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Rejeté par sa famille, Émmair est envoyé dans un pensionnat. Lors d’une sortie, il rencontre Dalia et une histoire d’amour naît entre eux. Malgré cette passion, Émmair choisit de s’engager dans la Légion étrangère, emportant avec lui le souvenir de Dalia. Entre passion dévorante et périls incessants, plongez dans cette aventure et vivez des péripéties épiques à travers les yeux d’Émmair, où l’amour et le danger se mêlent pour tisser un destin hors du commun.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marco Marc est un contemplateur sensible à l’univers de la créativité artistique. Après avoir exploré la peinture et la photographie, il choisit de restituer sa vision du monde à travers les lettres qu’il couche habilement sur le papier. Cet ouvrage s’inscrit parfaitement dans cette démarche.
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Seitenzahl: 300
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Marco Marc
Suivre son chemin
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marco Marc
ISBN : 979-10-422-4240-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les parents d’Émmair sont chez le notaire, le père fait un bel héritage suite au décès de sa mère, qui était commerçante à Paris.
En sortant de chez le notaire, ils rejoignent leur voiture, une grosse Renault Prairie grise, où les attend seule, « la grande » l’aînée des enfants du couple, le père lui annonce la nouvelle en lui demandant de ne rien dire à personne.
Peu de temps après, « le vieux » décide de déménager à la campagne, d’autant plus que la ville de Paris veut exproprier tous les habitants du quartier, pour reconstruire, y compris bien sûr l’appartement du père et de la mère, après quelques recherches, le père décide d’acheter une vieille ferme d’une trentaine d’hectares en Dordogne, non loin de Périgueux :
« Tu comprends, explique-t-il à sa femme. Il y a déjà une cinquantaine de brebis, cela nous permettra de vivre en attendant de trouver mieux. »
Juste avant le départ, un des voisins donne à Émmair un jeune chien aux longs poils noirs, du nom de Nora qui sera son compagnon pendant quelques années, il l’accompagnera dans les bois et dans les champs, ils galoperont partout pour s’amuser et pour aller chercher les moutons égarés.
Le déménagement a bien lieu, le père a récupéré une vieille remorque qu’il peut tirer avec sa grosse voiture, finalement, il n’y a pas grand-chose à emporter : les lits, les chaises, une table, les vêtements plus quelques meubles. Un des voisins fait le voyage avec sa propre voiture pour emmener la mère et les deux sœurs, le garçon, lui, voyage avec son père et le chien. Après un voyage de plus de cinq cents kilomètres, ils arrivent dans leur nouvelle demeure, heureusement que le père les avait prévenus :
« Attention, ce n’est pas fini ! il y a encore des travaux à faire, mais, déjà, le toit est neuf et c’est le principal dans une maison », précise-t-il.
À vrai dire, c’est un vrai taudis, sauf la couverture qui effectivement a été refaite, le reste est complètement délabré, la porte d’entrée en bois est actionnée par un loquet en ferraille et ferme grâce à un gros verrou en fer qui s’engage dans le mur en pierre. Juste après la porte, sur la gauche du couloir, un escalier, ou plutôt une échelle, qui monte au grenier et sur la droite une pièce qui deviendra la salle de bain, assure le père. Plus loin, la salle à manger où l’on installe la grande table, juste en dessous d’une ampoule qui pendouille à son fil électrique en éclairant cette misère. Il y a aussi une cheminée à bois sur la droite, le long du mur, c’est la seule chose de bien dans cette maison, les lits pour les enfants sont montés dans la première pièce, les parents ont leur chambre à part.
Le voisin, une fois sa voiture débarrassée des quelques cartons qu’on avait réussi à loger dedans, préfère repartir, il dormira à la belle étoile.
Avant de prendre la route, il demande discrètement au vieux.
« Que vas-tu faire là-dedans ? C’est tout pourri… »
Une fois qu’il est parti, tous les regards se portent sur le père, la mère le regarde d’un air navré.
« Ce n’est pas possible d’être aussi bête. »
Alors, il se lance dans une grande plaidoirie pour défendre sa cause :
« Mais attendez un peu, regardez ! Là, on va faire la cuisine, on fera percer une fenêtre juste devant, dans la pièce à l’entrée, on fera une grande salle de bains, en haut dans le grenier, on pourra faire deux grandes chambres, sans oublier la cave où l’on peut faire de beaux rangements et en attendant de commencer tout ça, les moutons arriveront demain, voyez, on a de quoi s’occuper », conclut-il, tout content de lui.
La grande sœur le regarde d’un air hautain et lui dit.
« Je ne vais pas rester là-dedans, moi. »
Émmair, lui, attend avec impatience l’arrivée des brebis…
***
Quelque temps plus tard, chacun avait sa place, Émmair dans la pièce au fond de la cuisine, qui devait devenir la salle à manger, avec sa grande sœur (Émmair aime bien l’appeler « la Grande », comme dans un troupeau de vaches, il y a toujours une « Grande ») l’autre sœur la plus jeune des trois sur le côté de la salle à manger non loin de la table et les parents dans leur chambre en face de la cheminée.
« Le vieux » tient ses promesses, il a fait venir un maçon qui a commencé à percer une fenêtre dans la première pièce, elle est d’ailleurs déjà bien en place. Ensuite l’ouvrier a commencé d’enduire les murs, tout commençait à prendre une bonne tournure, quand, du jour au lendemain, tout s’arrête pour la simple raison qu’il n’y avait pas d’évacuation des eaux usées, alors pour ce qui est de faire une cuisine et une salle de bain, ça devenait plutôt compliqué. Comme le père ne veut pas faire les travaux nécessaires, le maçon s’en va et la maison reste dans l’état, les planchers pleins de trous, les murs tout délabrés aux pierres apparentes avec des plaques de ciment par-ci par-là ! Toujours les ampoules qui pendent au bout de leurs fils, évidemment pas de machine à laver ni la vaisselle ni le linge, c’est la mère qui lave tout à la main et ça la rend malade. Émmair l’aide comme il peut, mais en aucun cas ni son mari ni la « grande » ne touchent au ménage, pas plus qu’à la cuisine, d’ailleurs, ils ne font pas grand-chose tous les deux, le père nettoie la cave comme il dit, en fait, c’est son coin pour boire son coup de vin rouge. Toutefois, il est toujours à l’heure pour venir manger : à midi pile, il s’assoit au bout de la table, ses deux filles alignées sur sa gauche. « La grande » en premier, une brune aux cheveux courts, toujours hautaine, le nez épaté, les lèvres pincées, avec un visage très pâle, on pourrait penser qu’elle est malade, c’est elle, la plus âgée des trois enfants. Ensuite à ses côtés, sa sœur, la plus jeune de tous, les cheveux châtains mi-longs, les yeux marron et le nez crochu comme une sorcière. Elle regarde tout le temps sa grande sœur, bouche bée, comme si c’était une star de Hollywood, la grande en fait ce qu’elle veut, elle la mène par le bout du nez comme une petite marionnette…
Le père, donc, au bout de sa table, avec toujours sa veste de costume gris anthracite bien élimée, brun, les cheveux plaqués en arrière, lui aussi les yeux marron, assez trapu, une grosse verrue en bas de sa joue gauche et l’air prétentieux, ce qui le rend encore plus stupide. Sur sa droite, de l’autre côté de la table, sa femme, la mère des trois enfants, une brune avec de grands cheveux épais qu’elle ramène en arrière par une queue de cheval, c’est une fille de ritals et comme la plupart des Italiennes, elle sert son mari, elle lui est dévouée.
Émmair, lui, dénotait dans le « paysage » il est plutôt rouquin avec les cheveux bouclés, les yeux noisette avec des paillettes vertes, sa mère lui avait dit qu’il ressemblait aux enfants de Naples, souvent, il se demandait ce qu’il venait faire dans cette famille, il ne ressemblait pas aux autres, il n’avait rien en commun, pourtant, et il en était sûr, c’était bien son père, sa mère et ses sœurs.
À table, quotidiennement, le vieux commence à faire son numéro de grand imbécile qui sait tout, pour se pavaner devant ses filles. À chaque fois, il se moque de sa femme en lui disant qu’elle ne sait pas faire la cuisine, qu’elle aurait dû faire comme ceci, comme cela et qu’elle aurait dû rajouter un peu de ceci, un peu de cela, ce qui énervait prodigieusement la pauvre femme, à tel point qu’elle piquait fréquemment des crises de nerfs, son mari la rendait vraiment malade, la grande sœur, elle, regardait la scène avec son petit sourire aux lèvres, l’air de ne rien voir.
Vu l’ambiance, Émmair se sentait vraiment mal à l’aise, il ne savait pas comment faire pour aider sa mère, elle lui disait toujours :
« Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas, ça va s’arranger. »
En attendant, son état de santé se dégrade, elle maigrit, elle est de plus en plus fatiguée, mais malgré sa douleur, elle travaille tout le temps et son mari continue à se moquer d’elle, sans arrêt, toujours le même scénario du matin au soir. Parfois Émmair essaye de calmer ses parents et dit à son père d’arrêter de faire ça, l’autre corniaud répond toujours :
« Ne t’occupe pas de ça toi, tu ne vois pas que c’est pour rigoler ! »
Émmair ne comprend pas, d’un côté, sa mère qui lui dit de ne pas s’inquiéter, de l’autre côté son père qui lui répond que c’est pour s’amuser, tout ça n’est quand même pas tellement normal, pense le jeune homme, qui, malheureusement, ne peut pas faire grand-chose, c’est bien au « vieux » d’être un peu plus responsable.
Heureusement, il peut s’échapper de cette situation plutôt ambiguë, déjà, ses moutons sont bien arrivés le jour prévus, un grand camion vert, les a emportés d’une ferme voisine où ils ont été hébergés, Émmair a eu vite fait de se faire connaître de ses brebis et ceux-ci l’aiment bien, certains même viennent à côté de lui quand il les appelle, ils sont maintenant dociles comme des moutons. Émmair les emmène dans les bois, ils adorent les fougères naissantes, les feuilles vertes et surtout les châtaignes quand c’est la saison. Il y a aussi de grands champs autour de la ferme où ils peuvent paître en toute tranquillité, toujours sous la surveillance de Nora le chien qui les empêche d’aller dans les parcelles semées, il ne faut pas qu’ils mangent les germes de blé ou de maïs qui sortent juste de terre ! Mais, c’est vrai que les moutons sont quand même assez obéissants, sauf un ou deux qui font toujours les imbéciles et ce sont toujours les mêmes.
Sur le reste des terrains, le père a donc décidé de planter du maïs et du blé pour donner à manger aux poules, mais également pour vendre quand le grain est beau, il y a une vingtaine d’hectares de semences, ce qui est vraiment ridicule et pas du tout suffisant pour gagner sa vie…
Émmair a immédiatement voulu apprendre à conduire le tracteur, un petit tracteur orange, il est très content de conduire et dès qu’il est en vacances, le jeudi où le dimanche, il ne manque pas une occasion de sauter sur le tracteur pour faire des petits travaux, soit pour nettoyer une petite parcelle, pour trimballer du bois où des bottes de fourrages, ce qui arrange bien le vieux qui peut rester dans sa cave à cuver son vin.
Il y a aussi les foins, le père garde un champ de trois hectares que les moutons ne touchent pas, alors quand l’herbe est haute, avec une ancienne faucheuse que l’un des voisins prête et conduit, ils font les foins pour l’hiver. C’est du vieux matériel, il faut s’asseoir sur la machine et surveiller la barre de coupe ou cas où il y aurait une grosse pierre, il faut vite relever la barre avec un levier pour ne pas l’esquinter, ça peut être dangereux. Ensuite, on laisse sécher sur place, on ramasse avec la grande remorque, celle qui a servi pour le déménagement et on engrange pour nourrir les moutons, l’hiver !
Après les foins, ce sont les moissons, le jour où doivent arriver les moissonneurs, Émmair attend dehors, impatiemment, il adore entendre le bruit du puissant moteur de la grosse moissonneuse-batteuse rouge qui arrive. Il y a toujours deux chauffeurs pour conduire la machine, ils se relaient à peu près toutes les deux heures, c’est un travail très éprouvant dans la chaleur et la poussière. Pour le mois des moissons, ils travaillent jour et nuit pratiquement sans s’arrêter. Ceux qui viennent à la ferme sont de jeunes entrepreneurs qui ont acheté de gros engins et qui proposent leurs services à tous les agriculteurs du coin et même plus loin, ils gagnent bien leurs vies, mais ils travaillent dur.
Pour Émmair, son travail est simple, il suit la machine et ramasse les bottes de paille pour les entasser, à cette époque, les bottes de paille n’étaient pas bien lourdes, cependant, toute la journée derrière la machine, le soir venu, Émmair était complètement hors service. C’est un des rares jours où le père travaille, car il n’y a personne pour le remplacer, il est sur le flanc de la machine et s’occupe des semences. Il s’agit d’installer un sac vide devant la trappe, il faut coincer les bords avec des manettes en ferraille, on ouvre la trappe et les grains tombent dans le sac, une fois le sac plein, on referme, on ficelle le sac et on le pousse dans le champ, on a quand même le temps, les sacs ne se remplissent malheureusement pas si vite que ça. Dès qu’un sac tombe, Émmair le recouvre vite de bottes de paille pour le repérer, mais également pour le protéger de la pluie : au mois d’août, les orages arrivent vite.
Pendant cette journée de moisson, la mère reste à la maison. Elle se démène comme elle peut pour avoir une salle à manger à peu près décente. Elle installe un tapis par terre pour cacher les trous du plancher, elle met aussi une belle nappe sur la table, c’est tout ce qu’elle peut faire pour donner une ambiance agréable à cette cuisine délabrée. En général, elle prépare des entrecôtes et des frites avec la viande du boucher du village. À cette époque de l’année, il se frotte les mains, le boucher du village, mais sa viande est très bonne et les frites excellentes, faites avec les patates du jardin. Pour les moissons, le Père ouvre son porte-monnaie, il achète toujours une bouteille de Pastis pour l’occasion, mais les deux moissonneurs ne sont en général pas trop chauds pour boire de l’alcool, par politesse, ils en boivent un seul verre avec beaucoup d’eau fraîche, ça désaltère bien… Par contre, quand ils demandent pour les toilettes, ils sont surpris, le père leur indique le robinet pour les mains et dehors pour les petits besoins, les deux hommes le regardent, étonnés :
« Regardez », dit le père en s’excusant, on est en plein travail.
Les deux hommes secouent la tête en disant.
« Ah là là, ces Parisiens ! »
Bien sûr, pendant tout le repas, le père fait son grand numéro de grand soldat, qu’il a fait la guerre (c’est son leitmotiv : « moi, j’ai fait la guerre ») comme si ça lui donnait tous les droits, ensuite, il continue avec la vie qui est de plus en plus chère.
« Vous comprenez, avec trois enfants, ce n’est pas facile tous les jours. »
« Oui, le pique un des moissonneurs, mais vous avez quand même les allocations ? »
Alors là, c’est parti pour la politique, les deux ouvriers n’écoutent même plus le discours du vieux, la mère sourit en silence, elle voit très bien que les deux hommes ne sont pas dupes, leur opinion est faite, ils doivent tout simplement penser que ce n’est qu’un fils de riche, qui croit que la vie à la campagne est facile…
« Les deux filles ne participent jamais à la journée des moissons, par manque de place », a dit le père.
Après ce bon repas préparé par la mère et après le café traditionnel, les deux hommes ne perdent pas de temps. « Il faut finir pour ce soir », a dit le responsable, car le lendemain, ils doivent commencer une autre parcelle, le temps de finir et de conduire la machine sur l’autre chantier, la nuit va être courte !
Émmair se souvient de cet après-midi où il a fallu retourner au champ sous un soleil de plomb, c’était très dur, les jambes étaient bien lourdes.
Par contre, Nora le chien, court partout tout heureux d’avoir bien mangé et bu de l’eau fraîche, à cette époque, les chiens, surtout dans les campagnes, ne connaissent pas les croquettes. Nora aujourd’hui a eu le droit aux bons bouts de gras qui enrobent la viande, il est tout content et court dans le champ en aboyant de joie, ce qui donne du baume au cœur à chacun. Émmair se rappelle cette dure journée, après s’être reposé un petit moment sur la machine, il s’est remis à ranger les bottes de paille et à couvrir les sacs de blé, cela a duré jusqu’à vingt-deux heures, la nuit est tombée et il ne restait plus qu’à rentrer à la ferme. Émmair se souvient encore très bien de cette botte de paille sur laquelle il s’est écroulé, il s’est endormi d’un coup, juste sur la trajectoire des roues de la machine qui allaient passer quelques minutes après. Le conducteur ne pouvait pas le voir et bien sûr, il se serait fait écraser si le second homme n’avait pas été là, c’était une sécurité, un des deux hommes passait toujours devant, pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’obstacle, de pierre ou de trou… cette fois-ci c’était Émmair. Il a dit un grand merci au monsieur qui a su rester vigilant et il en a tiré une leçon toute simple, ne jamais se mettre devant une machine en marche et ne jamais se laisser vaincre par la fatigue. Ce soir-là, lorsqu’il arrive à la maison, se met en petit caleçon, va se rincer abondamment au robinet du dehors et après avoir avalé son bol de soupe aux légumes préparés par la mère, il saute dans son lit sans demander son reste. Il a juste le temps d’entendre un des moissonneurs dire :
« Quel brave petit, toute la journée a traîné les bottes de paille ! »
Puis, il s’endort d’un seul coup.
Le lendemain matin, Émmair est en pleine forme, aucune trace de courbatures, il est costaud le petit Émmair et il veut devenir encore plus costaud ! Ce matin-là, le vieux va chercher le voisin pour mettre les sacs de grains à l’abri, les sacs pèsent une cinquantaine de kilos et il faut les charger dans la remorque. À deux ça va, un devant le sac, un derrière et hop ! dans la charrette, bien sûr, c’est Émmair qui conduit le tracteur.
Toutes les fermes des environs finissent leurs moissons le plus vite possible, car c’est à cette saison qu’arrivent les gros orages. Le garçon s’en souvient très bien : un soir, la foudre est tombée sur un arbre à cent mètres de la ferme. Un bruit assourdissant, ainsi qu’une boule de feu qui tombe du ciel, toute la famille était affolée, surtout la grande sœur qui appelait son père, l’autre sœur serrée contre elle pour se protéger, Émmair est resté dans son coin, pas très rassuré non plus, il faut dire que ça pétait fort. L’orage est passé juste au-dessus de la maison, au bout d’une dizaine de minutes tout s’est calmé, on entendait encore gronder le tonnerre au loin et la pluie s’est mise à tomber avec force, l’arbre sur lequel est tombée la foudre a continué à vivre quelque temps puis il est mort, la nature ne fait pas de cadeau.
C’est aussi à cette époque qu’il y a la fête au village, c’est une très belle fête, il y a tous les manèges, celui pour les plus jeunes avec des petites voitures et les chevaux qui montent et qui descendent, le tourniquet au milieu qui tourne en sens inverse qu’il faut actionner à la force des bras, également la queue du Mickey qu’il faut attraper pour gagner un tour gratuit, le forain est sympathique, il fait gagner tous les enfants ! Pas loin de là, les autos tamponneuses qui sentent la soudure et qui font des étincelles au bout de leur mât, elles fonctionnent avec un petit moteur électrique que l’on actionne avec une pédale comme un accélérateur, Émmair aime bien, il sait conduire !
Il y a aussi une grande loterie, c’est un grand stand avec toute une ribambelle de cadeaux accrochés, des transistors, des nounours, des poupées, beaucoup de petits lots, des bouquets de fleurs en plastique, des chapeaux de clowns, des paquets de bonbons, une vraie caverne d’Alibaba pour enfants. Lorsqu’elle met un lot en jeu, la responsable passe dans le public avec un grand plateau rempli de petits cartons enroulés sur eux-mêmes et fermés par un petit élastique. Le client achète son carton, le déplie et regarde quel numéro il a. Une fois que la dame a fait le tour des personnes, elle remonte sur l’estrade et prend son micro. Le suspense commence, elle fait son speech et au bout d’un moment lance la roue, une grande roue au milieu de l’estrade sur le panneau du fond avec les cadeaux tout autour, la roue s’arrête :
« Et, c’est le numéro huit. »
Elle regarde sur la liste et annonce.
« Le numéro huit gagne une magnifique poupée ! »
Elle fait plusieurs tirages, en majeure partie, pour gagner des petits lots, mais il y en a aussi de très beaux, c’est d’ailleurs sa publicité principale, la dame l’annonce bien fort dans le micro :
« Attention, attention ! Bientôt un joli gros lot en jeu, prenez vos tickets. »
Cela peut être un appareil photo, une carabine à plomb, un petit vélo ou un énorme nounours, c’est d’ailleurs le nounours que tout le monde préfère, cette année la dame l’a mis en jeu et c’est une jolie fillette toute confuse, mais très heureuse qui l’a remporté.
Émmair lui aussi a gagné un lot, une montre, mais ce n’est pas à ce jeu, c’est sur un autre stand tout rond et assez petit, une roue tourne au milieu avec sur le long des parois des fentes et du côté des clients une autre fente qui est fixe. Il s’agit d’introduire le jeton au bon moment pour qu’il tombe dans la fente opposée, celle sur la roue qui tourne. Il faut introduire cinq jetons sur six pour gagner un cadeau, Émmair a réussi, il a choisi une montre « Kelton » qu’il va garder au poignet pendant un bon moment.
Bien sûr, il y a aussi l’inévitable stand de tir où l’on fait des cartons, cinq plombs dans le rouge, autour du centre et l’on gagne un lot. Le père joue les John Wayne, il tire sans s’appuyer sur le comptoir, il ne tire d’ailleurs pas trop mal, mais Émmair se défend bien aussi !
Tout autour des stands, il y a des marchands de nougats, de sucre d’orge, de berlingots et de pommes d’Api, alors là, c’est la mère qui craque :
« Tu te rappelles les nougats à Paris ? » demande-t-elle à son mari.
Le père sourit et ils se choisissent tout un tas de petits paquets de confiseries que la mère range soigneusement dans son cabas, elle en mangera encore longtemps après la kermesse. Après tous ces amusements, ces sucreries, ces coups à boire pour le père qui s’échappe souvent en trouvant un prétexte quelconque, d’ailleurs Émmair se demande bien pourquoi il cherche toujours une excuse, alors que toute la famille sait qu’il aime boire, il faut rentrer pour manger un peu, se laver et se changer, car la fête continue le soir avec le feu d’artifice et le bal. Avant, il faut aller chercher la grande que la fête n’intéresse pas et qui est restée, avec sa sœur, chez la voisine qui fait des tricots.
Émmair était bien content que la grande demoiselle soit absente, le père fait moins l’intéressant et il laisse sa femme tranquille.
Arrivée à la maison, la mère s’empresse de ranger ses bonbons, surtout ses nougats, ils doivent lui rappeler de vieux souvenirs, ça lui rappelle Paris et certainement les soirs de fêtes à la libération, après la guerre qu’elle a vécue et où elle a crevé de faim pendant de si longues années, comme quoi un simple nougat peut faire remonter des souvenirs. Le père, lui, que les souvenirs n’ont pas l’air d’embêter, décrète que, comme c’est la fête, il va se payer un bon verre d’anis !
Après une bonne soupe de légumes préparée le matin, tout le monde redescend au village à pied, la soirée est magnifique, autant en profiter. L’aînée aussi est venue, mais pas pour le feu d’artifice, ça ne l’intéresse pas, elle se rend directement au bal pour voir un de ses copains, sa petite sœur a fait la tête toute la soirée, car la grande demoiselle n’a pas voulu qu’elle l’accompagne.
Une fois la nuit bien arrivée, le feu d’artifice commence, au départ quelques fusées par-ci par-là, ponctué de musique, la fanfare du village joue des morceaux qu’Émmair ne connaît pas du tout, le père a reconnu « Sambre et Meuse », le spectacle va crescendo, Pim Pam Poum, avec les spectateurs qui commencent à crier :
« Oh la belle bleue ! Oh la belle rouge ! »
Tout le monde est ravi, c’est vraiment magnifique, le public est entassé à vingt mètres du départ des fusées, les couronnes de couleurs éclatent juste au-dessus des têtes, Émmair trouve que c’est superbe, il est émerveillé, pour le final, c’est un bouquet d’étincelles qui tombent de trois fontaines, tout le monde applaudit en riant de bon cœur.
Le père conclut en disant :
« Eh ben, ils ont de l’argent les paysans… »
Après cette belle soirée, tout le monde veut rentrer, le père va chercher sa fille au bal, elle est en train de danser avec un jeune du village, Émmair le connaît, il fait partie d’une petite bande dans le bourg qui écoute toujours de la musique yéyé au juke-box de la salle des jeux. Après quelques discussions, il est décidé que la demoiselle « remontera » avec ses amis dès que le bal fermera ses portes.
Ainsi s’achève une belle journée, une journée calme, surtout une journée sans disputes, ce qui est rare à la ferme, Émmair se dit que les journées comme celle-là c’est surtout quand sa grande sœur n’est pas là. Elle se plaint toujours auprès de son père parce qu’elle ne veut pas rester à la campagne :
« Papa, on s’en va, papa ce n’est pas bien ici, je m’ennuie, il n’y a personne ! »
Pourtant, il y a beaucoup d’autres jeunes comme elle qui vont à l’école en ville et ne reviennent chez leurs parents que le soir.
Certains d’entre eux travaillent et ne reviennent chez eux que le week-end, pourquoi veut-elle que tout le monde la suive ? Pourquoi son père l’écoute et lui cède tout ? Émmair ne comprend pas, quelques fois, il en parle avec sa mère qui lui répond de demander à son père et celui-ci l’envoie paître en lui disant que ce n’est pas à lui de s’occuper de ça, Émmair trouve quand même bizarre ce père qui écoute sa fille, mais qui n’écoute jamais sa femme.
Un petit mois après la grande fête du village, c’est la rentrée des classes.
Émmair qui a déjà douze ans fait partie de la section des grands, dans sa classe il y a aussi ceux qui vont passer leurs « certif » dès la fin de l’année, en principe pour la plupart, ce sera la fin de leurs études. C’est le cas d’un des voisins d’Émmair, un grand gaillard de quatorze ans, un fils d’immigré polonais qui vit seul avec sa mère, la pauvre dame ne comprend pas grand-chose en français, c’est lui « le polonais » qui s’occupe de tous les papiers et qui sert aussi d’interprète. Le polski est devenu bon pote avec Émmair, ils « descendent » toujours ensemble pour aller à l’école, il y avait aussi un autre voisin qui prend la même route tous les matins, ses parents sont natifs de la région. Ils ont une très belle ferme pas loin de chez le polonais, la maison d’habitation est tout en pierres apparentes, avec des rosiers grimpants à l’entrée. La porte principale est vitrée avec des petits carreaux jaunes très épais, les encadrements sont en bois vernis comme les volets. On entre directement dans la salle à manger carrelée, avec de gros losanges rouge brique. Au milieu, devant une cheminée qui doit pratiquement brûler toute l’année, trône une immense table en chêne vernie flanquée de deux bancs en bois sur les côtés. Émmair se rappellera cette image toute sa vie, certainement parce qu’il n’avait, auparavant, jamais vu de maison aussi belle ! L’amitié avec ce voisin n’a pas duré longtemps, il a suffi d’une seule visite du père et de sa fille, pour que plus jamais ces personnes adressent la parole aux « Parisiens », Émmair a demandé plusieurs fois au jeune voisin :
« Dis-moi, qu’est-ce qui s’est passé ? »
L’autre répondait toujours en riant :
« Les gens de la ville sont des imbéciles ! »
Même le polonais n’avait pas réussi à savoir, cependant Émmair est pratiquement sûr que cela venait encore de sa grande sœur, deux des grands enfants de cette famille travaillent à Périgueux et reviennent tous les soirs, ce qui leur permet de mieux vivre, le père a sûrement dit à sa fille :
« Tu vois, ce n’est pas impossible » et que « la grande » se soit vexée.
Émmair en est pratiquement certain, car le soir même, il l’a entendu dire à son père :
« Ne me fais plus jamais ça, toi. »
Émmair n’aime pas se fâcher avec les gens, mais ce n’était pas trop grave puisque le jeune voisin faisait toujours signe de la main, quand ils se croisaient.
Le matin de la rentrée, Émmair et le polonais se retrouvent au bout du chemin, sur la route goudronnée, il faut une petite demi-heure pour descendre tranquillement au village. Émmair a mis son beau short tout neuf avec un petit polo bleu clair, des souliers en cuir noir et son cartable sur le dos, le polonais a juste un cahier sous le bras et son crayon dans la poche de son blouson, en toile gris foncé, comme son pantalon, quand Émmair lui demande si c’est tout ce qu’il prend comme affaires, le grand répond boudeur :
« Y m’ font chier avec leurs conneries ! »
Pour lui, savoir lire et compter c’est suffisant, Émmair est bien d’accord avec son camarade, mais lui veut quand même son certificat d’études. Malgré son caractère de cochon et qu’il fasse la tête, le polonais a des vêtements bien propres et bien repassés, Émmair se doute bien que sa mère est passée par là, il a aussi des godillots tout neufs, là par contre, il n’est pas content, il aurait préféré acheter de la viande pour le mois. Il a tout juste quatorze ans, mais il s’occupe de tout, son père les a abandonnés tous les deux et sa pauvre mère a du mal à s’en remettre, elle prie tous les jours en espérant que le bonheur revienne.
Sur la route de l’école, quelques voisins les regardent passer en souriant :
« Vous en avez de la chance, profitez en bien et apprenez. »
« Tu vois, dit Émmair. Écoute-les ! »
Mais, le Polonais s’en fiche, il n’a qu’une idée en tête, travailler, gagner de l’argent pour partir de cette campagne, louer un appartement en ville (Périgueux) et vivre tranquillement avec sa mère.
Ils arrivent à l’école sans trop se presser, c’est la rentrée, alors tous les élèves sont contents de se retrouver, à part Émmair qui est le nouveau, celui qui arrive de Paris, ils se connaissent pratiquement tous, le village n’est pas bien grand. Pendant les journées de la grande fête des moissons, il a déjà fait la connaissance de presque tout le monde, bonjour par-ci, bonjour par là, il fait le tour de la cour, la petite fille au nounours est là aussi, Émmair lui demande des nouvelles de son ami, elle lui a répondu qu’il allait très bien et que pour le moment, il dormait, malheureusement, tous les deux ne sont pas dans la même classe.
Arrive le concierge, un brave homme qui ouvre et qui ferme le portail de l’entrée, et qui s’occupe aussi de l’entretien. Aujourd’hui, il fait sonner la cloche de la rentrée 1964. Aussitôt tous se mettent en rang par deux devant la porte de leurs classes, mais ça ne va pas, le maître d’école veut que les élèves s’installent par ordre d’ancienneté, les plus jeunes devant et les anciens derrière, ensuite, ils entrent dans la classe en silence. Émmair se trouve placé au troisième rang, pas loin du poêle, c’est une bonne place, il jette un coup d’œil derrière lui et voit que son copain le polski est installé au dernier rang juste à côté de la porte de sortie, ils se font un petit signe de la tête, tout va bien.
Une fois tout le monde installé, le maître, après avoir écrit son nom sur le grand tableau noir, commence brièvement à expliquer le programme de l’année. Ensuite, il veut faire un tour de classe pour que chacune et chacun puisse se présenter, c’est le polonais qui est le premier à répondre aux questions :
« Vous avez raison d’être revenu, dans le travail que vous voulez faire, il est important de savoir compter et écrire ! »
Le polonais veut devenir charpentier, évidemment, il y a beaucoup de calculs dans ce métier, mais il a déjà de bonnes bases, bien sûr, il y arrivera ! Le directeur continue son tour de classe, pratiquement tout le monde se connaît, Émmair est le seul nouveau ! Il explique donc qu’il arrive de Paris avec ses deux sœurs, que son père est mécanicien, que sa mère était standardiste pour une grosse entreprise, il dit aussi qu’il a douze ans, qu’il est né le 23 avril 1952, il ne sait pas encore quel métier il va choisir, mais que pour l’instant, il aimerait bien avoir son CEP.
Une fois toutes les présentations faites, le maître d’école autorise tout le monde à sortir, c’est déjà l’heure de la récré, toute la classe s’envole dehors sans écouter les « sortez en silence » du directeur !
Le premier jour, la récré dure assez longtemps, ensuite, ils retournent en classe, le maître d’école leur explique leur emploi du temps, il leur annonce aussi une super bonne nouvelle :
Tout le monde pourra écrire au stylo-bille, fini les porte-plume ! Toute la classe fait un « ouf » de soulagement, il y a quand même deux élèves qui disent qu’ils aimaient bien écrire à l’encre, qu’ils trouvaient que c’était plus joli, le maître leur dit qu’il n’y a aucun problème, ils peuvent continuer.
Une fois toutes ces mises au point faites, l’heure de la cantine arrive !
« Vous vous mettez tous devant la sortie et vous attendez que je vous ouvre », annonce le concierge.
Il faut attendre que toutes les classes soient sorties pour le départ vers le réfectoire, ce n’est pas dans le même bâtiment, mais à deux cents mètres de l’école, juste en face d’une boulangerie, les élèves ont le droit à une petite pause pour se laver les mains avant de manger. Les maîtres d’école sont déjà installés face à la salle, ils peuvent surveiller tous les enfants, les tables sont installées le long des murs. Les élèves sont assis sur des bancs en bois et au milieu se trouve un grand espace où les cantinières assurent le service. Certains petits élèves trouvent que ce n’est pas trop bon à la cantine, Émmair aime bien, au moins il peut manger tranquillement, sans toujours entendre son père se moquer de sa mère. Après le repas, c’est le retour en classe, M. Joseph fait un cours de géographie et explique les bienfaits du Gulf Stream sur le climat de la France, il montre les fleuves et les rivières sur une grande carte accrochée au mur, Émmair se décide à poser une question :
« Qu’est-ce que c’est que ce petit pays encadré en bas de la carte ? »
Monsieur Joseph explique qu’il s’agit de la Corse, une grande île française qui se situe en Méditerranée, comme la carte n’est pas assez grande, les imprimeurs ont encadré l’île pour bien montrer qu’elle n’est pas à sa bonne place ! Il dit aussi que c’est ici que le grand Napoléon est né, le grand Napoléon qui, en fait, était tout petit ! La classe rigole et tout le monde se décontracte, l’école a commencé. Pour le premier jour, l’instituteur ne donne pas de devoirs à faire à la maison, mais avant de partir, il distribue des feuilles de papier sur lesquelles il y a quatre opérations :
« Pour que je sache où vous en êtes en calcul, vous allez me faire ce petit problème, pensez à écrire vos noms ! »