait les plantes vertes, et je me souviens qu’il ne supportait pas d’en voir une avec une feuille jaune, alors si par malheur, il en croisait une dans cet état, tout le monde longeait les murs. Au Moulin, il était pareil et avait des exigences. Tout devait être impeccable, aussi bien le jardin que l’intérieur. Il impressionnait beaucoup. Il était aussi très coléreux, si quelque chose ne lui plaisait pas, il convoquait la personne dans son bureau et criait, ou il lui envoyait une note de service. Mais il avait des moments merveilleux, c’était une personne qui savait se faire pardonner.

Très perfectionniste, Claude mettait longtemps pour enregistrer un disque, près de deux mois, il nous menait une vie infernale, il cherchait le succès à tout prix, il sacrifiait tout pour son métier. Lorsqu’il partait à l’étranger quelques jours pour se reposer, il culpabilisait, car il ne pouvait pas rester cinq minutes sans rien faire alors que les autres travaillaient.

J’ai une anecdote à ce sujet. Un jour, nous sommes partis pour Londres en avion, c’était l’hiver. Pour cause de tempête, l’avion n’a pu atterrir. Claude s’est retrouvé à Manchester, obligé de prendre un train qui partait deux heures plus tard. Il a donc dû rester deux heures sans rien faire. Alors, il a sorti toutes les cassettes de ses nouvelles chansons qu’il avait amenées et il a passé les deux heures à les apprendre. Les gens qui passaient dans le couloir devaient penser qu’ils avaient à faire à un fou.

Pendant huit années, je l’ai côtoyé au travail et dans sa vie. Je dirais plutôt qu’on ne se côtoyait pas, on vivait pratiquement ensemble. Ce n’est pas un scoop, mais quand on travaillait avec Claude, on ne pouvait pas travailler ailleurs, il ne l’aurait pas accepté. Donc, c’était l’exclusivité totale de travail. Mais ça ne concernait pas que les chansons, ça concernait aussi le travail habituel par rapport à toutes les affaires qu’il pouvait monter. Il fallait être au milieu tout le temps pour donner un avis ou des conseils, qu’il ne suivait que rarement d’ailleurs. Et puis, dans sa vie de tous les jours, il fallait aller au Moulin, donc il fallait être l’alter ego vraiment parfait. C’était une vie très difficile et très fatigante, mais c’était une vie tellement éclatante que j’acceptais ça. Car ce qui était fascinant, c’est que c’était une vie en dehors de toutes les règles. On ne faisait jamais rien de normal.

Vivre avec Claude était synonyme de vie à part. On vivait à 100 à l’heure et malgré ça, il était toujours en retard. Nous menions une vie infernale, à courir, à chercher le succès à tout prix et à vivre quand même intensément et de manière unique.

C’était un grand professionnel avec qui j’ai passé une décennie d’une amitié forte, avec aussi beaucoup de disputes. Claude était tellement désorganisé qu’on ne faisait jamais les choses normalement. Tout était multidimensionnel, dans les problèmes comme dans les joies. Côté chanson, on enregistrait par exemple vers minuit après avoir traîné une partie de la journée.

Nous nous sommes fâchés trois fois. Mais comme je voulais éviter les affrontements, dans ces cas-là, je partais. Notre dernière grosse dispute avait eu lieu pendant l’enregistrement de la chanson Je vais à Rio. Claude ne voulait pas enregistrer parce qu’il manquait deux phrases à la chanson et il préférait tout enregistrer d’un coup.

Côté horaire, nous n’avons jamais pris l’avion ou une voiture normalement pour arriver à l’heure. On loupait toujours les avions et ça créait toujours de supers problèmes pour prendre le suivant, parce qu’au bout de ce trajet, il y avait souvent un studio d’enregistrement qui ne pouvait nous recevoir qu’à une heure bien précise.

J’ai encore une anecdote qui est arrivée à l’habilleuse de Claude pour un voyage en avion privé toujours pour Londres. Afin de participer à l’enregistrement d’une émission de télévision, lors du départ, l’habilleuse rangeait soigneusement les affaires dans l’avion, et pour se libérer les mains, elle avait accroché un costume de Claude à la queue de l’appareil. Une fois, tout le monde à bord, l’avion commençait à rouler sur la piste, quand tout à coup la fille hurla : Arrêtez ! Arrêtez ! J’ai oublié quelque chose. Claude lui demanda quoi, elle n’osait pas lui dire la vérité.

On arrêta l’appareil en bout de piste et elle descendit chercher le costume de scène qui était resté accroché. Elle a quand même réussi à ne pas dévoiler la vérité à Claude. Lorsque ses amis lui racontèrent l’histoire bien longtemps après, on ne l’a jamais vu autant rire de sa vie, mais sur le moment, je ne crois pas qu’il aurait ri.

Malgré tous les retards que l’on prenait, il fallait que les choses soient le mieux possible, que tout soit parfait. C’était quelqu’un qui n’avait pas tellement d’heure pour travailler. Quand il avait une idée ou quelque chose qui le tracassait, il pouvait m’appeler à n’importe quelle heure de la nuit.

Le plus grand rêve de Claude était de se retirer un jour sur une île déserte qu’il aurait achetée et aménagée pour y vivre avec tous les gens qu’il aimait, car il avait un besoin constant de se sentir aimé, car il doutait de tout.

D’ailleurs, chaque fois qu’il pouvait, il emmenait en voyage toutes les personnes auxquelles il tenait le plus. Il me parlait souvent de ses projets, il voulait faire moins de galas pour se consacrer à la télévision et attaquer l’Angleterre et l’Amérique. Les USA étaient pour lui le rêve absolu professionnel. Il était persuadé de pouvoir conquérir ce territoire et l’Angleterre était pour lui un tremplin.

Sa mort mettra fin à notre collaboration, mais aujourd’hui, quand on le voit en couverture de nombreux magazines, et dans de nombreuses émissions de télévision qui lui sont consacrées, on n’a pas l’impression qu’il nous a quittés. Et puis, ce que je trouve extraordinaire, c’est que de nombreuses années après son départ, on en parle toujours autant. Parfois, pas toujours en bien, car j’ai lu quelque part dans un journal qu’il ne restait rien de Claude. Pourtant, au bout de tant de temps, il est toujours dans les journaux, et on danse sur Claude François, même dans les discothèques importantes et un peu snob.

Ce qui arrive aujourd’hui est génial. Depuis le jour où il est mort, il a prouvé qui il était. Évidemment, la mort sacre beaucoup de choses. Il a réussi son coup, il voulait être immortel, et il vit toujours de façon éternelle à travers ses chansons.

De là où il est, s’il peut voir ça, il doit être le plus heureux du paradis.

Depuis 1971, j’ai tout connu avec Claude. De compositeur, à directeur artistique, j’ai occupé de multiples fonctions, à la fois conseiller, souffre-douleur. Claude avait un sale caractère, mais au moins, il avait du caractère, il était extraordinaire, c’était un être à part qui bouffait la vie 24 heures sur 24, c’était un géant, il allait vite, il était efficace, intelligent, instinctif ; à côté de lui, certains artistes étaient des nains. Mais entre nous, l’amitié qui nous liait avait résisté à toutes les tempêtes.

Depuis qu’il est parti, je ne suis plus le même, il me manque une présence près de moi et je pense à lui très souvent. J’ai gardé son bureau, car comme ça j’ai l’impression qu’il est toujours avec moi, qu’il me donne toujours ses conseils si précieux.

J’ai perdu mon plus grand ami et il ne se passe pas un jour sans que je ne quitte jamais des yeux les photos où nous sommes ensemble. »

Propos recueillis dans le magazine Podium (1980),

et l’émission d’Europe 1 Les Roucasseries du midi,

le 11 mars 1988

Vline Buggy

(Auteure)

« Au début des années 60, peu de chansons étaient françaises, on faisait des adaptations. Un jour, parmi une pile de disques que me donne mon nouvel éditeur, je découvre Girls, girls, girls et j’en écris des paroles françaises Rien rien que notre amour. Là-dessus, je reçois un coup de fil de la secrétaire de l’éditeur en question pour m’avertir qu’un directeur artistique va m’appeler. Lorsqu’il me téléphone, il me passe un jeune homme qui est encore inconnu et qui se présente très poliment : Bonjour, je suis Claude François, je dois enregistrer un disque et j’aime beaucoup votrechanson, mais je n’aime pas beaucoup les paroles. Évidemment, j’éclate de rire et je lui réponds que c’est dommage, mais que je n’ai rien d’autre. Il insiste pour venir me voir le soir même, alors je lui donne rendez-vous chez moi. Il arrivera trois heures après l’heure fixée. C’est comme ça que j’ai connu Claude, c’était pour moi une période difficile de ma vie, car je venais de perdre ma sœur qui était ma collaboratrice de tous les instants.

Je me souviens bien de ce jour, c’était le 14 novembre 1962 quand quelqu’un frappe à ma porte. Lorsque j’ouvre, c’est un jeune garçon blondinet, avec un pull-over rouge et un pantalon bleu, qui m’est parfaitement inconnu, qui se présente à moi en me disant : Bonjour, est-ce que je peux voir monsieur Vline Buggy.

Étonnée, je lui réponds qu’il n’y a pas de monsieur Vline Buggy ici, que c’est madame Vline Buggy et que c’est moi.

Dès qu’il s’est mis à parler, en cinq minutes, je savais tout de sa vie et le courant est tout de suite passé entre nous deux.

Sûr de lui, il me dit qu’il avait le meilleur arrangeur de Paris. Ce garçon portait déjà son succès en lui-même, et je ne lui ai pas demandé comment il chantait et j’entendrai seulement sa voix chantée lorsque son disque sortira.

J’ai pensé que lorsqu’on rencontrait un garçon comme Claude, il ne fallait pas se poser de questions. Il était entré chez moi sûr de ce qu’il voulait faire, il avait déjà des idées précises, très nettes. C’était un personnage envoûtant, qui avait une volonté profonde de faire rêver, qui voulait être le premier, le plus grand et posséder un empire.

Le lendemain, il revient, très pudique et gourmand avec une boîte de calissons d’Aix. Il m’explique que c’est son seul repas de la journée, car il n’a pas d’argent. À partir de là, je l’inviterai à dîner à la maison, afin de pouvoir travailler tard dans la nuit.

Lorsque nous avons commencé à travailler sur le futur Belles, belles, belles, il insista sur le titre et les paroles que j’ai écrites en me disant qu’il faudrait que le texte ait un son qui sonne comme une cloche, et en anglais cloche se dit Bell.

Le lendemain, après maintes réflexions, je lui dis qu’avec son Bell, j’avais trouvé quelque chose. J’avais imaginé alors une histoire entre un père et son fils qui court après des filles qui sont toutes Belles, belles,belles.

C’est à partir de ce jour qu’est née une fraternité et une tendresse qui restera toujours entre nous. À partir de ce moment, peu de gens vont le fréquenter autant que moi. Il passe parfois des semaines entières à la maison, où il a sa chambre.

Avec moi, il est adorable. J’aime bien le gâter, et il ne le sait que trop. Il dispose d’un pouvoir de séduction incroyable. Sitôt que s’élève un petit différend entre nous, il emporte toujours la décision, car il m’a au sentiment. Mais je lui serai toujours extrêmement reconnaissante de m’avoir aidée à supporter la cruelle disparition de ma sœur. Je venais de retrouver chez Claude les mêmes qualités que chez elle. C’était un garçon plein de charme, si gentil, intelligent et doué.

La chanson devient vite un énorme succès, pas seulement à cause de la chanson, mais parce que Claude était très en avance sur son temps, surtout rythmiquement.

Avec l’argent qu’il a gagné, il s’est acheté un appartement, et je me souviens, je lui avais donné des tasses et des assiettes, parce qu’il n’avait rien, et comme je travaillais encore chez Roche Bobois, je lui avais eu une belle cuisinière, un réfrigérateur et le reste à des prix records. Il était très seul, alors j’allais le voir pendant deux ou trois jours, puis je repartais.

Puis, nous écrirons toutes ses chansons ensemble et il m’apportera bien souvent une aide précieuse. Personne n’avait mieux que lui le sens de ce que le public aime et attend. Je tenais énormément à notre équipe, à nos longues soirées de travail qui se prolongeaient parfois très tard dans la nuit. J’ai quasiment tout écrit pour Claude jusqu’en 1966. Avec Claude, c’était devenu une liaison professionnelle très envahissante, et je crois qu’à un moment j’ai eu envie de mettre un peu d’espace entre lui et moi.

Il me faisait me mettre en colère à cause de ses retards à répétition, quand je l’attendais à 20 heures, il arrivait à 3 heures du matin, mais si un jour par malheur, c’est lui qui était à l’heure au studio d’enregistrement, et qu’il m’attendait depuis dix minutes, c’était un drame. Il devenait insupportable, piquait des crises et m’engueulait copieusement. Ajouté à cela, il contrôlait tout, de l’enregistrement, de l’orchestre jusqu’au mixage des voix et de la musique. Parfois, pendant des enregistrements, rien ne le satisfaisait, il hurlait, agressait le premier venu.

Comme je travaillais aussi pour d’autres artistes, ça ne lui plaisait pas vraiment, car il était jaloux et possessif.

Je me souviens que pour écrire Si j’avais un marteau, je l’avais rejoint à Lille dans un vieil hôtel où il faisait froid pour travailler. Après le dîner, Claude s’était levé et avait déguerpi pour se rendre à un rendez-vous galant, me laissant plantée là.

Il m’est même arrivé de le suivre en tournées, il m’emmenait dans sa voiture qui sentait le Shalimar et le Jicky. Dans la nuit, on roulait, moi j’étais derrière et à ses côtés, il y avait souvent une fille blonde qui dormait sur son épaule. Pendant le voyage, on bavardait lui et moi, on parlait du métier, de l’avenir. Tout en conduisant, il mangeait des gâteaux à la cannelle que je lui faisais.

À cette époque, je travaillais beaucoup pour Hugues Aufray. J’avais écrit une chanson pour Claude, mais son producteur l’avait trouvé démodée. Claude, qui était quand même un peu influençable, avait écouté son mentor et c’est donc Hugues qui l’avait prise. Céline devient le succès que l’on sait, et ce jour-là, on frôlera l’incident diplomatique, car Claude en était devenu malade, il était fou de rage, et durant quelque temps, il n’a pas cessé de m’appeler en me demandant de lui écrire une chanson dans la même veine. C’est ainsi que j’ai écrit Olivier que je lui ai proposé. Mais Claude l’a chantée, hélas avec beaucoup moins de succès que Céline.

C’est à cette époque que j’ai eu mon deuxième enfant, une fille que j’ai prénommée Claude.

Et puis un jour, je me trouvais fatiguée, je participais à une réunion qu’on avait régulièrement avec son directeur artistique et son producteur, et Claude, ce jour-là, était particulièrement désagréable et faisait tout pour foutre la zizanie au milieu de tout le monde. Il a toujours été très exigeant et il avait un caractère spécial. On choisissait toujours ensemble les chansons sur lesquelles on allait travailler, mais cette fois-là il s’adressa à moi d’un ton à la limite de la vulgarité : Voilà, Buggy, tu vas faire ça sur telle chanson, t’écris ça sur telle autre, t’écris ça… Tu vois, c’estvite fait avec Claude François, et les droits d’auteur çatombe. La colère m’est montée et tout en le regardant, je lui ai dit que puisque c’était si vite fait, qu’il n’avait qu’à faire tout seul ses chansons et que je n’avais pas besoin de lui pour me faire un nom dans le métier. Joignant le geste à la parole, je lui ai envoyé ses disques à la figure et je suis partie. Notre collaboration s’est arrêtée. C’est moi qui ai quitté Claude.

Je n’ai plus eu de ses nouvelles durant huit mois. J’avoue que j’étais très malheureuse de cet état de faits, même mon mari m’en voulait, car il adorait Claude. Ils s’entendaient merveilleusement bien tous les deux, c’est lui qui l’avait initié aux vins et aux cigares.

J’avais beaucoup de peine, à tel point que je n’arrivais plus à écouter sa voix lorsque je l’entendais chanter une chanson que nous avions faite ensemble. C’était au-dessus de mes forces, mais je tenais bon.

Quelques mois après notre rupture, je reçois un coup de fil de sa secrétaire. Elle appelait pour lui et voulait me le passer. Je lui avais répondu que je ne parlerai à Claude que lorsqu’il composera lui-même mon numéro et qu’il prendra la peine de m’appeler lui, et je raccrochai. Deuxième coup de fil, je raccroche, troisième coup de fil, c’est sa collaboratrice la plus proche qui me demande si je veux bien parler à Claude, je raccroche.

Quelques jours plus tard, le téléphone sonne de nouveau et j’entends d’une voix faussement accablée : Alors toi, on peut dire que tu es un personnage impossible. Moi je ne change pas, mais toi non plus. Ah Buggy, Buggy, Buggy, tu me manques. Tout en lui répondant, je lui demande pourquoi il lui faut des secrétaires maintenant pour m’appeler, et pourquoi il me téléphone. Ben voilà, tu sais, je voudrais ta recette de radis noir, tu sais celle que tu me faisais chez toi quand je venais dîner.

J’avais bien compris qu’il ne savait pas comment commencer le truc, car tout de suite après, le professionnel reprenait le dessus lorsqu’il me demandait si je n’avais pas une idée de chanson pour lui. Et là, je lui rétorquais qu’il n’était quand même pas manchot et qu’il pouvait composer tout seul mon numéro de téléphone.

Nous nous sommes donc réconciliés et je lui ai écrit, avec deux autres complices, dont Jean-Pierre Bourtayre, un titre qui s’appelle Avec la tête avec le cœur. J’ai d’ailleurs voulu lui présenter mon co-auteur qu’il ne connaissait pas, mais allez savoir pourquoi, il ne voulait pas le rencontrer. Je lui ai alors dit que s’il refusait de le voir, il ne me verrait plus non plus. Il m’a donné un rendez-vous à son bureau et j’avoue que j’y suis allée le cœur battant, comme une petite fille abandonnée ou amoureuse délaissée. Je dois dire que ce jour-là, ç’a été une grande émotion, même s’il ne m’avait pas dit bonjour et qu’il avait oublié de s’excuser, c’était quand même reparti.

Après, de temps en temps, je passais le voir aux éditions pour l’embrasser. Un jour, il m’a prise dans ses bras par-derrière et m’a dit dans le dos que j’étais toujours là où il fallait. Je lui demande pourquoi il me dit ça, que c’est parce que je viens le voir dans ses bureaux que je suis toujours là où il faut ? Et là, en se retournant, il me dit : Non Sardou.

Je venais de signer les premiers succès de Michel Sardou, et ça avait dû l’agacer. C’était ça, Claude. Nos relations n’étaient plus celles d’avant, car j’avais ma vie, et ce n’était pas celle de Claude. On ne s’est jamais donc retrouvés comme avant, mais de temps en temps, je lui faisais une chanson.

J’allais le voir l’été sur la Côte d’Azur lorsqu’il passait près de chez nous et nous nous retrouvions quelquefois avec nos conjoints pour un dîner. Mais nous n’avions pas retrouvé la complicité de nos débuts.

Et puis, en vacances dans le Sud, un soir, nous nous sommes vraiment retrouvés. J’étais venue le voir chanter à Grasse, parce qu’il y avait un bon moment que je ne l’avais plus vu sur scène, et j’avoue l’avoir trouvé particulièrement mauvais.

De retour à Paris, je me décide à aller le voir pour lui en parler en me disant que, si ce n’est pas moi qui lui dis, personne n’osera le faire.

Je prends donc mon courage à deux mains, j’attends d’être en tête à tête avec lui et je lui demande s’il permet que je lui dise quelque chose. Et là, je lui balance que je l’ai trouvé très mauvais lors de son gala à Grasse. Je m’attendais à tout, à une réaction violente, à ce qu’il me jette ou qu’il me fasse la gueule, mais pas du tout. Tout en me fixant, il me demande de m’asseoir, car il est très intéressé par mon observation. Je lui explique donc tout ce qui n’a pas été, je lui parle de ses chemises trop serrées au cou et qui l’engoncent, de ses costumes qui le font ressembler à un dompteur ou à un torero, à ce show trop rapide, inaudible, à ce manque de relation sur scène avec son équipe. Il m’écoute et ne dit rien.

Quelques jours plus tard, il m’appelle pour me proposer trois jours de tournée avec lui. J’accepte au grand dam de mon mari. Le jour J, son chauffeur passe me prendre. Je suis assise derrière et Claude devant moi. Cent kilomètres se passent avant qu’il ne m’adresse la parole. Je le vois qui me regarde dans le rétroviseur et soudain il s’adresse à moi en me disant : Ça fait une semaine que je pense àce moment, que tu reviennes et qu’on se retrouve tous les deux pourqu’on regarde ensemble comme avant. Bien sûr, ça m’a fait chaud au cœur.

À la ville comme sur scène, Claude était élégant et raffiné. Je me souviens que le choix d’une chemise sur mesure n’en finissait jamais. Il s’arrêtait longtemps sur le tissu et la couleur qui, pour lui, devaient obligatoirement s’harmoniser avec chacun de ses costumes qui lui coûtaient une fortune. En spectacle, il allait encore plus loin. Quelques instants avant de rentrer en scène, je le vois encore s’asperger d’eau de Cologne, puis il faisait apporter sa chemise et son costume par une fille spécialement affectée à l’entretien de sa garde-robe. Quand il sortait de scène, trempé de la tête au pied, la fille devait sécher le costume avec un séchoir électrique en décrivant des mouvements bien spéciaux, de même qu’elle devait le plier et mettre des épingles d’une façon aussi bien spéciale. Et si jamais elle ne faisait pas les bons gestes, elle était vertement engueulée.

Si Claude était attachant et sensible, il devenait de plus en plus violent et irritable en accédant à un certain pouvoir. Souvent, il donnait sa confiance à des gens douteux, mais il se méfiait toujours de ceux qui étaient irréprochables, et quoi qu’il arrivait et avec tous, il explosait de ses fameuses colères et il fallait lui résister. Malgré ses crises de rage, les Clodettes l’adoraient et la totalité de son personnel également, même ses chauffeurs dont il exigeait une méticulosité rare. Le moindre écart et il les renvoyait en hurlant. Le soir même, il courait chez eux se faire pardonner les bras chargés de cadeaux. Il avait même parfois des sauts d’humeur envers ses groupies qui se ruaient sur lui. Tantôt, il se laissait embrasser, tantôt il les repoussait violemment. Mais il ne les méprisait jamais, car il savait qu’il représentait quelque chose d’important à leurs yeux. Claude adorait les femmes mannequins, grandes, blondes et aux yeux bleus de préférence. Il aimait les faire souffrir pour pouvoir mieux les consoler.

Un soir, au cours d’une tournée, tout en nous préparant pour monter sur scène, Claude et moi nous parlions de chansons, de sport, de bouquins qu’on avait lus et aimés, de tout ce qui nous passait par la tête. Il ne fallait pas que je le quitte, je devais rester assise à côté de lui dans sa loge. Et pendant le gala, je m’étais rapidement rendu compte que rien n’avait changé. Il avait encore été très mauvais, mais il avait vite compris ce que j’en pensais.

Alors le lendemain, tout avait changé, il était splendide. Il avait corrigé tout ce que je lui avais dit et on sentait qu’il prenait un immense plaisir à chanter en toute complicité avec ses musiciens, ses danseuses. À sa sortie de scène, il m’était tombé dans les bras, heureux comme un enfant.

Quinze jours se sont écoulés quand il me rappelle pour me dire que le chemisier Henri Le Corre est chez lui et qu’il veut absolument mon avis sur les cols, les formes et les costumes. Lorsque j’arrive, il est en slip et me demande de tout expliquer au couturier. Et là, tout à coup, je me rends compte que je me suis fait piéger, car cette demande sous-entendait autre chose.

Tout à coup, il redevient professionnel et me parle de la préparation d’un nouveau disque, mais qu’il lui manque des chansons pour le boucler. Donc, je comprends vite qu’il veut que je lui écrive de nouvelles chansons. Un peu ébahie, même un peu en colère, je lui réponds qu’il n’en est pas question et que tout ça, c’est terminé, que je ne veux pas recommencer.

Mais lorsque Claude veut quelque chose, il est tenace, il vous talonne et sait être persuasif, et bien sûr, j’ai craqué.

Me revoici donc face à lui avec mon bloc, mon petit crayon et un dictionnaire de rimes qu’il m’avait lui-même offerts il y a longtemps.

Comme en 1962, on s’est enfermés tous les deux, c’était superbe, on a revécu nos vingt ans, nos premiers frissons, et ça a donné Quelquefois et C’est comme ça que l’on s’est aimé entre autres.

Nous sommes en 1977, c’était la dernière fois que je le retrouvais vraiment pour son avant-dernier album.

C’est aussi à cette époque que je vais être à l’origine des derniers costumes des Clodettes. Lorsque je l’avais suivi en tournée, un soir à l’hôtel, je lui avais dit qu’à force de voir ses Clodettes à poil, on finissait par ne plus les voir. Je lui avais suggéré d’essayer autre chose sur une nouvelle chanson. J’avais dessiné des chemises et des shorts que je portais lorsque j’avais vingt ans, et que chaque Clodette devrait en porter un de couleur différente. Claude, intrigué par mes interrogations, m’avait demandé à voir mes dessins, et lors du premier visionnage, il accepta ma proposition. Visiblement, pour une fois, Claude avait suivi mes conseils. Voilà pourquoi, dans les derniers temps, les Clodettes portaient des chemises et shorts en satin colorés.

Concernant sa disparition, ce n’était pas faute de l’avoir mis en garde. Combien de fois lui avais-je dit que c’était dangereux de téléphoner de sa baignoire, je lui disais de me rappeler une fois sorti. Le 11 mars 1978, mon téléphone ne sonnera plus, et je n’entendrai plus jamais la voix de Claude m’appeler Buggy, Buggy, Buggy…

Je me souviendrai toujours de Claude, future idole, qui chantait très juste et à qui ses qualités de batteur lui avaient donné un swing certain, de son immense volonté et de son goût qui l’emportaient sur son timbre vocal. Il savait tout d’instinct, il pigeait tout et pensait à tout. Je ne reconnais jamais Claude dans les descriptions que font de lui certains journaux.

Aujourd’hui, les chanteurs, par leurs tenues et leur manière de vivre, sont devenus accessibles à tous. Ils ne font plus les efforts auxquels se soumettaient les stars telles que Claude, il n’y a plus d’idole.

J’attendrai le début des années 1980 pour écrire un nouveau texte. J’ai été contacté par un jeune animateur de RMC, Julien Lepers pour mettre des paroles sur une musique qu’il avait composée. Ainsi est né Pour le plaisir, un titre qui, en y pensant, faisait peut-être référence à Claude. Car même si j’en suis sortie épuisée, c’est pour le plaisir que je suis restée treize ans avec Claude… »

Propos recueillis en partie dans les magazines

Télé Star (1984), Plus vite que la musique (1988)

Felix Bussy

(Éclairagiste, secrétaire)

« À mon adolescence, j’écoutais les Beatles, les Stones, les Who, et je dois dire que Belles, belles, belles me gonflait un peu. C’est seulement en 1967 à l’âge de vingt-huit ans que l’on m’a proposé d’aller voir Paul Lederman pour travailler sur les galas de Claude François, il m’a trouvé une bonne tête et a vu que j’en voulais.

J’ai donc débuté dans ce métier au moment où il y avait tout à créer et où Claude était un des artistes qui allait faire progresser le son et les lumières sur scène, et donc, à l’époque, mon rôle principal était de tenir la poursuite. J’ai fait la poursuite jusqu’en 1969 ou je suis parti à l’armée, et quand je suis revenu, j’ai quitté la poursuite pour faire les éclairages sur les galas. Pendant mon séjour à l’armée ça a été un peu la valse des secrétaires, c’est donc après mon service que j’ai dû faire moi aussi le rôle de secrétaire de 1970 jusqu’à la tournée d’été de 1971. Ce service que Claude m’avait demandé devait durer environ trois mois, cela durera un peu plus d’un an, mais ça ne sera jamais mon truc.

C’est à partir de là que j’ai commencé à aller au Moulin, car il faut savoir que c’est seulement au bout de sept ou huit mois qu’avec Claude on a commencé vraiment à se parler. Car depuis le début, comme je faisais la poursuite et qu’il arrivait toujours au dernier moment, juste pour monter sur scène, je n’avais pas beaucoup de relation avec lui.

C’est là que j’ai vraiment découvert le vrai Cloclo, car il fallait se le farcir au quotidien, même s’il avait beaucoup d’humour.

C’était un grand déconneur derrière l’image d’excité colérique et aussi celle d’hyper professionnel.

En tournée, Claude n’était jamais cool. N’importe où, n’importe quand, c’était toujours pareil. Avec moi, il adoptait deux attitudes : soit on était potes, soit il jouait au patron, et cela pouvait basculer en une seconde, surtout si quelque chose se passait mal.

Pendant ma période de secrétaire, j’ai continué à faire la technique des galas, notamment pour ses premières parties comme Liliane Saint-Pierre, Topaloff et Chamfort, trois artistes que Claude produisait. Et malgré ce que certains racontent, je ne crois pas que Claude voulait que ce dernier se plante.

Je me souviens bien aussi du passage dans les studios de la Tamla Motown. Dès qu’il était rentré de Detroit, il avait installé dans son immeuble de bureaux, une pièce avec un magnétophone Revox et un piano. Dans cette pièce, il recevait les gens qui venaient lui placer des chansons. Un jour, Gilbert Montagné qui était inconnu est venu lui proposer The Fool, que Claude n’a pas voulu. Je peux vous dire qu’il l’a regretté.

À l’automne 1971, il y avait de l’eau dans le gaz entre Claude et Lederman pour une question de pourcentage sur les galas. Pour ma part, c’est là que j’ai quitté Claude une première fois pour quelques semaines, car il m’avait viré. Puis il m’avait rappelé et j’ai repris mon poste. Pas longtemps, car il s’était définitivement fâché avec Lederman, alors je suis parti avec ce dernier.

Malgré notre rupture, Claude et moi nous nous revoyions quelques fois pour aller bouffer ensemble, et là, je lui expliquais ce que je faisais, il m’avait d’ailleurs proposé plusieurs fois de revenir travailler avec lui.

À cette époque, Claude avait une image de ringard qui lui collait à la peau, alors que c’était un grand. Il avait peut-être cette image-là, mais sur scène c’était de la grande dimension.

C’est donc en 1974 que je suis revenu avec Claude pour la tournée d’été avec Alain Chamfort, et j’ai ramené avec moi des tas d’effets spéciaux que j’avais mis au point, comme l’envoi des ballons et les feux d’artifice, et donc je n’ai plus fait que ça.

À la fin de l’année, ou début 1975, je ne sais plus très bien, Chamfort quitte la maison Flèche et là Claude l’a très mal pris. Car, il se racontera ensuite, qu’il sabotait Chamfort quand il chantait en première partie. Eh bien moi, je peux vous dire que ce n’était pas vrai. Cependant, les premières parties n’avaient pas droit à tous les effets spéciaux. Certains effets, et c’était normal, étaient réservés à la vedette. Claude ne faisait pas ça par méchanceté ou par jalousie, mais pour le public, pour que celui-ci connaisse un crescendo dans le spectacle. La seule chose que Claude se réservait, c’était l’utilisation d’une chambre d’écho qu’il avait importé et payé une fortune. Vous pensez bien qu’il n’allait pas massacrer un mec qu’il produisait.

Lorsqu’arriva l’été 1976, je décidais de quitter une nouvelle fois Claude, car si j’étais bien payé pour les spectacles, il y en avait environ deux cents par an, ce qui me permettait quand même de bien vivre, par contre, pour tout ce qu’il m’imposait, et pour ce que je faisais à côté pour améliorer les shows pas du tout. Donc je suis parti, en prétextant que c’était pour l’argent, ce que Claude a vraiment mal pris. Mais ce n’était pas vrai, car je n’ai jamais travaillé pour l’argent.

Ce jour-là, il m’a d’ailleurs proposé de m’augmenter. Claude était quand même quelqu’un qui s’obstinait dans ses erreurs, car il était bien sûr excessif.

Après quelques mois d’absence, je revins une nouvelle fois à l’automne 1977 jusqu’au gala au Palais d’Hiver de Lyon en février 1978. C’est là que j’ai ressenti qu’en coulisses, quelque chose avait changé. Depuis mon retour, j’avais compris qu’il était mal, et que s’il m’avait rappelé depuis l’automne, c’était parce qu’il avait envie d’avoir un maximum de fidèles autour de lui, ça lui faisait du bien. Pour lui, rien n’allait plus depuis fin 1976. Claude gagnait beaucoup d’argent, mais il en dépensait autant.

Au Palais d’hiver, tout le monde parlait derrière son dos, un nouveau gestionnaire avait été nommé et pensait pouvoir tout contrôler ou raisonner Claude, mais personne ne pouvait y arriver. Alors, Claude faisait chier encore plus à cause de ses gros problèmes, faisait du mauvais esprit, et faisait son travail n’importe comment. Finalement, ce soir-là, Claude a fait un concert d’une demi-heure, en chantant dos au public, tout accéléré. Il était très en colère, je ne l’avais jamais vu comme ça.

Après ce concert de Lyon, il m’avait fait appeler tout de suite dans sa loge, furax, pour me mettre la faute sur le dos. Je connaissais son numéro par cœur, il me l’avait fait mille fois.

Mais cette fois, je lui avais dit calmement que le seul responsable de cette débâcle, c’était lui. Il était devenu blanc et il m’a viré. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant.

Et puis, une fois de plus, trois jours avant le drame, le 8 mars, il me rappelle de nouveau pour me dire d’arrêter de faire la gueule.

Il m’annonce qu’il a décidé de m’écouter, car il prévoit une rentrée à Paris au Palais des Sports.

Le samedi 11 mars, j’apprenais sa mort alors que j’étais allé rencontrer des fournisseurs d’effets spéciaux pour lui.

De fin 1967 au début 1978, malgré nos nombreuses ruptures, j’ai toujours été un collaborateur fidèle et l’ami de Claude. Je l’ai suivi partout dans ses tournées, de la France à la Belgique, en Italie, aux Antilles, en Angleterre, et même dans les studios de Detroit.

J’ai toujours respecté le musicien, l’artiste, et l’homme de scène, surtout celui que j’ai connu.

Depuis qu’il est parti, il n’y a plus de showman comme lui aujourd’hui… »

Propos recueillis dans le magazine Platine (2005)

Bernard Estardy (1939/2006)

(Musicien, producteur,

arrangeur et ingénieur du son)

« J’ai rencontré Claude François par l’intermédiaire de son directeur artistique Jean-Pierre Bourtayre. Il avait entendu un de mes disques à la radio et il trouvait ça sympa. Il en avait parlé à Claude en lui disant qu’il faudrait essayer de travailler avec moi pour voir ce que ça donnerait. Et puis, dans le courant de l’année 1972, il m’a apporté la bande du Lundi au soleil. On l’a mixée, Claude a été satisfait et on ne s’est plus arrêté, l’histoire a commencé comme ça, et il est devenu un fidèle de mon studio. Ce n’était pas gagné, car moi qui étais d’une nature très cool, nous étions l’opposé l’un de l’autre s’agissant du tempérament, pourtant nous allions devenir les meilleurs amis du monde.

En effet, nous nous entendions à merveille, Claude était devenu le meilleur ami que je n’ai jamais eu, nous nous fréquentions beaucoup et nous étions très intimes. Nous allions au restaurant ensemble, je m’occupais de beaucoup de choses, de ses journaux, des chansons à venir. Tous les deux, nous étions passionnés de cinéma, donc je le retrouvais souvent au Moulin pour assister à des projections de films. J’ai gardé en souvenirs des lettres qu’une femme ne m’aurait jamais écrites, des choses qui montraient que c’était vraiment un prince arabe.

J’ai une anecdote extraordinaire qui montre son côté généreux. Claude avait l’habitude d’arriver toujours en retard, tout le monde le savait, une heure, parfois deux heures, quand il venait…

Un jour, je lui dis que s’il arrive à 21 heures à l’heure du début des séances, d’enregistrement, je lui fais 20 % tout le temps.

Le soir du prochain rendez-vous, après avoir dîné vers 20 heures, je reviens au studio. Il était 21 h 2, et Claude était déjà là. C’est la seule fois où il a été à l’heure, les autres jours, il est toujours arrivé en retard, alors je ne lui ai plus jamais fait les 20 %.

Les séances d’enregistrements se passaient toujours très mal… mais se finissaient en général très bien, car comme il n’était jamais à l’heure, donc jamais là au studio pour les séances. Les rythmiques c’étaient n’importe quoi, pourtant lui qui avait la réputation d’un perfectionniste, et bien là, ce n’était pas le cas.

Heureusement que celles faites dans mon studio, des morceaux étaient refaits en Angleterre où on rajoutait des chœurs.

Il avait une devise bien à lui : Je prends mon arrangeur préféré, il me coûte une fortune, il ne fait pas ce que je veux, mais il me porte chance.

Voilà le perfectionniste qu’était Claude avec moi. En fin de compte, tout se faisait dans un bordel indescriptible.

Je me souviens que Claude marquait ce qui devait être fait sur un grand tableau noir. Ce tableau était très beau, on aurait dit une peinture. Il y inscrivait qu’il fallait enregistrer des tierces, qu’il fallait rajouter des trompettes ou des flûtes. Jamais une séance d’enregistrement ne se déroulait normalement du début jusqu’à la fin, rien n’était jamais au tempo d’origine, même Le téléphone pleure qui a été ralenti d’un ton, excepté pour un titre : Chanson populaire, c’est le seul qui soit resté dans sa genèse.

Il faut dire que Claude avait des exigences particulières.

Pour ses prises de voix, il avait besoin d’un ampli de plus de 100 watts pour le casque, un ampli de casque fait généralement entre 1 et 2 watts. Moralité, quand on envoyait la musique dans l’unique oreillette qu’il portait, c’était tellement fort qu’il se mettait à hurler. Il voulait le pied de grosse caisse, la caisse claire et le piano. À la fin, j’avais trouvé le système d’envoyer dans le casque ce qu’il voulait et dans les haut-parleurs autour de lui les violons, les pianos, et tous les instruments harmoniques, comme ça il était parfaitement à l’aise.

J’ai encore un casque qui traîne où on voit l’empreinte de Claude incrustée dans le casque tellement il avait chauffé. Il l’avait lâché en criant, car il s’était brûlé avec.

Claude n’assistait jamais au montage de ses voix. Il nous faisait confiance à Bourtayre et moi-même, car il savait que l’on était les seuls à donner une vraie couleur musicale à son répertoire. Il venait au studio que pour chanter. Il se défonçait pendant vingt minutes, engueulait tout le monde, il faisait exprès de mettre de la nervosité dans l’air pour faire monter la pression, puis il alignait les prises sans s’arrêter, et après il s’en allait. Il nous menaçait quand même en disant : Attention, j’écouterais à la radio et gare à vous si ça ne me plaît pas, si vous vous êtes gouré, je vous retrouverai autournant.

Il avait quand même un côté très professionnel qui explique le prolongement de sa carrière, par le fait qu’il était un rythmicien hors pair. Il savait placer les mots comme un chanteur américain. Il a fait des adaptations qui sont mieux que les originales, je pense par exemple à Toi et le soleil. C’est donc normal que ça soit resté, puisqu’aujourd’hui l’époque est au rythme, au tempo, à la rigueur. Il était un as en la matière, le meilleur de tous. Vocalement, c’était toujours très tendu, mais parfaitement en place. Les mots avaient leurs sens et leur rythmique.

Mes chansons préférées sont celles qui ont le mieux marché, j’en ai trois : 17 ans parce qu’il y a une émotion extraordinaire, Le téléphone pleure parce qu’il s’en est vendu plus de deux millions et surtout la dernière, juste avant sa mort Alexandrie Alexandra. Je suis très fier de la version originale de cette chanson. J’ai récupéré les bandes à sa mort, il y a dessus trois orchestrations, celle de Jean-Claude Petit, une autre de Raymond Gimenez et la mienne.

Je n’avais jamais vu quelqu’un se défoncer derrière un micro comme Claude avec cette chanson-là.

Le samedi 11 mars 1978, j’étais dans mon studio à ma table de mixage, justement pour le peaufinage du nouveau 45 tours de Claude Alexandrie Alexandra qui devait sortir le 15 mars. J’avais toujours branché un petit poste de radio avec une petite prise pour contrôler la qualité du mixage quand le morceau passerait à la radio. Je venais d’ôter la prise et la radio s’était remise en route. C’est là que j’ai entendu que Claude était mort. Abasourdi par la nouvelle, j’ai tout plaqué et j’ai foncé boulevard Exelmans.

Je me souviens que Claude avait toujours en lui l’idée de la mort, on en avait souvent discuté longuement.

La preuve en est que le sigle de son entreprise était un éclair et il est mort d’un éclair électrique. Il avait au fond de lui peur de la mort, mais pour moi, il est parti au bon moment, au moment où il était le plus beau. Il n’aurait pas pu continuer comme ça, un jour ou l’autre il serait tombé comme tout le monde. C’est bien qu’il soit parti à ce moment-là, il a atteint son seuil d’éternité. L’émotion me gagne en souvenir des heures passées en sa présence, des paroles qui montrent bien l’intégrité du personnage et sa fidélité à ses convictions.

Aujourd’hui encore, l’ombre de Claude plane dans ce temple de la musique, et j’aurais aimé que mon studio soit rebaptisé Studio Claude François, car je l’aimerais toujours… »

Propos recueillis dans différentes sources de presse

Guy Floriant

(Auteur-compositeur

et directeur artistique de 1974 à 1978)

« C’est grâce à Alice Dona qu’en 1974 je suis arrivé dans les bureaux du boulevard Exelmans qui étaient une vraie fourmilière. Elle m’avait dit que Bourtayre qui était le directeur artistique de Claude François s’engueulait de plus en plus avec lui et que ça allait péter que je devrais le contacter pour proposer d’être assistant ou plutôt un tampon entre Claude et lui. J’ai donc rencontré Bourtayre sans être convaincu, car Claude François me faisait peur. Je n’étais pas fan ni du chanteur ni de sa voix, et je n’ai jamais été musique française.

J’ai quand même accepté d’aller chez Flèche, car c’était valorisant et bien payé. Mon rôle était de travailler avec Claude et les artistes de son label. Je suis donc devenu son directeur artistique les quatre dernières années de sa vie. Je devais lui trouver des chansons françaises ou des adaptations.

C’est là que j’ai découvert le personnage Claude François, irritant, mais brillant. Au début, j’avais une image assez floue du personnage qui m’avait déjà refusé des titres. J’imaginais un mec un peu foldingue, mais j’étais très fasciné par ce type pour son côté télé et pour son métier qu’il connaissait par cœur, fasciné aussi par ses productions. J’écoutais quand même un peu ses disques et ce qu’il y avait derrière.

Cela faisait un an que j’avais commencé chez Claude, et les six premiers mois, il ne s’était jamais adressé à moi en direct, il disait aux autres collaborateurs : Vous direz au directeur artistique…

J’avais senti que je n’étais pas respecté, alors un jour, j’ai poussé la porte de son bureau et je lui ai dit qu’il perdait son temps, que tout le monde se foutait de sa gueule, et j’ai rajouté que j’étais payé une misère et sans garantie d’être payé à la fin du mois, malgré que je me défonçais comme un fou, alors que lui, il m’ignorait.

Je me demandais pourquoi il ne m’avait pas parlé pendant six mois. J’ai fini par savoir que c’était parce qu’il pensait que je n’aimais pas ce qu’il faisait, et cela l’intriguait, ça l’énervait. Ce qui l’agaçait aussi, c’était quand je travaillais pour d’autres.

Du coup, je n’ai signé aucun titre pour Claude, d’abord parce que j’étais mis en concurrence avec de grands auteurs et que je n’étais pas considéré comme le meilleur. Je me souviens bien du jour où je lui avais proposé un texte sous un pseudo. Claude avait trouvé ça bien, mais comme il ne connaissait pas le mec, il avait préféré un autre texte d’un grand auteur. Pourtant on avait essayé les deux textes en studio et, un moment donné, Claude s’était retourné vers moi en me disant qu’il était certain que l’un des textes était de moi. Lorsque je lui ai avoué, il m’a donné une bonne leçon en me disant qu’il aimait bien les deux textes, mais à mon stade de carrière, qu’il ne pouvait prendre aucun risque et que le risque c’était moi.

Durant les quatre années que j’ai passé à ses côtés, nous avons travaillé ensemble, voyagé, partagé des moments d’enthousiasme, vécu des séances difficiles. Il me surnommait Sauvagnargues en référence au ministre des Affaires étrangères de cette époque, mais il me respectait pour ma diplomatie et mes facultés à m’imprégner dans l’esprit Flèche malgré mon côté plutôt rock. Nous avons eu des clashes, j’ai essuyé ses colères pendant ces années intenses entre amitiés et guérillas qui germaient en coulisses.

Il y avait des pièges à éviter au sein de l’équipe, c’était à qui allait dézinguer l’autre. Claude adorait diviser pour mieux régner.

Absorbé par le temps, les contrats et les contraintes, Claude, qu’il soit plus ou moins un chanteur malheureux, avait de bons caprices.

C’était un très grand bipolaire, colérique et obstiné. À la fois têtu dans le boulot et à l’oreille extraordinaire, il avait une rigueur que je n’avais absolument pas. Mais il était rapidement irrité par tout ce qu’il ne maîtrisait pas.

Il était capable de me téléphoner à 23 heures, pour ajouter des cordes à un morceau. Un après-midi que je devais partir pour Londres, il a voulu que je lui trouve soixante violons pour 14 heures le lendemain. Les partitions avaient été imprimées dans la nuit pour être illico presto à l’heure aux studios Trident.

Lorsque je me souviens des galas, je le revois mort de trouille avant de monter sur scène. Il prenait un petit peu de whisky, des vitamines, faisait des abdos, le poirier, etc. Dans ces moments-là, il était inapprochable.

Une anecdote de cette époque me revient. C’était en 1976, je l’avais rejoint pour sa tournée sur la Côte d’Azur. J’avais rendez-vous avec lui à la Colombe d’or à Saint-Paul-de-Vence. Pour m’amuser, j’avais laissé mes moustaches pousser, et je tenais à voir la réaction de Claude. Rien, pas la moindre allusion pendant la première heure de conversation.

Enfin, la deuxième heure venait à peine de débuter, qu’il me balançait une appréciation lapidaire : Décidément, tu es prêt à tout pour faire le con !

Fin 1977, j’avais travaillé sur l’album Magnolias, et juste après début 1978, nous nous sommes encore brouillés. J’étais puni, on ne se parlait plus depuis trois mois. Une fois de plus, il m’avait monté contre Bourtayre et avait monté Bourtayre contre moi. C’était son jeu favori. On s’est réconcilié après le Royal Albert Hall.

Je vais vous raconter une autre anecdote qui s’est déroulée à peu près dans la même période. J’étais entré dans mon bureau et je sentais une présence. Claude était planqué sous mon bureau pour me faire peur. Le problème, c’est que j’avais un club de golf dans un coin, car on avait souvent des menaces de gens qui voulaient nous tuer. Je m’étais donc approché du bureau et là, j’ai vu Claude sortir de dessous en faisant de grandes grimaces tout en me demandant ce qu’on faisait ce soir. Le club, lui, est passé vraiment pas loin. Comme il ne me parlait plus depuis des mois, je m’étais demandé ce qu’il foutait là. Il n’avait rien trouvé de mieux que ce gag pour nous réconcilier.