Âmes bipolaires - Myla Shineers - E-Book

Âmes bipolaires E-Book

Myla Shineers

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Beschreibung

Au cœur d’un monde dominé par les réseaux sociaux et les rencontres en ligne, la confiance en l’amour véritable est mise à l’épreuve. Ces pages reflètent une histoire profondément personnelle, dans l’espoir de partager une thérapie avec vous. Écrites avec sincérité, elles sont une réelle exploration sur l’amour et l’âme sœur qui vous invite à embarquer dans un voyage introspectif.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Pour Myla Shineers, ce roman représente bien plus qu’une simple histoire fictive ; il est le récit authentique de sa vie et une forme de thérapie personnelle. Encouragée par ses amies, qui ont toujours été témoins des nombreuses péripéties de son parcours, elle achève le premier tome de cette saga qu’est son existence.

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Couverture

Page de titre

Myla Shineers

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Âmes bipolaires

Quand les âmes sœurs s’égarent

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Myla Shineers

ISBN : 979-10-422-3562-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Âmes bipolaires - Quand les âmes sœurs s’égarent

 

 

 

 

 

Croyez-vous en l’âme sœur ? Cette idée selon laquelle chaque personne serait destinée à retrouver sa moitié, cet être qui nous ressemble et nous complète à la fois, cet autre qui nous touche malgré nous dès le premier eye contact. Ensemble, deux moitiés qui ne forment plus qu’un, un être fusionnel que le mythe platonicien appelle « androgyne ». Nous sommes des êtres androgynes, avec une part de féminin, une de masculin… D’ailleurs, pourquoi distinguer les deux ? Nous sommes comme neutres, ou plutôt pluriels, ni totalement masculins ni totalement féminins. La société a imposé aux êtres humains des adjectifs, des attributs, des comportements typiquement genrés, au point de nous formater, nous faire culpabiliser si on ne suit pas ces codes depuis si longtemps édictés.

 

En espagnol, on appelle cet être « media naranja », littéralement « moitié d’orange ». En anglais, c’est soulmate. Le grand amour, l’amour éternel, véritable, le coup de foudre… Quelle que soit l’expression, quelle que soit la langue, notre moitié n’a ni genre ni forme universellement codifiée, parce que l’amour ne suit aucune règle. Bien plus encore, l’amour n’a pas de place, pas plus qu’il n’a d’âge. Les âmes sœurs transcendent les époques et les corps, elles vivent et survivent, même quand les corps ne sont plus. Certaines se rencontrent très tôt et ne se quittent jamais, tandis que d’autres recherchent toute une vie leur moitié, qu’elles retrouveront dans cette vie si elles y sont destinées, dans une autre si le sort les a séparées. D’autres encore errent dans l’univers, préférant rester seules que de prendre le risque de mourir de désespoir dans cette quête éternelle.

 

Que vous croyiez en votre âme sœur ou que vous soyez partisan d’une pluralité de moitiés se complétant les unes aux autres, toujours est-il qu’on ne peut échapper éternellement à sa destinée. Certains mettront tous leurs efforts à prendre un autre chemin, qui finira pourtant par rejoindre celui qu’ils avaient tout d’abord évité. D’autres encore se conforteront dans l’idée de l’avoir trouvée, ignorant leur cœur tambourinant dans leur poitrine pour les alerter. Ce n’est souvent qu’une question de temps, car deux être liés finissent toujours par se retrouver. Alors, pourquoi lutter ? Car au fond, que nous pensions être de coton ou de pierre, verre brisé ou diamant, proie ou prédateur, nous ne souhaitons qu’une chose : l’amour éternel et inconditionnel. Car comment vivre sans amour ? Comment rester humain·es, si l’on n’est aimé ? L’amour sous toutes ses formes, quel qu’en soit le destinataire – amour, amitié, famille – nous fait vibrer.

 

Le problème au XXIe siècle, c’est que la plupart d’entre nous sont bi…polaire. Ce qui complexifie légèrement notre quête de l’âme sœur. Comment faire lorsqu’on n’a pas la certitude de la reconnaître ? Quand on ne sait distinguer entre plusieurs âmes, laquelle nous est destinée ? Et même lorsqu’on est certain·e·x de l’avoir trouvée, certain·e·x·s ont un besoin incompréhensible d’auto-sabotage. Et puis, pourquoi se contenter d’une seule âme sœur, quand on peut en avoir plusieurs ? À l’heure de Tinder, des réseaux sociaux, des divorces et des gardes partagées, comment croire encore en l’être aimé ? Et comment s’assurer qu’on a bien trouvé l’âme sœur ? Peut-on être sûr·e·xque celle-ci ne sera pas bipolaire ?

 

La bipolarité est une maladie sérieuse. Tout comme la dépression. Combien d’entre nous peuvent vraiment se targuer, la cinquantaine venue, de n’avoir jamais vécu au cours de leur vie, ne serait-ce qu’une courte dépression ? Être bipolaire se caractérise par des troubles et dérèglements d’humeur, des changements brutaux de comportements. Être un moment joyeux·se, voire euphorique, et l’instant d’après, dépressif. Pouvez-vous affirmer avec certitude n’avoir jamais été bipolaire, même de manière passagère ? J’en doute. J’utiliserai donc ce terme non pas pour dénaturer ou minimiser cette maladie réelle et sérieuse, mais pour nous questionner, interroger notre quête d’identité, de vérité, nos troubles d’humeurs, nos impulsivités.

 

Bipo était le surnom donné à un homme que j’ai profondément aimé. Vous voyez, ce genre de personnes qu’on n’arrive jamais vraiment à oublier ? Qui revient dans votre vie chaque fois que vous vous croyez enfin remise de lui ? LA personne avec qui vous comparez les autres que vous rencontrez, même si vous essayez tant bien que mal de ne pas le faire, et de vous focaliser uniquement sur les qualités ? Oui, mais… Ce n’est pas LUI. Le mien changeait tellement d’avis, passant de « Tu es la femme de ma vie » – enfin, il le disait surtout à qui voulait bien l’entendre, rarement à moi, par orgueil – à « Il faut qu’on s’oublie, on s’est fait trop de mal »… Des montagnes russes, j’en ai gravi de nombreuses dans ma vie ! Surtout avec lui. D’où son surnom de Bipo. Mais au fond, je sais que je l’ai été aussi : indécise, lunaire, bipolaire… Appelez ça comme vous le voulez, il n’empêche qu’on n’est pas toujours très au clair.

 

Mais pourquoi Âmes bipolaires ? Mes amies n’étaient pas du tout fans de ce titre. Comme d’habitude, je n’en ai fait qu’à ma tête. Je trouve qu’il représente à la fois cet homme dont je ne vous dis pas davantage pour l’instant, mais aussi toutes ces émotions contradictoires et décisions contre-productives qui se sont bousculées dans mes pensées pendant toutes ces années, comme vous pourrez le constater. J’ai d’ailleurs écrit comme je pense : en brouillon, dans tous les sens, une ligne oui, une ligne non. C’est ça aussi, être une âme bipolaire : ne pas savoir que faire. Si on n’a plusieurs âmes sœurs, alors est-ce que nos propres âmes se divisent pour essayer de tomber sur l’une d’elles ? Quitte à complètement se fendre en deux, entre la raison et le cœur ? Nos âmes ont vécu et vivront plusieurs vies : n’est-ce pas suffisamment déstabilisant pour que l’on perde parfois notre boussole ? Nager entre deux eaux, n’est-ce pas le propre de nos âmes errantes et meurtries, finalement ? J’en suis en tout cas la preuve avec ce récit.

 

Qui suis-je ? La réponse importe-t-elle vraiment ? Ce que j’aimerais, c’est dialoguer avec votre cœur, votre moi intérieur. Car comment me décrire ? Je me considère comme timide, mais mes amies vous diraient que je suis au contraire extravertie. Grande romantique, je sais aussi être très maladroite, brusque, cassante. Impossible de me mettre en colère : j’encaisse donc longtemps avant d’exploser en plein vol, décoiffant toute personne sur mon passage, en blessant d’autres en même temps. Je suis d’un esprit torturé, mais deviens un bonbon acidulé de positivité pour tout ce qui ne concerne pas ma vie amoureuse. J’aime profondément les gens : c’est pourquoi il m’est souvent difficile de tourner la page complètement, et de dire adieu à un amant avec qui j’ai partagé de bons moments. Je crois toujours en la bonté des gens aussi, souvent un peu trop naïvement. Toujours la première à amuser la galerie, même quand en moi tout est éteint. Souriante, je le suis toujours, même si je suis en proie à la nostalgie. Vivre dans le passé ? Ma principale qualité… handicap ? En tout cas, cela m’a longtemps empêchée d’avancer. Pourtant, ma vie est plutôt heureuse, si l’on n’excepte les traumatismes et les déceptions amicales, familiales, amoureuses. On me décrit souvent comme belle, sexy, mignonne, charmeuse, mais jamais dragueuse. Je suis incapable de séduire un inconnu, car je n’ai pas confiance en moi. Sans doute parce que les inconnus ne m’intéressent pas. Mon passé est sombre, mais chaque fois que je tombe, je me relève, plus combattante et plus forte, des coups et des égratignures sur le corps. Parfois, je ne sens plus rien. D’autres, j’aimerais ne plus exister pour que mes blessures cessent de saigner. Et le lendemain, je me souviens que la vie vaut la peine d’être vécue. Et que les personnes qui nous aiment seront toujours là pour nous tendre la main.

 

Ceci n’est pas seulement l’histoire de ma vie, mais celle de tout le monde. C’est un partage qui, je l’espère, vous sera précieux, dans votre vie amoureuse et bipolaire.

 

Myla Shineers

 

 

 

 

 

Quelque part en Haute-Savoie, début février 2014

 

Enfin dans ses draps. La soirée était douce, mais le cœur n’y était pas. C’était comme si elle n’avait pas appartenu à ce lieu, à cet endroit. Autour d’elle, le monde continuait de bouger. Les gens dansaient, riaient, buvaient. Impossible de distinguer ses amis des inconnus sur la piste, tout était devenu subitement irréaliste. Elle s’amusait, et l’instant d’après, c’était comme si son corps et son esprit se détachaient. Ses musiques préférées défilaient, mais il manquait celui à qui elles la reliaient. Encore une fois, il manquait à l’appel.

 

Avant de sortir au Macumba pour se vider la tête, elle était tombée sur le brouillon de cette lettre, qu’elle lui avait écrite lorsqu’elle était à Paris :

 

M’aimeras-tu toujours ?

J’ai peur, Matt. Peur que tu me laisses partir, peur que tu abandonnes notre histoire. Qui était désormais si prometteuse…

Je ne veux pas t’oublier… Parce que je me suis tellement attachée à toi, j’ai tellement espéré dans les derniers mois de notre relation… J’ai gâché le début… Mais à la fin je misais tout dessus…

J’ai peur… Si tu ne reviens pas, je ne reprendrai jamais espoir. Je me refuserai de tomber amoureuse et d’espérer qqch de mes relations. Je n’ai même pas envie d’avoir d’autres relations.

Celui que je veux, c’est toi. Matt, j’occupais la première place dans ton cœur et dans ton avenir… Laisse-moi y rester. Je te jure que tu ne le regretteras pas.

Mais s’il te plaît, n’abandonne pas. Je passe mon temps à me reposer… Parce qu’au moins, dans mes rêves, je suis toujours avec toi…

Tu m’as appris à ne plus avoir peur d’aimer comme une dingue, alors s’il te plaît, ne brise pas tout cela… Je t’ai ouvert mon cœur… Ne le brise pas en mille morceaux…

Si nous deux c’est fini, je pars loin… Je voulais aller à Genève l’an prochain, mais ça me tuerait d’être là-bas et de ne pas être avec toi…

Je crois que tu ne te rends pas compte… Tu trouveras difficilement quelqu’un d’aussi honnête que moi, même si tu penses le contraire, tout ce que je t’ai avoué, tu ne l’aurais jamais su autrement que par moi, et je n’ai jamais voulu te cacher quoi que ce soit, c’est juste qu’on manquait de communication et que je ne savais comment te dire les choses sans que tu réagisses mal et partes au quart de tour. Tu vas souffrir Matt, et tu ne t’en rends pas compte. Toutes les filles autour de toi, toutes celles que tu rencontreras, te feront de sales coups, et ce par-derrière, sans avoir aucun remords. Mais ça, tu t’en rendras compte plus tard, et tu te souviendras de ce que je t’ai dit, et là, tu me regretteras…

Jamais tu ne retrouveras une femme comme moi.

Jamais tu ne seras aussi bien avec qqn, jamais tu ne seras autant toi-même et aussi peu gêné, jamais tu ne retrouveras ce que tu voyais dans mes yeux, jamais tu ne retrouveras mon regard chez qqn d’autre, jamais tu ne retrouveras notre alchimie, jamais tu ne retrouveras ma bouche, qui s’alliait si bien avec la tienne, jamais tu ne retrouveras mes fesses bombées que tu aimais tant, jamais tu ne retrouveras ma douceur, mon amour, nos fous rires, nos délires… Notre amour fou.

 

Après ses deux premières années d’études, elle était rentrée de Paris. Pour lui, et il n’était pas là. D’abord, elle avait pensé que tout s’arrangerait si elle revenait étudier dans la région, mais rien ne se passe jamais comme prévu. Elle en avait assez d’être mal pour lui, à cause de lui. Elle voulait l’oublier, mais cela lui semblait impossible en restant ici. Chaque fois qu’elle se rendait quelque part, des images de leurs jours heureux lui revenaient en mémoire. Le bord du Léman, les montagnes, les bars, les restaurants, même la chambre chez sa mère, tout la ramenait à son souvenir. Ce soir, elle allait prendre une décision.

 

« Et ce n’est clairement pas l’alcool qui me fait perdre la raison. C’est de la folie, mais je crois que je n’ai jamais été aussi sûre de moi », dit-elle haut et fort, assise en pyjama sur son lit. Puis elle sombra dans les bras de Morphée, trop exténuée pour lutter.

 

***

 

« Papa, maman, j’ai quelque chose à vous annoncer. »

 

Comme à son habitude, son père plaisanta : « Tu es enceinte, ma fille ? »

Et comme toujours, sa mère s’impatienta : « Qu’est-ce qu’il y a ? Mais dis-le-nous à la fin ! »

 

Un sourire nerveux aux lèvres, elle répondit d’une traite :

— Je passe mes examens du semestre, et je pars à Londres. Dans deux semaines, je serai loin.
— Mais ça ne va pas, la tête ! Tu ne vas pas abandonner tes études ! Tu vas faire quoi là-bas, la manche ? C’est n’importe quoi, tu ne partiras pas ! Je n’ai pas payé toutes ces études pour rien !
— Mais maman, je n’abandonne rien. Je comptais partir six mois à l’étranger après l’année et demie qu’il me reste pour avoir mon Bachelor. Je pars juste plus tôt que prévu, et terminerai mes études en rentrant.
— Tu as raison ma fille, c’est une bonne idée. Tu vas devenir bilingue ! s’extasia son père.
— Comme d’habitude, tu l’encourages ! Et qui est-ce qui trinque après ? C’est moi ! Tu vas finir tes études, et tu verras ensuite !

 

Deux semaines plus tard, elle décollait pour Londres. Sans rien devoir à personne, avec ses économies et son obstination.

 

Bien sûr, sa famille et ses amis allaient beaucoup lui manquer. Toujours, elle leur donnait sans compter. Chaque jour, elle passait du temps avec eux, à discuter, les conseiller, se confier, sortir, profiter. Elle était très bien entourée, mais ça ne suffisait pas à la sauver. Elle devait guérir seule, son mal être avait assez duré.

 

Juste avant son départ, comme s’il avait des antennes, il l’avait recontactée. Comme à chaque fois, après un mois à essayer de « s’oublier », il s’était aperçu qu’elle lui manquait, qu’il voulait la voir. Elle l’avait rejoint chez lui, dans son appartement au bord du Léman, là où ils avaient passé tant de bons moments. Après s’être retrouvés physiquement et charnellement, ils avaient mangé des pizzas tout en regardant une série. Puis elle s’était levée, lui avait tendu une lettre avant de filer sous la douche. Quand elle était revenue vers lui, portant l’un de ses tee-shirts de foot en guise de pyjama, les yeux de Matt étaient emplis de larmes. Sous ses airs virils de beau brun ténébreux, il était aussi un grand sensible.

 

— Tu pars quand ?
— Dans une semaine et demie.

 

En gage de sincérité, elle lui confia sa bague en or blanc et diamant. Un solitaire qu’il lui avait offert pour son anniversaire.

 

« Je te la confie jusqu’à mon retour, et on verra où on en est, ce qu’on décide de faire. »

 

« Où on en est. » Tel était l’objet de sa lettre, et de son départ. Parce qu’elle en avait assez de faire le yoyo, sentimentalement, émotionnellement, physiquement.

 

« Tu m’as fait trop de mal, il faut qu’on passe à autre chose, qu’on tourne la page. » Mais à chaque fois, c’était lui qui revenait vers elle. Dès qu’elle commençait à aller mieux, à guérir de lui, il refaisait irruption dans sa vie. Elle pensait souvent à cette image qu’elle avait aperçue sur Facebook, qui faisait un parallèle entre les différentes phases de deuil après une rupture, pour un homme et pour une femme. Les premiers jours, la femme était littéralement effondrée, l’homme très heureux. Elle se faisait consoler par ses amies, lui en profitait pour enchaîner jeux vidéo et sorties – avec coups d’un soir en prime. Les jours, les semaines passaient, et les rôles s’inversaient. La dernière vignette montrait qu’au bout d’un mois, la femme reprenait goût à la vie, elle riait, elle était guérie. Lui réalisait ce qu’il avait perdu, qui il avait perdu, et était atrocement désespéré. C’était exactement ce qu’elle vivait depuis des mois. Il fallait que cela cesse, d’une façon ou d’une autre, quelle qu’en soit l’issue.

 

Amour fusionnel, amour qui brûle les ailes…

 

***

 

♪♫ I need a doctor – Dr Dre, Eminem, Skylar Grey

 

Londres, deux semaines plus tard, 20 février 2014

 

Dehors, c’était le déluge. La pluie incessante en Angleterre n’était donc pas un mythe ! Elle regrettait d’être venue. Elle n’avait plus de vie. Littéralement.

 

« Je me lève, prends mon café, pars travailler… Deux heures de trajet : le métro londonien est bien trop au-dessus de mes moyens, donc je prends le bus. Je travaille dans un petit restaurant au sud de la capitale. Évidemment, j’habite à l’extrême opposé. Le patron est un grand frustré qui crie sur les serveurs et les clients. Avec moi, il est étrangement aimable. Pour l’instant. Je suis venue ici pour améliorer mon niveau de langue, mais l’organisme que j’ai payé n’a pas trouvé mieux que me fixer un entretien dans un restaurant lyonnais. Quel dépaysement ! Le patron, les serveurs, et même la plupart des clients parlent français. Heureusement, pas tous. Les journées sont longues. Entre Patrick le patron hystérique, les clients pas très aimables, et la fermeture interminable, j’ai hâte de retrouver mon lit. Enfin, pas tout de suite. Il me faut d’abord attendre le seul bus qui passe à cette heure-ci, faire un changement, puis marcher dix minutes dans une sombre banlieue londonienne », pestait-elle.

 

« Et si je me faisais agresser, là maintenant ? Au bout de combien de temps seraient-ils avertis ? Comment ? Par qui ? Qui me regretterait vraiment ? Ma famille et mes amis, sans doute. Matt… ? Parfois, j’aimerais mourir rien que pour les écouter parler de moi, de ce que je représentais pour eux. “Myla était un petit rayon de soleil, toujours le sourire aux lèvres, dévouée aux autres, elle donnait sans compter”. Je pense compter pour eux en tout cas. J’ai encore plein de choses à vivre, il ne faut pas que je me décourage », se répétait-elle.

 

Elle regrettait de ne pas avoir pris son spray lacrymo, qui l’aurait un peu rassurée. Elle l’avait bien demandé à sa mère, mais celle-ci ignorait où il était, et avait paniqué en la sommant de rentrer immédiatement si elle ne se sentait pas en sécurité.

« Non, t’inquiète, c’est juste au cas où… »

 

Les dix minutes de marche lui paraissaient une éternité. Elle avait toujours son casque sur les oreilles, ce qui l’empêchait de sursauter au moindre bruissement dans la rue déserte, où tous les paliers de porte se ressemblaient, dans un panaché allant du gris au marron foncé. I am about to lose my mind, you’ve been gone for so long… le titre de Dr Dre, Eminem et Skylar Grey défilait en boucle dans ses oreilles. Pas de quoi lui remonter le moral.

 

Un soir, elle s’était retrouvée nez à nez avec un renard, tous deux s’étaient figés : allait-il l’attaquer ? Puis le renard avait tourné les talons, la tête haute et avec le plus grand dédain. Après un petit footing pour atteindre plus vite l’appartement à cette heure avancée de la nuit, elle filait se réchauffer sous la douche. La salle de bain était si délabrée, si encrassée, qu’elle n’osait rien toucher. Tout semblait se décomposer, même les murs avaient l’air de partir en fumée. Aller se doucher relevait d’une véritable épreuve. Après s’être frottée rapidement le corps et essuyée en prenant grand soin de ne rien frôler, elle terminait sa toilette et allait se coucher. Elle se levait dans quelques heures, pour une nouvelle journée de no-life. « Paie ta vie londonienne ! » soupirait-elle dans son lit.

 

Heureusement, ses colocataires étaient très accueillants. Au total, ils étaient huit dans l’appartement : un couple d’Espagnols avec qui elle allait faire ses courses lors de son jour de repos (lorsqu’elle en avait un) et cinq Italiens. Un matin, alors qu’elle se dépêchait de se faire à manger avant d’aller prendre son bus, les Italiens faillirent faire une syncope en la voyant verser de la sauce tomate froide sur ses pâtes chaudes. Depuis, ils lui cuisinaient de bons petits plats à l’Italienne, et elle n’avait plus qu’à mettre les pieds sous la table. Perfecto !

 

Ils l’appelaient « Red Panettone », en référence à cette brioche aux raisins secs, l’une de leurs spécialités. Un surnom qu’elle devait à son pantalon rouge qui mettait en valeur ses formes. « Move your Panettone, red Panettone ! » plaisantaient-ils en roulant les R.

 

« Le problème, c’est qu’entre les Français du restaurant, et mes colocs italiens et espagnols, je ne suis pas près de progresser en anglais ! » confiait-elle au téléphone à Cléo, l’une de ses meilleures amies.

 

Avant son départ, elle avait recherché une famille pour être au pair. Mais My-la-poisse avait dû trouver une autre solution avant de partir… Il y avait eu la fausse famille d’origine espagnole, qui lui envoyait des photos des enfants, avant de l’informer que pour venir habiter en Angleterre, il lui fallait ouvrir un compte Western Union avec 10 000 pounds dessus, puis envoyer ses coordonnées. Elle n’était pas si naïve.

 

Une seconde fois, elle avait cru trouver une famille, quand elle avait fait la connaissance via Skype de ce monsieur d’origine sud-africaine. Ses enfants apparaissaient à l’écran, assis à l’arrière de sa voiture. Il affirmait avoir besoin d’aide, car sa femme, handicapée, était dans un centre de rééducation. Sa question à propos de son éventuel copain lui avait paru étrange, sans pour autant l’alerter : il voulait peut-être tout simplement savoir si elle allait rentrer régulièrement en France. Manque de chance (pour lui), il avait besoin d’elle à partir de début février. Or ses examens à la fac de lettres se terminaient le 12. « Je crois au destin, si on doit se retrouver, on se retrouvera ! Au pire, je virerai mon au pair pour te prendre toi ! » Peut-être qu’il essayait simplement d’être sympa, mais qu’il ne le pensait pas, se persuadait-elle.

 

Deux semaines après son arrivée à Londres, il l’avait recontactée pour savoir si elle était toujours intéressée. Mais elle s’était déjà engagée auprès de l’agence qui lui avait trouvé un travail et une chambre dans cet « appartement » délabré pour lequel elle avait dû payer un mois de caution. Le loyer était cher, et son salaire couvrait à peine son loyer, son abonnement de bus et ses paquets de pâtes. Elle pouvait donc difficilement partir, encore moins au bout de deux semaines, mais elle avait décidé de rencontrer ce père de famille pour voir s’il était possible de concilier son travail de serveuse et un job d’au pair en part-time.

 

C’est dans un McCafé qu’ils se donnèrent rendez-vous. Ils étaient alors tout près d’un arrêt de métro, pour être entourés de gens de tous côtés, car on ne sait jamais. À peine la conversation engagée, il l’avait coupée en lui disant à quel point ses yeux étaient magnifiques. « #Momentgênant » avait-elle pensé. En sortant, il lui avait demandé : « ça te dérange si on se tient la main ? » « #Momentgênantfoismille », avait-elle hurlé dans sa tête, avant de refuser poliment, tant elle en avait été gênée.

 

Sa détresse était telle, entre les allers-retours travail-appartement miteux, les pluies diluviennes et le mal du pays, qu’elle avait tout de même essayé de se convaincre d’accepter ce travail. Après tout, c’était peut-être dans sa culture, que de tenir la main à son au pair… « Non Myla, tu n’y vas pas ! » : son père, Cléo et Matt étaient unanimes. Obvisouly (elle commençait à être bilingue), elle n’en avait pas parlé à sa mère. D’ailleurs, c’était avant tout par fierté qu’elle ne rentrait pas. Pour ne pas lui donner raison. Mais aussi pour se prouver à elle-même qu’elle en était capable. Elle savait qu’elle était plus forte que ça.

 

— Allô Myla ? Tu cherches toujours une famille ?
— Une famille, j’en ai une, merci. Elle me manque beaucoup d’ailleurs…
— Je connais une famille qui cherche une au pair, dépêche-toi de les contacter !

 

Qui aurait cru que Naim lui sauverait la vie ? Ce blondinet qui faisait le caïd sans cœur, mais qui pourtant avait l’air de tenir à elle. En Haute-Savoie, ils avaient couché plusieurs fois ensemble. Elle avait d’abord été intéressée par lui, avant de douter de sa sincérité, se fiant à sa réputation de Don Juan. Pourtant, il prétendait vouloir être en couple avec elle. Mais elle doutait de leur compatibilité. Et surtout, son cœur à elle était déjà pris.

 

Toujours est-il que grâce à Naim, elle alla rencontrer cette fameuse famille, chez qui une « amie » à lui avait été au pair (il avait bien évidemment couché avec cette « amie »). Famille charmante, digne des séries TV. Appartement typiquement londonien, deux étages au-dessus du rez-de-chaussée, un au sous-sol. Ce qui nous fait quatre niveaux, cinq chambres et trois salles de bain. Un grand séjour, une grande cuisine moderne donnant sur le jardin. De magnifiques tableaux dans toutes les pièces. Fruits frais, lait livré le matin, vin importé de France… Myla se voyait déjà habiter chez eux… et avec eux. Les parents avaient l’air adorables et open-minded. Les enfants, eux, faisaient les timides, leur donnant des airs d’enfants sages. La petite Aurélie, sept ans, pleine d’énergie et respirant la joie de vivre, contrastait avec son frère Pierre, d’un an son aîné, plus grincheux. L’ancienne au pair avait eu beaucoup de mal avec lui. « No problem, je saurai le gérer », se dit Myla.

 

La famille avait vu cinq filles, hésité entre trois, puis deux. Myla leur avait fait bonne impression, mais surtout, elle leur avait fait pitié avec ses deux heures de bus, son appartement miteux partagé par huit personnes, et son restaurant au patron pas très nice. Pour une fois, elle était ravie d’inspirer de la pitié et d’être My-la-poisse !

 

Après un mois de galères et de déprime, une nouvelle aventure s’offrait à elle. Et elle débutait à Clapham Common, au sud de Londres.

 

Les jours, les semaines, les mois, les saisons emportent avec elles les rires, les pleurs, les souvenirs. Le temps passe. Pourquoi PAS TOI ?

 

***

 

Sa vie avait radicalement changé depuis son arrivée chez la famille Slim. Dès l’instant où elle y avait mis les pieds, le soleil n’avait plus jamais quitté le ciel londonien. Le temps était même plus clément ici que dans sa Haute-Savoie natale. Incroyable ! My-la-poisse aurait-elle enfin un peu de chance ?

 

Même Matt était revenu ! « Tu me manques… Quand tu rentres, il faudra qu’on parle. Finis les mensonges, je veux que l’on reparte à zéro. »

 

Super ! Mais elle n’allait pas précipiter son retour pour autant. Son départ aurait été inutile si elle rentrait maintenant. « Il faut que je reste pour nous, pour moi, et pour l’avenir », se répétait-elle. Et elle gardait à l’esprit qu’elle l’avait surnommé Bipo… Pour Bipolaire. À tout moment, il pouvait changer d’avis, par peur de souffrir. Il était capable de passer de « je t’aime, tu es la femme de ma vie », le dire à qui voulait bien l’entendre – souvent tout le monde sauf elle d’ailleurs –, et l’instant d’après, lui dire qu’il y avait eu trop d’erreurs, trop de douleur, qu’ils devaient passer à autre chose et tenter de s’oublier. Ils refaisaient l’amour une dernière fois, puis il soupirait : « il faut qu’on arrête… On s’est fait trop de mal, il faut qu’on tourne la page… »

 

***

 

Haute-Savoie, juin 2014

 

Au début de l’été, elle était rentrée dans la « yaute » pour revoir sa famille, ses amis, et lui, bien entendu. Il y avait un nouveau bar lounge au bord du lac. « Enfin un endroit cool où sortir ! » se dit-elle. Elle y retrouvait tous ses amis, mais aussi son ex, Robin, avec qui cela aurait vraiment fonctionné si la distance n’avait pas eu raison d’eux. Tout le monde allait là-bas, on pouvait danser, boire de bons cocktails, et profiter de la superbe terrasse avec vue sur le lac. Elle y croisa la sœur de Sakina, Amara, qui lui dit avec enthousiasme qu’elle et sa sœur se rendaient à Londres en juillet. « On pourra se faire des soirées ! » Pourquoi pas, après tout, elle aimait beaucoup Amara, qui n’avait rien à voir avec sa sœur à la réputation de mythomane et de fille à embrouilles.

 

Haute-Savoie, souvenirs de l’été 2012

 

Sakina avait été l’une de ses copines. L’été suivant l’année de terminale, elle l’avait rencontrée à la plage. Elle était alors avec Julia, l’une de ses meilleures amies. Julia et Sakina étaient ensemble au lycée. Belle brune aux cheveux bouclés et à la poitrine démesurément proéminente pour son corps très mince, Sakina plaisait beaucoup aux hommes. Au bar et à la plage, elle saluait tout le monde, croyant que tous l’appréciaient, alors que la plupart la critiquaient pour son goût pour les histoires et ses réflexions parfois très gênantes tant elles relevaient d’une absence de culture ou de logique. Sakina sauta donc sur l’occasion de dire bonjour à Julia, qui pourtant n’appréciait pas tellement sa compagnie. En discutant avec elle, Sakina demanda à Myla quel était son prénom. « Ah, c’est toi… » dit-elle en plissant les yeux, l’air suspicieux. Myla comprit tout à coup. Cette fille était l’ex de Bruno, avec qui elle avait flirté en seconde. Ils s’étaient embrassés lors d’un bal de village, et à l’époque, Bruno lui avait demandé de ne pas en parler : « mon ex est très jalouse, il ne vaut mieux pas qu’elle le sache pour le moment… » C’était en fait lui qui avait fini par lui en parler. Leur flirt n’avait duré que le temps d’un été et n’avait pas été très loin. Dans le cas contraire, Myla ne serait pas sortie avec son meilleur ami, Joshua. Ils étaient restés un an ensemble. Joshua était au courant du flirt de Myla et Bruno et ça n’avait aucune importance pour lui. Toujours était-il que même si Sakina savait désormais parfaitement qui était Myla, elles commencèrent à se voir en soirées, malgré les avertissements de Julia : « Myla, fais gaffe, je ne la sens pas. C’est une fille à embrouilles… »

 

Mais elles étaient devenues copines au fil du temps. Myla était partie étudier à Paris, mais elles continuaient à s’écrire et se voir quand elle rentrait voir Matt. Alors qu’elle était de retour pour le week-end, ils sortirent en club : Sakina et Bruno, mais aussi Tomaso, Cléo, et un ami de Matt, Jean, étaient de la partie (et de la party). Ce soir-là, chaque couple s’était disputé. Alors que Myla aidait Bruno à trouver Sakina dans le club, elle aperçut au loin Matt et Sakina en train de discuter. Elle n’avait pas trouvé cela suspect, tout d’abord parce qu’ils n’étaient pas proches physiquement, mais aussi parce qu’elle n’était pas d’un naturel à être jalouse. Pas une seule fois dans sa vie, elle ne se rappelait l’avoir été. Elle courut prévenir Bruno de l’endroit où se trouvait Sakina. Ils partirent tous fâchés : Tomaso et Cléo, Tomaso et Jean, Bruno et Sakina, et Myla et Matt. Ils étaient tous ivres. Le lendemain, Matt avait la migraine et demanda à Myla comment ils étaient rentrés, et ce qui s’était passé dans la soirée, car il avait un black-out, ce qui ne lui arrivait jamais. Myla lui raconta que tout le monde s’était disputé, sans trop savoir l’expliquer.

 

Le lendemain soir, Myla voulut aller boire un verre avec Sakina. Ni l’une ni l’autre n’ayant de voiture, Matt les emmena. Sakina insista lourdement pour que Matt les accompagne. Il refusa. Sakina insista encore et encore, jusqu’à leur arrivée devant le bar. Sur le moment, cela ne parut pas suspect à Myla. Elle se disait que Sakina appréciait la compagnie de Matt, mais que Matt préférait rentrer jouer sur sa Xbox. Le dimanche, ils passèrent la soirée en amoureux avant de prendre le train pour retourner à Paris. En lui disant au revoir, Matt pleura sur le quai de la gare. Chaque séparation leur filait le cafard.

 

Une semaine plus tard, Sakina appela Myla :

 

Salut Babe ! Il t’a dit Matt ?

— Dit quoi ?

— Je ne te l’ai pas dit tout de suite parce que je pensais qu’il te le dirait, mais tu sais quand tu nous as vus tous les deux dans le club ? Il venait de me dire que j’étais magnifique, et il m’a proposé de le voir le lendemain…

 

Myla n’en croyait pas ses oreilles. Elle fondit en larmes, et demanda à son amie Amélie de venir dans sa chambre. Elle résidait alors dans un foyer de bonnes sœurs, avec un couvre-feu à 22 h et interdiction de recevoir toute personne extérieure. Heureusement, elle s’entendait bien avec les autres filles du foyer, elles étaient très soudées. Amélie tenta de la consoler, et appela son copain, de 10 ans son aîné, pour lui demander conseil en tant qu’homme.

 

— Avant toute chose, question : est-ce que cette fille est en rivalité avec toi ?
— Non, c’est mon amie. J’ai flirté avec son mec il y a longtemps, mais c’était bien avant de la connaître…
— Les filles peuvent être perfides, tu sais… Pose la question à Matt, mais demande-toi si ce n’est pas elle qui cherche à te faire du mal et à foutre la merde dans ton couple.

 

Elle ne s’était même pas posé la question. Après tout, Sakina était réputée pour être une mythomane, même l’ex de Myla, Joshua, le disait à l’époque où ils étaient ensemble. Elle avait peut-être toujours de la rancœur vis-à-vis de ce qui s’était passé entre Bruno et elle…

 

Avant d’appeler Matt via Skype, Myla fit quelques recherches sur internet : « Bon, s’il regarde en haut à droite, c’est qu’il imagine, donc qu’il invente. S’il regarde en haut à gauche, c’est qu’il réfléchit et se remémore. »

 

« Je te jure que je ne me souviens pas lui avoir dit ça ! Si c’est le cas, je m’en excuse, vraiment ! Mais je ne me vois pas lui dire ça. Et je te rappelle qu’elle a trop insisté le lendemain pour que je vienne boire un verre avec vous, et je n’ai pas voulu. T’es sûre qu’elle te dit la vérité ? En tout cas si j’ai vraiment dit ça j’en suis vraiment désolé. Mais je ne pense vraiment pas ! »

 

Myla décida de croire Matt. De plus, elle ne voyait pas du tout Matt dire à Sakina qu’elle était magnifique, lui qui faisait si peu de compliments… Et pourquoi proposer à Sakina de se voir le samedi, alors que Myla était chez lui tout le week-end ? Ça n’avait pas de sens.

 

Quelques semaines plus tard, elle reçut un SMS. C’était Sakina, qui lui demanda de but en blanc « c’est vrai que tu avais sucé Bruno à l’époque ? »

 

Ce fut la goutte de trop. Pour qui la prenait-elle ? Et pour qui SE prenait-elle ? Lui écrire comme ça, comme si elle était la dernière des salopes, et ressortir ça des années plus tard, alors qu’elle savait depuis le début que Bruno et Myla s’étaient fréquentés quelque temps. Pourquoi alors en reparler et rentrer dans les détails ? Et si Sakina avait voulu le savoir, elle aurait dû le demander dès le départ, et non pas maintenant que de l’eau avait coulé sous les ponts. Et le demander de cette façon. Ce jour-là, Myla décida de s’éloigner de cette personne toxique et tordue.

 

***

 

Haute-Savoie, juin 2014

 

C’est pourquoi elle ne sauta pas de joie lorsque Amara lui annonça qu’elle viendrait à Londres avec sa sœur Sakina. Fort heureusement, elles dormiraient chez leur cousin. Myla se dit qu’une soirée pouvait s’avérer sympathique, d’autant plus que l’une de ses meilleures amies, Julia, était à Londres elle aussi : elle ne serait pas seule avec les deux sœurs dans une situation gênante, après plus d’un an sans se voir…

 

Le lendemain, elle reçut un message de Sakina « Salut Babe ! Comment tu vas ? Tu me manques ! » Comme par hasard… Myla ne répondit pas. Deux jours plus tard, c’était au tour d’Amara « Salut, Myla, on a un problème pour Londres… Notre cousin ne peut pas nous héberger le premier soir quand on arrive, tu crois qu’on pourrait venir chez toi ? »

 

Myla hésita, puis accepta. « Trop bonne, trop conne… » pensa-t-elle. Elle avait demandé conseil à Valeria, son amie à qui elle avait présenté Sakina. Celle-ci ne sut trop quoi lui conseiller. Idem de Matt. Mais elle savait que si elle refusait, elle se sentirait mal de ne pas les avoir aidées.

 

***

 

 

 

♪♫ Confessions nocturnes – Diam’s feat. Vitaa

 

Londres, juillet 2014

 

Les deux sœurs descendirent du bus, chargées de leurs valises. C’était le premier jour où Myla avait la maison pour elle toute seule : la famille au pair était en vacances. Sakina lui sauta dans les bras « Babe ! Tu m’as trop manqué, ça me fait trop plaisir de te voir ! » Myla ne répondit rien. Elle n’était pas hypocrite. Heureusement, elle avait invité Julia et sa coloc à se joindre à elles. Une belle soirée s’annonçait.

 

C’était sans compter l’apéritif qu’elles prirent chez sa famille au pair.

 

« Et niveau mec, t’en es où ? »

Myla resta évasive, arguant qu’elle verrait bien une fois rentrée en France.

 

« C’est Matt ? »

Myla acquiesça. Le visage de Sakina se décomposa. Changeant de sujet, Myla ne cessa d’y penser durant les heures qui suivirent.

 

Plus tard, dans les toilettes d’un night-club londonien, loin des deux sœurs qui se déhanchaient sur le dancefloor, Myla lança à Julia : « tu as vu la tête qu’elle a tirée quand j’ai parlé de Matt ? » Julia fit une grimace, et lui avoua qu’elle aussi trouvait cela bizarre, et que d’ailleurs lors d’une soirée, Sakina s’était vantée de lui parler et même de pouvoir aller le voir chez lui, dans l’immeuble où se déroulait ladite soirée.

 

« En décembre ?! On est en juillet, tu me le dis que maintenant ?! »

 

Myla était furieuse. Julia lui rappela qu’à cette période, elles étaient en froid : depuis qu’elle avait présenté Julia à son meilleur ami Toni, celui-ci ne lui proposait plus de la voir, ne répondait presque plus à ses messages. Myla s’en était révoltée, demandant à Toni ce que Julia avait bien pu lui dire pour qu’il cesse de lui parler à elle, sa meilleure amie depuis des années, et que leur amitié ne tenait visiblement qu’à un fil. Toni et Julia s’étaient excusés, ne trouvant pas d’explications. Myla avait ensuite réalisé qu’ils avaient sans doute été attirés l’un par l’autre, et avaient voulu s’éloigner, peut-être pour faire le point sur leur attirance. En soirée, ils se prenaient la main et étaient très proches, si bien que Myla se sentait parfois de trop. Sur le moment, elle avait pris personnellement leur éloignement, et en avait voulu pendant quelques semaines à Julia : lorsqu’ils sortaient tous trois ensemble en club, Myla était absolument odieuse, déversant sa haine et lui envoyant des piques à la moindre occasion. Elle s’en était par la suite excusée, et s’en était voulu d’avoir eu un comportement exécrable avec l’une de ses meilleures amies depuis le CM1.

 

Julia rappela cet épisode à la mémoire de Myla, qui ne put qu’acquiescer. « Ça m’apprendra à être si méchante quand je suis blessée », se dit Myla, qui se promit de ne plus jamais recommencer. Julia justifia aussi son mutisme par la mythomanie renommée de Sakina : lors de cette soirée chez l’un de leurs amis communs que Myla leur avait aussi présenté, Julia avait été persuadée que Sakina mentait, comme toujours, voulant faire son intéressante et faisant exprès d’en parler devant Julia pour qu’elle le rapporte à Myla, juste pour la blesser.

 

L’estomac de Myla se noua. En décembre, Matt et elle ne se parlaient plus, ils avaient décidé de s’oublier, de passer à autre chose. Comme d’habitude, il l’avait rappelée un mois plus tard, parce qu’elle lui manquait. Manque de chance pour lui, elle avait déjà pris la décision de partir à Londres, lui avait écrit cette fameuse lettre pour le lui annoncer. Depuis qu’elle était partie, il n’avait cessé de lui écrire, lui dire qu’il voulait qu’ils repartent à zéro, et que quand elle rentrait il fallait qu’ils parlent, « plus de mensonges… » Elle avait interprété cela comme une discussion globale, sur leur relation. Mais en y repensant, il avait beaucoup insisté sur la nécessité de parler…

 

— Ça va babe ? lui demanda Sakina qui venait d’entrer aux toilettes.
— C’est vrai que tu parlais avec Matt en décembre ?
— Oh… Oui, babe, on s’est vus juste une fois, mais je te jure sur le Coran de la Mecque qu’il ne s’est rien passé !
— Pas de souci, on va voir s’il a la même version !

 

Son cœur battait à tout rompre. Elle appela Matt.

 

« Tu parlais avec Sakina en décembre ? » La voix de Myla se brisa.

 

Celle de Matt chevrotait. C’était précisément la raison pour laquelle il voulait vraiment qu’ils parlent quand elle serait rentrée, il ne voulait pas lui avouer alors qu’elle était loin, il n’en avait pas eu la force avant son départ, parce qu’il ne voulait pas la perdre. Il lui demanda pardon, lui expliqua que sur le moment il avait eu un élan de haine, et que lorsque Sakina l’avait contacté, il avait juste pensé à se venger du mal qu’elle lui avait fait. Il lui avoua qu’il n’arrivait plus à se regarder dans un miroir, qu’il avait honte, et lui demandait de lui pardonner.

 

Myla resta sans voix.

 

Matt sanglotait, la suppliant de dire quelque chose. Mais elle en était incapable. Sa gorge était nouée, elle ne parvenait à émettre un son. Puis elle poussa un cri d’une voix éraillée, et s’effondra par terre. Julia tambourina à la porte des toilettes.

 

« Myla, ça va ? Myla, ouvre-moi ! »

 

Julia dut l’aider à marcher pour sortir du club, tant ses jambes tremblaient. Sakina, Amara, et la colocataire de Julia, Elisa, les suivaient. Myla n’arrivait pas à se calmer. Elle suffoquait, toussait à en vomir, pleurait toutes les larmes de son corps. Elle avait l’impression que la terre s’effondrait sous ses pieds. Sa vie était finie. Comment avait-il pu la trahir à ce point, elle, son âme sœur ? Comment avait-il pu lui faire ça ? Elle suffoquait. S’écroulant sur le trottoir, elle se mit à vomir, encore et encore, comme si son estomac expulsait à cet instant toute sa douleur, tout son dégoût, toute sa tristesse.

 

— Babe, je suis désolée !
— Toi, ne m’approche même pas. T’es qu’une grosse p*** ! Et tu oses encore te pointer chez moi ? Me mentir droit dans les yeux ? Me dire que je t’ai manqué ? Mais t’es une m**** ! Casse-toi, je vais te taper !
— Oui, tape-moi, je comprends ! Je suis désolée babe ! »

 

C’était la première fois qu’elle parlait comme ça à quelqu’un. Hors d’elle, elle se sentait incontrôlable : la frapper, lui arracher les cheveux, la traîner par terre, lui donner des coups de pied dans le ventre, et la laisser là, sur le trottoir londonien, tout ça lui traversa l’esprit. Un bus à deux étages passerait par là et la tremperait de l’eau macérée d’une flaque souillée par des chaussures d’inconnus l’ayant piétinée des centaines de fois dans la journée, une flaque stagnante dans laquelle auraient uriné des chiens et des rats. Mais Myla n’avait même pas la force de bouger le petit doigt. Et finalement, elle n’en avait pas l’envie non plus. Elle méritait mieux que ça, elle valait bien mieux qu’elle. Elle ignorait si elle pourrait se contrôler, s’arrêter, si elle donnait ne serait-ce qu’une gifle à Sakina. Elle ne voulait pas finir en prison, surtout pour cette pauvre fille qui n’avait même pas de fierté ni d’honneur, pour faire ça à son amie, et ensuite avoir le culot de débarquer chez elle et lui dire qu’elle lui avait manqué ! Qui faisait ça ? Pourquoi ? Myla était écœurée par l’humanité tout entière, qui lui semblait aussi souillée que le corps de Matt par cette fille que tout le monde jugeait sans cervelle. Plus jamais elle ne pourrait le toucher. Il la dégoûtait.

 

Un peu calmée, elle souffla à Julia : « écoute, il y a ta coloc avec nous, je ne vais pas la laisser à la rue. Et je ne veux tellement plus voir la gueule de Sakina qu’elles vont rentrer dormir, et demain matin je veux que quand je sortirai de ma chambre, elles soient parties. Je ne veux plus les voir, qu’elles disparaissent ! »

 

Elle écrivit à Valeria, elle qui était devenue copine avec Sakina depuis que Myla avait quitté la région. Elle lui dit qu’elle venait d’apprendre pour Sakina et Matt, qu’elle était vraiment déçue, qu’elle ne comprenait pas… Contre toute attente, Valeria ne tomba pas des nues… Et se trahit toute seule en s’excusant de ne pas lui avoir dit.

 

Comment ? Elle qui prétendait qu’elle était sa meilleure amie, que Sakina c’était « juste pour les soirées », juste une copine, mais qu’elle ne pouvait compter sur elle ? Qu’elle, Myla, était une véritable amie, sa meilleure amie. Comment avait-elle pu lui cacher ça ? Comment avait-elle pu lui mentir tout ce temps, droit dans les yeux, même quand elle était venue à Londres voir Myla quelques jours ? C’en était trop. Pour Myla, Valeria avait fait son choix : celui de protéger le comportement complètement déplacé de celle qui était visiblement plus qu’une copine de soirée, tout en cachant la vérité à celle avec qui elle liait une véritable amitié depuis le lycée.

 

Écœurée, Myla lui dit adieu, bloqua son contact sur son téléphone, et sur tous les réseaux. C’était la goutte de trop.

 

Plus le cœur est grand, plus le cerveau se méprend.

 

♪♫ Ma sœur – Vitaa

 

En une soirée, elle avait été trahie par son âme sœur, et celles qui se disaient ses amies. Myla se dit qu’elle ne croirait plus jamais personne, ni en amour ni en amitié. Elle n’avait plus confiance, ni aux autres ni en l’avenir.

 

Dans le bus qui les ramenait chez elle, Amara tenta d’apaiser Myla, et de la réconcilier avec Sakina : « Tu sais, tu étais comme sa sœur pour elle ! Ça lui a fait beaucoup de mal que tu coupes les ponts ! Et quand Bruno est parti vivre aux États-Unis, elle était vraiment malheureuse ! Son visage était couvert de boutons ! Je n’avais jamais vu ma sœur avec des boutons ! » Myla continua de dire que sa sœur n’était vraiment pas une belle personne, et qu’une vraie amie n’aurait jamais fait ça.

 

— Moi, si on m’avait fait ça, je pense que je pourrais le comprendre, et pardonner.
— Ah ouais, vraiment ? Et si je te dis que ton mec et Valeria se sont embrassés en soirée, tu le prendrais comment ?

 

C’était la vérité. Amara en eut le souffle coupé. Puis elle répondit, d’un air faussement assuré : « Je comprendrais, je n’ai pas toujours été très droite non plus. » Mais Myla apprit plus tard que Amara en avait voulu à son copain, et s’était énervée contre Valeria.

 

Elle était encore bien trop gentille pour ne pas les laisser à la porte à deux heures du matin. Mais arrivée devant sa porte d’entrée, son sang ne fit qu’un tour : « où sont mes clefs ? » Elle les avait accrochées à son porte-monnaie qu’elle tenait par la lanière. Elles avaient dû se décrocher dans le club. Ou dans le bus ? Dans la rue ? … Elle fut prise de panique. On lui avait fait suffisamment confiance pour lui laisser les clefs de la maison, c’était le premier soir où elle était seule, sans sa famille au pair, et elle en avait non seulement déjà profité pour faire une soirée – les verres d’alcool étaient encore sur la table de la cuisine –, mais en plus elle avait perdu ses clefs ! Tout ça pour des filles qui ne méritaient pas le moindre intérêt !

 

Julia l’accompagna pour faire le trajet inverse, pendant que les trois autres filles attendaient gentiment sur le palier. Myla n’en voulait déjà plus à sa sœur de cœur, qu’elle savait sincère : elle avait dû réellement penser que Sakina mentait, et n’avait pas voulu faire du mal à sa meilleure amie pour rien. Myla savait qu’elle l’aimait profondément et ne voulait que son bien. D’ailleurs, elle avait toujours été à ses côtés, comme à ce moment précis de sa vie. Myla écrivit au promoteur de soirée qui les avait invitées au club. C’était vraiment la pire soirée de sa vie. Son téléphone vibra : un message du promoteur de soirée, Rudy, qui lui envoyait une photo de clefs qu’il avait retrouvées. Elle reconnut le porte-clef papillon bleu turquoise qu’elle avait acheté en souvenir d’une visite avec les enfants qu’elle gardait, dans une serre peuplée de papillons du monde entier. Elle poussa un soupir de soulagement.

 

Après avoir traversé pour la quatrième fois de la soirée toute la ville en bus, elles étaient enfin de retour devant la maison de sa famille au pair. Les filles avaient disparu. Où avaient-elles bien pu filer à cette heure avancée ?

 

Julia reçut un message de sa colocataire : elles étaient chez une voisine.

 

« Super, elles devaient bien faire du bruit à trois heures du mat pour que la voisine leur propose de rentrer ! Bon, il y a ta coloc, donc quand elles sonneront tu iras leur ouvrir, moi je ne veux plus voir leurs gueules ! Et tu leur dis bien que demain matin elles devront être parties avant midi, et que je ne sortirai pas de ma chambre tant qu’elles ne seront pas parties ! »

 

Quelques heures plus tard, alors que la matinée était déjà bien entamée, Myla entendit Sakina et Amara descendre dans sa chambre. Quel culot ! Myla se cacha dans le grand dressing. Elle avait peur de ne pas contrôler ses gestes, de devenir hystérique et de faire physiquement du mal à Sakina, tant elle était hors d’elle contre cette garce.

 

« Myla est sortie. Elle ne reviendra que lorsque vous serez parties », leur expliqua Julia. C’est alors que les deux sœurs se mirent à insulter Julia, l’accusant d’être à l’origine de tout, que tout était de sa faute, et qu’elle aurait dû « fermer sa gueule » sur le fait que Sakina parlait à Matt en décembre. « Si ça dégénère, je vais sortir défendre Julia ! » pensa Myla. Mais les deux sœurs finirent par partir. « Ce n’est pas trop tôt ! » cria Myla, avant de s’excuser auprès de Julia pour ce mauvais moment. Sakina avait laissé un mot sur la table de la cuisine « Je suis désolée babe, j’espère que tu me pardonneras un jour. »

 

Dans sa crise de panique, Myla avait laissé un message vocal à Cléo. Évidemment, l’hystérie avait rendu son message inaudible et incompréhensible. À son réveil, Cléo lui demanda ce qui s’était passé. « Mais attends d’avoir la version de Matt, je suis sûre que c’est elle qui invente… “C’est lui qui me l’a dit…”, rétorqua Myla. Cléo resta sans voix, et tenta vainement de consoler son amie. Elle trouva tout de même des excuses à Matt : après tout, ils ne se parlaient plus du tout pendant cette période, peut-être avait-il fait cela pour se venger, certes, mais aussi pour couper les ponts définitivement avec Myla, pour être sûr de ne pas revenir vers elle et prendre le risque de souffrir, pour tourner la page pour de bon. Et au moins, il lui avait dit la vérité. Il est vrai qu’il aurait pu nier, prétendre qu’il ne s’était rien passé, et Myla ne l’aurait sans doute jamais su.

 

Alors qu’elle rentrait d’une journée shopping pour tenter de se changer les idées, elle tomba tombée nez à nez avec Sakina et Amara qui trottinaient gaiement dans sa rue. Londres n’était manifestement pas assez grand. “Il y a bien trop de vermines dans les rues londoniennes”, pesta Myla. Les deux filles firent mine d’être surprises de tomber sur Myla, et l’emmenèrent bras dessus, bras dessous. “Viens, on va parler”. Elles commencèrent à s’expliquer sur le palier de la maison. Myla ne tenait pas à ce que ses voisins, Français pour la plupart, entendent leur conversation. Elle les fit donc entrer, dépitée et choquée par tant de culot. “Il t’aime Myla, il me l’a dit ! Et c’est moi qui l’ai contacté…” lui assurait Sakina. Myla lui répondit que ce n’étaient pas ses affaires. Sakina tenta de se justifier :

— Bruno était aux États-Unis, j’étais trop triste…
— Donc sur tous les mecs de Haute-Savoie, tu t’es dit que tu allais te taper mon ex ? Ou tu es tombée dessus par le plus grand des hasards ? Allez, sortez de chez moi ! »

 

Myla claqua la porte derrière elles, et s’effondra sur le paillasson. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Pourquoi tout se terminait toujours si mal ? Qu’avait-elle fait pour mériter ça ? Elle avait dû être une meurtrière dans une autre vie pour subir toute cette souffrance dans celle-ci.

 

« Qu’est-ce que tu veux ? » répondit-elle sèchement à Matt, qui venait de l’appeler. Elle lui en voulait tellement ! Elle ne savait pas si elle était capable de lui pardonner. Il lui redit à quel point il était désolé, que ces mois avaient été les plus longs de sa vie, qu’il avait voulu lui dire, mais pas comme ça, pas alors qu’elle était si loin de lui. Il ne pouvait pas se regarder dans un miroir, et il ne se pardonnerait jamais ce qu’il avait fait.

 

***

 

 

 

 

 

 

 

♪♫ Habits – Tove Lo

 

Elle alla courir dans le parc de son quartier. Tove Lo défilant dans son casque, elle se disait qu’elle aussi, elle devait rester forte : « You’re gone and I gotta stay high all the time… To forget I’m missing you. » Il était parti, de son cœur, de sa tête. Il n’existait plus pour elle. Comment peut-on faire une chose pareille à la personne qu’on aime ? Comment peut-on se venger de celle qu’on disait être la femme de sa vie ? Elle ne comprenait pas : elle savait qu’elle lui avait fait du mal, beaucoup de mal, qu’il avait souffert, mais la détestait-il au point de l’humilier ? Il lui avait fait la pire chose qu’on puisse faire à une femme : coucher avec son amie. Ancienne amie, mais cela revenait au même. Il l’avait fait. Ils l’avaient fait. Chacun avait voulu se venger d’elle, d’avoir été rejeté d’elle. Aujourd’hui, ils lui demandaient pardon. Pardon ? Ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Ils l’avaient prémédité, ils étaient allés jusqu’au bout. « Trompée par mon cœur, trahie par ma sœur… » : la chanson de Vitaa résonnait dans sa tête. Jamais elle n’avait imaginé vivre ce qu’elle racontait.

 

Myla avait perdu toute confiance en elle, et songeait sérieusement à mettre fin à ses jours tant la douleur qui transperçait sa poitrine était forte. Puis elle pensa à son père, sa mère, ses frères, ses grands-parents, ses amis. Elle ne pouvait pas leur faire ça. « Au moins, ces deux-là s’en voudraient toute leur vie ! » Un instant, elle se demanda si Matt prendrait la parole à ses obsèques. Et si ses amies lui disaient à quel point elle l’avait aimé, à quel point il avait été stupide.

 

Le lendemain, elle décida d’organiser une soirée en petit comité. C’était sans compter Naim et son ami Benoît, qui avaient ramené des filles. Benoit était l’ex de sa copine Coralie, et Naim était… Son ancien et nouveau plan cul. C’était grâce à Naim si elle habitait aujourd’hui chez cette merveilleuse famille.