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Dans un contexte marqué par une société patriarcale où les disparitions de jeunes femmes se multiplient, un improbable trio se forge pour démêler un mystère enchevêtré. Au milieu des luttes de classe, de l’oppression des plus défavorisés et des manigances d’une organisation mafieuse redoutable, ils affrontent leurs démons personnels, explorent des territoires inconnus de leur sexualité, et se trouvent pris dans un tourbillon de vengeances et de trahisons. Leur quête pour atteindre leur objectif s’annonce comme un combat acharné où chaque pas vers la vérité est semé d’embûches.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Depuis son plus jeune âge, Richard Ulrich a été immergé dans les romans de science-fiction de l’univers « Marvel » et les fictions policières. Souvent, il rêvait d’une fin différente, ce qui lui a donné envie d’écrire sa propre histoire. Éloigné de son monde professionnel, la retraite lui a enfin permis de concrétiser cette aspiration.
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Richard Ulrich
Warnesberg
ou la montagne interdite
Roman
© Lys Bleu Éditions – Richard Ulrich
ISBN : 979-10-422-3910-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mention :
Il ne faut pas que j’oublie (une personne qui pense).
Léonine, comme tous les jours après sa journée harassante, rentre sans précipitation. Elle n’est pas pressée de retrouver les murs gris de son appartement, sa triste vie de célibataire et les maigres provisions qui lui restent pour finir le mois. Il est chichement meublé, cet appartement, et l’équipement n’est pas du dernier cri. Ni de l’avant-dernier. Mais il a le mérite d’être là. Pas de TV Ultra 3D, avec son réalisme à couper le souffle, pas de sono 7.1 qui vous fait vivre le film. Que du matériel correct, mais sans plus. Il faut dire qu’elle vit au niveau N-31 est1. Donc pas le grand luxe.
Pas non plus de petit copain, car les hommes qu’elle côtoie sont tous obsédés par son corps. Juste une envie pressante à satisfaire. Un nom sur un tableau de chasse. Aucun pour lui faire la cour comme il se devrait. Elle n’a qu’une piètre opinion de ce qu’elle peut représenter à leurs yeux.
Heureusement que la cantine de son boulot, bien que ce ne soit pas toujours affolant, lui permet de se restaurer convenablement. Le serveur la laisse toujours prendre un fruit ou deux de plus, car il l’aime bien. Par chance, il y a également ce coin divertissement mis en place par la boîte, pour que les ouvriers puissent se détendre s’ils le souhaitent. Il y a un petit ciné, un bar, et un coin danse. Et ça fonctionne.
Après une petite douche, elle se regarde dans la glace et se demande comment il se fait qu’une belle fille comme elle puisse vivre seule. Elle devrait avoir des dizaines de prétendants qui lui font une cour acharnée et qui se battent pour elle, pour qu’elle les regarde un instant. Elle met une petite robe légère, de petites baskets assorties et elle se rend dans le parc. Le parc des Jacinthes. Elle adore s’y détendre, observer le ballet des oiseaux, les arbres et arbustes, ainsi que les belles fleurs qui l’égayent. Elle flâne dans le parc, regarde les fleurs, et s’assied sur un banc. Il donne sur un bassin avec un jet d’eau en son centre qui crache l’eau à plusieurs mètres de haut, par intermittence. Il y a également une fontaine un peu plus loin et ce sont des gargouilles qui font redescendre l’eau de niveau en niveau. Elles ont des postures particulières, parfois même indécentes.
Elle porte des écouteurs sans fils très discrets, et se régale de la petite musique qui est diffusée. Malgré tout, elle se sent un peu triste, mélancolique. Elle n’entrevoit pas de solution. Elle craint que sa vie ne finisse de manière médiocre, dans ce niveau des basses classes.
Un beau jeune homme prend place sur le banc en face d’elle, la salue et commence à discuter, gentiment. Il a la trentaine. Il est agréable et s’entretient. Cela fait quelques jours qu’il passe régulièrement et lui fait un brin de causette. Il est patient, gentil et discute de tout. Léonine se doute de ce qu’il veut, mais il lui est agréable de voir enfin un gars prendre son temps. Il lui a confié s’appeler Siska et travailler dans une usine agro-alimentaire. C’est dur, mais cela lui plaît. Et il est travailleur, se plaît-elle à penser.
— Je peux m’asseoir à côté de toi ? demande-t-il.
— Bien sûr, cela me ferait plaisir.
Il se lève et se pose à sa droite, lui prend doucement la main et continue de bavarder.
— Tu es déjà allée à la surface ?
— Oui, lorsque j’étais plus jeune. J’allais en colonie de vacances avec les enfants de ma classe. C’était trop bien, lui répond-elle.
Elle le regarde, là, tout près et se sent irrésistiblement attirée. Elle se penche pour l’embrasser, il l’enlace et lui rend son baiser. Un raclement de gorge les interrompt. Elle tourne la tête et regarde les importuns. Un homme, très grand, cheveux sombres, regard glacial, la toise. À ses côtés, une femme, grande, svelte, de longs cheveux roux et frisés, plonge son regard incandescent en elle. Elle a l’impression que du feu liquide se déverse en elle et panique, mais ne peut pas détourner son regard. Elle est comme hypnotisée.
Mais elle essaie de résister. Elle est une bonne télépathe et s’est régulièrement entraînée. Elle se concentre fortement et arrive à bloquer l’intruse bien qu’elle sente le barrage qu’elle a dressé se fissurer à toute allure. Mais ils sont trois face à elle, décidés, inflexibles. Elle ne sait pas ce qui l’attend ni ce qu’ils lui veulent. Elle réfléchit vite, mais baisse un peu sa garde et le mur se lézarde et cède. Au même moment, Siska, qu’elle pensait être quelqu’un de bien, se précipite sur elle et la frappe violemment. Elle tombe sur les genoux, et se sent rapidement prise comme dans un étau. Ce doit être son prétendant qui s’est saisi d’elle. Il a une force qu’elle ne soupçonnait pas. De lui, elle ne connaît que la douceur et la gentillesse. La terreur se répand en elle comme une traînée de poudre. La paralyse.
Tous les trois commencent à se chamailler, mais cela ne les empêche pas de la relever avec brutalité et de l’entraîner avec eux. La femme insiste sur le fait qu’il ne faut en aucun cas la défigurer, ou même abîmer son joli visage ou son corps. Elle rabroue son compère en disant qu’il lui faut se maîtriser. Pendant qu’ils quittent rapidement les lieux, chaque résistance de sa part lui vaut une pression mentale importante ou quelques coups pour la rappeler à l’ordre. L’homme, très grand aux yeux sombres, qui semble être leur chef, n’a que faire des rappels à l’ordre de la femme. Ils semblent tous les trois très nerveux, comme s’ils agissaient ainsi pour la première fois. Le chemin jusqu’à leur destination est très long et ils passent par des endroits et des passages qu’elle ne pourrait pas retrouver. Ce qui est sûr, c’est qu’ils se sont enfoncés dans la montagne et qu’ils connaissent de nombreux passages oubliés de tous. Mais pourquoi cette précipitation et cette violence ? Afin d’éviter un nouveau déferlement de coups, elle décide de les suivre docilement, mais reste aux aguets, au cas où une opportunité de fuite se présenterait.
Ils arrivent en périphérie d’une petite ville très animée. Elle ne saurait dire où ils sont. Ils entrent dans l’un des bâtiments, où au sous-sol, se trouve une grande pièce carrelée, du sol au plafond, de blanc. C’est très froid et impersonnel. C’est même très inquiétant. Elle frissonne et la peur au ventre, a envie de se jeter à leur pied pour quémander leur clémence. Mais elle résiste à la tentation et ne le fait pas. Les deux hommes se dirigent vers elle, la saisissent et la relèvent sans ménagement.
La femme, froidement, lui enjoint de se déshabiller. Elle défait la robe qui tombe délicatement à ses pieds.
— Entièrement nue !
Elle ne peut résister à la contrainte et s’exécute. Les deux hommes lui posent de nombreuses questions très personnelles et comme elle ne veut pas y répondre, les sévices physiques pleuvent, que ce soit gifles, coups de poing ou bien pire. Elle se sent humiliée. Dès qu’elle comprend que cela ne sert à rien de résister, cela se calme. Ce n’est que quand ils la touchent et qu’elle se montre récalcitrante, que les sévices recommencent. Ses joues, ses flancs, mais surtout ses fesses, sont rapidement douloureux.
— Comprends-moi bien, tu es là pour un moment et cela ne sert à rien de lutter ou de résister. Nous demandons et tu exécutes ! Tu verras que tout se passera bien mieux. (Siska)
Puis ils cessent et l’observent longuement. C’est au tour de la femme de lui poser de nombreuses questions, tant sur ses habitudes alimentaires, son hygiène de vie et son instruction. Après une moue positive, elle demande à Siska de lui donner une tenue de sport sobre et passe-partout, ainsi qu’une paire de baskets, que Léonine s’empresse d’enfiler. Aucun de ses effets personnels ne lui a été laissé.
— Sois prête demain matin à 8 h. Tu trouveras tout ce qu’il faut dans ta future demeure. N’essaie pas de t’enfuir. Tu n’y parviendrais pas et cela serait très douloureux. Les explications nécessaires te seront fournies à ce moment-là.
— Accompagne la dans son appartement, fait-elle à l’intention de Siska, sur un ton ne souffrant aucune discussion, et pas touche à la fille.
Elle est conduite jusqu’à un petit F2, simple, mais bien équipé.
Deux niveaux au-dessus, au parc de l’Aventure, une scène assez similaire se déroule presque au même moment. Flavie, une jeune femme, âgée de 23 ans, belle silhouette, bien de sa personne, discute avec un beau gamin, qui passe la voir depuis plusieurs jours.
Elle vit seule, n’a plus de parents ni de famille et s’ennuie dans sa vie. Cette dernière n’est pas facile et il faut travailler dur, dans des conditions pas toujours faciles. Elle est employée de nuit dans une fabrique d’habits.
Elle adore venir dans ce parc, où tout lui semble paisible, tranquille et reposant. Rien de mieux après une longue nuit de travail. Elle adore regarder les massifs de fleurs, qui sont comme une explosion de couleurs au milieu de ce parc tout en nuances de vert. Gaby vient tous les jours discuter avec elle. Il est amoureux d’elle, elle en est convaincue. Il s’enflamme quand il parle, fait de belles phrases, se confie et lui raconte sa vie. Il est entier et ne peut pas faire semblant. Il est bien bâti, patient, et agréable. Bien habillé, à la mode du moment, ses mains sont soignées et ses chaussures, propres. Ce sont des choses importantes, elle le sait. Sa mère les lui a apprises. Elle a mis sa plus belle robe pour descendre dans le parc et veut qu’il la trouve irrésistible.
À son arrivée, il la salue poliment avant de s’asseoir à ses côtés et de bavarder. Mais qu’est-ce qu’il peut parler ! Parfois elle le trouve un peu soûlant. Mais au moins il s’intéresse à elle. Il lui prend la main, la tient gentiment et n’a jamais de geste déplacé. Flavie aimerait qu’il soit un peu moins sage. Elle tient à lui, mais a aussi envie de lui. C’est un bon parti. Elle en est également sûre.
Aujourd’hui, comme d’habitude, il se pose à côté d’elle et se laisse envahir par son doux parfum, prend sa main et commence à papoter.
— Pffff, j’ai envie que tu me prennes dans tes bras et que tu m’embrasses. Pense-t-elle fort. Puis après réflexion, elle se dit que dans 10 ans, ils papoteront toujours gentiment dans le parc. Il faut que je fasse tout, pense-t-elle encore. Elle enlève sa main, la pose dans la nuque de Gaby et l’attire doucement à elle. Ses doigts sont bien frais et cela le fait frémir. Surpris, il pose une main sur son épaule et remarque la douceur de la peau et sa fraîcheur. Cela fait du bien dans cette atmosphère un peu lourde et moite. Des problèmes de ventilation depuis quelques jours.
Elle l’attire doucement et l’embrasse. Il s’enflamme et la prend dans ses bras et laisse courir ses mains, veut découvrir son corps. Il a envie de cette belle femme. Ils sont dans une bulle et ne font plus attention à ce qui les entoure. Gaby pose une main sur sa cuisse et se délecte des émotions qui l’envahissent.
Ils n’ont pas remarqué ce couple de quadras qui s’est installé sur un banc en face d’eux et les regardent fixement. Lui se régale de ce qui se joue sous ses yeux. Il est fasciné par le ballet de la main de l’homme qui part à la découverte du corps de la femme, par cette main qui se fait curieuse, gourmande. Il est très grand, la quarantaine, cheveux poivre et sel comme son bouc et très musclé. Il les regarde avidement. Surtout elle. Il la détaille sans vergogne, le sourire aux lèvres.
Elle, également la quarantaine, semble presque petite à côté de lui malgré son mètre 75, de beaux cheveux blonds avec de fines tresses, et des yeux sombres, comme un ciel orageux. Elle se racle la gorge pour attirer leur attention. Elle n’a pas envie de voir où cette main veut aller.
Dès que Flavie tourne la tête, son regard est capté par celui de la femme et elle ne peut plus s’en détacher. Elle a l’impression de se noyer dans une mer déchaînée. Elle perd rapidement toute volonté et ne peut qu’obéir à ce qui lui est demandé. Elle doit les suivre. Ne pas contrôler son corps ne veut pas dire, pas d’émotions. Elle panique, elle est terrifiée et horrifiée. Mais cela ne change rien. Elle ne peut qu’obéir.
Quelques jours plus tard
Elle trime dans les serres sous terre. Dans ces belles serres, qui sous terre produisent des fruits et légumes, et assurent deux récoltes par an.
À la fin de la journée de travail, elle rentre, se délasse dans un bain et met sa plus belle jupe avec un beau chemisier. Elle est toute jeune, avec sa vingtaine d’années et a un beau physique.
Elle est pressée d’aller se promener dans le parc, pas pour les fleurs, pas pour la douce fraîcheur et l’odeur de terre et d’humus qui y règne, non, mais pour y retrouver Gabin. Ce charmant beau gosse, tout droit sorti d’une salle de gymnastique et qui l’a envoûté au premier regard. Elle se damnerait pour lui.
Elle tourne plus en rond qu’elle ne se balade. Dès qu’elle l’aperçoit, elle se dirige vers lui, soulagée. Elle a toujours peur qu’il ne vienne pas. Qu’il l’abandonne ou qu’il lui arrive quelque chose. Joy est une jeune femme anxieuse. Anxieuse de ne pas réussir au taf, anxieuse de ne pas boucler le mois avec son maigre budget, anxieuse de rester seule, anxieuse de tout. Elle est anxieuse depuis qu’elle a perdu ses parents et s’est retrouvée seule.
Elle se jette dans ses bras et l’embrasse goulûment. Elle est tombée amoureuse de lui. Elle n’est pas très romantique et se moque qu’on lui fasse la cour. Il lui plaît, elle l’aime, alors pourquoi tourner autour du pot ?
— On monte chez moi ? lui demande-t-elle.
— Bonne idée, et ils se dirigent vers le bâtiment où elle vit.
Ils sont tout excités à la pensée de ce merveilleux moment qu’ils vont passer ensemble.
Mais devant eux se dresse un grand gaillard, genre viking à la stature imposante, mais que la demoiselle laisse indifférent. À ses côtés, une grande femme, cheveux roux flamboyant avec des taches de rousseur, la quarantaine, les pommettes hautes, un sourire glacial, plonge ses yeux verts dans ceux de la belle et lui demande :
— Alors, où tu te sauves comme cela ?
— En quoi cela te concerne ? répond Joy en durcissant son regard. Elle n’est guère impressionnée par le couple qui leur barre la route.
Rubis est très surprise. D’habitude, lorsqu’elle fixe son regard sur une personne, cette dernière capitule de suite et lui est soumise. Ici, elle sent une résistance, et peut-être même sent-elle que la gamine essaie de lui imposer sa volonté.
Roger règle rapidement le problème et frappe Joy à la tempe, la rattrape alors qu’elle s’écroule. Il la charge sur l’épaule comme s’il s’agissait d’un fétu de paille. Ils partent tous en direction du niveau technique, où ils pourront prendre une rame de métro, discrètement. Ils pourront descendre par ascenseur à proximité de leur lieu de repli.
Rubis est fortement contrariée. Elle voudrait tuer la jeune femme pour l’affront qu’elle lui a fait subir. Mais Roger s’y est opposé.
— Ce sera réglé au refuge, à notre arrivée, lui a-t-il dit.
Il s’agit là des premières disparitions du secteur est. Les filles n’ont pas été retrouvées. Les corps n’ont pas été découverts. Rien, pas un mot dans leur appartement pour expliquer ce départ subit.
Bien que le printemps ait pointé le bout de son nez il y a quelques jours, il fait encore froid sur le plateau, et de puissants vents balaient la neige, comme pour dire : cela suffit, place au printemps. Le soleil s’acharne à la faire fondre, mais il y a encore de belles congères en de nombreux endroits.
Au cœur de la Montagne, une douce température règne.
Un rendez-vous a lieu dans les plus bas niveaux de la ville centrale. Il s’agit d’un cloaque au fin fond du secteur habité, à la limite des zones d’abattage, de désossage, de découpage de la viande et de fabrication de charcuterie.
L’air y est lourd, moite, chargé d’odeurs. Des odeurs fortes, tenaces, presque nauséabondes. Les rues et passages sont sales, peu entretenus. Des ombres se faufilent discrètement, sans que l’on sache s’il s’agit d’un prédateur ou de son gibier. C’est ainsi que le perçoivent les deux hommes qui se font face. Ils sont habitués au luxe et à leur confort. À vivre dans un milieu où l’hygiène est irréprochable, l’air aseptisé, où pas un grain de poussière ne vient perturber le regard.
La réunion se tient dans un pub au milieu de nulle part, et se veut des plus discrètes. Les deux hommes sont assis en face l’un de l’autre, chacun à un bout de la petite table, et se jaugent du regard. La tension est palpable.
Le premier homme, bien que grand et bien charpenté, n’a pas loin de 70 ans. Il ne les fait pas, loin de là. Il a une belle carrure et de la prestance. Ses habits dégagent une impression de qualité et de luxe. Il émane de lui une impression de force, mais aussi et surtout de danger. Il toise son interlocuteur qui, bien que bien plus jeune, plus grand et plus vigoureux, baisse les yeux, en signe de soumission. Il en a même peur. Il sait que sa vie ne dépend que de cet homme, dont on dit qu’il est sujet à des sautes d’humeur et à des prises de décision aussi radicales que subites.
L’Homme, le plus vieux des deux, est un Klass 12. Aussi discret qu’il veuille être, se déplaçant avec son armada de mentas3, de gardes du corps et de sonnettes, en rencontrant un autre, de Klass 2, également très entouré, est-ce bien discret ?
Si on veut approcher, d’abord des « sonnettes », plus ou moins dangereuses, vous le déconseillent, vous demandent de faire demi-tour, et donnent éventuellement l’alerte en cas de nécessité. Ensuite viennent les bersekers4, ces combattants très dangereux, que la douleur rend encore plus agressifs et dangereux. Si vous arrivez à les passer, vous allez vous frotter à la garde rapprochée. Des tueurs implacables qui donnent sans sourciller leur vie pour leur Maître. En dernier lieu, les mentas les plus dangereux. Ces personnes douées d’un pouvoir mental très puissant et qui en quelques secondes peuvent vous tuer. Ils sont l’apanage des grands de cette civilisation. Et il y a ces deux gardes du corps, le tout dernier rempart. Ils sont comme figés, debout à ses côtés. Pas un muscle du visage ne tressaille, leurs visages ne trahissent aucune émotion. Mais ils sont impressionnants. Ils sont aussi dissuasifs qu’ils sont redoutables.
Dominik est assis en face de lui, la tête légèrement inclinée vers l’avant, en signe de soumission. Il est très nerveux, mais ne le montre pas. Mais il semble plutôt très difficile de cacher quoi que ce soit au regard perçant de l’Homme.
L’Homme, Le Septième5, revêtu de ses plus beaux atours, est là pour discuter de ses affaires. Il prend son temps, car il est incommodé par toutes ces odeurs qui se ruent vers ses narines. Il doit faire un effort sur lui-même pour que son estomac arrête de protester.
Comment les gens peuvent-ils vivre dans ces bas-fonds ? Il fait un tour d’horizon et se rend compte qu’il n’est pas le seul dans cette situation. Lui et sa suite sont habitués aux doux parfums et aux odeurs agréables.
Mais bon, la situation l’exige. Et il ne peut pas se permettre d’être vu, parlant à un Klass 2 qui va se charger des basses besognes, et qui joue sa tête dans cette affaire. Ces rivaux, ses ennemis, sont des gens très dangereux, très bien renseignés et prompts à agir. Il se méfie avec raison.
Ces affaires, justement, parlons-en.
Le but qu’il s’est fixé est très difficile à atteindre. Soit il réussit et à lui le pouvoir absolu, soit il échoue et il meurt. Et dans ce cas-là, les nombreuses personnes impliquées avec lui dans cette affaire, également. L’échéance approche à grande vitesse et il y a encore tellement de choses à faire. Il ne veut pas qu’on puisse le relier aux préparatifs, de quelque manière que ce soit, avant l’heure fatidique. C’est ce qui rend cette partie si dangereuse.
Bien que riche et puissant, il a déjà injecté de fortes sommes d’argent et ne veut plus puiser dans ses réserves personnelles qu’il réserve pour un autre but, également très important. Il espère avoir rapidement des retours sur investissement. Il en a besoin pour arriver à ses fins, payer les personnes qu’il aura pu corrompre, payer les informateurs, payer pour obtenir certaines garanties. Bref, l’argent part bien trop vite.
Cela fait maintenant un moment qu’il a également investi dans cette organisation des « Cuirs », pour la rendre plus forte, plus dangereuse. Les retours sur investissement ne sont pas probants, bien au contraire, ils se font attendre. Il a l’impression que des personnes se servent à des fins personnelles. Bref, le solde de ses investissements est fortement négatif, et cela il ne peut l’accepter.
Il veut passer à la vitesse supérieure. Il faut qu’il fasse un exemple pour que tous comprennent les enjeux, les risques.
Julia est à ses côtés et sa garde rapprochée surveille les proches alentours et assure leur sécurité, la confidentialité de l’entrevue. Ils évitent que qui que ce soit les voie, les entende, les enregistre, ou même sache qu’ils sont là. Les mentas guettent, écoutent, sondent. Aux cinq sens principaux, ils en ajoutent un sixième, leur force psychique.
Stzeck estime que les explications de son subalterne ne sont pas convaincantes. Il soupçonne ce dernier de garder une grosse partie des recettes. Il lui faut mettre la pression sur ces « inférieurs » afin qu’ils se remuent, fassent au mieux, et que l’argent tant attendu arrive, enfin. Il interpelle sèchement son interlocuteur :
— Dominik, lequel est ton petit préféré ?
Il hésite un court instant ce qui irrite encore plus l’Homme.
— J’attends !
— Il s’agit d’Alain. Il vient d’intégrer mon cercle proche et est très prometteur.
— Appelle-le. Et désignes-en un second.
— Alain et Quentin, venez ici. Il est inquiet de ce qui va se passer, même s’il s’en doute.
Tous les deux arrivent promptement. On ne le fait pas attendre.
— Julia ! fait le Septième en désignant Quentin.
Et à l’intention de Dominik et de Alain :
— Regardez !
Julia est une très puissante menta. Elle a différents dons, dont la télépathie et la télékinésie. Elle ne se fait pas prier, car adore ce « jeu », auquel elle ne peut se livrer autant qu’elle le voudrait. Elle frémit alors qu’elle plonge ses yeux dans ceux de Quentin.
Il se fige, ne peut plus bouger, perd progressivement, mais rapidement, tout contrôle sur son corps. Il ne peut même pas fermer les yeux. Doucement, une douleur de plus en plus forte se fait dans sa tête, et comme une tempête, se déverse, se répand. Une violente migraine le submerge tel un raz de marée. Il a l’impression que son cerveau enfle, qu’il manque de place. La douleur est insupportable. Il aimerait s’évanouir, mais ne le peut. Il sent comme de violents coups sur tout son corps, dans tout son corps.
Julia joue avec lui, elle aurait pu le tuer en quelques secondes, mais là, elle fait durer. Pour le spectacle, pour l’avertissement, mais aussi et surtout pour son plaisir. Elle aime cette domination qu’elle exerce, en joue, en abuse. Le Septième la regarde et lui fait comprendre d’abréger. Ce qu’elle fait à regret. Soudain, Quentin sent comme une déchirure dans sa tête, violente, encore plus douloureuse que tout ce qu’il a pu ressentir. Il sent quelque chose de chaud s’écouler de ses narines, puis de ses oreilles. Les vaisseaux de ses yeux éclatent et ils s’injectent de sang. Après de violents tremblements, il s’effondre. Du sang se répand tout autour de lui. Il se sent mourir, comme si on le maintenait en vie pour faire durer le spectacle. La souffrance est atroce. Il se sent partir. Enfin.
Julia sourit à son Maître. Béatement. Puis fixe froidement sa rivale, debout à côté de Dominik. Une lutte silencieuse se fait entre les deux femmes. Soudain, Maryam grimace et baisse les yeux. Plusieurs des mentas présents ont senti cette lutte intense, brève, mais très intense, et ont fixé les deux femmes, afin d’en savoir plus. L’un d’eux est surpris de voir Maryam baisser les yeux, car il lui semblait qu’elle était bien plus puissante.
L’ancien secoue plusieurs fois la tête, faisant balancer ses longs cheveux poivre et sel. Son visage est très pâle, non pas de peur, mais parce qu’il est très rarement exposé au soleil et il n’apprécie guère de passer plusieurs heures par mois sous le rayonnement des lampes de type UV.
— J’espère sincèrement que vous avez compris. Si je dois vous rappeler à l’ordre une nouvelle fois, ce sera pour vous trouver un remplaçant. À tous les deux. Et votre supplice sera bien plus long, plus douloureux.
— Oui, Monsieur, oui, s’exclame Dominik, qui n’est pourtant pas le dernier venu. Il a eu des sueurs froides, son dos et son front sont devenus moites.
Ses berserkers, sa garde, ainsi que Maryam, sa menta, se sont rapprochés doucement de lui. Pas de mouvement brusque qui pourrait entraîner une réaction nerveuse chez un garde trop sensible, incapable de résister à cette pression. Bien qu’ils soient une bonne vingtaine, ils ne font pas le poids et le savent. C’est un petit mouvement pour montrer qu’ils sont fidèles à leur Maître, quoi qu’il arrive, jusque dans la mort. Dominik regarde devant lui, évitant le regard de Julia. Il la sait capable de lui faire mal par pur plaisir. Il sait également qu’elle n’a pas besoin de le fixer dans les yeux pour lui faire mal, mais cela facilite les choses.
— Je vais vous donner des directives. Écoutez bien, je ne me répéterai pas. Il me faut des filles, beaucoup de filles, et quelques garçons. Tous dans leur seconde majorité, donc entre 20 et 25 ans, vivant seuls, bas revenus, de l’instruction, belle allure, un minimum quoi. Pour les femmes, soignées, de taille moyenne, fines, sportives, peau claire, des seins fermes. Pour les garçons, idem, de taille moyenne, sportifs et musclés.
— Bien Monsieur. Faut-il les préparer de manière particulière ?
— Au niveau N-49 Centre, il y a un secteur laissé un peu à l’abandon, mais parfaitement conservé. C’est un peu le lieu de vie des marginaux. Je sais que vous avez installé une partie de vos équipes. J’ai envoyé des personnes de confiance me faire un topo des lieux et cela semble convenir. Vos hommes sur place ont reçu toutes les instructions nécessaires. Vous mettrez des équipes spéciales sur pied pour encadrer les filles, les former, les éduquer. Je les veux parfaites. Je vous adjoindrai un chimiste, un laborantin, un biologiste et un médecin. Il faut absolument ne pas abîmer ces filles. Nous allons les appeler les « Statues ».
— Bien.
— Il me faudra aussi une liste de produits, à vous de vous débrouiller pour m’obtenir cela. Ils seront livrés au chimiste, que vous installerez dans votre repère. Quand nous aurons les quantités nécessaires, cela vous sera indiqué.
— Bien.
— En cas de besoin, vous employez le canal habituel.
Il se lève et, avec son escorte, monte dans une cellule individuelle de transport, pouvant accueillir une dizaine de personnes. Plusieurs autres cellules sont également utilisées pour ramener le reste de sa troupe. Elles sont le privilège des classes supérieures.
Les cellules quittent silencieusement les lieux, ralentissant à peine lorsqu’elles croisent une personne.
Dominik se dit, en suivant la navette des yeux, qu’un accident de ces dernières lui enlèverait une grosse épine du pied. Il regrette quelques fois d’avoir conclu cet accord avec cet homme si terriblement dangereux.
Deux hommes de main s’avancent et ramassent le corps. Il est placé dans une cellule magnétique de charge, utilisée pour le transport des charges lourdes. Ils descendent dans le niveau technique inférieur. C’est là que l’on retrouve en vrac toutes les conduites, gaines électriques, la ventilation, les arrivées d’eau et départs des eaux usées, ainsi que la circulation des ouvriers de maintenance. Dominik accompagne son escorte dans l’usine de retraitement des déchets biologiques. Il s’agit en fait de concasseurs qui réduisent les os, les restes de viande, de légumes, les tendons et tout ce qui peut être utile pour fabriquer de l’engrais ou de la nourriture pour certains animaux.
Seuls un veilleur et plusieurs équipes de nettoyage s’affairent pendant les deux heures qui précèdent l’arrivée des ouvriers. Arrivés devant une des portes d’un concasseur, le corps est déshabillé et délicatement posé dans l’avaloir. Dominik observe le corps de Quentin, « l’un des siens », fidèle, qui est depuis un temps certain dans sa garde rapprochée et depuis 5 années à son service.
La machine est mise en route. Au bout de quelques instants, le bruit écœurant qui en émane leur soulève le cœur. Ses affaires sont triées. Les habits tachés sont jetés dans un incinérateur, utilisé pour les restes ne pouvant être recyclés. Ses possessions seront remises à sa compagne, en plus d’une compensation financière très correcte.
Ils quittent rapidement les lieux à bord d’une discrète navette de transport.
Le patron du pub a été grassement rémunéré, pour sa discrétion et pour son silence. Au moment de l’exécution, un grand gaillard s’est glissé derrière lui et lui a ordonné de regarder. L’avertissement qui lui a été donné a été très clair. Ce qu’il ne comprend pas, et il a beau retourner cela dans tous les sens, pourquoi le choix de son établissement ?
D’abord quelques piliers de comptoir, et un ou deux curieux se sont avancés prudemment jusqu’au pub, puis d’autres sont venus de plus en plus nombreux. Tous veulent savoir ce qui s’est passé. Quelle est la raison de cet afflux d’étrangers ? Quel est le motif de la présence d’Intouchables, ici, au plus bas niveau de leur société ?
Malgré la pression, il ne lâche aucune information. Mais tout le monde le sait, il est encore plus bavard qu’il n’est curieux, et tôt au tard sa langue se déliera. Surtout en fin de journée, quand il a vidé quelques verres.
Dans un coin du bar, un grand balèze, le regard noir, les cheveux très courts, sirote sa bière sans faire attention aux gens qui l’entourent. Sa compagne, assise à côté de lui, est tout aussi attentive. Ils sont concentrés et écoutent les moindres paroles du barman.
Le tenancier et tous les siens jouent leur vie sans qu’ils le sachent.
L’immense volcan éteint se dresse dans le ciel et est visible de très loin. On ne peut pas l’ignorer. Il se dresse comme une verrue de 50 kilomètres de côté, visible de très loin dans cette région peu vallonnée.
Le plateau qui s’étend à 1000 mètres d’altitude est cerné de falaises abruptes, qui le mettent à l’abri de nombreuses visites. Le plateau lui-même s’élève en pente douce jusqu’au centre formé par un immense cratère aux bords usés, culminant à plus de 1 500 mètres. Il y a de très nombreux millénaires, l’activité volcanique et le jeu des plaques ont façonné un monde souterrain fait de galeries, grottes, salles immenses, lacs, rivières et cascades.
Deux larges fleuves, aux eaux impétueuses, passent le long des flancs est et ouest de la verrue et se rejoignent à 35 kilomètres plus au nord. Ces deux fleuves forment une frontière naturelle.
Il y a fort longtemps, les hommes vivant en surface se sont réfugiés dans les grottes afin de se protéger des intempéries et du froid glacial régnant sur le plateau en hiver. D’un naturel curieux, ils se sont enfoncés doucement dans les grottes et galeries, afin d’y créer leur civilisation.
À l’abri du froid hivernal, des agressions des animaux sauvages et des autres peuples, ils ont évolué bien plus vite que le reste de l’humanité. Ils en sont d’ailleurs un peu différents, car plus grands, plus massifs et au cerveau ayant amorcé une lente mutation. Ils ont su domestiquer ces cavernes et y ont créé de véritables villes souterraines, riches, prospères, avant-gardistes.
Sur le plateau sont encore implantées quelques villes, destinées essentiellement au tourisme. On y trouve également des bâtiments destinés à l’agriculture, à l’élevage et à la sylviculture. Il existe également d’anciennes villes abandonnées. Il fait meilleur vivre sous la surface.
Depuis beaucoup de points en surface, il est facile d’accéder au réseau du métro situé au niveau zéro. Il s’agit d’un niveau technique essentiellement destiné au transport humain et de marchandises. On peut également accéder aux autres niveaux techniques, étapes nécessaires pour se rendre sous la surface. Dans les entrailles de la montagne s’étend une ville gigantesque, s’étalant sur de nombreux niveaux. Cinq zones ont été définies pour plus de facilité, et sont nommées selon leur position géographique, de « Zone Est » à « Zone Nord ». La zone centrale ayant été baptisée « La Capitale » se situe au milieu du territoire, sous la montagne centrale, le cratère, ou le Mont Couronné, selon la manière dont on veut bien le désigner.
Au pied de la verrue, au sud, entre les deux fleuves, s’étendent sur des kilomètres, des lacs, des étangs, et de vastes champs à la terre riche et fertile. Cette zone est profonde d’une quarantaine de kilomètres et fermée par un mur défensif haut et épais. Elle est désignée sous le nom de Plaine du Sud ou zone sud. Au nord, toujours au pied de la verrue, pousse une forêt inextricable de chênes, hêtres, saules, acacias, tous rabougris, aux troncs tortueux, lassés de vivre dans cette ombre quasi perpétuelle et très humide. Elle est parsemée de nombreux lacs, étangs, marigots et marais. Plus on s’éloigne, et plus les marais sont remplacés par de grandes forêts, avec de très grands arbres. Des feuillus dans la grande majorité. Il y a également quelques terres cultivables, mais il faut marcher vers le nord et sortir de cette pénombre. Il est périlleux de s’y aventurer. Il s’agit de la zone nord, ou forêt du Nord.
Ces deux zones sont parsemées d’habitations, de bâtiments administratifs et militaires, comme une région normale. À la seule différence que tous ces bâtiments et constructions ont une partie souterraine, reliée par des galeries et des voies ferrées, également souterraines et qui permettent de rejoindre la verrue en cas de crise, ou pour les affaires de tous les jours. Il existe des voies de surface, mais en bien moins grand nombre.
Une dizaine de jours après le rendez-vous secret, trois jeunes hommes, à peine entrés dans leur deuxième majorité, quittent le secteur des plaisirs de la nuit, implanté au niveau N-26 Centre. Ils ont consommé beaucoup d’alcool, vécu des aventures fantastiques et ont des étoiles plein la tête.
Ils avancent en titubant et en devisant sur leurs exploits, en parlant de leurs fantasmes et de leurs projets. Ils veulent regagner leur quartier, leurs habitations qui se trouvent au niveau N-26 est. Normalement il faut prendre quelques escalators, des tapis roulants, et c’est relativement simple, sauf lorsqu’on est imbibé d’alcool.
Ils se retrouvent dans le niveau technique avec sa succession de métros et d’ascenseurs, sans raison, car ils n’ont pas besoin de passer par là. Ils prennent un nouvel ascenseur et, en sortant, s’engagent sur un tapis roulant. Ils ne doivent plus être loin.
— Où sommes-nous ? fait Brice, en éclatant de rire. Je ne reconnais pas les lieux, je crois qu’on s’est perdu.
— Ça ne ressemble pas à notre quartier, pouffe Jean-Paul.
Léon regarde autour de lui, mais son esprit est embrumé par l’alcool et il a déjà du mal à garder son équilibre, alors de là à se situer c’est une autre paire de manches. Ils quittent le tapis roulant et s’engagent, toujours en parlant fort et en riant, dans un couloir assez large. Les magasins sont tous fermés. L’éclairage fonctionne en mode nuit, et éclaire moins qu’en plein jour. Quelques papiers gras traînent sur le sol.
— Ils ont fait la fête ici et ont oublié de nettoyer ? demande Léon.
— Je dois soulager ma vessie, c’est urgent, fait Brice.
— Tu n’as qu’à faire dans les massifs de fleurs. Ils sont moches, affirme Jean Paul.
Et sans demander son reste, Brice ouvre sa braguette et se soulage dans le massif de fleurs.
— Mais t’es un gros porc, fait une voix dédaigneuse, provenant d’un coin très sombre.
Tous les trois fixent la pénombre et ne voient pas leur interlocuteur. Ils sont surpris, mais soudain, également très inquiets. Où ont-ils atterri ? Ils savent qu’ils se sont perdus, mais ne doivent pas être loin de chez eux. Ils préfèrent ne pas répondre et attendent que la personne, les ayant interpellés, se montre.
— C’est des gros crados, ces mecs. Ils viennent d’où ? fait une deuxième voix venant de derrière eux, mais également dans la pénombre.
Le seul indice pour le localiser est le point rouge incandescent qui monte en intensité.
— T’as vu comment y sont fringués ? demande une nouvelle voix.
— Laisse-moi rire. Me dis pas que c’est des bourges et qu’y viennent nous dire « booonsoir ». Cette quatrième voix provient du même endroit que la première.
Nos trois fêtards ne sont vraiment pas rassurés et se serrent machinalement les uns contre les autres. Bien que leurs esprits soient embrumés et que leurs idées ont du mal à se faire une place, ils ont l’impression d’être dans un autre monde. Ils commencent à réaliser qu’ils sont descendus bien trop bas. Ce n’est pas important, on leur a toujours dit que les laborieux étaient des sous-humains, et qu’ils n’étaient là que pour leur permettre de vivre mieux. Ils vont pouvoir leur indiquer le bon chemin et leur cirer les chaussures. Ils essaient de se rassurer comme ils le peuvent.
— Vous avez peur de vous montrer. Sortez de vos trous et aidez-nous à retrouver notre chemin, dit Jean-Paul, agacé.
— Eh ben, t’as du cran ! fait la première voix, alors que son propriétaire s’avance sous la lumière.
C’est un beau gabarit, mais un peu maigre. Ils sont rapidement entourés d’une dizaine de jeunes de leur âge, qui n’ont pas l’air engageants du tout.
— Alors tu viens faire quoi ici, à part pisser dans nos fleurs et cracher sur not’sol ? demande celui qui tient une cigarette.
— Tu es le chef de la bande ? fait Jean-Paul. Il reprend du poil de la bête, mais a tout de même ravalé la grossièreté qu’il s’apprêtait à lui cracher au visage. Il toise Poil de carotte qui tient un bâton dans la main droite. En le regardant avec plus d’attention, Jean-Paul remarque qu’il est lesté par une boule en acier d’un côté.
Soudain le bâton se lève et avant qu’il n’ait pu esquisser le moindre geste de défense, il sent une violente douleur se faire à l’épaule gauche. Il manque de s’évanouir et tombe à genoux.
— Je repose ma question, qu’est-ce que viennent foutre trois bourges chez nous, si tard dans la nuit ? demande-t-il en fixant tour à tour les deux autres individus.
— Pas de réponse ? Rhoooo, d’abord vous nous prenez de haut, vous nous méprisez, et quand ça chauffe, vous n’mouftez plus. Alors ?
Tous deux fixent leur ami à genoux, dodelinant de la tête et les traits déformés par la douleur. Ils sont terrorisés et n’osent plus rien dire. La tension est très forte. Il est visible qu’il y a une haine intense à leur encontre. Poil de carotte a posé sa question en y mettant un maximum de mépris. Et le bâton s’abat une nouvelle fois très fortement, quasiment au même endroit. Il y a un bruit d’os brisé. Aucun doute n’est possible.
— Vous n’avez rien à faire ici. Là, vous êtes au N-34. Venir là, c’est nous provoquer. Pisser dans nos fleurs c’est nous mépriser. Cracher par terre, c’est nous insulter, martèle Poil de carotte. Soudain, le bout lesté de son bâton vient s’abattre sur le sommet du crâne de Jean-Paul, qui dans un bruit écœurant, s’enfonce. Il s’écroule, plus qu’il ne tombe, en arrière. Et sa tête heurte le sol. Il n’est pas mort, mais ne vaut guère mieux.
— Vous ne valez pas la peine qu’on perde not’temps avec vous, et il fait un signe de tête à ses comparses qui se jettent sur Brice et Léon et les frappent à de nombreuses reprises, avec les poings, pieds, bâtons, et même une barre de fer. On pourrait penser que leurs agresseurs évitent les zones trop fragiles comme la tête. C’est réel, ils veulent faire durer le supplice. Une fois au sol, leurs habits et leurs chaussures leur sont enlevés, mais presque délicatement pour ne pas les déchirer, les abîmer. Ils sont délestés de leurs montres, bracelets et autres bijoux, ainsi que de tous les objets dont ils sont porteurs. Tout est intéressant. Tout vaut de l’argent et peut se vendre.
Une bague au majeur de Léon résiste et ne veut pas s’enlever.
— Prends un couteau et coupe-lui le doigt.
— Non, c’est trop dur, prends une pince, fait poil de carotte.
— Mais il est pas mort, dit une troisième voix.
— On s’en fout, tu crois que si y t’choppe y vont t’faire des caresses ?
— Il faut leur montrer qui z’ont pas le droit de venir chez nous. Il faut leur montrer qu’y peuvent pas nous mépriser.
Poil de carotte sort une pince coupante de son sac à dos, empoigne la main de Léon. Ce dernier frémit et implore sa pitié. Il ne peut retirer sa main, son bras et son avant-bras sont cassés en de nombreux endroits. Il ne peut croire qu’il va lui couper un doigt. Il se dit vivre un cauchemar et s’attend à se réveiller d’un instant à l’autre. Soudain, une violente douleur lui fait perdre connaissance.
— On s’occupe de l’autre.
— T’es d’où, lopette ?
— Du N-26 est, fait Brice en grimaçant et en respirant avec peine. Il a de la chance, son visage, sa tête ont été épargnés. Mais il souffre de nombreuses fractures sur tout le corps et essaie de ne pas bouger et de respirer par petit coup.
— Eh bien, vous êtes descendu bien bas, vous êtes arrivés en enfer, ici on est au N-34 est et il lui grave cette indication sur la poitrine, sous ses hurlements de douleurs. Ils sont traînés à l’écart dans un jardin qui semble être assez joli, mais les victimes n’ont pas le cœur à observer les lieux, occupés qu’ils sont à crier, tant la douleur est importante. Chacun écope d’un violent coup à la tête et ils sont laissés, là, nus et agonisants.
— Faut pas que nos jeunes voient ça. Ils ont le temps d’apprendre, fait poil de carotte.
Puis tous quittent les lieux, l’esprit léger comme après un travail bien fait.
— J’espère que nos petits bourges vont comprendre le message et qu’ils n’auront plus la mauvaise idée de venir nous narguer. Sinon, on s’en occupera.
Le lendemain matin, très tôt, une équipe de la Sécurité publique intervient sur place.
Un appel d’une voisine qui a découvert les corps. La zone est balisée et les curieux, tenus à l’écart.
Une équipe fait du porte à porte pour recueillir des informations. Comme d’habitude personne n’a rien vu ni entendu. Pourtant les jeunes ont dû hurler de douleur et les riverains être réveillés par le vacarme.
Une seconde équipe procède aux différentes constatations sur les corps et fait de nombreux prélèvements, ainsi que des prises de vues 3D. Il semble évident que les corps ont été déplacés.
Un binôme va vérifier les caméras du secteur, et se rend à la maison du peuple local, ou une copie des enregistrements est automatiquement stockée. Après de nombreuses recherches, ils trouvent le lieu des faits et y envoient d’autres collègues. Eux continuent de rechercher et de visionner tout ce qui se peut-être raccroché aux faits.
Les puces biométriques des victimes donnent toutes les indications relatives à leur identité et à l’heure du décès. Deux sont morts rapidement, mais l’un a agonisé longuement et est mort au petit matin. Donc il y a peu de temps. Il a dû souffrir longuement. Les enquêteurs voient avec stupeur qu’un doigt de l’une des victimes a été sectionné.
Il est évident que des jeunes du coin ont eu un différend avec ces petits bourgeois. Mais qu’est-ce qu’ils sont venus faire ici ? Sont-ils venus volontairement voir quelqu’un, se faire des sensations fortes ou se sont-ils égarés ?
Il y a une règle tacite qui gère les relations entre les différentes classes. Passé 22 heures, les Bourgeois ne vont plus chez les Moindres et inversement. Les trois classes de Bourgeois se tolèrent entre elles, et il en va de même pour les deux classes de Moindres.
Il n’y a pas d’interaction possible entre Bourgeois et Intouchables. Seul la journée, de 6 heures à 22 heures, pour le travail ou des activités diverses, les uns et les autres se tolèrent.
Le visionnage des enregistrements est révélateur. On y reconnaît la plupart des jeunes. Ils n’ont même pas cherché à se cacher, sûrs de leur bon droit. Ils sont convoqués le lendemain à l’antenne de la Sécurité publique du niveau et du secteur.
Ils se présentent tous les dix. Pas d’objets de sûreté, s’agissant d’une affaire interclasse. Ils sont entendus, reconnaissent sans problèmes les faits et ne sont pas avares de détails. Le juge les fait déférer pour une admonestation. Il faut respecter la coutume, et en conséquence, ils ne sont pas condamnés.
L’affaire fait grand bruit chez les Bourgeois. Les trois familles et leurs proches sont effondrées. Dès la fin des cérémonies funèbres, les familles se réunissent et mettent sur pied une « réponse » adéquate. Ils ont eu le compte-rendu du juge et la famille ne peut admettre que le dossier ait été clos sur une simple admonestation. Le juge s’est trompé, leurs enfants ne sont pas allés là-bas volontairement pour les provoquer. Ils ont tous les éléments nécessaires, leurs avocats se sont occupés d’obtenir les identités et les adresses des jeunes.
Trois jours plus tard, peu avant minuit, trois groupes de sept hommes. Non, ce ne sont pas tous des hommes. Trois groupes de sept personnes se rendent dans le quartier où les trois jeunes ont été tués.
Ils passent un peu partout quand un groupe se rend dans le parc et tombe sur les meurtriers. Ils évoluent très discrètement, sont masqués et gantés. Ils ont même placé des bandes aluminium autour de l’avant-bras gauche, où se trouve la puce biométrique. Le tout, parfaitement maintenu. À la vue des jeunes, devant la fontaine, ils bifurquent et se dirigent droit vers eux. Les deux autres groupes, prévenus, arrivent rapidement.
Sans aucune salutation ni formule de politesse, Lionel, qui semble être l’un des meneurs, prend la parole :
— Vous connaissez la règle, c’est sûr. Vous avez eu tout loisir d’en parler ces derniers jours. Mais je vais vous la rappeler. Un Petit Bourgeois vaut trois d’entre vous. Vous en avez tué trois. Si vous ne savez pas compter, cela fait neuf. Qui plus est, je suis…
— Ta gueule connard, fait poil de carotte. Tu crois que tu nous fais peur ? C’est toi qui sais pas compter. On est treize, trouduc. Vous êtes sept. On est chez nous, on a du matos pour cogner. Et en plus on s’est fait des tunes avec les affaires des jeunes. Alors on va pas vous laisser vous barrer comme ça. Vous êtes notre cadeau. Les autres acquiescent.
— Avec vos cagoules et vos gants, vous avez l’air de guignols. Vous avez peur qu’on vous reconnaisse ? fait un autre. Il s’agit de l’un des nouveaux. Les trois qui se sont joints à la bande veulent montrer qu’ils sont dignes de leur nouveau clan, que l’on peut compter sur eux et qu’ils n’ont peur de rien. Poil de carotte, suivi de près par le reste de la bande, se dirige vers les Petits Bourgeois. Ils n’ont pas vu les deux autres groupes qui arrivent derrière eux, un groupe sur la gauche, un groupe sur la droite. Une belle tenaille et peu de chance de leur échapper.
— Je crois que c’est toi qui ne sais pas compter, mon pauvre petit.
— Et il faut toujours surveiller ses arrières, fait une autre voix.
Les matraques télescopiques, les poignards et les armes de poing surgissent dans les mains des justiciers. Ils sont stressés, mais en bons bourgeois, font beaucoup de sport, et surtout des sports de combat, très en vogue depuis de nombreuses années. Ce sont les premiers coups les plus difficiles à donner, ensuite cela va tout seul. Les armes à feu sont à utiliser en ultime recours, si les choses devaient mal se passer ou échapper à leur contrôle. On ne sait jamais. Mais qui dit arme à feu, dit répression par la force publique.
Poil de carotte esquive le premier coup et arrive à frapper son agresseur sur la cuisse, mais un autre coup arrive par derrière et le fait atterrir sur les genoux. Il lève un bras pour arrêter la matraque qui arrive avec vitesse et force et heurte son avant-bras qui se brise. La suite n’est qu’une mêlée indistincte ou tout le monde frappe à tour de bras. Heureusement que les Petits-Bourgeois portent cagoules et gants, comme cela ils se reconnaissent tout de suite entre eux et ne commettent pas d’impairs.
Au bout d’une poignée de minutes, l’équipe de Poil de carotte abandonne, ils sont tous bien esquintés et n’en peuvent plus. Leurs agresseurs sont bien plus nombreux, trop bien équipés, et ont une très bonne technique. On dirait un club d’arts martiaux qui a débarqué afin d’effectuer une démonstration. Bon, il y a de nombreux blessés chez eux également, mais rien de vraiment grave à part deux fractures. Rien de comparable avec la leçon qu’a pris la bande du coin.
— Bon, on fait quoi ? On ne va pas tous les tuer, mais il faut faire un exemple, sinon nous ne serons plus pris au sérieux, ni par les nôtres ni par les autres.
— Moi je suis pour suivre la règle. Trois d’entre eux pour l’un des nôtres. Cela apaisera les mères qui sont en deuil. Pour les pères, ils vont se libérer de leur colère autrement.
— Toi, désigne six gars, transige Lionel.
— Non, répond Poil de carotte.
— Fais-le ou tu mourras.
Il a du mal à se décider, mais il n’a pas envie de mourir sous des coups de matraques et de battes de base-ball. Il désigne les trois derniers arrivant. Ils ne peuvent pas se sauver, car ils ont les jambes brisées. Il ne veut pas en désigner d’autres. Les trois pères se mettent devant leur victime et s’acharnent à coup de matraque. Lionel et plusieurs autres se mettent sur Poil de carotte et le frappent violemment. Ils sont saisis d’une sorte de folie meurtrière.
Soudain une clameur leur parvient ; le cri de personnes en colère. Une centaine d’individus se dirigent vers eux en courant et en criant. Les Petits Bourgeois se mettent à courir dans la direction opposée, vers là d’où ils sont venus. Ils ont réussi à s’esquiver, mais de justesse.
Jean-Jacques, Léon et Brice sont les nouveaux martyrs des Bourgeois. Poil de carotte, de son vrai nom, Régis est devenu l’un des quatre martyrs des Moindres.
Ce qui n’était qu’intolérance glisse rapidement vers une guerre de classes.
Au niveau N-31 est, une jeune femme de Klass 6, très belle, mais avec un regard toujours profondément triste, prend sa douche et se prépare pour aller s’asseoir dans le jardin. Elle se nomme Mélanie et apprécie les jacinthes qui sont plantées un peu partout.
Elle va mieux depuis quelques jours et retrouve doucement l’envie de s’accrocher, de vivre, car elle entrevoit enfin une solution. Elle n’en peut plus de cette vie au bas de l’échelle, devoir se battre tous les jours pour gagner assez d’argent, juste pour vivre.
Elle se maquille légèrement, met un peu de ce parfum qui lui a coûté si cher. Mais cela en vaut la peine. Elle se contemple dans le miroir. Et oui, se dit-elle, je suis vraiment une belle femme. Elle regarde les courbes de son corps, le dessin de sa poitrine, ses seins fermes. Elle est fine avec une agréable musculature. Oui elle se trouve belle. Elle met des sous-vêtements dernier cri, achetés en même temps que le parfum. Elle a dû se priver de nourriture pour les payer en plusieurs fois. Heureusement qu’elle peut se rattraper à la cantine du taf.
La musique qu’elle écoute lui donnait encore il y a peu le bourdon, mais maintenant elle y trouve de la gaieté. Étrange. Elle coiffe ses longs cheveux sombres, les lisse. Elle prend sa plus belle robe et l’enfile tout en chantonnant. Oui la chance lui sourit enfin. Elle va retrouver ce beau jeune homme qui tous les jours vient la rejoindre et lui fait la conversation. Elle observe la bague précieuse que lui a offerte un homme un jour. Elle est faite d’or, de rhodium et d’argent. C’est ce qu’il lui a dit. Il lui a dit également qu’elle lui porterait chance.
Elle n’a jamais eu de chance dans la vie
Prête, presque guillerette, elle va jusqu’au jardin dit des Jacinthes, et va s’asseoir sur un banc. Elle passe son temps à rêvasser, à écouter des livres audio, à observer les couples qui viennent profiter du parc. Mais elle reste profondément triste.
Arrive tranquillement un petit gars, un beau mâle, 35 ans, tout en muscles, beau parleur, très sûr de lui et de son physique. Maniéré et soigné, elle l’a repéré il y a une quinzaine de jours, à se promener dans le parc. Il s’est rapproché doucement, s’est enhardi et a commencé à discuter. Elle est restée distante, prudente, se demandant ce qu’il lui voulait vraiment. Mais il lui a semblé patient. Elle a trouvé cela agréable. Elle l’a revu plusieurs fois, et il est toujours resté égal à lui-même.
Elle le laisse venir.
Siska a repéré cette belle fille aux yeux si tristes dès qu’il est passé dans ce parc. Il l’observe discrètement depuis, à chacun de ses passages. Il a compris qu’il lui faudrait être patient. Elle est vraiment belle. Puis il a décidé d’aller à sa rencontre. En restant à deux mètres d’elle pour ne pas l’effaroucher et a commencé à lui parler doucement, de tout et de rien. Elle est restée très distante et froide. Ne répondant que par mono syllabe et ne lui rendant jamais ses sourires. N’importe qui se serait découragé, serait parti voir ailleurs. Pas lui. Non, il a insisté, s’est rapproché doucement, a continué à papoter de tout et de rien. Un beau jour, elle lui a rendu son sourire. Elle lui a appris son prénom.
Puis il est revenu, encore et encore avant de s’asseoir sur le banc, non loin d’elle, et oh surprise, elle a entamé une vraie conversation, a commencé à lui rendre ses sourires. Son visage a repris vie.
Depuis le p’tit gars, ne loupe pas un jour, et va à sa rencontre. Ils papotent de plus en plus longuement. Maintenant, Mélanie attend avec impatience d’avoir fini son travail, afin de pouvoir rentrer, s’apprêter et aller s’asseoir dans le jardin, et enfin pouvoir lui parler. En plus il est beau et n’a pas manqué un jour de passer dans le jardin.
Elle espère qu’il a le béguin pour elle.
Aujourd’hui, au bout d’une longue discussion, il se rapproche, lui prend la main et lui dépose un baiser sur la joue. Elle rougit. Il la serre dans ses bras, mais prévenant, ne force pas les choses. Il semble la respecter. Ils papotent, s’embrassent, se touchent doucement, presque pudiquement. Au moment de partir, il se lève, la serre dans ses bras, lui caresse doucement le dos puis lui souhaite une bonne soirée. Lui dit à demain et quitte les lieux.
Elle a adoré sa façon d’être, et se sent de nouveau amoureuse. Elle en rêve la nuit, et autant son attitude était réservée lorsqu’ils étaient ensemble, autant elle se lâche dans ses rêves.
Le lendemain, ils se retrouvent, et son cœur bat la chamade. Elle sent qu’il va lui faire une demande, et attend cela avec une grande impatience. Il est à côté d’elle, lui tient la main. Je sens que ça va être le moment, se dit-elle. Son cœur bat un peu plus vite. Elle a une petite boule au ventre.
Un couple arrive et s’installe non loin d’eux.
Lui, c’est un grand gaillard musclé, presque 2m10, une imposante crinière poivre et sel et à la large carrure, et de beaux yeux bleus. Il est bien habillé et très soigné. Elle, taille moyenne, sportive, belle poitrine, pommettes hautes, cheveux blonds, coiffés avec de nombreuses tresses. Les yeux sont sombres. Elle est également bien habillée. Elle sent l’argent et les beaux bijoux, ainsi que les parfums haut de gamme.
Mélanie tique, les cheveux longs sont l’apanage des hommes des classes supérieures. Elle se demande ce que ce couple vient faire ici. Cela ne cadre pas. Les Premiers ne descendent pas dans les niveaux inférieurs. Et si bas, jamais. En plus elle sent que Siska s’est raidi. Il est crispé et, soudain, silencieux.
La Bien-Née prend contact mentalement avec le jeune athlète :
— C’est elle la jeune femme ?
— Oui, n’est-elle pas jolie ?
— 15 jours pour repérer et évaluer la fille, puis régler le problème, c’est trop long.
— Comment dois-je faire ? Tu veux raccourcir les délais ?
— Oui, tu lèves la fille et l’évalues rapidement et tu nous avises.
— Bien. Il sait qu’il ne faut pas faire le malin lorsqu’elle emploie ce ton cassant.
La femme s’approche de Mélanie et plonge les yeux dans les siens :
— Suis-nous, reste naturelle et détendue !