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Balt, un jeune homme au destin ordinaire, est soudainement transporté dans un monde où la magie et les créatures fantastiques sont monnaie courante. Dans cet univers étrange, il rencontre la Phoenix Compagnie, une troupe de marchands itinérants entourée de mystères inquiétants. En tissant des liens avec ses nouveaux compagnons, Balt découvre qu’au-delà des sourires et des rires se cache une rébellion secrète contre un empire oppressif. Réalisant que ses talents récemment acquis pourraient faire la différence, il s’engage dans une aventure périlleuse, décidé à libérer le peuple jhix et à dévoiler les sombres vérités enfouies dans l’ombre. Parviendra-t-il à changer le destin de ce monde ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Yoann Bremond, installé à Saint-Malo depuis plusieurs années, s’est lancé il y a cinq ans dans l’écriture de son propre récit. Après avoir achevé le deuxième et dernier tome, il a choisi de partager son histoire au-delà de son cercle d’amis et de sa famille, initialement les seuls destinataires envisagés. Pour lui, cette œuvre est le fruit d’un long chemin de patience et de détermination
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Yoann Bremond
Altalla
Tome I
Renaissance
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yoann Bremond
ISBN : 979-10-422-4370-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Voilà, cette fois c’est la fin. Comme dans un rêve, la rame de métro fond sur moi au ralenti. Je reste paralysé au milieu des rails, comme pétrifié par la lumière des phares et le crissement strident des freins du wagon de tête. Du coin de l’œil, je peux voir la foule sur le quai et parmi elle, je distingue clairement Vanessa. Bouche bée, elle me regarde avec de grands yeux ronds. Son visage exprime de la stupeur mélangée à une profonde incompréhension. Pas l’incompréhension que l’on peut avoir face à un problème mathématique quelconque que l’on ne comprend pas. Non, plutôt l’incompréhension qui nous frappe quand autour de nous tout bascule. Lorsque l’on est totalement dépassé par ce qui nous arrive et que l’on ne peut rien y faire ! C’est cette incompréhension-là que je lis dans les yeux de Vanessa à ce moment précis.
Pour ma part, pendant que les secondes s’étiraient à l’infini, mon cerveau lui fonctionnait à plein régime. Les idées fusaient dans ma tête et une foule de questions me venaient à l’esprit. Est-ce que mourir était douloureux ? Serais-je loué dans les journaux du lendemain comme un héros ? Peut-être même que cette idiote de Vanessa se remettrait en question et qu’elle arrêterait de prendre les autres de haut ? Ou bien peut-être que rien de tout cela n’arrivera et que je manquerai simplement à ma famille et à mes proches ?
Mais au fond, peu importaient les réponses à toutes ces questions puisque j’allais mourir d’une seconde à l’autre.
Tandis que toutes ces idées, ces questions, s’entrechoquaient et virevoltaient dans ma tête, mon regard restait accroché à une goutte de sueur qui perlait lentement de la tempe de Vanessa. Une idée s’imposa alors dans mon esprit : ni elle ni moi n’avions anticipé cette situation ! Nous n’étions maintenant plus que des spectateurs, des spectateurs assistants impuissants au théâtre de leurs vies !
*
On dit souvent qu’avant de mourir, on voit le fil de sa vie défiler devant ses yeux. C’est vrai ! Seulement, dans mon cas, le fil de ma vie était court, monotone en grande partie et pas vraiment joyeux. Autant dire que ma vie n’avait pas été le long fleuve tranquille que je m’étais imaginé plus jeune. Mais après tout, on ne choisit pas ce que le destin nous met entre les mains, on reçoit simplement des cartes d’un jeu que l’on apprend avec le temps. Pour ma part, j’étais parti avec une mauvaise main et n’avais malheureusement pas eu l’occasion de changer la donne par la suite. Les jeux étaient faits maintenant, et il était l’heure pour moi de quitter la partie.
Je suis né en 1990, à Atlanta, dans l’état de Géorgie. Je ne garde que peu de souvenirs de mes dix premières années de ma vie, mais ceux que je chéris le plus datent pourtant de cette époque. Ces souvenirs sont pour la plupart flous et discontinus, comme de petits morceaux de bobine d’un film qu’on aurait mal rattachés bout à bout.
Pour ce qui est de mes souvenirs ensuite, ceux-là sont malheureusement aussi clairs que s’ils avaient été imprimés au fer rouge dans mon esprit.
*
Mon père est mort quand j’avais 11 ans des suites d’un accident de la route. D’après ce qu’on m’a dit, un camionneur qui somnolait au volant de son semi-remorque aurait aperçu trop tard mon père dans sa voiture qui attendait à un stop. Le chauffeur aurait freiné à la dernière seconde, mais il ne réussit pas à éviter la collision. Il s’en sortit vivant de cet accident, mais mon père lui fut mortellement blessé. On publia l’accident dans la presse locale, la radio en parla une fois ou deux et puis plus rien. Ce qui apparaissait comme un accident banal dans les médias fut pour ma famille un drame sans précédent. Tout cela remonte en vérité à bien des années, mais quiconque ayant vécu ce genre de chose par le passé vous dira ceci : on n’oublie jamais vraiment ce genre de souvenir ! On en garde toujours la trace au fond de soi et quand il remonte à la surface, la douleur est toujours là.
C’est donc ma mère qui nous éleva par la suite. Moi, mais aussi mes deux plus jeunes sœurs : Ema et Suzy. Toutes deux respectivement plus jeunes que moi de six et quatre ans. Je crois d’ailleurs qu’elles ne gardent aucun souvenir de cette époque, ce qui est au fond peut-être mieux ainsi.
*
Pour ce qui est de ma scolarité, je dirais sans fausse modestie que pendant mes années d’études, j’ai été un excellent élève. Étudier tenait pour moi du plaisir et les professeurs me félicitaient régulièrement pour mon travail. Mon dossier m’aurait permis d’entrer dans quasiment n’importe quelle université après mon lycée, et Dieu sait que j’aurais adoré continuer mes études.
Seulement voilà, tout cela était sans compter sur le coût des études supérieures et sur le fait que ma mère travaillait comme simple serveuse dans un restaurant de la ville. La pauvre avait de grosses difficultés pour joindre les deux bouts à la fin de chaque mois et elle avait également acquis une dette auprès de sa banque au fil des années. Autant dire qu’il lui était tout simplement impossible de payer pour la suite de mes études, même avec les bourses que certaines universités m’avaient proposées.
Je choisis finalement de quitter volontairement le système scolaire à la fin du lycée afin de travailler et d’aider aux besoins de ma famille. Je devins alors agent d’entretien dans une bibliothèque universitaire et caissier dans une petite supérette du coin. Ces deux boulots n’étaient pas vraiment bien payés au vu des heures que je faisais, c’est vrai, mais je pouvais ainsi aider financièrement ma mère et c’est tout ce qui m’importait. J’arrivais même petit à petit à l’aider à rembourser son prêt vis-à-vis de la banque.
Mon travail à la bibliothèque avait un autre avantage non négligeable pour moi, je pouvais utiliser mon temps libre à lire n’importe quel livre de la bibliothèque ! Parfois, quand mon emploi du temps me le permettait, je restais lire après la fermeture de la bibliothèque. Je pouvais alors profiter d’un agréable moment de calme et de sérénité, chose rare dans mon quotidien. Si j’aimais autant lire, c’était par plaisir, par curiosité, également parce qu’à mes yeux, cela me permettait de continuer à évoluer dans la vie. La lecture était pour moi comme un doux sirop qui me permettait d’échapper pendant un temps à mon quotidien et à sa dure réalité.
Une des raisons qui rendaient mon quotidien difficile, c’était les sarcasmes et les moqueries que certains étudiants me glissaient quand je travaillais à la bibliothèque. À leurs yeux, j’étais un échec ambulant, un déchet de la société qui leur était inférieur. Pour eux, le chemin que j’avais pris ne menait à rien ! Ils étaient pour la plupart prédits à de « glorieuses » études et probablement plus tard à des postes importants et bien rémunérés. Quant à moi mes possibilités d’évolution étaient quasi nulles maintenant et ils le savaient !
Je subissais en particulier les moqueries d’un groupe d’étudiants qui prenaient un malin plaisir à m’humilier en public. Le groupe de Vanessa !
*
Tout en me fixant avec ses yeux de fouine et son sourire moqueur, Vanessa se tenait assise avec ses camarades à une table de la bibliothèque et elle pointait du bout de son crayon un tas d’ordures dont j’étais certain qu’il n’était pas là quelques minutes auparavant. C’était sans aucun doute cette immonde guenon qui les avait jetées volontairement. Mais malheureusement, et elle le savait, sans preuve avérée impossible de l’accuser. J’avais bien évidemment tenté d’en parler à mon « chef », mais ce dernier n’avait rien voulu entendre. L’adepte de la procrastination qu’il était préférait passer son temps assis sur une chaise plutôt que de risquer des ennuis avec des fils et des filles à papa. Résultat des courses, Vanessa et ses amis s’en donnaient à cœur joie et moi, je subissais impuissant leurs petites mesquineries.
Je ramassai donc peu de temps après les fameux « papiers » qui traînaient au sol sans dire un mot. Cela n’empêcha pas Vanessa d’en rajouter bien évidemment.
Détail important que je ne vous avais pas encore dit, cette peste de Vanessa n’était nulle autre que la fille du patron de ma mère et elle avait appris par je ne sais quel malheur notre lien de parenté. Autant dire qu’en quelques mots prononcés à l’oreille de son père, elle pouvait s’arranger pour que ma mère soit virée du jour au lendemain et elle avait rapidement su me le faire comprendre.
Sachant pertinemment que je ferais tout pour éviter cela, elle en profitait quasiment tous les jours pour me malmener en sachant que je ne dirais rien. Je serrai donc les dents cette fois-là et pris une nouvelle fois sur moi : je devais me montrer fort pour ma famille !
Mon quotidien à la bibliothèque oscillait ainsi entre des journées passables quand Vanessa n’était pas là, et médiocres quand elle et sa bande d’amis avaient décidé de venir à la bibliothèque. Heureusement qu’elle n’apprit jamais que je travaillais dans une supérette plus loin sinon elle en aurait sans aucun doute possible profité pour finir de transformer mon quotidien en enfer !
*
Cependant, alors que je prenais un des derniers métros de la ligne nord pour rentrer chez moi ce soir-là, le destin décida de ne rien m’épargner ! Alors que j’attendais silencieusement la prochaine rame sur le quai, Vanessa et son groupe d’amis arrivèrent bruyamment dans la station. Visiblement, ils avaient décidé par une malchance incroyable de prendre le même métro que moi. Autant dire que je pestais silencieusement en voyant leurs sales têtes débarquer. Passées les premières secondes d’apitoiement, je me décidais finalement à prendre une grande inspiration et à réfléchir. Après tout, les imbéciles ne m’avaient pas encore vu pour le moment et n’avaient donc aucune idée que j’étais là !
Discrètement, je me déplaçais derrière un groupe de ce qui semblait être des hommes d’affaires vu leur tenue, et m’arrangeais pour que la masse qu’ils formaient cache ma présence à Vanessa. Une fois à l’abri derrière mes « protecteurs » improvisés, je continuais discrètement mon observation de Vanessa et de sa bande afin de pouvoir anticiper leurs futurs mouvements. J’en conclus rapidement une chose surprenante : ils étaient manifestement tous ivres ! Leur groupe rentrait probablement d’une quelconque soirée, ce qui expliquait pourquoi ils prenaient le métro aussi tard ainsi que le fait qu’ils faisaient encore plus de bruit que d’habitude. Tandis que je continuais à les observer discrètement, une chose inattendue se produisit.
Un des jeunes fêtards, en entendant le lointain son du métro qui approchait, se retourna vivement et poussa involontairement de l’épaule Vanessa qui tituba en arrière. Ses réflexes étant diminués par l’alcool, elle réalisa trop tard sa proximité avec le bord du quai et fit un pas de trop. Elle tomba lourdement sur les rails du métro, accompagnée dans sa chute par les cris de stupeur de quelques personnes environnantes qui avaient assisté à la scène. L’agitation balaya aussitôt la foule et tout le monde se rua rapidement au bord du quai pour mieux voir la scène ! J’avoue avoir suivi la scène avec un léger sourire aux lèvres, mais pour ma défense, je ne sortis pas mon portable pour filmer la scène comme certains idiots le firent à ce moment-là. La situation n’était pas pour me déplaire pourtant !
Allongée de tout son long et après les quelques instants nécessaires à son cerveau embrumé pour enregistrer les nouvelles informations, Vanessa poussa un cri de douleur ! Alors que tout le monde sur le quai l’observait sans rien faire, elle tenta péniblement de se relever d’elle-même. La scène était pitoyable et loufoque en même temps ! Elle me faisait penser à un pantin désarticulé, essayant de marcher sans aucune coordination des différents membres. La manœuvre était délicate manifestement, mais après plusieurs essais infructueux, elle réussit finalement à se tenir à moitié debout sur ses jambes flageolantes.
Dans ce genre de situation, il est vrai que l’être humain peut être tenté d’aider son prochain parfois. Mais quand une lumière annonciatrice du métro apparaît déjà faiblement dans le tunnel et que le son métallique de ce dernier est bien audible à vos tympans, l’être humain ne pense qu’à une chose : qu’il n’a aucune envie d’être à la place de la personne sur les rails ! Aussi jolie soit-elle, aucune raison assez importante ne vient à l’esprit d’autrui pour lui donner envie de risquer sa vie à aider la belle en détresse. La sécurité étant mère de sûreté dans ce genre de situation, il restera observateur. Cela étant vrai pour les inconnus présents sur le quai comme pour les « amis » de Vanessa malheureusement !
Ainsi donc, moi et toutes les personnes présentes sur ce quai observions Vanessa, déjà mortellement plus lucide qu’auparavant et qui péniblement tentait de se rapprocher du bord du quai. Elle avait encore l’espoir au fond d’elle de s’échapper du piège mortel dans lequel elle venait de tomber. Malheureusement, sa cheville gauche ayant au minimum subit une entorse grave lors de la chute, Vanessa boitait lourdement ! Chaque pas qu’elle faisait était laborieux et lui arrachait une vilaine grimace de douleur. Il devint alors évident qu’elle n’arriverait jamais toute seule à se rapprocher assez vite du quai pour être secourue. Comme aucun sauveur potentiel n’avait fait son apparition pour le moment : son sort était scellé !
C’est alors que je fis une chose qui surprit tout le monde sur cette rame, moi le premier. Alors que le bruit et les lumières du métro se faisaient de plus en plus présents chaque seconde : je sautais sur les rails ! Sans prendre le temps de réfléchir à mon geste, je courus aider la pauvre Vanessa aussitôt après m’être rétabli de mon saut. Elle dut très certainement douter alors de sa propre santé mentale en me voyant approcher, du moins c’est ce que ses yeux écarquillés me laissaient penser !
Pour revenir à mes dires précédents : aucune personne dans ce genre de situation ne met sa vie en danger et encore moins pour une personne qu’elle déteste, sauf si cette personne a en elle des principes idiots profondément ancrés comme celui d’aider son prochain. Feu mon père étant un homme de convictions, de principes et d’honneur : il m’avait inculqué, étant plus jeune qu’il fallait toujours venir au secours des personnes ayant besoin d’aide ! C’est pourquoi à ce moment-là, mon geste se fit sans aucune pensée logique de ma part. Mes satanées jambes agirent purement et simplement par elles-mêmes, me mettant ainsi dans la merde jusqu’au cou !
*
En quelques secondes, je me retrouvais à supporter Vanessa par les épaules. Elle avait visiblement compris en voyant ma tête que ce n’était pas le bon moment pour polémiquer, et elle me laissa faire sans dire un mot.
Grâce à mon soutien, elle n’avait plus à appuyer sur sa cheville blessée et pouvait donc maintenant avancer bien plus facilement. Stimulés par les autres hypocrites sur le quai qui nous criaient de nous dépêcher, comme si nous prenions notre temps, nous nous rapprochions progressivement de notre salut. Nous arrivâmes finalement au bord des rails, et tandis que mes oreilles étaient saturées par le bruit de la rame approchant, je me mis aussitôt à aider Vanessa à monter.
Un détail qui a son importance dans ce genre de moment, c’est le physique des personnes ! Comme le mien tenait plus de la brindille que du roc et que Vanessa n’était pas vraiment quelqu’un que l’on pouvait qualifier de sportif, la tâche était quelque peu ardue. Heureusement avec une bonne stimulation, et Dieu sait que j’en avais plus que nécessaire, un être humain est capable de choses incroyables dans ce genre de moment ! Je réussis donc à soutenir suffisamment ma blessée pour que des gens l’attrapent par les bras et finissent par la hisser en lieu sûr.
Pour ce qui est de la suite, vous la connaissez déjà ! J’eus le temps de jeter un bref regard sur le côté et de voir, horrifié, le wagon de tête du métro à seulement quelques pas de moi ! Mon regard revint sur la foule de gens au-dessus de moi, qui recula effrayée, et je compris qu’il est trop tard, maintenant pour me hisser à mon tour.
Je fus alors enveloppé par une froide lumière blanche et tout autour de moi disparut brutalement. C’était la fin !
L’obscurité la plus totale, c’est ce qui définirait le mieux l’environnement qui m’entourait. Puis soudainement, comme si la noirceur n’avait été qu’une illusion, le paysage autour de moi changea du tout au tout ! Une lumière éclatante agressa ma rétine et je dus plisser les yeux, une main devant le visage, pour apercevoir petit à petit ce qui m’entourait. La première chose que je réussis à discerner fut l’herbe sous mes pieds. Celle-ci était couverte d’une fine pellicule de rosée et une légère odeur d’humus frais imprégnait agréablement mes narines. Une rafale de vent me caressa le visage et de nouveaux sons parvinrent alors à mes oreilles : le piaillement exotique de divers oiseaux, le doux frémissement de quelques feuilles d’arbres ainsi que le discret grincement intermittent de troncs d’arbres oscillants au vent. L’endroit était vraiment agréable et ma foi, pour quelqu’un qui ne croyait pas au paradis, je me dis que j’aurais pu tomber sur bien pire que ça !
Mon regard se leva petit à petit et j’aperçus plus loin divers arbres étranges auxquels pendaient des fruits exotiques qui m’étaient totalement inconnus ! Leur aspect mûr et juteux ainsi que leurs couleurs vives et colorées éveillaient en moi une envie croissante de mordre dedans. Cependant, malgré la faim qui commençait à gronder en moi, je terminais d’étudier l’environnement qui m’entourait avant d’aller goûter les étranges fruits. Mon regard se porta un peu plus loin encore. J’aperçus en arrière des arbres une petite colline à la pente douce dont les flancs étaient recouverts de fleurs toutes plus colorées les unes que les autres. Dominant le sommet de la butte, ce qui m’apparaissait d’ici comme une petite construction en pierres trônait négligemment. Quelques doux et chauds rayons de lumière éclairaient l’endroit rendant la scène presque surréaliste. Plus que tout maintenant, je désirais m’approcher de cette étrange construction sortie de nulle part et l’admirer de plus près !
Mes yeux s’étant habitués à la lumière maintenant, je baissais ma main et pris la direction de la colline d’un bon pas. J’en profitais par la même occasion pour cueillir et goûter certains des fruits en chemin.
Je les choisis au hasard de mes envies, tantôt parce que leur forme m’intriguait ou plus simplement parce que leur couleur me plaisait. Sans surprise, chacun d’eux s’avéra délicieux et je découvris par la même des saveurs qui m’étaient jusque-là parfaitement inconnues !
C’est donc les bras chargés d’une multitude de fruits que j’arrivais au sommet de la colline. Il s’avéra alors que la fameuse construction qui dominait cette colline était en fait un immense puits qui, au vu des pierres qui le composaient et de la mousse qui le recouvrait, avait été construit là il y a bien longtemps !
Tandis que je me penchais précautionneusement pour tenter d’apercevoir le fond, une voix rocailleuse surgit soudainement dans mon dos.
Sous l’effet de la surprise, je lâchais une grande partie de ma précieuse récolte au sol ainsi qu’un juron bien senti. Agacé, je me retournais brusquement pour découvrir un petit vieillard à quelques pas de moi. Étonnamment, le premier détail qui me choqua fut l’absence quasi totale de pilosité de l’étrange bonhomme. Le temps lui avait miraculeusement laissé une petite barbiche qu’il arborait fièrement. Torse nu, la peau tannée par le soleil, le vieil homme me souriait tranquillement. C’est n’est qu’alors seulement que je notais qu’il était perché sur un petit nuage flottant à quelques centimètres du sol !
Je lui répondis alors spontanément sans réfléchir, mon esprit étant totalement occupé à essayer de comprendre où j’étais. Mes quelques pensées restantes se débattant pour savoir si oui ou non j’avais perdu l’esprit !
Toujours souriant, il lévita doucement vers le puits tout en gardant son regard braqué sur moi. Ce n’est qu’après avoir hoché plusieurs fois la tête qu’il reprit la parole d’un ton calme et serein.
Il porta alors son regard acéré vers l’horizon et continua l’air contemplatif.
J’étais sceptique et n’essayais pas de le cacher. S’il s’en aperçut, le vieil homme n’en laissa rien paraître et reprit.
Voyant parfaitement de quoi il voulait parler, je ne dis rien et hochais simplement la tête en signe d’acquiescement. J’avais toujours la forte impression d’être dans un rêve et tenir des propos logiques maintenant m’était difficile en vérité. L’étrange vieillard ne s’offusqua pas de mon mutisme et continua simplement sur sa lancée :
Olff ramena alors son regard vers moi et éclata de rire après quelques secondes. Ce n’est qu’après ce qui me sembla une longue minute qu’il cessa finalement de rire. Il s’en aperçut et déclara tout en essuyant distraitement une larme de rire du plat de la main :
Il toussa dans le creux de sa main pour reprendre pleinement son aplomb et reprit enfin ses explications.
Cette fois, je réussis à mettre suffisamment d’ordre dans mon esprit pour répondre enfin à Olff.
Ma question l’avait encore une fois fait sourire, mais je notais qu’il s’était tout de même abstenu de s’esclaffer, attention dont je lui étais reconnaissant ! Calmement, il lévita au-dessus du puits comme si de rien n’était. La possibilité d’une chute ne semblait nullement l’inquiéter et il finit par se retourner vers moi avec dans son regard une intensité nouvelle. C’est avec une voix grave et impérieuse à la fois qu’il parla alors, captant ainsi totalement mon attention.
Olff m’avait bien cerné, car je savais effectivement déjà quel serait mon souhait. Traitez-moi d’idiot, d’imbécile ou de n’importe quel autre nom d’oiseau, mais c’est d’un ton assuré et sans aucune incertitude que je lui répondis ces mots.
Tandis que l’écho de mes dernières paroles résonnait encore dans le puits, le vieil homme qui fermait les yeux claqua trois fois dans ses mains. À chacun de ses battements, ses mains généraient une sorte d’intense explosion lumineuse de plus en plus éblouissante ! Le temps parut s’immobiliser soudainement, comme cristalliser dans l’instant, et il ne reprit son cours que quand Olff rouvrit finalement les yeux. Il me fixa alors de son regard pétillant et déclara d’une étrange voix douce.
Son visage, auparavant plus sérieux, s’était nettement adouci. Lui et son nuage pivotèrent légèrement et il contempla une nouvelle fois l’horizon. Pensif, il semblait réfléchir intérieurement.
Toujours pensif, il continua, le regard fixé sur le lointain.
Après une longue pause troublée uniquement par une légère brise presque imperceptible, il toussa dans sa main et reprit :
Alors qu’il finissait sa tirade, je me rendis compte que mon corps avait commencé à léviter et que je dérivais progressivement dans les airs. Comme mue par une force invisible, quelque chose ou quelqu’un me transportait lentement, mais sûrement, au-dessus du puits. L’étrange vieillard m’observait léviter sans rien laisser paraître. Visiblement, le fait de flotter dans les airs devait être monnaie courante ici ! Alors que je me tenais maintenant en plein centre de l’immense puits, je pris mon courage à deux mains et jetais un coup d’œil en bas. Le fond du puits se révéla en réalité caché, un ciel immense et très loin en contrebas, perçant quelques nuages épars, j’apercevais la cime de ce que je devinais être le sommet de quelques montagnes.
Sentant les battements de mon cœur s’accélérer, je compris que je me tenais plusieurs milliers de mètres au-dessus de toute surface solide. Ainsi, si la force inconnue qui me tenait en apesanteur jusqu’à présent venait à disparaître : je ferais une chute vertigineuse avec pour unique certitude celle de mourir une deuxième fois à la fin. Perspective qui ne m’enchantait pas du tout !
Une panique croissante commença lentement à s’emparer de moi. Plus je voyais le vide, plus la peur de tomber menaçait de submerger mon esprit. Olff, en apparence très décontracté toujours, ne réagit pas non plus en me voyant commencer à paniquer. Je compris soudainement que le vieux fou avait déjà dû faire la même chose avec mes prédécesseurs et que ma réaction n’était pas pour le surprendre. Dans quel pétrin m’étais-je encore fourré ?
Alors que j’allais lui parler du fait que je trouvais ma situation quelque peu inconfortable, il s’exclama soudainement :
Les choses s’amélioraient ! Peut-être allait-il avoir un éclair de génie et me donner la capacité de voler ? Toujours est-il qu’il tendit sa main droite vers moi en dressant trois de ses doigts.
Il abaissa l’un de ses doigts et reprit sans me laisser le temps de répondre.
Tandis que j’étais toujours suspendu au-dessus du vide et totalement impuissant, Olff croisa ses bras, entortilla les doigts de sa main droite dans son bouc, et commença à grommeler dans son coin tout en affichant un air songeur.
Je compris, incrédule, qu’il cherchait mon fameux nom et sous l’effort de la concentration, il fronçait les sourcils et grimaçait de manière assez pittoresque. Cela conférait à la scène un aspect comique des plus inattendu. J’aurais presque pu en rire si je n’avais pas été suspendu dans le vide avec la possibilité d’une chute vertigineuse à tout moment. Je réfléchis à mon tour pour arriver à une conclusion : Olff ne m’aurait pas ressuscité pour me tuer une heure après non ? Il allait donc probablement me faire descendre calmement et en douceur sur Altalla ! Du moins cela me semblait logique, mais à voir le vieillard devant moi qui se creusait les neurones simplement pour me trouver un nom : j’avais quelques doutes !
Après plusieurs minutes, autrement dit un délai qui sembla durer une éternité dans ma situation, il s’exclama soudainement et tapa du poing dans sa main gauche. L’air triomphant, il se tourna vers moi en criant :
À ce moment-là, j’eus la certitude qu’Olff n’avait plus toute sa tête. Aucune personne saine d’esprit n’afficherait un air aussi ravi simplement en énonçant qu’il venait de vous trouver un nouveau nom ! Ne remarquant rien, l’étrange dieu commença ses explications.
L’air entendu, il hocha ensuite la tête comme pour se féliciter lui-même. J’avais encore mille questions qui me venaient à l’esprit, mais comment couper Olff dans son « délire » ? Cela m’était tout simplement impossible. Résigné à le laisser aller jusqu’au bout dans ses idées, j’attendis qu’il énonce son troisième « don ». Ce qu’il ne se fit pas prier pour faire après avoir abaissé un doigt de plus.
Voyant qu’il allait s’arrêter là dans son explication, j’eus juste le temps de lui poser une question.
Visiblement toujours très content de lui, Olff répondit joyeusement.
Le vieil homme qui avait lévité jusqu’au bord du puits en parlant inspira un grand coup, pour ensuite sauter souplement de son nuage. Le bougre faisait preuve d’une agilité et d’une dextérité fort étonnante pour son âge, quel qu’il fût ! Debout sur la terre ferme, il s’étira les bras en arrière l’air épuisé.
Sur ces mots et après m’avoir fait un clin d’œil complice, il fit volte-face, agita la main en arrière en guise d’au revoir et commença à descendre la colline en sifflotant. Le petit vieux qu’il était oubliait manifestement une petite chose : je lévitais toujours comme un idiot au-dessus du vide !
Alors que je m’apprêtais à lui demander poliment de me sortir de cette situation qui, disons-le simplement, était source d’une inquiétude grandissante pour moi. Je sentis soudainement la gravité reprendre ses droits sur mon corps et en l’espace d’une seconde, je fus englouti par le vide. L’air se mit à me cingler violemment le visage et cerise sur le gâteau, je sentis ma tête commencer à me tourner : le malaise n’était pas loin. Au moins me dis-je, je ne serais plus conscient quand le manque d’oxygène ou la réception brutale sur la terre ferme auraient raison de moi. Triste consolation en vérité !
Avant de perdre connaissance, je me souviens très distinctement avoir crié ces quelques mots, probablement inspirés par quelques poètes modernes de ma précédente vie.
Encore une fois, le « réveil » fut laborieux pour moi. La tête me tournait et ma vision était de nouveau trouble : le monde prit petit à petit forme autour de moi. Pour un peu, j’aurais presque eu l’impression de vivre un lendemain de soirée un peu trop arrosée. Les souvenirs des dernières 24 heures me revinrent par fragment, telles les pièces d’un puzzle qui seraient éparpillées dans mon esprit. Une fois n’étant pas coutume, je fis une analyse laborieusement du paysage qui m’entourait afin de deviner si j’étais bel et bien mort cette fois-ci ou si j’avais encore une fois survécu à une mort certaine.
J’étais au milieu d’une clairière, formée par une multitude d’arbres, que mon regard de néophyte identifiait comme étant peut-être des chênes. Trois choses s’imposèrent finalement à moi. Primo, j’étais en vie et en un seul morceau, ce qui relevait une nouvelle fois du miracle. Deuzio, je me trouvais totalement nu et sans aucun vêtement à portée de main, ce qui n’était pas dans mes habitudes. Tertio, je mourrais de faim ! L’esprit toujours confus, je finis par me demander si mes souvenirs des dernières vingt-quatre heures n’étaient pas tout simplement qu’un drôle de rêve que mon cerveau aurait conçu de toute pièce. Seulement l’étrangeté de la situation actuelle ne me laissait guère de doute sur la question : tout cela était bien réel.
Après tout, le concept d’un dieu un peu fou qui m’aurait ressuscité pour m’envoyer, la seconde d’après, exécuter le record du monde de saut sans parachute me semblait trop farfelu, même pour moi, pour n’être qu’un rêve. En toute vraisemblance, mon esprit était tout bêtement trop terre-à-terre pour imaginer un scénario aussi improbable. L’unique possibilité que je fusse capable d’envisager était qu’une pathologie fulgurante avait frappé mon cerveau du jour ou lendemain, mais était-ce seulement possible ?
Finalement, je finis par partir en quête de vêtements et de nourriture, afin de résoudre mes deux problèmes les plus importants du moment. La question de ma santé mentale se faisant secondaire à mes yeux.
*
Après avoir suivi un petit ruisseau sur lequel j’étais rapidement tombé, je découvris une modeste rivière au courant calme et de peu de profondeur. D’après le léger tambourinement que mes oreilles décelaient, une chute d’eau devait également se trouver dans la zone. Sans réelle certitude, je partis du principe que la rivière devait nécessairement me mener à la chute d’eau que j’entendais. Or, la présence d’une chute d’eau me faisait espérer qu’un point de vue pouvait potentiellement s’y trouver et pourquoi pas, la civilisation aussi ! Sans plus tarder, je suivis la rivière en direction de la cascade et marchais d’un bon pas. Tout en avançant, je me confortais dans ma décision en me convainquant qu’au fond, ce choix n’était pas plus mauvais qu’un autre après tout.
Après quelques minutes de marche, j’arrivais sans difficulté à mes fameuses chutes d’eau qui se révélèrent n’être en réalité qu’une petite cascade d’environ 2 mètres de haut et au débit très tranquille. L’eau tombait presque délicatement dans un petit bassin avant de reprendre son lent écoulement dans la rivière.
Je fus étonnamment surpris alors en réalisant l’importante distance qui séparait le bassin de mon point de départ. Mon audition était sans conteste bien meilleure qu’auparavant ! Intrigué, je remarquais qu’en me concentrant, je pouvais aisément percevoir tout un panel de bruits environnants allant du croassement d’un corbeau aux battements d’ailes des libellules qui virevoltaient aux bords de l’eau. Mon ouïe n’avait décidément plus rien à voir avec ce qu’elle avait été !
Réalisant au fond de moi que les changements ne s’arrêtaient pas là, j’eus le réflexe de me pencher vers l’eau claire du bassin afin d’étudier mon reflet. Il me fallut plusieurs secondes alors pour assimiler que ce que l’image devant moi correspondait bien à mon propre reflet.
Premier constat, j’avais changé physiquement. J’étais plus grand maintenant, je devais mesurer dans les six pieds de haut environ alors que j’en faisais difficilement cinq auparavant. Mes muscles s’étaient également renforcés et, sans pour autant ressembler à un bodybuildeur californien, j’avais maintenant une carrure bien plus développée et un physique athlétique. Ce changement corporel m’arracha un fugace sourire de satisfaction. Fugace, car je savais pertinemment que je n’étais aucunement responsable de ce changement. Si j’étais plus costaud tout d’un coup, c’était uniquement du caprice d’un petit vieux millénaire excentrique. Pour le reste, la teinte de ma peau, la pigmentation de mes cheveux et la couleur de mes yeux restaient sensiblement les mêmes. Deuxième constat qui me surprit encore plus et qu’étonnamment, je n’avais pas réalisé entre temps : je voyais parfaitement bien sans mes lunettes de vue. Je les portais constamment depuis l’âge de mes huit ans et elles faisaient tellement partie de mon quotidien auparavant qu’il m’avait fallu voir mon reflet dans l’eau pour comprendre que je ne les avais pas sur le nez. C’est dire !
J’avais maintenant une vision d’une netteté inédite pour moi, et cela, sans aucune aide de vue, quel plaisir ! Je me promis silencieusement de ne plus penser du mal d’Olff à l’avenir ! Après tout, aussi bizarre qu’il soit, il venait de me réincarner sans aucun problème de vue et ça, ça n’avait pas de prix à mes yeux !
Dernier constat enfin, sensiblement moins surprenant, mais bien plus gênant au vu de ma situation vestimentaire actuelle. Quelqu’un d’immobile m’observait de la rive en face de moi. Avant que je n’aie le temps de bien l’observer ou plus simplement de lui adresser un geste amical, il se tourna et montra du doigt quelque chose à ses pieds. Il repartit ensuite silencieusement dans la forêt sans rien ajouter de plus. Quel qu’il fût, mon inconnu n’était visiblement pas très loquace.
Intrigué et toujours gêné par ma situation, je décidais après une courte réflexion d’aller jeter un coup d’œil à « l’offrande » que l’on m’avait laissé. C’est tout de même tous les sens aux aguets et à pas prudents que je fis lentement le tour du lac.
Quelle agréable surprise se fut pour moi de découvrir au sol une sorte de cape rugueuse et rudimentaire, suffisamment grande néanmoins pour que je me sente un minimum habillé ! Toute méfiance envolée, je la mis sur mes épaules en remerciant à voix haute cet inconnu grâce à qui je pouvais enfin me sentir un peu plus humain. Quel dommage cependant de devoir adresser mes remerciements au vent ! Si mon apparence ne l’avait pas effrayé, il m’aurait très certainement été d’un grand secours.
Alors que je terminais de m’envelopper dans la cape, une voix brisa le calme ambiant et me surprit.
Pris de court et ne pouvant à peine distinguer mon interlocuteur qui se tenait dans la pénombre des arbres, je répondis par la première excuse qui me vint. Ce n’était probablement pas la meilleure, mais c’est tout ce qui me passa par la tête.
Dans ce genre de situation, on peut essayer de deviner si la réponse donnée est la bonne ou non en observant l’expression qui s’affiche sur le visage de son interlocuteur. Dans le cas présent, je ne pouvais pas distinguer le visage de mon inconnu, mais le rire spontané qu’il eut alors m’informa sans aucun doute possible que je venais de dire la plus grande stupidité qu’il n’avait probablement jamais entendue de sa vie.
Du même ton goguenard, l’inconnu continua ses explications.
Alors que je restais sans voix, il marqua une courte pause comme pour savourer l’instant et finit ensuite d’achever mon piètre mensonge d’une voix soudainement plus sérieuse.
L’homme choisit cet instant pour sortir du couvert des arbres et je sentis tous les muscles de mon corps se crisper en constatant qu’il braquait un arc sur moi. Au vu de la dizaine de pas le séparant de moi, les chances de m’en sortir s’il décidait de relâcher sa flèche avoisinaient le zéro absolu.
Dos au mur et incapable de réfléchir du fait de la peur croissante, je décidais de dire la vérité, enfin plus exactement, une partie de la vérité.
Après un blanc qui me sembla durer une éternité, l’étranger relâcha calmement la tension sur son arc. De sa main droite devenue libre, il abaissa la capuche qui masquait son visage jusque-là et me fit un grand sourire :
Abasourdi, je réalisais que « l’homme » qui se tenait devant moi n’en était pas vraiment un. Plus petit que moi, il semblait également légèrement moins costaud. Cependant, ses mouvements rapides et fluides montraient clairement qu’il possédait une grande agilité qui devait largement compenser cette différence. Ce qui me surprit le plus, ce fut la morphologie de son visage. Abasourdi, je constatais qu’il avait de longues oreilles touffues et pointues, un nez allongé se terminant par ce qui ne pouvait être qu’un museau noir ainsi qu’une fine couche de poils sur la quasi-totalité de son corps. Enfin, mon regard s’arrêta sur ses yeux en amande dont les pupilles étaient verticales.
L’homme renard qui me faisait face ne semblait plus du tout dangereux maintenant. Il s’appuyait négligemment sur son arc les jambes croisées et il se permit même de bâiller la bouche grande ouverte avant de reprendre.
Je ne saurais dire si ce fut la bonne impression qu’il me donnait qui me convainquit de sa bonne foi, ou si plus probablement, c’était la perspective de ne pas dormir à la belle étoile ce soir-là qui me décida à lui faire confiance. Notez à ma défense qu’il m’avait déjà prêté une cape, ce qui était généreux de sa part. Une cape de piètre qualité certes, mais qui améliorait nettement ma « condition » vestimentaire après tout ! Toujours est-il qu’il me fallut peu de temps pour lui répondre d’une voix assurée.
Son sourire s’élargit, révélant une rangée de crocs pointus, et il me tendit spontanément la main :
Tout en échangeant notre poignée de main, il continua.
Alors qu’une fine brise passait sur mon visage, je sentis que ma seconde vie venait à l’instant de prendre un tournant important et c’est en souriant à mon tour que je lui répondis alors.
C’est ainsi que je fis la connaissance de Styx, l’homme-renard, et que je le suivis dans ce Nouveau Monde totalement inconnu. J’espérais avec ferveur que l’avenir qu’il me proposait m’offrirait un repas chaud assez rapidement, car mon ventre criait toujours autant famine !
Toujours est-il que nous partîmes alors d’un bon pas dans la forêt en direction de la fameuse troupe dont Styx m’avait parlé. Je n’avais alors aucune idée de ce à quoi m’attendre à ce moment, je savais simplement que l’aventure continuait pour moi !
La troupe dont faisait partie Styx était effectivement située non loin de là. Après une courte demi-heure de marche, nous arrivâmes à l’orée de la forêt qui débouchait sur le sommet d’une grande colline recouverte d’herbe. Styx avec un large sourire me montra du doigt le bas de la colline où une multitude de tentes et de chariots étaient tranquillement installés. Le camp fourmillait visiblement d’activité et des silhouettes s’animaient activement de-ci de-là. Étrangement, aucune toile du camp ne semblait de la même couleur et l’ensemble ressemblait vaguement à un champ de fleurs au milieu duquel de grosses fourmis se seraient affairées. De lointaines odeurs de cuisine montaient jusqu’à nous et en réponse à celles-ci, mon estomac gronda de plus belle !
N’ayant pas vraiment le choix maintenant, je lui fis signe d’un hochement de tête que j’étais d’accord et il partit aussitôt vers le camp. Je le suivis des yeux un moment pour le perdre finalement au moment où il s’enfonça dans la masse de tentes et de chariots. Le temps qu’il revienne, je décidais de m’asseoir sur une vieille souche et de profiter du temps qui m’était offert pour analyser ma situation ainsi que mon potentiel devenir.
Si tout se passait bien, j’aurais de quoi me nourrir ce soir, des vêtements, et même un endroit pour passer la nuit. Cependant, n’ayant aucune idée des activités de la troupe en question, je pris la décision de continuer à cacher mon passé à Styx et ses amis le temps d’en apprendre plus sur ce monde et ses coutumes. Cela me semblait plus sûr et je pourrais toujours aviser plus tard pour leur dire la vérité ou non.
Quand Styx revint une bonne dizaine de minutes plus tard, il avait emporté avec lui une vieille chemise ainsi qu’un pantalon en toile de jute marron qui avait visiblement connu de meilleurs jours. Mais tout cela était déjà pour moi une vraie bénédiction et quand il me tendit une grosse miche de pain, ce fut l’apothéose de la journée ! Tout sourire, j’enfilais mes nouvelles frusques rapidement et entrepris de dévorer le délicieux pain ensuite. Styx partit dans un énorme fou rire en me voyant dévorer le pauvre pain et quand je compris qu’il riait de moi, j’éclatais de rire à mon tour. De l’extérieur, nous devions ressembler à deux idiots en riant comme des bossus de la sorte, mais qu’importe, cela nous mit de bonne humeur. Styx dut attendre d’être calmé avant de pouvoir reprendre la parole ensuite.
Je suivis Styx jusqu’au camp et soutins du mieux que je pus le regard des curieux. Styx slalomait entre les tentes avec une aisance déconcertante et sa façon de se déplacer laissait clairement entendre qu’il était familier du camp. Il s’arrêta finalement devant une tente à l’apparence parfaitement ordinaire en comparaison avec les autres et prit une grande inspiration avant de parler.
Il écarta délicatement l’un des battants de la tente et ajouta à voix basse.
Il m’adressa un rapide clin d’œil amusé en voyant l’inquiétude qui grandissait lentement en moi et laissa le battant de la tente se refermer quand je fus entré.
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Il fallut quelques secondes à mes yeux pour s’habituer à la pénombre qui régnait à l’intérieur. L’unique lumière qui éclairait l’espace venait d’une grande bougie posée sur ce que je devinais être un bureau. Assis de dos et légèrement en biais par rapport à moi, un homme y écrivait tranquillement, la plume dans sa main droite oscillant harmonieusement d’un bout à l’autre de la feuille qui occupait son attention.
Alors que je me rapprochais de l’homme d’un pas légèrement méfiant, il posa sa plume et fit lentement tourner le tabouret sur lequel il était assis. Nous observant mutuellement l’un et l’autre, aucun de nous ne dit mot pendant un instant. Aucun bruit ne vint troubler le calme de la pièce, me laissant ainsi découvrir avec surprise le fameux Zarrot. J’aurais évidemment dû m’en douter, mais l’homme en face de moi était en réalité un homme bête. Il partageait visiblement des caractéristiques communes avec l’aigle et certains détails me laissaient entendre qu’il n’était plus tout jeune déjà. De sa personne émanait une forte aura et la prestance qu’il rejetait simplement en étant assis était énorme. Sur son énorme bec reposait une petite paire de lunettes rondes au-dessus de laquelle ses yeux perçants semblaient étudier chaque parcelle de mon corps. N’osant pas parler le premier de crainte d’être impoli, j’attendis silencieusement qu’il ait fini de m’étudier afin de le laisser commencer la conversation. Je restais donc debout au milieu de la tente pendant encore un petit moment au bout duquel le chef finit par hocher presque imperceptiblement la tête. Il toussa alors gentiment dans son poing avant de prendre la parole d’une voix calme et posée.
Dès les premiers mots qu’il avait prononcés, j’avais compris que Zarrot était habitué à commander. Son ton était net et assuré, ses mots bien rythmés et ses phrases simples allaient directement à l’essentiel. Il continua de parler et je l’écoutais avec une attention accrue.
— Comme tu le sais déjà, je dirige une petite troupe nomade dont l’activité repose sur le commerce ainsi que sur des spectacles payants. Pour parler simplement, nous sommes ce que les gens appellent communément des saltimbanques itinérants. Le commerce est secondaire pour nous et consiste principalement à transporter des marchandises ainsi qu’à confectionner quelques menues broutilles. Nous menons ainsi une modeste vie qui nous apporte suffisamment de nourriture et de plaisir au quotidien pour nous convenir.
Zarrot prit le temps de vérifier d’un regard que j’avais bien suivi son explication jusque-là avant de reprendre.