Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Annie, jeune femme de 26 ans, n’a jamais rencontré son père et ne connaît de lui que son prénom, Duncan. Alors qu’elle avait accepté son absence, un tatouage énigmatique, une rencontre inattendue et un colis mystérieux surgissent avant une cérémonie importante, bouleversant ses plans pour l’avenir. Poussée par ces indices, Annie se lance dans une quête à la recherche de son géniteur pour enfin comprendre qui elle est réellement.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Eloïse S. Julee, dont la créativité et l’imagination débordent, trouve dans l’écriture une forme de thérapie personnelle. Son ouvrage, "Aurore – Programme 610", est le résultat de quatorze ans de dévouement. Il tient une place spéciale dans son cœur, car ses personnages l’ont aidée à surmonter de nombreux défis.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 455
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Eloïse S. Julee
Aurore
Programme 610
Roman
© Lys Bleu Éditions – Eloïse S. Julee
ISBN : 979-10-422-3376-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’amour est le seulrêve qui ne se rêve pas.
Paul Ford
Le 10 avril, au petit matin
Je n’aurais jamais imaginé en arriver là. Je ne pensais pas que ma vie pourrait changer si rapidement, si drastiquement.
L’air est doux, au loin, j’entends le va-et-vient des vagues sur la plage. Une douce brise entre par la fenêtre. Mike est tout endormi à côté de moi. Je le regarde tendrement, nous nous sommes mariés depuis à peine deux jours et j’ai l’impression pourtant que cela fait bien plus longtemps.
Sur son torse, sa main est posée et à son annulaire, son alliance. Je souris en la regardant. Puis, mes yeux se posent sur la mienne, et donc indubitablement, sur le tatouage de mon poignet.
J’étais consciente que ce mariage allait changer ma vie, mais je ne pensais pas à ce point. La vie est surprenante. Tout peut changer en une journée. Elle est pleine de surprises et d’épreuves qui nous permettent de grandir.
Je me suis doucement extraite du lit pour aller profiter du lever du soleil. Mike a bien moins de mal à dormir avec le décalage horaire. Mais ce n’est pas grave si cela me permet de voir des spectacles que la nature nous offre.
***
Étant une enfant née de père inconnu, je me suis toujours demandé d’où je venais. Ma mère n’appréciait pas parler de lui. Je me disais qu’il avait sûrement dû lui briser le cœur ou bien qu’il s’était avéré être un criminel, l’un ou l’autre. Elle avait jugé qu’il ne méritait pas de me connaître ou que j’étais bien mieux sans lui. En tout cas, c’est ce dont je me suis convaincue pour ne pas me dire qu’il n’avait jamais voulu de moi, qu’il ne m’avait jamais aimé. Je grandis donc sans figure paternelle pendant les 15 premières années de ma vie. Avant que ma mère ne rencontre Philippe – Phil – et ne l’épouse. En plus d’un père, ma mère s’était dit qu’une sœur serait bien pour moi. Phil et sa fille Alexie aménagèrent le lendemain de leur mariage.
Malgré ce tout nouveau « père », connaître l’identité de mon géniteur m’avait depuis toujours titillé. J’avais toujours voulu savoir de qui je tenais mes yeux verts et mon franc-parler qui n’a rien à voir avec ma mère, croyez-moi.
En ce qui concerne mes relations avec ma nouvelle sœur, Alexie, que la relation de ma mère m’avait imposée, maintenant, nous sommes en très bon terme. Elle est d’ailleurs, l’une de mes meilleures amies. Avec seulement un an d’écart, nous avons eu un départ compliqué, mais au fil des mois, nous nous sommes apprivoisées, pour devenir des confidentes.
Aujourd’hui avec Sypora, mon amie d’enfance, et ma sœur, nous avons bâti une entreprise d’événementiel « ASA », pour nos initiales : Annabelle, moi ; Sypora et bien sûr, Alexie.
***
Le soleil est encore couché. Dans la salle de bain, je me prépare, et à chaque fois que mon bras passe devant le miroir un petit pincement au cœur me perturbe. Je pense à la vie, à ma vie. L’un de ces moments philosophiques, où on réfléchit à nos choix et notre passé. En ce qui me concerne, je pense également beaucoup au futur. Pour une jeune mariée que je suis, c’est tout à fait normal me direz-vous, mais je ne pense pas trop à mon avenir avec Mike. Ce n’est pas cela qui me préoccupe. Je suis angoissée par tout ce qui a été dit sur ce tatouage sur mon poignet, sur mon père… Oui, on m’a parlé de mon père pour la première fois il y a quelques jours. Et aujourd’hui, après des années à avoir rêvé savoir son nom, j’aurais tendance à me raviser. Je n’étais pas si malheureuse à ne rien connaître de lui, finalement.
Je suis de base anxieuse, mais après ce que j’ai appris la veille de mon mariage, je ne peux m’empêcher de penser à ce qui va pouvoir m’arriver de par les origines de mon géniteur.
Mes yeux font des va-et-vient entre mon tout nouveau tatouage et mon alliance. Ma vie a bien plus changé ces deux derniers jours que je ne l’avais imaginée, il y a une semaine à peine. J’espère que cet inconnu avait tort. Après tout, pourquoi croire une personne que je n’ai quasiment jamais vue ? Comment faire confiance à un étranger après seulement deux conversations ? Peut-être m’a-t-il menti ? Mais alors, quel était son intérêt ? Mon cerveau bouillonne de questions.
J’ai besoin d’air, de sortir de cette chambre.
Il m’a fallu marcher à peine cinq minutes pour arriver sur les rochers en bords de plage. La lumière commence doucement à arriver. Il y a encore tant d’inconnu et de réponses à trouver.
J’ai ouvert les bras pour me sentir totalement libre. Le vent me porte. Pendant un court instant, je n’ai plus pensé à rien. Tout me semble facile et léger. Puis, rapidement, des images des évènements des derniers jours sont venues me hanter. Ils viennent altérer ce bon moment. Je ferme les yeux pour les accueillir, apparemment lutter contre n’arrange rien.
Je me remémore tous ces détails qui étaient annonciateurs de ce que je suis devenue, de ce que j’ai apparemment toujours été à cause de mon père… Ou bien serait-ce « grâce à lui » ?
L’avenir nous le dira.
Le ciel est magnifique ce matin. Je m’assois et prendre mes jambes dans mes bras telle une petite boule. Je me sens bien en sécurité. Je souris et pleure en même temps de la chance que j’ai d’être ici, maintenant. Je regarde mon tatouage, le caresse du bout des doigts : « on va trouver des réponses. On va comprendre ce qu’il s’est passé. Tout va bien se passer », ai-je dit à mon avant-bras.
Pour saisir l’ampleur de ce que j’ai appris sur ma famille paternelle, il faut d’abord remonter le temps d’une semaine avant mariage, le jour de mon anniversaire.
Pourquoidemander plus et prétendrerestertoujours en fête, alors que les fêtes n’ont qu’un temps ?
Christian Chabanis
Je suis née un 2 avril, il y a 26 ans
Cette année fut un peu particulière, car en plus de fêter mon anniversaire, nous avions pris la décision de combiner avec mon enterrement de vie de jeune fille. Alexie et Sypora avaient pris en charge l’organisation de cette soirée qui s’annonçait festive.
C’était une excellente idée, pour laquelle j’étais totalement partante et motivée, mais à l’approche de la date, mon enthousiasme disparaissait. Depuis près d’un mois, j’étais sujette à des malaises plus ou moins importants. Je gardais le secret ne voulant inquiéter personne. Ma mère et mon fiancé, Michaël, étaient tous deux de nature inquiète et leur comportement avait bien changé depuis plusieurs semaines. Mike était plutôt distant et froid, prétextant toujours avoir beaucoup de travail. Ma mère, en revanche, était bien trop présente. Elle avait toujours été très protectrice m’ayant élevée seule, mais elle était devenue étouffante de par sa présence ou ses vingt appels par jour.
Tous ces changements que je vivais et auxquels je me préparais m’épuisaient et m’angoissaient. Je n’arrivais pas à déconnecter. Je tentais de me changer les idées dans le travail, mais la saison des mariages arrivait et j’étais indubitablement ramené à penser au mien et tout ce qu’il restait encore à faire.
Je pensais que cela serait pour moi plus simple de préparer mon « grand jour », mais même si cela était mon travail, l’anxiété était bien présente et handicapante. En plus de l’aspect simplement matériel, l’aspect émotionnel était bien plus important notamment vis-à-vis de ma mère.
Elle eut beaucoup de mal à se faire à l’idée de ce mariage lorsque je lui avais annoncé quelques mois plus tôt. Mike et moi, nous nous étions rencontrés, à peine six mois plus tôt. Selon elle, notre décision fut bien trop rapide, irréfléchie et immature. Toujours d’après elle, je ne le connaissais pas suffisamment. Elle m’avait répété cette phrase des centaines de fois, tandis que pour moi, épouser Mike avait toujours été une évidence.
Un autre aspect qui était compliqué pour moi à gérer avait été l’absence de mon père. À l’approche de la cérémonie, je m’étais rendu compte qu’elle était devenue de plus en plus pesante. Je désirais comprendre pourquoi il ne me conduirait pas devant l’autel retrouver Mike. Ma mère n’avait jamais aimé me parler de lui, éludant à chaque fois mes questions. Cela faisait bien longtemps que j’avais cessé de lui en parler. Mais la fissure de cette absence s’était progressivement agrandie et était devenue un grand vide.
La veille de mon anniversaire, n’arrivant pas à trouver le sommeil tant les questions au sujet de celui qui m’avait créé tournaient dans ma tête, j’avais pris une grande décision. Un de ces choix qui pourrait à jamais changer ma vie. Je prévoyais engager des démarches pour le retrouver à mon retour de voyage de noces. Je savais que je n’avais pas le temps en seulement une semaine, mais j’étais bien décidée à savoir ce qu’il s’était passé. J’étais convaincue que sans réponse claire je ne réussirais jamais à complètement faire le deuil de ce père inconnu.
***
Lorsqu’Alexie et Sypora arrivèrent cet après-midi-là, je ne me sentais pas du tout prête à les recevoir. J’étais stressée et bien fatiguée après une nuit agitée. Cela faisait plus de deux nuits, j’étais réveillée en sueur presque en pleurs, à la suite d’un cauchemar. C’était toujours le même : moi, enfant, je jouais dans une forêt. Mes parents : mon père et ma mère, les deux étaient assis un peu plus loin, devant un chalet. Ils me regardaient en souriant. Mon père s’approchait de moi. Il se mettait à jouer avec moi quelques instants jusqu’à ce que deux colosses, des géants n’arrivent et ne l’amènent. Ma mère hurlait. Je hurlais. La douleur était déchirante. J’essayais de les suivre, mais je n’arrivais pas à courir.
Après ce genre de rêve, les matinées étaient particulièrement compliquées. L’absence de mon père me hantait tout au long de la journée. Ce n’était pas la réalité et pourtant, les images étaient si claires et si réalistes.
Je me dis que de passer des moments avec Sypora et Alexie, pourrait peut-être aussi me changer les idées et me faire penser à quelque chose de plus agréable. Elles étaient toutes enjouées en entrant dans mon appartement plein de cartons. Nous avions créé un petit coin confortable pour nous préparer. Café/thé, biscuits nous accompagnèrent cet après-midi-là, comme pour nous soutenir dans ces préparatifs intensifs ; au programme : manucure, pédicure, maquillage, coiffure et choix de la tenue pour la fameuse soirée anniversaire/enterrement de vie de jeune fille.
Elles se faisaient un plaisir de passer ce moment à trois et malgré ma fatigue et mon humeur maussade, je n’avais pas osé changer les plans.
Je reçus un coup de téléphone de Mike pour prendre des nouvelles à la fin de son service. En raccrochant, j’eus le sourire, mais une simple remarque de Sy concernant mon fiancé m’énerva. Elle n’était pas la plus grande fan de Michaël contrairement à ma sœur. Comme si elle se méfiait de lui. Alexie désamorça la dispute en faisant son apparition une robe sur un cintre devant elle : « Et les filles, vous pensez quoi de celle-là ? »
Très contrariée, j’avais tout de même ri aux éclats avec Sy lorsque nous avions aperçu Alexie et son air songeur. Heureusement qu’elle était arrivée à ce moment-là sinon le ton n’aurait fait que monter. Sypora et moi avons toujours été deux têtues pouvant se prendre la tête pour des bêtises, mais refusant obstinément reconnaître nos torts.
J’ai toujours été plus émotive et ai toujours pris les choses bien plus à cœur que ma meilleure amie. Les remarques mêmes anodines pour elle, pouvaient profondément me blesser. Avec son franc-parler légendaire, elle n’avait jamais réellement réfléchi avant d’ouvrir sa bouche. Il était plus facile pour elle de s’excuser quelques heures plus tard, que de faire attention aux mots qui sortaient de sa bouche. Je lui en voulus plus d’une fois, mais je dus aussi apprendre à m’endurcir et à ne pas tout prendre au premier degré.
Je m’étais énervée avec sa remarque parce que ma mère faisait toujours les mêmes et que j’aimais profondément Mike. Elles n’avaient pas à l’aimer plus que tout, c’était mon job, elles devaient seulement l’accepter et me soutenir dans mon choix de vie.
Cela semblait si compliqué pour elles que ça me rendait triste d’entendre chaque critique qu’elles formulaient à son encontre.
Au beau milieu d’une conversation, fort intéressante au passage, la sonnette de l’entrée retentit. Je fus surprise de la voir : « Maman ? Je ne m’attendais pas à te voir si tôt !
Le paquet offert par ma mère contenait un cahier, dans lequel elle avait rédigé l’histoire que j’aimais tant quand j’étais petite. « Merci maman… Je l’adore ! Je pourrai la lire quand je n’arriverai pas à dormir, disais-je ironiquement.
Je serrai le carnet contre ma poitrine. Puis, je pris le temps de le feuilleter de nouveau en prenant le temps de le lire. De magnifiques dessins de sa main accompagnaient et valorisaient le texte.
Katie venait d’avoir son diplôme, bien qu’elle soit très jolie, aucun garçon ne l’invita pour le bal. Elle était trop timide et discrète pour intéresser les garçons de son âge. Elle décida de prendre son courage à deux mains, et de s’y rendre seule. Quand elle arriva dans sa belle robe rouge, tout le monde l’admira. Tous se demandaient qui était cette belle jeune fille. Duncan, un charmant jeune homme, se décida à l’inviter à danser. Une danse… deux danses… trois danses… en fait, ils dansèrent ensemble toute la soirée. Quand elle rentra chez elle, elle se sentait pour la première fois profondément heureuse. Duncan avait été si gentil avec elle.
Elle se croyait comme dans un conte de fées. Les deux se retrouvèrent le lendemain, et ils tombèrent amoureux. Mais un jour, Duncan disparut et Katie se retrouva seule sans bien comprendre.
Katie ne comprit pas bien pourquoi Duncan était parti. Elle attendit qu’il l’appelle pendant plusieurs jours, des semaines… La jeune femme était vraiment très triste, elle ne pensait qu’à lui.
Un mois et demi plus tard, Duncan frappa à sa porte. Katie lui sauta au cou tellement il lui avait manqué. Après qu’il se soit expliqué et excusé de l’avoir laissée, elle lui pardonna.
Environ un an plus tard, le couple se maria et Katie accoucha d’une magnifique petite fille, qu’ils appelèrent Belle. Ce bébé était magnifique… Cette petite princesse grandit et fit le bonheur de ses parents.
***
Cette histoire avait toujours été ma favorite et je ne savais trop dire pourquoi. Ma mère avait commencé à me la raconter autour de mes quatre ans. Je l’avais toujours trouvé belle. Il y avait quelque chose dans la voix de ma mère qui me réconfortait lorsqu’elle racontait, en particulier, cette histoire.
***
Pendant qu’Alexie était en train de s’occuper de ma manucure, il se produisit ce que je redoutai depuis leur arrivée. Dans mon poignet gauche, je commençai à ressentir des picotements tout le long de mon bras. Étant donné que ce n’était pas la première fois, je sus immédiatement ce qu’il allait arriver à partir de ce moment. J’espérais réellement y échapper. Dans la foulée, mon crâne se mit à me faire mal. Je me reculai dans le fauteuil pour poser ma tête contre le dossier. J’avais machinalement fermé les yeux pour me concentrer sur ma respiration et ne pas tomber dans les pommes comme cela avait pu m’arriver plusieurs fois ces derniers jours. Je sus que mes jambes ne supporteraient pas mon poids si je me levais. Ce jour-là, tout s’était très rapidement amplifié. Ma tête s’était soudain mise à tourner. Tout tanguait, malgré le fait d’être immobile. J’avais comme le mal de mer. Je n’entendis plus que le son de mon cœur dans mes tempes. J’essayai de tout faire pour ne pas vomir.
Ma main était si douloureuse… Le mal était de plus en plus intense. J’avais l’impression que quelqu’un versait de la cire brûlante sur le poignet. Quand mes ongles furent finis d’être colorés, je secouai mes mains en espérant faire disparaître les fourmillements. Cette tentative se solda par un échec cuisant. Non seulement j’avais encore mal, mais la douleur s’était de nouveau intensifiée. Ma tête allait exploser. Mes yeux étaient ouverts, mais je n’arrivais pas à bouger. Je regardais le vide, avec la sensation que mes joues étaient bouillantes et rouge vif.
« Tu vas bien, Annie ? Tu fais une drôle de tête… m’avait demandé ma sœur.
La sensation que mon poignet ne cessait de gonfler devenait à chaque seconde qui passait plus insupportable.
La douleur finit par m’accorder une courte trêve. J’en avais profité pour aller, d’un pas rapide, dans la salle de bain. Heureusement, mon appartement n’était pas très grand et j’y étais vite arrivée. Une chose qui avait marché dans le passé avait été de passer mon bras sous l’eau tiède, puis brûlante. Sur le coup, cela m’avait, une nouvelle fois, apaisée. J’avais fermé les yeux de soulagement. Je pensai la crise maîtrisée et surtout terminée.
Mais, sans prévenir, un nouveau vertige me secoua. D’un seul coup, mes jambes se dérobèrent. Je me retrouvai très vite couchée par terre sans bien comprendre ce qu’il venait de se passer. Dans ma chute, je m’étais cogné la tête contre le rebord de la baignoire. J’étais restée sonnée un instant, avec une douleur intense à l’arrière du crâne. En rouvrant les yeux, je crus alors apercevoir la silhouette d’un homme devant moi. Je clignai des yeux pour faire une mise au point. Elle disparut lorsque je les rouvris : « Merde… Ce n’est pas vrai… pas aujourd’hui… » avais-je pesté en frottant ma bosse.
J’eus quelques difficultés à me redresser. Je m’adossai au mur le temps de reprendre totalement mes esprits. Alexie était s’inquiète parce qu’elle me demanda comment je me sentais et si j’avais besoin d’aide. J’entendis la voix de Sypora dire tout bas à ma sœur que j’allais bien, avant même que je ne réponde. Cela m’avait surprise, mais pas non plus choquée. Mon corps était à cet instant ma priorité. Il fallait que je retrouve ma force et mon énergie.
Une minute après avoir dit à ma sœur que j’allais bien, les picotements reprirent de plus belle… « pas encore ! » avais-je murmuré de rage. J’avais essayé de me relever, mais mes jambes, elles, avaient refusé. J’avais l’impression de sortir d’une intense séance de musculation. Elles étaient toutes molles et faibles. Je m’étais enveloppé l’avant-bras dans une serviette humide. J’étais prête à tout pour que cette sensation horrible disparaisse pour de bon.
À chaque mouvement de la main, même infime, une douleur se manifestait dans mon poignet et remontait le long de mon bras jusqu’à l’intérieur du coude. J’avais pris de grandes inspirations pour contrôler l’agacement qui montait en moi et ne pas céder à mon instinct de hurler à pleins poumons. Comme je ne voulais pas inquiéter Sy et Alexie, j’avais attrapé un pull-over qui traînait, je l’avais placé entre mes dents et en serrant de toutes mes forces, j’avais crié, le tissu amortissant le bruit.
Il m’avait fallu encore un peu de temps pour retrouver mon « état normal » et pouvoir sortir de la salle de bain et rejoindre les filles. Je me sentais fébrile, mais mon absence devenait trop longue pour prétendre que tout allait bien. J’avais rassemblé le peu d’énergie qui me restait pour y retourner l’air de rien, malgré la bosse à l’arrière du crâne et la sensation de gêne dans le poignet.
Dès mon arrivée dans le salon, Alexie m’avait demandé l’air inquiète : « Ça va ? Tu es toute pâle.
Sa réaction me parut bien étrange, un peu brutale même. Si j’avais aussi mauvaise mine qu’Alexie ne l’avait remarqué, je ne comprenais pas l’assurance de Sypora à répondre à ma place. Mais d’un côté, cela m’arrangeait et m’évitait de répondre trop rapidement. J’avais bien choisi mes mots pour aller dans le sens de Sy. Peu importe la raison pour laquelle elle avait parlé à ma place, l’essentiel c’était qu’elles ne se doutent jamais de ce qu’il venait de se passer dans la salle de bain.
J’avais dû répondre quelque chose du genre : « Oui, ça va, Alexie. Sypora a raison, il faut se dépêcher, ça ferait tache d’arriver en retard à son propre anniversaire. »
Après plusieurs heures supplémentaires de préparatifs, nous avions quitté l’appartement sur notre 31. Dans la voiture nous conduisant au restaurant, ma tête s’était remise à bourdonner. Les lampadaires sur le bord de la route s’étaient comme éteints sur notre passage.
Un visage d’homme était apparu sur la vitre arrière. Depuis plusieurs jours, j’avais l’impression d’apercevoir cette même figure sans savoir qui il était. Il y avait quelque chose dans ses traits qui me paraissaient familiers, mais j’étais bien incapable de dire où et quand j’avais pu le rencontrer. Comme les fois précédentes, l’image s’était très vite évaporée. J’avais eu le temps de reprendre mes esprits, juste au moment où Sypora se garait devant le restaurant.
La salle était déjà bien pleine pour nous accueillir. Les invités étaient tous là, à notre arrivée. Je m’étais faufilée discrètement pour aller saluer ma mère et rejoindre Mike.
Une chose à connaître me concernant : ce n’était pas moi qui avais organisé cette soirée. Je n’ai jamais été à l’aise au centre de l’attention et ce soir, j’allais l’être et beaucoup de monde était présent pour moi. Évidemment que j’étais touchée que toutes ces personnes se soient déplacées pour moi, mais ce dîner d’anniversaire allait me demander beaucoup d’efforts, spécialement après ce qu’il s’était passé à mon appartement plus tôt.
Après avoir bu quelques verres d’alcool, le buste de l’homme était réapparu devant mes yeux. Cette fois-ci, il était plus net, je pouvais même apercevoir son cou, ses épaules, le haut de son torse. Son regard était tendre et amical. Il avait disparu aussi vite qu’il était apparu. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait ces jours-ci. Pourquoi ce visage ? Qui était cet homme ? étais-je en train de devenir folle ?
J’avais l’impression de perdre la tête.
J’étais épuisée. Je m’étais ressaisie avant d’être repérée. Tous les invités s’étaient cotisés pour m’offrir un week-end à deux dans un superbe ranch tout inclus. J’avais toujours rêvé de monter à cheval, mais ma mère trouvait ça trop dangereux… oui, elle a toujours été beaucoup trop protectrice.
Croyez-moi, j’ai essayé de profiter autant que possible de ma soirée.
Les deux ou trois apparitions supplémentaires avant de quitter le restaurant pour une tournée des bars, afin de célébrer mon enterrement de vie de jeune fille, ne m’avaient pas dérangée. L’alcool m’avait aidée à les faire disparaître et je dois avouer qu’après beaucoup de verres, je m’étais bien amusée.
Il faut se ressembler un peu pour se comprendre, mais il fautêtre un peudifférent pour s’aimer.
Paul Géraldy
En y repensant aujourd’hui, à l’autre bout du monde, je crois que c’est à partir du lendemain de mon anniversaire que je peux affirmer que ma vie à changer. Je ne l’ai pas tout de suite réalisé, il m’a même fallu presque une semaine pour comprendre à quel point ce qui peut paraître un détail un jour, peut devenir central dans votre vie le matin suivant.
Je regarde mon poignet et me souviens de la première fois où j’ai vu ce dessin pour la première fois.
***
Le 3 avril, en début d’après-midi
Après une nuit de folies, je m’étais réveillée dans ce qui ressemblait être l’appartement de Sypora après une tempête. Je m’étais redressée avec difficultés ayant la sensation d’être passée dans une machine à laver. Mon corps semblait peser plus d’une tonne. Ma gorge était sèche comme un désert, et ma tête était douloureuse.
L’appartement était dans le même état que moi. Il y avait des vêtements partout, du pop-corn, des verres à moitié vides, des guirlandes et même des taches de chocolat écrasées au sol…
La fête de la veille avait été la plus grande accumulation de folies que j’avais eu l’occasion de vivre – et je ne pense pas réitérer de sitôt –. Sous la pression de mes amies qui pensaient que je ne serais plus vraiment libre après le mariage, j’avais bu toutes sortes de mélanges d’alcool tous plus écœurant les uns des autres. J’avais réellement abusé. Et de ce fait, à mon réveil, je ne m’étais pas souvenue de tous les détails. Ne pas se rappeler de tout ce qu’on a fait la veille est très perturbant.
Chaque mouvement me donnait l’impression que ma tête allait exploser.
Une fois levée, je m’étais directement dirigée vers la salle de bain pour me laver le visage espérant calmer la douleur. J’avais très soif et j’espérais innocemment qu’un peu d’eau sur le visage me ramènerait des bribes de ce qu’il s’était passé.
J’avais dû enjamber quasiment toutes mes amies. Une fois les obstacles humains franchis, j’avais repris mon souffle comme après un marathon. J’avais retiré un escarpin vert pomme du lavabo. Le bruit de l’eau qui coulait, m’avait bercée durant de très courtes secondes. Ma tête avait arrêté de me faire mal pendant ce court laps de temps.
Je m’étais donc passée de l’eau sur le visage. Quand j’avais relevé les yeux, j’avais eu peur de mon propre reflet. L’eau ruisselait dans mes yeux. Je voyais complètement flou, mais suffisamment clair pour me rendre compte que je ne ressemblais à rien… mes cernes étaient d’immenses cercles noirs contrairement à mes yeux qui étaient minuscules. « Plus jamais » avais-je chuchoté. J’avais attrapé une serviette pour m’essuyer. J’avais aperçu comme une ombre sur mon poignet gauche, mais je n’y avais prêté aucune attention.
Sans prévenir, un vertige m’avait secouée. Je m’étais agrippée comme j’avais pu au lavabo pour éviter de me retrouver les fesses sur le carrelage ou de me cogner. En baissant le regard, j’avais revu comme une tache sur mon poignet. J’étais bien trop préoccupée à ne pas tomber pour prendre le temps de bien regarder, mais j’étais quasiment certaine d’avoir vu une forme noire.
Une fois mes esprits retrouvés, j’avais observé plus attentivement mon avant-bras. Toutefois n’osant pas l’examiner directement, je l’avais observé à travers le miroir. Il y avait bel et bien une chose noire et imposante. Cela m’avait tout l’air d’être un dessin. « Du marqueur », avais-je immédiatement conclu en souriant, pensant à mes copines et leurs blagues. J’avais donc frotté pour l’enlever. Malgré le savon, l’eau et mes frictions, rien ne s’effaçait. J’avais seulement obtenu une peau toute rouge, qui me brûlait. La couleur des traits était toujours aussi intense.
Doucement une pensée m’était venue en tête… mais c’était impossible que ce soit ça : un tatouage. Mais ce ne pouvait être ça. C’était forcément un dessin au marqueur.
Je m’étais attardée sur la tache noire pour en distinguer le motif. Cela ressemblait à des arabesques. Elles s’étendaient jusque sur ma main. C’était gigantesque pour une blague ! Comment mes copines avaient-elles pu me laisser faire ça à une semaine du mariage ?
Me sentant totalement perdue et étant seule, j’avais profité de ce silence pour prendre une douche. Chez Sypora, c’était comme mon deuxième appartement, alors j’avais en permanence des affaires chez elle. Sous la douche, je trouvai d’abord du calme et de la sérénité. Puis, progressivement, sans trop savoir pourquoi, la certitude que le dessin était permanent et non éphémère m’était venue.
Au fond, je sus que frotter ne servait rien. Je ne compris pas d’où cette idée m’était venue, mais j’étais de plus en plus persuadée que cela n’avait rien à voir avec mes copines. Le motif m’était familier, de plus, éméchées comme nous l’étions toutes, aucune d’entre nous n’aurait pas fait un travail si soigné au milieu de la nuit.
Je cherchais une explication, assise dans la baignoire, l’eau me coulant dessus : « Oh, mais merde ! Je me suis fait tatouer… ! Je me suis fait TA-TOU-ER !! avais-je articulé sous le choc. Ce n’est pas possible… Comment j’ai pu ?! Je me marie dans moins d’une semaine… Ce n’est pas possible… je suis en train de rêver… je suis en train de rêver… je n’ai pas pu faire quelque chose d’aussi bête… pas maintenant… ce n’est pas possible… ce n’est qu’un rêve… je vais me réveiller… »
Pendant plusieurs minutes, je n’arrêtais pas de me répéter ces phrases, pour m’en convaincre. C’était sûr maintenant : j’étais folle ! Mes visions, mes vertiges étaient bien des signes précurseurs d’une forme de folie. Je n’en revenais pas… alors, je me savonnais de nouveau pour tenter de le faire disparaître, mais rien n’y faisait ! Il était décidément bien réel…
J’avais fini par couper l’eau quand l’une des filles frappa à la porte. Je ne savais pas quoi dire à propos de ce qu’il venait de se passer. Je voulais comprendre, et je me disais que peut-être l’une de mes copines se souviendrait de ce qu’il s’était passé.
C’était Sophie, une amie de l’école. Me voyant, elle me demanda la main sur la tête et une drôle de grimace sur le visage : « Alors comment va la future mariée ? »
Je la regardais d’un air dépité, lui montrant mon poignet sans rien dire. Sophie ouvrit la bouche tout doucement, ses yeux ronds comme des billes. Puis, un sourire se forma sur ses lèvres.
« Tu te souviens de ce qu’il s’est passé hier… avais-je murmuré.
Je souris timidement. Elle n’avait pas plus d’informations que moi. Nous nous étions installées dans la cuisine pour prendre une Doliprane et boire.
« Qu’est-ce que je vais pouvoir dire à Mike ?
Elle n’avait pas tort, il était vraiment beau. Cela ne m’empêchait pas d’avoir du mal à m’y faire… Un tatouage… incroyable.
Nous, nous avions ri, lorsque Sypora avait débarqué dans la cuisine, les cheveux en bataille et les yeux encore tout endormis : « Tiens Annie, il n’arrête pas de vibrer… Ça doit être important. »
Je bondis. Ma tête s’était remise à bourdonner. L’écran indiquait que Mike avait tenté de me joindre une bonne dizaine de fois.
Je jetai un coup d’œil à mon poignet. Ma montre avait disparu elle aussi. Plus je regardais mon tatouage, plus il me semblait familier, comme si je l’avais déjà vu auparavant.
« Quelle heure est-il ?
Je ne me sentais pas bien… Mes jambes étaient toutes moelles. Mon estomac gargouillait et ma tête allait exploser… Un joli combo.
Les filles avaient commencé à se réveiller les unes après les autres, laissant la place de circuler presque normalement dans l’appartement. Je m’étais tordue dans tous les sens pour ne pas marcher sur une main, essayant tant bien que mal de remettre mes chaussures retrouvées – croyez-moi, remettre des talons après une soirée est un vrai supplice –.
Une fois prête, j’avais couru pour attraper un taxi et rentrer chez moi. Assise dans la voiture et après avoir repris mon souffle, j’avais rappelé Mike.
« Salut chéri, je suis désolée ; je viens de me réveiller. Je suis en route pour mon appartement. Tu peux m’y rejoindre, il faut que je mange quelque chose et que je récupère mes affaires, annonçais-je d’un trait.
Quand j’ouvris la porte, je me sentis étrangement vide. J’avais la drôle de sensation qu’une chose extraordinaire était en train de se passer. Je trouvai Mike, installé sur le canapé, un verre d’eau à la main. Il me sourit et je sus que je l’aimais plus que tout.
« Tout va bien, Annie ? Tu m’as l’air tendue.
Sans dire un mot, je l’avais embrassé. Ensuite, je lui montrai mon poignet. Il eut une drôle de réaction, une micro-expression : un mélange de surprise, ce qui pouvait se comprendre ; avec un quelque chose que je ne saurais définir, qui m’avait dérangée.
Ce ne fut que dans un deuxième temps qu’il sourit d’approbation : « Il est magnifique, Annie et imposant aussi. Tu as dû déguster… Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?
Je partis préparer mes affaires. À chaque mouvement, j’admirais mon poignet. Heureusement, plus je le regardais, plus je le trouvais beau : les traits formaient de fines arabesques, avec de petits points les reliant entre elles. Le tout formant une sorte de nuage de courbes noires. Maintenant qu’il était là, je n’avais plus le choix. Je devais m’y faire. Je m’étais enfin faite à l’idée qu’il ne partirait pas.
Je finis par avoir une petite faim. Je m’étais donc rendue à la cuisine me servir de l’eau et manger un biscuit.
Je remplis mon verre au robinet, puis en me retournant, il avait bien failli m’échapper. Le même visage réapparut juste devant moi. Je me rapprochai près du mur d’où je le voyais. Le temps que j’y arrive, l’homme avait disparu : « C’est pas vrai… avais-je soupiré. J’ai des hallucinations… »
Je secouais la tête et je rejoignis mes bagages dans ma chambre. Je tentai de ne pas me prendre la tête, mais cette histoire commençait à m’inquiéter.
Quinze minutes plus tard, mes valises fermées, j’étais allée réveiller mon futur mari de sa courte sieste. Nous devions retrouver ma mère pour faire le trajet ensemble. Nos affaires chargées dans le coffre de la voiture de Mike, nous avions pris la route.
***
Pour notre mariage, nous avions décidé de le célébrer dans le domaine à la campagne des grands-parents maternels de mon fiancé. Mike a très peu de famille. Il ne m’a jamais réellement parlé de son enfance, préférant éluder les questions que je pouvais avoir sur son passé. Mike est très mystérieux et cela a toujours suscité en moi de la curiosité.
Ce fut pour nous une évidence de célébrer notre union dans ce lieu, plutôt que dans une salle sans aucun rapport avec nous. C’était une grande et splendide propriété, avec un jardin suffisamment vaste pour accueillir une petite centaine d’invités. Nous avions choisi un mariage en plein air, croisant les doigts pour que le temps soit clément. De plus, c’est un lieu que nous affectionnions particulièrement.
Le seul hic, qui n’en était pas réellement un, était que la maison se situait à deux heures de route de chez nous. Ce n’était pas loin, mais cela signifiait qu’il était important de ne rien oublier pour pleinement en profiter.
Ce fut mon beau-père qui ouvrit la porte : « Tu as une tête affreuse Anna (c’est le seul à m’appeler de la sorte) tu n’as pas dormi ou quoi ?
Puis, j’allai rejoindre ma mère au salon. J’étais si fatiguée que je n’avais pas cherché à faire la conversation. Je ne voulais pas l’entendre, pas à ce moment-là.
Alors que nous étions en train de charger la voiture, je me figeai. Ma mère me regarda intriguée : « Annie, qu’est-ce qui se passe ?
Elle n’avait pas su quoi dire. Elle m’avait regardée d’un air ébahi, silencieuse.
Sa réaction m’avait surprise. Il était très rare qu’elle évite une conversation surtout sur un sujet comme les tatouages. Je n’avais pas insisté. Je pensais la questionner une prochaine fois. Elle et moi étions pareilles : quand nous refusions de parler de quelque chose, rien ne pouvait nous faire changer d’avis.
Mike avait débarqué, chargé comme un âne. Nous étions passés à autre chose. Depuis plus d’un mois, toutes les discussions tournaient autour de l’organisation du mariage. Mike évitait autant qu’il le pouvait les conversations de ce genre ; en particulier celles avec ma mère. Là, il était coincé, elle n’allait pas le lâcher. Elle lui demanda s’il était au courant des dernières modifications. Je ris intérieurement, voyant sa tête. Ma migraine était revenue de plus belle, je décidai de ne pas contrarier ma mère et le laisser la subir à ma place. C’était soit lui, soit moi.
À chaque fois, que ma mère posait sa main sur un sac, je fixais son poignet. Je comprenais mieux pourquoi le mien m’avait paru familier. Ils se ressemblaient tellement. Seulement quelques arabesques différaient dans mon inconscient, j’avais dû me servir de celui de ma mère comme modèle pour le tatoueur.
Les voitures étaient enfin chargées et nous étions prêts à partir. Je me dis que la prochaine fois que je reviendrais en ville, je serais une femme mariée. Je me sentais toute bizarre en y songeant, et aussi toute excitée.
C’était ce que j’avais toujours voulu. Pourtant, une partie de moi refusait d’y croire. Comme si je ne méritais pas tout ça, cet amour, cette attention…
Après tout, qu’est-ce que le mérite ?
La seule chose que tout le monde mérite est de vivre ; pour tout le reste, ce sont une succession de choix, de décisions que nous devons ensuite assumer.
Aussitôt dans la voiture, je m’étais endormie. Je fis un rêve étrange : je m’avançais vers l’autel, en robe de mariée. Mike était au bout de l’allée. Seulement une poignée de centimètres me séparait de lui. De mon avenir. Soudain, il surgit. Cet homme, encore ce visage. Il ne m’effrayait pas. Il m’était si familier, mais encore impossible de savoir où je l’avais rencontré. Il me saisit le bras et me conduisit hors de la chapelle. Nous nous retrouvions, dans une minuscule pièce noire, avec seulement une petite lampe dans un coin. Il me fit asseoir sur une imposante chaise. Il se retourna. Quand il réapparut, ce n’était plus le même visage. C’était celui de Mike. Il portait son uniforme. Il tenait une immense seringue dans sa main et s’avançait vers moi. J’étais terrifiée…
Je m’étais réveillée en sursaut. Je regardai tout autour de moi. La voiture roulait à vive allure. Mike était au volant. Il chantonnait. Je souris en mon for intérieur, il me prit la main et l’embrassa.
Dès que je refermais mes yeux, l’homme réapparut. Je les rouvrais aussitôt, et me concentrant sur la route. Ce rêve me hantait et ce visage… je voulais tant comprendre qui il était. Je ne savais pas par où commencer. Comment trouver le nom d’une vision ?
Il me fallait trouver un moyen de me sortir toutes ces histoires de ma tête.
C’est le cœur et non le corps qui rend l’unioninaltérable.
Publius Syrus
Ces quelques jours au domaine, avant le mariage, avant l’arrivée des invités furent doux et paisibles. J’avais pu me reposer et reprendre des forces sans vertiges ni douleurs. Nous nous rapprochions à grands pas du mariage et j’étais de plus en plus impatiente de me marier.
Ce fut ce jour-là que j’ai commencé à avoir des réponses sur ce qu’il m’arrivait ces derniers temps. Un frisson me parcourt alors que je suis devant l’immensité de l’océan, en y repensant.
Le 5 avril, en milieu d’après-midi, sous un soleil flamboyant
Tout le monde était arrivé dans la matinée à la propriété et chacun donnait un coup de main dans les derniers préparatifs. La cérémonie arrivait à grands pas et une forme de tension avait commencé à se faire ressentir pour Mike et moi.
J’étais de plus en plus nerveuse. J’avais du mal à trouver le sommeil le soir. À certains moments de la journée, j’étais tellement sollicitée par les organisatrices que je pouvais oublier de manger ou d’aller aux toilettes. Heureusement, Mike était là pour m’amener me changer les idées avec une promenade, ou m’amenait un cacao bien chaud et des biscuits. Nous avions beaucoup de chances avec la météo et nous croisions les doigts pour que cela dure au moins pour la journée du lendemain.
Pour le mariage, Mike avait ses parents, Tara et Bill. Puis, ses grands-parents, qui nous accueillaient gentiment dans leur propriété. Sinon, ses invités étaient ses collègues et amis de l’armée, « sa famille » comme il m’a toujours dit. Il n’avait jamais répondu à mes questions de pourquoi il ne s’entendait pas bien avec ses parents. La seule réponse que j’avais obtenue un jour : « je n’ai pas besoin d’eux ». Cela m’avait paru violent, mais après tout, je n’étais pas là, je ne savais pas ce qu’il avait vécu.
Cet après-midi-là, Mike et ses copains avaient joué au ballon dans le jardin.
Dès le lendemain matin, à la première heure, leur terrain fut transformé pour la réception.
J’eus besoin de m’éloigner de ma mère et de ses commentaires sur les fleurs, alors j’étais venue m’asseoir sur la terrasse pour les regarder jouer. J’avais besoin de calme et de soleil.
Les regarder, c’était comme observer des enfants. – Je ne sais pas ce qu’il se produit exactement lorsque l’on donne un ballon à des garçons, peu importe leur âge, ils rajeunissent instantanément. – Je trouvais ça très drôle, et je n’étais pas la seule.
L’équipe de Mike gagna et célébra la victoire comme si c’était une grande finale. Mon fiancé vint vers moi et me prit dans ses bras. Il était brûlant et mouillé. Je l’avais embrassé pour le féliciter. Il fallut, une poignée de secondes, avant que mes pieds ne touchent de nouveau la terre ferme.
***
Mike est grand (je préfère dire cela plutôt que d’admettre que je suis petite). La seule chose que nous ayons en commun, lui et moi : nous sommes tous les deux châtains clairs. Lui, en revanche, a les cheveux coupés courts (profession oblige) et moi, ils tombent dans mon dos. J’ai les yeux verts, lui marrons avec de toutes petites touches vertes et de jaunes. Il a des taches de rousseur et les grains de beauté sur son torse, le haut de son dos et sur ses bras. Ses mains sont larges et tout le temps, chaudes. Elles me calment lorsque je suis angoissée. Il les pose sur mes joues et me regarde dans les yeux. Lorsqu’il fait ça, je sais que je ne risque rien.
***
Au fond du parc, il y avait un petit bois. Lorsque j’avais relevé la tête, j’avais aperçu une silhouette d’homme. J’avais lâché Mike et je m’y étais précipitée, mais le temps d’arriver à hauteur, l’homme s’était évaporé. Je m’étais retournée et j’avais regardé tout autour de moi, tout le monde dehors, était en train de rire et se féliciter. Je m’étais convaincue que cet homme était le fruit de mon imagination, mais pourquoi continuais-je de l’apercevoir partout ?
En fait, ce jour-là, l’homme ne ressemblait pas à celui de mes rêves, celui de mon anniversaire. Lui me paraissait bien plus âgé. Je le voyais aussi plus nettement, comme s’il était physiquement là et non une vision comme ce fut le cas plus tôt.
Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait… Étais-je réellement en train de devenir folle ? Ou bien peut-être quelqu’un me suivait ? Mais dans ces cas-là, pourquoi le ferait-il ? Après tout, je n’étais « personne ».
La nuit était en train de tomber. Ce soir-là était le dernier avant notre mariage. Nous avions donc décidé de réunir nos plus proches amis pour un dîner au fond du jardin autour d’un feu de camp.
Nous avions pris l’habitude de préparer un pique-nique nocturne, tous les mois depuis ma rencontre avec Mike, généralement, le dernier week-end du mois pour profiter l’un de l’autre avant la reprise du travail. Cela dépendait de l’emploi du temps de mon futur mari, mais jusque présent, nous avions réussi à nous accorder ces instants, rien qu’à deux. J’adorais ces moments de détente, de rigolades et de bonnes grillades qui formaient de beaux souvenirs.
Pendant que certains préparaient le feu, les autres distribuaient les bières et installaient les couvertures, pour la température qui baisserait dans la soirée. Je me tenais un peu à l’écart du groupe, je me sentais fébrile, probablement la faim. Malgré les nombreux malaises les jours passés, je me convainquais que c’était soit la fatigue, soit la faim qui me donnait la tête qui tourne.
Soudain, un vertige m’avait secouée. Un second, très rapproché du premier, m’avait ébranlée. Il avait été si violent que lorsque j’avais repris mes esprits, je m’étais retrouvée assise par terre. J’avais relevé la tête : « ouf, personne ne m’a vue tomber », m’étais-je dit.
Erreur. Alexie s’était avancée vers moi et m’avait demandé : « C’était quoi ça ? Tu vas bien, Annie ?
Elle m’avait aidée à me relever. Je l’avais vue observer l’endroit où j’étais tombée pour voir sur quoi j’avais pu trébucher. Elle n’avait rien vu, mais ne m’avait rien demandé non plus. Je savais qu’elle se doutait que quelque chose ne tournait pas rond. Ce n’était pas la première fois qu’elle me voyait « trébucher ».
L’autre soir, alors que nous étions chez nos parents pour un dîner en famille, en débarrassant, j’étais presque tombée en entraînant dans ma chute les assiettes. Je m’étais retenue au dernier moment. J’avais prétexté m’être pris les pieds dans le tapis. J’avais déjà remarqué qu’à son regard, elle ne m’avait pas crue. Elle n’avait pourtant rien dit. À personne.
***
Ma petite sœur est comme ça. Douce, attentionnée, avec ce don : savoir se taire quand il le faut. Elle ne m’avait rien redemandé sur ce qui clochait. Elle me connaît suffisamment, pour savoir que je lui dirais ce qu’il faut pour la rassurer même si je n’allais pas bien. Cela me met mal à l’aise que quelqu’un s’occupe de moi, surtout elle. Ce n’est pas son rôle.
***
Un peu plus tard dans la soirée, au beau milieu d’une conversation intéressante, je me figeai. Mon regard plongea dans le feu, je m’étais arrêtée de parler sans véritable raison. Je n’arrivais plus à distinguer ce que les autres disaient autour de moi.
Une voix s’était faite entendre.
Je ne parvenais pas à comprendre ce qu’elle disait. J’avais l’impression qu’elle s’adressait à moi. Je n’en étais pas sûre, n’arrivant pas à comprendre. J’essayais de prononcer quelque chose, mais aucun mot ne pouvait sortir de ma bouche. Ma gorge était tellement serrée, qu’elle me faisait mal. Il fallait que le bruit se taise.
Les voix des autres m’arrivaient lentement aux oreilles. Ils avaient l’air inquiets. Tout le monde, moi la première, était en train de chercher à comprendre ce qui se passait.
« Annie, ça va ?! Annie, qu’est-ce qui t’arrive… ? » Je ne savais pas qui parlait et je m’en fichais. J’essayais de me concentrer pour prononcer ne serait-ce qu’une syllabe. Mais rien n’y faisait, ma gorge était nouée. J’avais du mal à respirer.
En une seconde, la voix étrange s’était tue, ma gorge s’était déliée. J’avais secoué la tête, comme prise d’un sursaut. Une grande inspiration d’air frais.
« Tout va bien ? avais-je entendu.
Alexie m’avait regardée avec insistance. Sypora et Mike avaient échangé un rapide regard, comme pour se rassurer mutuellement. Les autres étaient restés silencieux. J’étais partie faire quelques pas, jusqu’à la maison pour m’éloigner le temps que tout le monde change de sujet.
Aucun autre incident de ce genre ne s’était produit. Le feu s’était peu à peu éteint et chacun avait rejoint sa chambre.
Mon fiancé et moi étions restés un peu plus longtemps à admirer les étoiles, main dans la main. Les cendres continuaient de nous réchauffer. Mike m’avait prise dans ses bras. D’un seul coup, je m’étais sentie extrêmement fatiguée. Ce n’était pas un vertige cette fois-ci, mais mes jambes ne me soutenaient plus : « Je vais aller me coucher, avais-je déclaré.
Sur le trajet, il m’avait demandé : « Qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure ?
Il s’était tourné vers moi.
Contrairement à ce que j’avais imaginé, Mike n’avait pas insisté. Il m’avait embrassé et pris par la main. Nous nous étions redirigés vers la maison en silence.
« Tu n’as pas intérêt à avoir un malaise au beau milieu de la cérémonie demain », m’avait-il dit, l’air amusé.
En guise de réponse, je souris et serrai un peu plus sa main dans la mienne. Comme cela ne servait à rien tant ses paumes étaient plus grandes que les miennes, je lui avais donné un coup d’épaule pour le bousculer un peu. Un modèle réduit contre un grand costaud ne fait pas de dégât ! Il ne bougea presque pas.
J’ai toujours été quelqu’un de naturellement méfiant et peureux, surtout en ce qui concerne le changement. Pour la première fois, j’étais confiante. Ma vie telle que je la connaissais à présent était en train de changer, j’en avais la conviction. Et ce, avant de découvrir les réponses à mes questions quelques minutes plus tard. Je savais que mon mariage était l’un des plus gros changements de ma vie.
Quand nous étions entrés dans la maison, nous avions essayé de ne pas faire de bruit, pour ne réveiller personne. Mike avait malencontreusement cogné la petite table où était posé le sac à main de ma mère. Évidemment, il était ouvert. Ce dernier tomba par terre bruyamment. Le contenu s’éparpilla un peu partout sur le sol. J’éclatai de rire sans pouvoir m’arrêter. Mike était à quatre pattes, en train de tout ramasser. Moi, de mon côté, je me forçai à ne pas rire trop fort. Il n’arrêtait pas de me dire d’arrêter et de l’aider, mais je n’y arrivai pas.
Une fois le sac de nouveau rempli et reposé sur la table, Mike m’avait prise dans ses bras et m’avait soulevée. Il avait tourné ; j’avais continué à rire aux éclats.
Il me serrait tellement fort contre lui, qu’il me faisait presque mal aux côtes. Je ne lui ai rien dit. Il ne m’a pas desserrée. À ce moment-là, rien n’aurait pu m’atteindre.
Il a fini par me reposer à terre. Je me suis retournée pour lui faire face. Délicatement, il avait déposé sa main sur ma joue. C’était à cet instant que j’avais arrêté de rire.