Alibi - Pierre Déjean - E-Book

Alibi E-Book

Pierre Déjean

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Beschreibung

"Alibi" vous raconte l’histoire d’un personnage qui est à l’automne de sa vie. À l’occasion d’un voyage, il veut faire le point. Ce projet est perturbé par l’irruption d’une femme qui ravive ses fantasmes passés. Malgré le risque d’être rejeté, il s’efforce de la surprendre par une série d’initiatives. Leur relation étrange révèle une violence cachée, remettant en question la nature de leur lien. Dans cette danse entre intimité et réserve, il réalise qu’il est devenu un pion dans un jeu dont il a perdu le contrôle.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Déjean est un écrivain qui, à travers la littérature, trouve un écho aux problèmes qui le préoccupent. Dans son ouvrage "Alibi", il explore l’ambiance addictive d’une rencontre a priori improbable et la perte de contrôle qui en découle.

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Couverture

Page de titre

Pierre Déjean

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alibi

Nouvelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Pierre Déjean

ISBN : 979-10-422-3536-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

Septembre… Depuis des mois, un été bleu, magnifique, implacable, régnait sur l’Europe. La terre italienne se languissait, torturée, craquelée par le monstre ardent. Je décidais de remonter vers le lac de Côme. J’espérais retrouver dans ce bijou tout serti de verdure, au pied des Alpes, un peu de cette douceur des arrière-saisons que j’aimais tant.

 

Venant de Toscane, je laissais Florence à ma droite. Écrasée de soleil, elle ne m’aurait pas fourni le havre du rêve renaissant que je ne manquais jamais d’y trouver. Quittant les collines toscanes, je remontais vers Milan par la plaine du Po.

 

Sur l’A1, « l’Autostrada del Sole », la bien nommée, les sorties défilaient : Bologne… Modène… Parme… Piacenza… Je ne m’arrêtais pas. À perte de vue, la plaine se déroulait, grillée, jaune.

 

Les huit cylindres en ligne de ma « Gulietta G8 » de 1938 avalaient les kilomètres et les litres d’essence. Impérial, ce bolide rouge ne laissait aucune autre auto le dépasser. J’aimais ce roadster dont la classe égalait le prix, son tableau de bord brut à la visserie apparente, son volant quasi vertical que l’on avait bien en main. Le poste de conduite à droite était son seul inconvénient.

 

Vers la fin de l’après-midi, la capitale lombarde s’annonçait à grand renfort de panneaux autoroutiers. La chaleur n’avait pas faibli. Je renonçais à un projet que j’avais caressé durant le voyage : suivre les traces d’Antonio et de Laïde dans les rues du vieux Milan. J’aurais aimé retrouver la mélancolie profonde du roman de Buzzati : « un amour », mais je devais rejoindre Cernobbio où j’avais réservé une chambre.

 

Le contournement de Milan n’était pas encombré et j’arrivais rapidement à Côme, puis à Cernobbio.

 

On était à la fin de septembre. Cernobbio était en partie débarrassée de l’animation estivale. J’avais payé une chambre au prix fort dans un palace de grand luxe, car je voulais que son balcon donne sur le lac.

 

À l’arrivée, mon bolide fut pris en charge par un voiturier ébahi et quelque peu déconcerté par un volant à droite et un levier de vitesse à gauche.

 

Dans le hall de l’hôtel, tout était luxe, élégance et raffinement. Des colonnes rose pâle soutenaient des voûtes couleur bistre rehaussées de liserés blancs. Des lustres en cristal de Bohême diffusaient une lumière tamisée.

 

Il n’y avait pas foule et la réceptionniste eût tôt fait de s’occuper des formalités dans un français impeccable. Avec le groom de service, nous dérivâmes ensuite vers les ascenseurs sur des tapis épais qui étouffaient nos pas. À ma gauche, des escaliers monumentaux s’enroulaient vers les étages.

 

Ces marches avaient connu tant de descentes théâtrales, officielles ou plus discrètes. Ces défilés avaient varié selon les époques.

 

Au début du 20e siècle, j’imaginais la démarche impériale de divas emplumées ou de demi-mondaines accompagnées de vieux messieurs dont le portefeuille était aussi rebondi que la panse ; pingouins dont le frac noir et blanc contrastait avec l’exubérance de l’élégance féminine et son froufrou de robes monumentales mauves, rouges, chatoyantes. L’uniformité des habits masculins était parfois troublée par l’apparition de quelques dictateurs décorés comme des arbres de Noël.

 

Dans les années folles, voici les garçonnes aux cheveux courts, chapeau cloche et robes droites accompagnées de leurs maris ou amants en tenues décontractées, pulls à carreaux et pantalons de golf.

 

À l’orée de la guerre, les dignitaires inquiétants de l’Ordre Noir descendaient raidis, sanglés dans leurs uniformes, accompagnés de leurs maîtresses.

 

L’explosion américaine des années 50 peuplait les escaliers de stars hollywoodiennes. Elles paradaient, épaules nues dans des robes bustiers au bras de leurs chevaliers servants en costume croisé, menton volontaire et cheveux gominés.

 

J’imaginais ce manège incessant que notre époque moderne rendait moins typé. Tout ce petit monde continuait à tourner, carrousel de joies, de passions, d’intrigues et de tourments.

 

Les lambris de ce palace avaient été depuis toujours les témoins immuables de drames dont il ne restait matériellement rien si ce n’est, parfois, quelques dérangements mobiliers ou taches de sang sur des tapis, le tout vite remis en ordre par un personnel diligent.

 

La chambre me plut par la sérénité que sa décoration dégageait. Tapis, dessus de lit, fauteuils et chaises tiraient entre le gris et le bleu lavande. D’épais rideaux en cretonne, de même couleur, transformaient la lumière extérieure, encore crue à cette heure, en une clarté diffuse et douce. Les murs coquille d’œuf encadrés d’ocre renforçaient l’impression cosy d’un lieu que j’espérais être celui de l’apaisement. Je me réjouissais d’avance en pensant à la perspective d’un séjour tranquille.

 

J’allais sur le balcon. Il donnait sur le lac. Dans la lumière déclinante, il virait au vert et ne tardait pas à se glacer de lune. Ce bijou, serti dans le piémont des Alpes, allait m’offrir la sérénité à laquelle j’aspirais.

 

N’était-il pas temps d’atteindre des rivages de sagesse ? Je commençais déjà à en rêver en ce lieu propice. Méditer, faire le point, tenter un bilan au soir d’une vie, au soir de l’été ?

 

Je m’étais fait apporter un repas par le service de chambre et je dégustais un excellent rôti juste sorti du couvre-plat d’argent. La vaisselle était de grand luxe : couverts et assiettes avec monogramme, verres en cristal. Je laissais aller mes pensées.

 

J’étais né avec une cuillère d’argent dans la bouche. J’étais en effet le seul héritier d’une fabrique de pantoufles… comme par hasard elle était située en Charente. D’ailleurs, cet héritage familial pantouflard avait d’une certaine manière influencé mon caractère.

 

Je n’avais jamais dirigé l’entreprise, laissant ce soin à un fondé de pouvoir que j’avais eu tout loisir de recruter, étant actionnaire majoritaire. Cependant, je n’avais pas voulu mener une vie de simple rentier et j’avais suivi des études de droit jusqu’au concours de l’enseignement supérieur.

 

J’avais ensuite fait une carrière honorable de professeur d’université, mais sans excessive ambition. N’étant pas tenté par la trépidation de la vie parisienne, je n’avais occupé que des postes en province.

 

J’avais des revenus très confortables provenant plus de mes dividendes que de ma pension de retraite.

 

J’aimais la colossale construction séculaire du droit. Je considérais avec admiration cet énorme ensemble d’une logique bien huilée qui s’était construit par strates successives. J’aimais y naviguer à la recherche de cohérence, ce qui m’amenait à travailler sur les justifications théoriques des solutions concrètes que la jurisprudence dégageait. J’étais profondément ce que les juristes appellent un positiviste.

 

J’ose à peine avouer que j’étais plus sensible à la cohérence logique du droit qu’à son objectif final de justice. Ceci était certainement dû à mon absence totale de moralité.

 

Dans le même ordre d’idées, j’aimais tout ce qui était mécanique de précision : les montres et les voitures anciennes.

 

Tous les arts visuels m’attiraient énormément.

 

J’étais foncièrement un homme tranquille et modéré tant en ce qui concernait ma vie sociale et professionnelle que sur le plan des opinions politiques.

 

À l’intérieur de cette coquille de respectabilité, se trouvait un chaos affectif invraisemblable. Sous un ciel noir et lourd s’étendait le champ de ruines éparses de mes couples détruits, brisés par mes inconséquences et mes addictions. La principale, sinon l’unique, était une attirance, une passion irrépressible pour des femmes musclées, sculpturales statues huilées, bodybuildées, dont j’avais éperdument recherché les corps !

 

J’avais été comme un enfant, regardant indéfiniment défiler des jouets dans les vitrines de la vie, collectionneur toujours à la recherche de « pièces rares ». J’avais conscience que cela m’avait conduit à réifier les femmes que je rencontrais et que j’avais sacrifié de belles relations dans ce vain parcours.

 

J’avais été frappé par le fait que mon signe astrologique égyptien correspondait au dieu Seth voué à régner sur les contrées désertiques aux marges de l’Égypte ancienne. Moi, je parcourais les contrées inhospitalières de l’âme peuplées de mes poupées de cire. À l’instar de Seth, je devais prendre inexorablement le chemin le plus malaisé et sulfureux.

 

Bien sûr, une explication psychanalytique m’aurait conduit à toucher du doigt les racines du mal qui m’avait tant rongé, mais m’avait fourni en même temps de réelles émotions. Cependant, elle m’aurait laissé seul par rapport aux décisions à prendre.

 

Depuis que ces pensées dansaient dans mon esprit, le lac et ses montagnes s’étaient avancés vers l’est à la vitesse de rotation de la Terre à cette latitude. Fixe, la lune, immobile, témoin de notre course, balançait son nuage de poussière de craie sur la forêt en face de moi. Durant le temps de mes rêveries et selon mes calculs, nous avions parcouru 3489 km à la vitesse de 1163 km/h. La formule V= 2π*cosinus(L)*R/t, dans laquelle L était la latitude, R le rayon de la terre et T le temps, me permettait d’obtenir un résultat pour chaque lieu que je visitais durablement : une manie de vieil original !

 

L’heure si calme, le paysage si poétique, portaient à la rêverie, à la méditation. À cet instant, je pensais que j’avais peut-être trouvé l’endroit idéal pour faire halte et interrompre, pour une fois, le cheminement malaisé, chaotique de ma vie passée. C’est dans cette perspective de paix et de sérénité que j’entamais ma nuit.

 

 

 

 

 

II

 

 

 

Le matin suivant, dès les premières heures, l’énergie du jour s’opposait à la douce mélancolie du soir précédent. Le soleil faisait régner sa loi sur le lac qui reflétait ses rayons telle une lame d’acier.

 

Tout était sans nuance. Il n’y avait aucune transition entre l’ombre profonde et la lumière crue ; entre l’azur du ciel et l’émeraude du lac. Pas de demi-mesures en cette matinée durant laquelle soleil et chaleur revenaient en force. Couleurs et lumières étaient comme découpées au couteau dans un air très pur. Aujourd’hui, l’été, période propice aux passions incontrôlées, allait s’abattre sur le lac, réceptacle de sa chaleur. Il fallait en profiter avant qu’elle ne devienne insoutenable.

 

Sitôt le déjeuner avalé, je ne m’attardais pas dans la chambre et j’allais me promener dans le jardin à la française qui longeait le côté droit de l’hôtel.

 

Deux allées reliées en demi-cercle donnaient accès, par un petit escalier, à la Maison des mosaïques (c’est ainsi qu’on l’appelait sur le site de l’hôtel). Il ne s’agissait pas vraiment d’une maison, mais de deux corps de bâti entourant un petit bassin contenant des nénuphars. Une rambarde en fer forgé entourait le bassin. Des médaillons représentant des amours et des scènes plus ou moins érotiques ornaient les murs. À l’exception du bon goût, l’effet romantique était garanti. Je préférais de loin l’ordonnance stricte du jardin et une allée sur laquelle la maison s’ouvrait et qui me faisait penser aux Alyscans d’Arles.

 

La chaleur progressait et je vins trouver refuge sous une tonnelle. De cette tonnelle, on avait vu sur la piscine posée sur le lac dont elle devait filtrer l’eau.

 

Je m’étais fait apporter un jus de fruits que je sirotais sereinement. Tout était calme, tranquille. J’avais trouvé le refuge idéal pour méditer dans une ambiance apaisée. Je venais de chausser mes pantoufles pour un séjour sans histoire.

 

C’est alors que je LA vis. Elle avançait, nonchalante, féline. Le peignoir de bain qu’elle avait laissé ouvert (à dessein ?) dévoilait, à chacun de ses pas, les muscles magnifiques de son torse et de ses jambes. Sous une peau bronzée et soyeuse, ils jouaient au rythme de sa marche. Elle se tenait un peu cambrée, ce qui arquait son buste, remontait ses seins et soulignait ses abdominaux. Elle avait un bikini minimaliste qui suggérait plus qu’il ne cachait. Elle passa devant moi sans me regarder. Elle était presque de profil et j’admirais son beau visage régulier, ses lèvres pleines. Je ne vis pas ses yeux, car elle portait des lunettes de soleil. Une longue chevelure auburn descendait en cascade sur ses épaules. Sa musculature, exceptionnelle, n’altérait pas sa féminité, bien au contraire. J’avais souvent remarqué que, chez ce genre de femmes, l’une rehaussait l’autre. C’était tout au moins mon sentiment.

 

Un magnifique animal venait d’apparaître. Animal inaccessible et sauvage comme le laissait présager son port de tête altier. Les femmes musclées ont été la passion de ma vie, mais là on était au-delà de tout ce que je pouvais imaginer.

 

Cette apparition me cloua sur place ! J’avais le cœur battant et les jambes en coton : le coup de foudre ! En un instant, tout venait de basculer. Mon séjour méditatif et pépère avait volé en éclat. J’étais dans un grand état d’exaltation.

 

Plus question de réfléchir au sens de la vie, de méditer et de prendre des décisions engageant mon avenir ! Haha, balivernes que tout cela… Cette sérénité de pacotille n’avait au fond jamais existé. Ma seule pensée en cet instant, c’était elle… son corps… suivre la courbe de ses muscles. En même temps, je me rendais compte du ridicule de la situation et j’aurais aimé pouvoir garder un certain détachement.

 

L’ennui, c’est que les signes corporels de mon émoi demeuraient. Ils s’accentuaient même, car maintenant, au bord de la piscine, elle avait enlevé son peignoir de bain et apparaissait seulement vêtue de quelques centimètres carrés de tissu. Je pouvais admirer les formes sculpturales de son dos, de ses épaules et de ses bras. Elle s’était allongée sur un transat pour bronzer.

 

Une impulsion irraisonnée me saisit : aller me promener de manière qui apparaîtrait nonchalante et amorcer un contact de base qui consisterait à lui dire bonjour, ce qui, on en conviendra, n’était guère original… Bonjour, seulement bonjour, contact minima signe d’une aménité naturelle de ma part qui ne laissait rien sous-entendre et qui se démarquait d’une totale indifférence. Je n’irai pas au-delà, car j’ai toujours eu l’angoisse de paraître importun et de verser dans des banalités. Je verrai bien… plus tard… pensais-je.