Aventure maritime d’une femme de Breizh - Isaline Remy - E-Book

Aventure maritime d’une femme de Breizh E-Book

Isaline Remy

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Beschreibung

Aventure maritime d’une femme de Breizh est une comédie humaine qui se déroule à bord d’un bateau de croisière lors d’une éclipse solaire, où des rencontres fortuites donnent naissance à une intrigue captivante. Les comportements et les conversations des passagers servent de miroir à la société contemporaine, offrant aux lecteurs une occasion à la fois divertissante et réfléchie de se reconnaître dans l’histoire.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Isaline Remy est une écrivaine et journaliste indépendante, membre des Gens de Lettres, de la SACEM et de la SCAM, et la fondatrice de l’Académie des Lettres à Saint-Quay-Portrieux. Elle a été proposée comme candidate à l’Académie française et a remporté de nombreux prix littéraires en France et à l’étranger. Pour elle, la littérature transcende le simple jeu, elle constitue une part fondamentale de son identité.

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Isaline Remy

Aventure maritime

d’une femme de Breizh

Roman

© Lys Bleu Éditions – Isaline Remy

ISBN : 979-10-422-0586-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Terri,

en souvenir de notre enfance et de nos rêves…

De la même auteure

Poésie

– Ephélides, 1990, Éditions du Trèfle à 5 Feuilles ;

– Cœurs Diplomatiques, 1992, Éditions du Trèfle à 5 Feuilles ;

–Couleurs Marines, 2000, Les Presses Littéraires ;

–En Vers le Monde, 2006, Éditions Publibook, (Prix de l’Académie Internationale de Lutèce) ;

– 13 Figures libres, 2013, Édition du bout de la rue.

Récits biographiques

– Dans l’Ombre de mes Chansons, 1996, Éditions Les Chemins de l’Espérance ;

– Dalida – Entre Violon et Amour, 2016, Kinocé1 Edition ;

– Clint Eastwood, Regard d’une femme française, 2017, Kinocé 1 Edition.

– Entretien impromptu avec Jean Cocteau, 2021, Kinocé 1 Edition.

Livret pour préludes

– D’heures en Heurts, 1999, Éditions Musicales Amsterdam.

Philosophie

– La Passion, une putain du diable, 2012, Édition du bout de la rue.

Essai

– Rock’n’roll – Résonances de Liberté, 2016, Kinocé1 Edition.

Romans

– La Buvette du Père Maurice, 2010, Édition du bout de la rue ;

– Les Garçailles, enfants de Bretagne, 2011, Édition du bout de la rue ;

– Maurice et l’anonyme tirailleur sénégalais, 2012, Édition du bout de la rue ;

– Une Bretonne à Hollywood, 2015, Édition du bout de la rue ;

– Une blonde dans la casbah, 2017, Kinocé1 Édition.

Toute ressemblance avec les personnages et l’histoire du roman ne serait que fortuite.

I

« L’Odyssée Norvégienne, Bergen, Alesund, Trondheim, Hellesylt, Flaam, Stavanger, en mer. Le Havre, Cherbourg, Southampton, pour un départ le 16 juin. Et voilà ! pour la dernière fois, votre semelle a pris appui sur le bitume du quai collant à la semelle… d’un pied léger, vous vous êtes engagé sur la rampe inclinée, et ce simple pas a suffi pour vous arracher au monde des terriens. Cinq jours de croisière vous attendent et un seul mot peut résumer le flot des sensations qui s’emparent de vous : excitation ! » Argumentait la brochure. En gros, un grand tour de manège rapide. Pour aller voir quoi ? Une éclipse !

C’est parti ! déjà par la route Saint-Brieuc via Le Havre pour 325 kilomètres environ par la A84 pour 3 h 23 min très exactement indiquées sur le GPS.

Il fallait faire le vide, et dans la tête de Soizic, tout était déjà rangé dans des petites cases : surtout, ne rien perdre de ces secondes ! Tout voir ! Tout sentir ! La blancheur étincelante du paquebot qui n’en finit plus de dresser sa masse au-dessus de soi, cette rampe si raide dont l’oscillation donne déjà le mal de mer, toutes ces lignes de hublots qu’on dépasse en montant (mon Dieu ! Il n’y en a tout de même pas au-dessous de la ligne de flottaison !) le vent qui ne demande qu’à faire s’envoler le beau chapeau de paille acheté spécialement pour l’occasion, l’ascension sur le flanc du navire, comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui, le Royal Ocean… le quai qui devient tout petit, les mouchoirs qui s’agitent, l’orchestre qui vous salue sur le pont aux accents de « Le soleil a rendez-vous avec la lune… » plus quelques réminiscences désagréables d’un film qui commence à dater, où un bateau soi-disant insubmersible s’enfonçait sous les flots aux sons entraînants d’un orchestre… Bon, il fallait y penser avant d’accepter de quitter Saint-Quay-Portrieux, ma petite Soizic. Heureusement, il y a tout pour faire diversion, l’étourdissant va-et-vient des passagers, des membres d’équipage, des garçons de cabine, si prévenants, si élégants dans leur uniforme impeccable, l’obsession des bagages, des passeports, des billets, et, planant par-dessus tous ces menus soucis, une idée omniprésente : surtout ne pas s’emmener avec soi, laisser à quai l’ancienne Soizic Le Dantec épouse Beaufils, oublier ses soucis, ses angoisses, sa peur de la foule, donner toutes ses chances à la nouvelle femme qui va lever l’ancre, va se retremper l’âme au souffle du grand large, et qui sait, donner peut-être leur chance à toutes les forces qui piaffent d’impatience au fond d’elle-même.

— Arrête de rêvasser ! Nous ne sommes pas au club des poètes !

Soudain dégrisée, Soizic se souvint qu’elle avait un mari : Benoît Beaufils, dit B.B. pour les intimes, un homme brun aux yeux noirs, avec un beau visage !

C’est vrai quoi ! On est sur un bateau et tant que nous ne sommes pas installés, nous sommes des passagers clandestins. N’est-ce pas Majordome ? dit Benoît.

— Chef de Cabine, beaucoup plus simplement, dit courtoisement un bel homme tout de blanc vêtu, qui lui rappelait Patrick, son pote. Puis-je vous aider à trouver la vôtre ?

Rien n’est parfait en ce bas monde. Mariée, elle était sur terre, mariée, elle restait sur mer.

— Vous pouvez lui expliquer que le Royal Ocean n’est pas le Titanic ? reprit Benoît. Elle en a les jambes toutes flageolantes.

— Et alors ! intervient une femme svelte d’une bonne quarantaine d’années à l’air décidé. Même sur le Titanic, on s’en sortirait, Soizic et moi. On a décidé de faire équipe en cas de naufrage, on fonce sur la même chaloupe et on s’offre au chef d’embarcation : deux pour le prix d’une ! Tu ne pourrais pas la lâcher, pour une fois !

Heureusement, Patricia Valle était là ! La seule à pouvoir tenir Benoît en respect, avec son abattage et ses réparties mordantes, surtout lorsqu’on s’en prenait à sa meilleure amie.

— Les passages d’icebergs ne sont peut-être pas ce que Madame redoute le plus dans ces parages, dit le chef de cabine à mi-voix, intervention qui fut récompensée d’un sourire par Soizic. Un employé vint à la rescousse pour porter les bagages et ils se mirent tous trois en quête de leurs cabines, salués par une ribambelle de petits pavillons triangulaires qui claquaient joyeusement sous la brise marine. Entre les alignements de transats et la foule de passagers qui se bousculaient sur le pont supérieur, c’est tout juste si l’on distinguait l’argenté des vagues qui commençaient à déferler. Bon, il s’agissait maintenant d’être positive, de se concentrer sur les choses qui devaient être faites, s’orienter dans le dédale des ponts et des coursives, se frayer un chemin dans une foule comparable à celle des Champs-Élysées par un beau dimanche d’été, contourner les coins aigus des valises et l’encombrement des bagages en tous genres, éviter de bousculer les gosses (que de gosses, mon Dieu ! Ils devraient être interdits de croisière !) éviter de marcher sur les pattes des yorkshires et des teckels qui se répandaient sous vos pas en quantité industrielle, et puis, oh joie ! trouver enfin sa cabine, s’affaler sur le lit, réaliser aussitôt qu’elle était grande comme un carton à godasses (mais après tout, elle n’était pas là pour jouer les enfants gâtées !), vider ses valises pour installer vaille que vaille sa garde-robe, son jeans, son tee-shirt sympa, ses mocassins, ses espadrilles, ainsi que les affaires de son mari, Benoît, content de lui, hâbleur, discoureur, toujours sur son paletot, n’arrêtant pas une seconde de dire « Fais ci ! Fais ça ! Pas comme ci ! Pas comme ça ! C’est ni fait ni à faire ! » Le tout enveloppé d’une nuée de « ma chérie » de « mon amour », d’une sincérité désarmante. Énervée, elle se réfugia dans la salle de bains, se regarda dans la glace :

— Tu es dans de sales draps, ma petite ! songea Soizic.

L’image renvoyée ne correspondait pourtant nullement à cette brutale constatation de sa personne : une femme d’environ un mètre soixante-cinq avec de beaux yeux bleu foncé, de longs cheveux très blonds, dans lesquels on avait envie de passer les doigts, de légères petites éphélides sur le visage, héritage de ses origines bretonnes et un corps de mannequin… hé hé… Ma foi, elle était bien au-dessus de la moyenne : la cinquantaine charmante, voire sexy… Elle se demandait, depuis un certain temps déjà, ce qu’elle faisait avec un homme comme Benoît. Il était devenu jaloux et si éloigné d’elle. Elle revint dans la cabine. Un roman d’Annie Ernaux sur la table de nuit, le magazine Lire qui sortait d’un sac de voyage. Elle regardait son mari.

L’ordonnance de la penderie, la place des menus objets sur le secrétaire, l’organisation de la journée : il régentait tout, ordonnait tout, pilotait tout ! Pas méchant, ça, non, on ne pouvait lui jeter cette pierre-là, bon mari, et certainement sincère, mais entre nous, à ce point-là, ce n’était plus une vertu conjugale, c’était un motif de divorce ! À ses yeux, c’était tenir le crachoir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, se faire un point d’honneur avec d’interminables causeries sur le chemisier qu’elle allait choisir, l’arc du sourcil qu’elle était en train de cerner, la quantité de confiture qu’elle s’apprêtait à étaler sur sa tartine, sa phobie de la foule, l’évolution du CAC 40 que le journaliste spécialisé venait de commenter, l’opportunité d’aller voir un film avec Robert Redford, et ainsi de suite jusqu’à son premier et libérateur ronflement nocturne. Il était sincère quand il lui téléphonait sur son lieu de travail : Ma chérie, tu n’as pas réagi comme tu aurais dû à la réflexion que t’a faite Nathalie ce matin – sincère quand il lui disait : Tu vois, Soizic, j’épluche les patates et je n’en fais pas toute une salade.

Il avait toujours quelque chose à lui reprocher.

Avec le temps, elle se demandait ce qui l’avait poussé, elle, si exigeante, à l’épouser.

C’était quand même elle qui l’avait décrochée, cette croisière pour deux personnes ! Le truc auquel personne ne croit et qui arrive comme ça, justement parce que vous n’y croyez pas : une matinée de courses au galop chez Super U, un coupon détaché sur une boîte de café moulu, trois petites questions de rien du tout. On ne pouvait même pas dire que c’était du niveau de la classe de sixième : la réponse était quasiment fournie en paquet cadeau dans la question. Une simple loterie en fait, et paf ! C’était tombé sur elle. Elle avait pavoisé en brandissant la lettre :

— Tu vois que je suis quand même bonne à quelque chose !

Phrase qu’il avait abondamment commentée, pour l’en féliciter d’abord, pour en cerner les limites précises ensuite, pour la lui reprocher, enfin.

— Bon, on discutera de tout ça sur le paquebot, Soizic.

Ben, voyons ! Comme si le plan d’une évasion n’était pas déjà tout formé dans sa tête : une virée maritime en célibataire avec sa copine, Patricia Valle, lui avait-elle dit au téléphone. Finalement, ils avaient fait un deal, puisque l’on pouvait emmener des accompagnateurs payants, ils partiraient à trois en partageant le prix du billet de Patricia qui n’avait pas trop les moyens de s’offrir ce voyage et Soizic lui avait promis de l’emmener avec elle. L’aurait-elle préféré moins jovial son Benoît de mari et, comment dire, un peu plus démocrate ? La question restait sans réponse. Ah, sa jovialité ! Elle était d’un bleu inaltérable, garanti grand teint, exténuant ! Tous ceux qui ont vécu longtemps sous de tels cieux vous le diront : vient un moment où l’on vendrait père, mère et enfants pour voir tomber une goutte de pluie ! En le voyant prendre tous les détails de la croisière sous son aile – passeports, devises, vêtements, jusqu’aux crèmes solaires –, une immense fatigue s’était abattue sur elle. Elle aurait pourtant eu besoin de mettre un peu de distance entre eux. Lutter ? À quoi bon ? Plutôt penser à une deuxième semaine de vacances après celle-ci ; quelques jours en Californie pour se reposer de la croisière, de ses quatre jours en tête-à-tête avec Benoît et de la fatigue accumulée comme journaliste à Saint-Brieuc, heureusement ses trois fils avaient quitté le nid familial pour leurs études à l’étranger. Des souvenirs de sa dernière croisière en Norvège lui traversèrent l’esprit. D’autant que ce coup-ci, il ne s’agissait pas d’une vraie semaine, mais plutôt d’une demi-semaine : trois jours et demi en fait, le temps qu’il fallait pour, appareillant de Cherbourg, longer l’Irlande et revenir, en ramenant au passage le souvenir d’une magnifique éclipse de Soleil. Tel était le thème de la croisière, sur lequel la brochure de l’agence donnait une foule de détails. Évènement rare sous nos latitudes, exceptionnel, même, qui ferait l’objet d’une conférence par un astronome de l’Observatoire de Pleumeur-Bodou, d’une causerie par un Monsieur Soleil réputé, sans compter les tee-shirts déjà aperçus à l’embarquement qui déclinaient sur tous les tons, thèmes solaire et lunaire, eux-mêmes repris en musique par l’orchestre. Une éclipse, c’est très joli, surtout quand on ressasse l’idée que c’est soi-même qu’on aurait voulu éclipser…

II

— Il faut quand même reconnaître une chose à ton cher et tendre, dit Patricia à Soizic, une fois tous trois remontés sur le pont, c’est qu’il a vraiment l’art de se faire des amis. Regarde comme il va vers les gens… carrément… sourire de représentant de commerce et mains tendues.

— Sur un navire, on se lie facilement.

— Pas forcément ; même ici, il y a des gens qui restent sur la touche. C’est comme partout, il y a ceux qui font tout de suite société, et ceux qui restent emmurés. Les femmes surtout. Elles sont, comme toujours, une majorité écrasante, seule, évidemment. Quelle concurrence ! soupira-t-elle, enfin, je compte sur ton légitime pour me faciliter les contacts, c’est un club de rencontre à lui tout seul, celui-là ! Tiens ! Qu’est-ce que je te disais, regarde-le, il a déjà un cercle d’une demi-douzaine de personnes autour de lui ! Marrant ! C’est une qualité, ne l’oublie jamais.

— Et comment le pourrais-je ? Il est le premier à me le rappeler, à faire inlassablement le bilan de toutes ses vertus !

— En tout cas, il t’aime.

— Oui, c’est une de ses bontés. Tu sais ce qu’il m’a sorti une fois ? Je lui avais posé la question, je ne sais plus pourquoi d’ailleurs : est-ce que tu m’aimes ? Il lisait son journal. Il a parfaitement percuté, et sans lever les yeux, m’a répondu : « Bien sûr que je t’aime, Soizic, je suis ton mari, c’est mon job ». Ça m’a laissée perplexe un bon moment puis bizarrement, sans savoir, je l’ai embrassé sur le crâne. Depuis, je me pose beaucoup de questions…

— Allez ! Tu n’es pas si malheureuse que ça…

— Quand même ! C’est une réponse affreuse quand on y songe.

— Pas du tout. Moi, je n’en demande pas plus à un homme. Encore faudrait-il que j’en déniche un. Le jour où je le rencontre, il aura tout. Et toi, tu l’aimes ?

— Il prend toute la place, ne me laisse pas de marge pour en placer une.

— Mais si ! Tu l’aimes, seulement, tu ne le sais pas. Dis donc, vise un peu le spécimen qui vient de s’asseoir à côté de lui, non, pas le retraité, quoiqu’il ne soit pas mal non plus, mais le type aux cheveux blonds qui lit Le Figaro.

— Pas si fort ! il est tout près de nous, il pourrait nous entendre.

Soizic l’avait également dans sa ligne de mire depuis un moment. C’était un homme svelte d’environ un mètre quatre-vingt-cinq, la quarantaine avec un petit grain de beauté remarquable qui faisait son charme placé au-dessus de la lèvre à droite, et il avait de larges épaules, dont la discrétion et la retenue contrastaient avec son exubérant voisin. Elle avait du mal à le quitter des yeux.

— Je le trouve craquant avec ses yeux bleus.

— Ses vêtements sont chiffonnés.

— Regarde sa bouche : dessinée au pinceau ! Il a quelque chose de rare, je t’assure. De toute façon, c’est moi qui drague, pas toi. Bon ton homme nous appelle, allons-y, tiens bon la rampe, matelot !

— Tournée générale ! lança Benoît à la cantonade. Tous au lounge ! on va laver notre lounge sale en famille, ha ha !

— Ha ha, fit Patricia, toujours le bon mot pour rire. Notre spirituel camarade nous ferait-il l’honneur des présentations ?

— Bien sûr : Patricia Valle, Pat pour les intimes, une amie de ma femme depuis quinze ans. Elles se sont rencontrées au journal où elles travaillent. Et par ailleurs, c’est mon ennemie intime. Ne proteste pas, d’ailleurs, tu n’es pas assez rapide pour faire une bonne langue de vipère ! je plaisante, en fait, je l’adore. Et je vous prie d’en faire autant, surtout les messieurs. Me fais-je bien comprendre ? À côté d’elle, Soizic, ma femme préférée. C’est une femme drôle et enthousiaste. Elle a gagné ce voyage dans une pochette surprise et a insisté pour que je serve de chaperon au couple indestructible qu’elle forme avec son amie. Je sens que ce voyage va nous réserver de l’inattendu… Bon, n’anticipons pas ! Notre groupe maintenant. C’est formidable, j’ai l’impression qu’on se connaît depuis toujours. Voici Louis, dit-il en présentant l’homme désigné comme le retraité par Patricia : la soixantaine virile, une tête bien sculptée sous une abondante chevelure argentée, un accent de Méridional qui attirait immédiatement la sympathie.

— Je suis professeur d’anglais, dit-il d’une chaude voix de gorge. J’ai choisi cette profession pour pouvoir chantonner les Beatles sans fournir des efforts surhumains. J’espère ne pas vous bassiner pendant ce voyage avec mes manières de pion. J’aime le tennis et le bridge. Vous êtes bridgeuse ? demanda-t-il en se tournant vers Patricia.

— Oui, enfin presque, je tire les cartes, santé, argent, cœur… Je fais aussi le retour d’affection si vous voyez ce que je veux dire !

— J’ai cru qu’elle allait dire le retour d’âge, dit perfidement Benoît. Ouh là là ! Pardonnez-moi, c’est un lapsus.

— Mon pauvre ami, si ça te fait autant de plaisir que ça me fait de la peine ! Je suis ici pour trouver l’âme sœur et ne m’en cache pas.

— C’est votre métier ?

— À temps complet. Un vrai parcours du combattant, en fait : ou bien ils sont pris, ou bien ils sont branchés minettes. Sans parler des homos purs et durs. J’espère que vous n’appartenez à aucune de ces trois catégories, Louis, dit-elle, en se tournant vers celui-ci, et, sans attendre la réponse, elle fit volte-face en tendant la main à chacune des personnes qui composaient le groupe, suivie en cela par Soizic.

La raison de cette brusquerie était devant elle : Marie-Catherine, grande, élancée, brune, un visage magnifique que Louis et Benoît dévoraient des yeux.

— « Ava Gardner » ressuscitée, dit Patricia. Je rends les armes : le moyen de faire autrement ? Vous paraissez et nous voici toutes éclipsées. Cette croisière tient bien ses promesses.