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"Vérity – Le serment d’une hypocrite" est le récit d’une jeune femme rebelle et unique, ni sage, ni raisonnable, ni conformiste. Elle mène sa vie avec la liberté d’une bulle de savon et l’énergie débridée d’une chanson des années quatre-vingt. L’immersion dans son univers, tout aussi original que vibrant, ne manquera pas de vous fasciner et d’en surprendre plus d’un.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Monique Bacquier a exploré des sujets comme la philosophie, la politique et les sciences. Grâce à diverses plateformes numériques, elle a affiné son écriture pour la rendre plus ludique. Elle utilise ses connaissances pour créer des textes fluides.
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Seitenzahl: 217
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Monique Bacquier
Vérity
Le serment d’une hypocrite
Roman
© Lys Bleu Éditions – Monique Bacquier
ISBN : 979-10-422-3878-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Diamonds are always girl’s best friends
Sous le pont de nos bras coule la Seine
Et nos amours faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
— Connasse !
Elle s’insultait si facilement ! De grandes choses, de très grandes choses l’attendaient, du moins le croyait-elle. Elle était valeureuse, avait vingt ans, belle avec d’épais cheveux auburn, la taille étroite, les hanches dansantes et d’étranges yeux sous des sourcils clairs.
— T’as de beaux yeux, tu sais.
Souvent vêtue de noir, leggings collants, bottines à talons hauts, spencer, chemise blanche, cravate, cravache évidemment et un rouge à lèvres incarnat. Quand elle se croisait dans un miroir, elle se souriait tendrement.
Ah que la vie était jolie sur le pont des Arts.
Elle avançait, conquérante et les rares passants s’écartaient amusés en la voyant grignoter un croissant. C’était une créature à secrets, certains inavouables et d’autres… bien plus encore. D’évidentes qualités, une générosité sans faille envers ses amis, elle donnait, se donnait et attendait des remerciements. Quoique ? Quoique. Elle aimait la solitude, la mer, les longues ballades avec ses chats, une errance sans fin, cheveux dénoués dans la brume, les embruns et le vent du nord. Elle se délectait de la belle et triste histoire de la brebis Dolly et s’acceptait totalement. Elle se trouvait parfaite. C’est tardivement que cela se gâterait… une eugénique sereine. Par des chemins absolument contraires au Tao, elle avait trouvé la Voie et atteint la paix de l’esprit. Elle vivait un âge d’or enfin advenu.
Envers ceux qui l’avaient blessée ou avaient blessé ses proches, elle pratiquait l’art très ancien de l’humiliation. Elle pouvait s’y exercer sans trêve et sans remords, avec délectation.
— Ma chère tu as de nouveau grossi, mais cela te sied. Et ces rayures, et ces carreaux sont du plus bel effet sur toi.
— Les vaches en paissant lentement s’empoisonnent.
— Quelle langue de pute ma sorcière bien-aimée !
De même elle pratiquait l’écriture automatique et laissait de petits mots énigmatiques à l’ennemie du moment qui avait regardé un de ses prétendants et certainement l’avait très gravement offensée.
Méchante… vraiment !
Pour un meurtre, dans un commissariat on parle de meurtre ou d’assassinat, il y a une affaire, ancienne ou nouvelle, comme sur une brocante, dans un hôpital il y a des cas, difficiles ou non, chez le boucher on vend des volatiles, des steaks… Tout est affaires, cas, produits.
Après avoir fumé deux paquets de cigarettes par jour et un la nuit elle était passée aux petits cigares, des cafés crèmes à la jolie boîte paille et rouge. Elle comptait arrêter un jour. Sûrement. Mais ses poumons de nageuse olympique avaient une telle capacité… Elle avait décrété qu’elle mourrait en pleine forme, sa boîte de cigarillos et son Dupont en argent qu’elle avait fait graver à son nom dans la poche arrière gauche de son jean. Et donc. Jamais de Sugar Daddy, d’oxycodone, de drogue pour ma Vérity.
Elle s’était juré d’être toujours parfaitement heureuse et chantait à perdre haleine dans les rues de la Capitale au volant de sa Honda grise métallisée : « bonbon et chocolat ».
— Dalila mon pauvre petit cœur, ma petite malheureuse. Quand on la regardait sur scène avec sa robe en lamé flamboyante, on percevait, presque imperceptiblement, un côté hommasse, gênant. Pauvre enfant.
Ah oui pour terminer cette liste in-ter-mi-na-ble, elle détestait les fautes d’orthographe qui faisaient comme des pâtés d’encre sur le beau papier blanc Canson ou les emballages argent de ses paquets cadeaux. Et pourtant, pourtant, elle en faisait des quantités.
Elle se vengeait facilement et elle aimait cela, mais oubliait vite. Ne restait qu’un sentiment ténu de déplaisir provoqué par l’offense encourue. La vengeance, c’est maintenant et tout de suite. Le risque est bien trop grand de mal interpréter. Pourtant elle se trompait rarement, les pensées de ses interlocuteurs lui devenaient transparentes. Cela, comme c’était étrange, cela n’avait pas marché avec ses trois maris. Mais dans son travail c’était une vraie princesse.
À son premier mariage, assistaient ses deux chats et quelques connaissances, son éternel fiancé JLA, sa nouvelle meilleure amie, la maman de Lola, Jacqueline, une mignonne clerc de l’Hôtel Drouot, Elisabeth et son amie dont cette dernière avait été longtemps très amoureuse. Au deuxième juste, deux témoins et amis intimes depuis presque toujours : André Berelovitch et Anne Eliachevitch. Pour le troisième, une joyeuse troupe d’amis et de chats de toutes tailles en costumes et robes de parade : Maître chat EferNn1 d’une beauté craquante se tenait au premier rang. Au deuxième rang paradaient dans toute leur gloire Sylvie Isitt, expert en affiches anciennes, et la meilleure maman au monde, l’assistante de Maître Le Mouel, Marie, jolie, calme, rassurante et dont le deuxième prénom aurait dû être Miss Charme, une rigolote restauratrice de tableaux et d’affiches, amie de longue date, Joelle Derain, dite Jojo, dont elle avait toujours admiré la coiffure avec une grosse mèche en guise de frange retenue par une barrette ainsi que l’académicien noir qui appréciait les matous, Maître de La Ferrière. Il les dessinait dans ses livres en bandes dessinées et il était triste, car il savait que cette pomme était pourrie et qu’elle tombait rarement loin du pommier.
— La forêt, diable, diable, restait invisible.
Vérity pour sa part avait tué ses trois époux et s’en trouvait tout à fait bien et pourtant, pourtant c’était une alpha, une A + comme on dit quand on fait un sondage ou une enquête, je reviens donc au roman policier d’un futur essai. Une alpha plus en réalité, une alpha d’Huxley. Elle se nourrissait exclusivement des romans d’anticipation, ce maître-es enquêtes et d’Orwell, et s’amusait à trafiquer, pas bien cela (!) l’histoire. Principalement celle de sa famille.
L’utopie régnait donc dans le joli royaume du quatrième étage du vingt-neuf de la rue des Favorites, quinzième, Paris-France. L’hygiène de Vérity était parfaite, comme pour ses oiseaux et ses chats elle privilégiait l’eau pure qui respecte, tout le monde, voyons, le sait, le film lipidique et elle utilisait un savon dermatologique. Tous ces soins peu onéreux lui assuraient une jolie peau. Son shampoing très doux sentait la rose.
C. U. L. T. U R. É. E cette petite Vérity et très A.L.L.U.R.É.E. Mais il faut rappeler que son père était un savant eugéniste, son frère un physicien dont l’épouse si désirable, désormais décédée des suites d’un cancer et devenue par goût un remarquable médecin, une chercheuse bientôt nobélisable (hum cela se dit ?) dans la douce terre de Norvège et donc (je rabâche) pas vraiment un epsilon. Et donc PAS de sombre univers où règne une terrible fatalité pour ma jolie Vérity et sa future et prolifique famille.
La quête du plaisir sous toutes ses formes avait été une part importante, que dis-je, capitale de son existence. Ses parents très collet monté l’avaient élevée dans la stricte obédience de la loi morale et elle avait du mal encore maintenant à oser la transgresser. Son deuxième mari s’était fait faire une vasectomie :
— Cela change juste la couleur des gosses.
Elle avait apprécié, pour une fois, son humour, un brin de vulgarité néanmoins. Elle avait même ri. À charge de revanche.
— On a un problème, disait-il à son public. Les autres souriaient. Lui, jamais.
Elle avait quant à elle appris à ses enfants le strict respect de Gaia.
— Grattez le sol mes doux trésors, mes amours chéris, vos doigts aèrent la terre comme de longs vers, elle doit respirer pour porter ces fleurs dont vous vous faites des couronnes. Respectez les arbres qui communiquent entre eux par leurs racines multiples, les chats, les chiens, les chevaux et les oiseaux. Craignez les hommes et leurs délires. Aimez par-dessus tout votre clan. Vous pouvez porter des bracelets, des ceintures avec des pinces d’argent pour accrocher vos gants d’oiseleur, des robes transparentes, des capes, des parfums, rien ne change, tout prospère et se défait à la fois : La justice, la vengeance, la haine… la grâce et le charisme. Seules les lois de la probabilité et celles de Newton, les lois donc sont à respecter. Votre destin, vos goûts sont inaliénables, vous êtes libres. La générosité… on ne donne jamais assez. Rien ne se perd, rien ne se crée. Tout est fugace et tout vient de l’intérieur, l’alchimie, l’ésotérisme… (mais elle pensait en elle-même qu’une connerie souvent répétée finit par coûter cher comme cette publicité innocente qu’elle venait de noter sur son beau vélin blanc).
C’était un très long discours brouillon, elle qui était si silencieuse et prenait garde à ne jamais déranger son prochain, elle qui détestait qu’on l’ennuie, qu’on la sollicite pour un rien. Elle était tellement occupée ! Enfants, maris, amants, son cher travail qu’elle adorait, les vêtements luxueux qu’elle collectionnait comme les objets précieux et les dessins d’amis artistes, une masse infinie, un fouillis de choses gracieuses, élégantes, très chères et inutiles.
Mais en assassinant leurs pères respectifs elle avait privé ses enfants d’une partie de leur histoire et cela elle l’ignorerait toujours.
Elle ramenait du bois mort qu’elle peignait en doré, des pommes de pin à mettre dans la cheminée, des graines, des fleurs sauvages qu’elle replantait dans son jardin. Elle arrosait, binait, sarclait, recueillait les oiseaux tombés du nid et les élevait avec de la mie de pain trempée dans de l’eau jusqu’à ce qu’ils prennent leur envol. L’imprégnation était totale, les petites bêtes la prenaient pour leur mère et se posaient sur ses doigts. Un bébé pie rondelet sautillait dans le couloir et se promenait sur les orchidées. Quand il grimpait sur le pot où ces fleurs étaient plantées avec ses petites pattes filiformes, on aurait dit un élégant insecte. Elle adorait tous les sports : escrime, tennis, natation, et le sport noble entre tous, la boxe. En hiver elle préférait le tricot, la broderie ou la couture. Elle aimait faire des points minuscules avec des soies aux couleurs passées ou éclatantes. Elle avait du self-control, de l’audace, du courage. Vérity avait été une lectrice fervente, mais cela était f i n i. Elle regardait Netflix et des replays à la télévision en vérifiant ses comptes (Arte bien sûr pour les replays) tout en écrivant son courrier et de sombres contes pour enfants qui se passaient tous dans d’improbables contrées et terrifiaient ses petits lecteurs. Personne ne voulait plus les lire à sa très grande surprise. Elle, toujours elle, détestait la pratique du mensonge chez les autres, mais elle, toujours elle, le pratiquait volontiers pour de petites choses comme dire qu’elle était allée à droite alors qu’elle prenait toujours à gauche. Elle faisait parfois des choses bizarres, uriner debout dans le jardin ou porter des culottes blanches petit bateau non repassées. À Mikonos l’île scandaleuse, elle avait réussi à choquer les touristes. Les spenders n’osaient pas répéter ce qu’elle avait fait des rouleaux de papier toilette que les passagers envoient des bateaux en partance pour dire adieu :
— Aaadieu, à l’annéeee prochaine.
Et qu’elle récupérait avant que le ménage ne soit fait, attendant le prochain départ.
— Ahhhh que dolor. Ahhhh que peina.
Les musiques célestes de Bach et Mozart résonnaient en permanence dans son esprit. Elle savait très bien ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. Hospitalisée en GHR (service des grossesses à haut risque), elle s’était battue avec les infirmières pour avoir tous les soirs l’échographie imposée par la faculté. Le chirurgien lui avait promis une minuscule césarienne. Elle admira son habileté à son réveil. Alors que son père mourant était menacé d’une endoscopie pour une suspicion de cancer de l’estomac, l’abus de whisky soi-disant (ah aaah laissez-moi ricaner) elle ferrailla avec le corps médical et en sortit, surprise, surprise, victorieuse. Son père s’éteignit paisiblement quinze jours après. Elle se tenait très droite, les bras posés sur les genoux, n’aurait jamais, vraiment au grand jamais croisé les genoux et pourtant, allongée, on apercevait souvent son jupon, sa culotte et en hiver, ses collants jusqu’à l’élastique. Elle était sûre que le sang guérissait tout ou presque. Le temps de Dame Vampire approche, tremble, aimable lectrice. Elle appréciait l’odeur de ses règles imbibant un Tampax. Dégoûtante. Dégoûtante but a lover girl. Elle aimait les intrigantes intrications du monde quantique, les nombres premiers, les fractales qui, tout au fond du ciel, poudroient.
Une de ses sœurs, la troisième, un peu sossotte, l’avait mis en relation avec sa voyante préférée. La dame avait déclaré que des forces puissantes protégeaient Vérity et qu’elle ne pouvait rien pour elle. D’évidence elle s’était débarrassé au mieux de cette enfant qui ne voulait rien savoir et qui avait du mal à accepter l’aide d’autrui. Vérity avait travaillé dans une grosse entreprise, elle y faisait de la publicité pour la publicité. C’était son précarré. Elle écrivait sur un palimpseste antique blanc cassé. Elle tenait bien ses comptes et en même temps s’achetait des tombereaux de nourriture. Elle était donc grosse, mince, menue, un cycle infernal.
Cela me mélange, pensait-elle parodiant son arrière-grand-mère. Elle était aussi parfaitement cynique. On était au royaume de la simultanéité. Ainsi elle aimait qu’on l’attache avec des cravates en soie, des ceintures de cuir, des rubans de satin. Et elle n’aimait vraiment pas du tout, du tout, cela.
Par contre jamais, vraiment jamais ! elle ne cassait le mobilier, ni la vaisselle, ne vidait avec violence un bureau, ne balançait une valise pleine par la fenêtre. Vérity était calme, sa peau était douce, une charmante jeune femme très bien élevée, simple et complexe, limpide, transparente et en même temps trouble comme l’eau d’une mare pleine de têtards. Elle n’allait plus au cinéma depuis longtemps, impossible de changer de chaîne, de roter, de manger des chips, de bavarder… son dernier film : Pretty Woman en Von. Ah… on remontait facilement aux années soixante-dix avec cette mignonne Vérity. Les histoires de classes ne comptaient pas. Pour elle, la lutte des classes, pschitt ! malgré sa passion de la chose politique. Foutraque était l’adjectif qui la caractérisait le mieux, laudateur ou critique selon les gens qui la côtoyaient.
Dernier détail, mais pas des moindres c’était un double parfait, gémeau, car né en juin (June était son deuxième nom), elle possédait deux ADN distincts. Celui de sa jumelle morte in utero et le sien propre. Telles les poupées russes gigognes, Vérity était June qui était une chimère. Elle avait découvert ce détail au cours d’un don de moelle osseuse et onéreux, foutredieu, pour Béca.
Enfin, enfin la fin de ce panégyrique ! Les hagiographies de saintes sont souvent lassantes.
Que je sente l’odeur du métro
Aussitôt me revient le souvenir
De mon Paris tout gris
Elle se trouvait donc sur le Pont Des Arts à l’aube. Elle sortait du métro si beau du Palais Royal avec ses lumineuses décorations d’Othoniel et le processus de cristallisation était en marche. Elle croisait et recroissait un très beau jeune homme qui finit par lui adresser la parole et lui offrir un croisant. Il avait noté qu’elle aimait bien en grignoter un très gras, très feuilleté et encore tiède avec plein de miettes qui s’accrochaient à son spencer. Elle tomba in love sur le champ. Venait-il exprès pour la voir ? Elle en rêvait. Lui l’admirait en secret alors que de revers de la main elle balayait les petits morceaux de la viennoiserie.
Elle pensait, elle croyait avoir un double, bénéfique bien sûr. Ce dernier ricanait parfois en la contemplant.
Petite fille, ma sossotte, ma petite nullasse, toute douce et naïve comme un beau chat d’appartement qui hante ta cervelle. Quelle enfant tu fais avec tes mignonnes manières !
Elle aimait Baudelaire même si souvent les citations qu’elle en faisait étaient aussi approximatives que les noms de ses auteurs préférés. Quand elle lisait un fait divers dans les journaux, eh oui la tête de l’emploi, un voleur ne doit jamais avoir l’air d’un voleur comme avec un de ses maris, une meurtrière, eh bien elle savait toujours que c’était la douce, la gentille-gentille, la douce, la blonde. Pas la tête de l’emploi donc.
Ses nuits étaient belles et toutes semblables, elle baillait, se retournait, caressait ses genoux, suçait son pouce, grattait une vieille croûte, rêvassait sur ses succès à venir et tâchait d’oublier ses échecs passés pour s’endormir d’un sommeil de plomb. Elle se réveillait en prononçant de petites phrases conjuratoires :
— J’étais tellement amoureuse, j’ai tellement souffert, j’ai tellement mal, je voudrais mourir.
Bonté divine, cela lui permettait de bien commencer sa journée.
Elle avait d’abord habité au début de son premier mariage un appartement immense et très confortable doté d’un antique ascenseur et d’une concierge espagnole horriblement bavarde.
À l’aube dans sa confortable cuisine pleine de fleurs près de ses voisins et son épouse aux épais cheveux blancs, Vérity profitait du temps volé au sommeil pour élaborer des stratégies savantes, fumant ses cigarettes, buvant du café noir et grillant ses tartines en les recouvrant de beurre fondu. Le chat blanc faisait des grâces, s’admirant devant le miroir de la chambre à coucher ou zonait dans le lavabo de la salle de bain. La chantonne noire dormait, ronronnait et jouait sur un fauteuil à bascule en bois. La pie dans le couloir sautillait en ricanant et en lustrant ses plumes. Vérity dormait peu, mais rêvait de sa fille Lolita, rêves où elle était humiliée sans fin par cette arrogante créature. Lolita se métamorphosait en un as en informatique, son père venait de lui offrir une petite tablette noire et elle triomphait. Dans la réalité Vérity se débrouillait très bien et jouait à la hackeuse pour ses amis. Et le père de Lolita en vérité était décédé, incinéré, ses cendres répandues au vent mauvais qui les avait emportées au loin.
On coupe souvent, métaphoriquement parlant, la tête des porteurs de mauvaises nouvelles. Vérity en avait une, sa mort annoncée. Et pourtant pourtant… Elle n’avait jamais voulu qu’on force sa porte, ses sentiments et il l’avait fait, fracturant toutes les serrures.
De grâce Vérity, de grâce ne te donne plus à lui.
Une chanson lui trottait dans la tête.
Nique ta mère
Inch shalla
Slamez danseurs
Slamez danseuses
Yes
Mais j’ét pas là
J’ai rien rapté
Je vais t’casser
Tu vas rien capter
Ma ché é é rie
Au visage cérusé
Et tu vas sai ai gner
YES
tu vas saigner
Slamez danseurs
slamez danseuses
Salgedir les freux
Salgedir le preux
Un freux te guette
Le freux se meut
L’affreux se meurt
L’affreuz
Guette le freux
Garde les diams
et le whisky
T’es trop
Grave trop
YES, trop
Top
Top bonne
Top fraîche
Topissime
La meuf
Effraction, infraction
Tout mène
À Se taire
La rime était pauvre. On aurait dit une parodie de rap. Et puis dites-moi donc, qui diable connaît l’exacte signification du mot freux, qui donc est exactement Salgédir et qui, par les cornes de Belzébuth, sait, oui sait qu’est qu’est le Voyage à Cythère et que le cher ami de Verity, Baudelaire en était l’auteur. Pourtant le tube du tueur coké à mort et de la pauvre petite Dorothée abusée fut le succès de l’été deux mille vingt-huit et le fondement des viols et des meurtres qui finalement caractérisent cette histoire.
« Je préfère farouchement » avait l’habitude de dire son second mari. Cela agaçait ses amis. Cela exaspérait en vérité Vérity qui répondait qu’elle aurait surtout préféré qu’il se taise. Lui la regardait avec concupiscence et murmurait :
— Tu es libre. Tu es belle. Tu es indépendante, tu gagnes ta vie, tu es une comme une vraie psy et une plaie qui a bouleversé toute ma vie.
Et il pensait vilainement, je vais te briser.
Brillant, industrieux, malin. Il s’était spécialisé en escroqueries minables comme imprimer de faux billets de cent euros en mie de pain. Ces billets n’étant pas fabriqués sur le très beau papier de l’Imprimerie Nationale, infalsifiable, il ne risquait donc pas, vraiment pas la prison. C’était un grand adepte de la mauvaise foi, crime capital aux yeux de son épouse et avec lui pour la première fois elle se sentait dos au mur. Lui continuait à s’occuper de la hacher menu menu.
Il faut tuer vite, elle pensait juste, pour une fois. Elle avait regardé Monsieur Ripley au cinéma et trouvait qu’il tuait un peu trop. Gare au feu. Gare à la police. Jamais elle ne prendrait autant de risques. Du moins elle le croyait, innocente qu’elle était. Mais ce jour était néanmoins à marquer d’une pierre blanche.
Le temps passait lentement, elle ne riait plus jamais avec ses enfants. Son double maléfique une invention de son cerveau schizophrénique rabâchait-il la nuit, car lui aussi en avait un et il la réveillait pour lui raconter ses affres. Et elle est plus qu’humaine… Il marmonnait, elle vomissait d’horreur. Il était aussi très beau, un géant sombre aux cheveux bouclés qui prenait des tonnes de médicaments pour dormir et elle ne disait rien, en vraie amoureuse même quand il faisait des chèques sans provision, volait des jouets pour le Noël de ses enfants, mettait le feu à l’appartement après l’avoir attachée au radiateur du salon avec un foulard Hermès et l’avoir violée en pleurant, imitait la signature de son père, même la fois où elle se réveillant, hurlant de douleur, mangeant la sonnette qui servait à appeler dans le si bel hôpital où elle venait de passer six mois le menu personnel pour qu’il lui file un calmant KOMAK, après son accouchement et qu’il ne revint que vingt-quatre heures après, en garde à vue ou plus probable avec une quinzième maîtresse. Elle avait été obligée de mettre une alarme sur sa porte après l’avoir viré. Il fracassa la porte d’entrée en verre sécurit et une voisine outrée et centenaire alla en agitant furieusement sa canne, frissonnante, squelettique et pratiquement crevée (elle devait disparaître peu de jours après) déposer la première main courante de sa vie. Il finit par se faire hara-kiri un jour de bonne humeur tel qu’il ne put supporter. En un sens Vérity l’avait bien tué en le faisant rire, une blagounette minable, mais ce rire extraordinaire et plus qu’inattendu l’avait poussé à cette affreuse extrémité. Il se pendit et avait vécu comme il mourut, le souffle haletant, l’oxygène en défaut, asthmatique qu’il était. Elle pensait à leur mort à tous, son père adoré, sa mère si bel et bien sûre, à sa seconde sœur qui avait été sa préférée, à son frère, à ses trois maris. Elle éprouvait une béance au cœur quand elle réalisait qu’elle était devenue orpheline et la sensation étrange de pouvoir maintenant se faufiler sous leur peau et sentir encore et encore leurs émotions. Elle les appelait dans son sommeil, elle leur envoyait des baisers, les couvrant en secret de caresses désespérées. Pendant ce temps la poussière volait sinistrement dans la maison jusque dans les bois aux arbres ruisselants, à l’unisson de son cœur.
Ah que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent
La fascination de trains, l’un semble immobile, l’autre se déplace de plus en plus vite et elle, toute petite, ne bouge pas. Que de larmes qui sourdent à ces paupières, que de sang, ah qui l’effacera, toutes les larmes d’Arabie n’effaceront jamais ces gouttes sur ses doigts, ces meurtres, ces viols. Elle s’imaginait à la place de cette petite terroriste italienne à jamais disparue dans les années quatre-vingt quand elle avançait vers sa mort programmée, celle-là même qui avait pris grand soin d’assortir sa jupe rouge à ses collants et à son pull à rayures vertes et qui était allée ainsi vêtue et dont ne restait qu’une photographie. Elle la voyait s’