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"Bang !" relate les expériences d’Élise, Henri, Emma et Sofiane face à un virus originaire de Chine qui s’est vite répandu dans le monde entier. Un confinement généralisé fut instauré dans l’espoir de contenir la pandémie, impactant des millions de personnes à la fois physiquement et émotionnellement.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fort d’une expérience variée dans le domaine des relations humaines,
Pierre-Michel Richard trouve dans l’écriture un moyen d’expression privilégié. "Bang !" constitue son deuxième roman.
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Seitenzahl: 202
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Pierre-Michel Richard
Bang !
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre-Michel Richard
ISBN : 979-10-422-2698-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Juliette Drouet
Ne plus rien sentir
Inconscient, minéral,
Plus le moindre désir
Ni de peur ni de mal.
Vivant, mais mort
N’être plus qu’un corps
Que tout me soit égal
Plus de mal
Chanson J’en rêve encore
de Gérald de Palmas,
Paroles de Jean-Jacques Goldman
Il lui désigna les gros radiateurs rouge vif suspendus au-dessus de quelques tables.
Cependant, elle le suivit en slalomant entre les tables et les chaises. C’est lui qui choisit un emplacement dans la première rangée, préférant tout compte fait la vue directe sur la place au confort d’une table plus proche d’un radiateur. Il lui recula une chaise pour qu’elle puisse s’asseoir et en attrapa une autre pour s’installer tout à côté d’elle. Mais auparavant, il lui avait déposé sur les épaules un des plaids bleus de l’établissement. Elle lui avait souri pour ce geste habituel de tendresse. C’était là son paradoxe. Il n’en faisait toujours qu’à sa tête, mais toujours en prenant soin d’elle.
Assis, il lui prit immédiatement la main qu’elle lui avait déjà presque tendue. Ces deux-là n’avaient plus besoin de se parler. Ils se connaissaient par cœur. Devinant, anticipant leurs moindres gestes.
Le soleil était à l’ouest et le beffroi se détachait parfaitement dans le ciel bleu azur, presque trop pur pour un mois de février.
C’est vrai que cette place pavée avec ses arcades est belle. Avec ses façades sculptées comme de la dentelle de pierre.
Il grimaça.
Le serveur fut rapide à leur apporter la commande. Il déposa leur tasse sans les regarder, jetant un coup d’œil périphérique à la terrasse. Il bloqua un instant sur une passante qui réajustait le collier de son chien. Il prit le billet déposé dans la soucoupe et s’éloigna après avoir remercié machinalement.
Elle but une gorgée de son thé noir. La place était pleine de promeneurs. Certains faisaient des selfies avec en arrière-plan le beffroi.
Elle reposa sa tasse qu’elle tenait depuis un moment entre ses mains, comme pour les réchauffer.
Il n’était pas très extraverti et faisait partie de ces personnes qui manifestaient peu leurs émotions. Seulement, cette fois-ci, il ne put retenir son étonnement :
Il se tourna vers elle pour scruter si elle était sérieuse. Comment pouvait-on réellement juger qu’un homme était amoureux juste en l’observant ? Non, cela n’était pas possible. Son regard révéla le fond de ses pensées.
Il ne put s’empêcher de sourire :
C’est elle qui rit à son tour. Il avait ce talent discret de parfois savoir dédramatiser les agacements de son épouse. Et dans ces moments-là, elle ne pouvait lutter.
Le serveur venait de ramener la monnaie qu’il déposa devant eux, sans même les regarder quand Henri le remercia.
Cela la fit quand même rire.
Il ne répondit pas.
Elle sentit cette indéfinissable sensation de gêne qui traversa le corps de son mari. Toujours ce fichu caractère. Elle laissa tomber pour le moment. Cependant, elle savait que la négociation était maintenant amorcée. Ce serait dorénavant une affaire de semaines pour obtenir sa reddition.
Le soleil d’hiver avait glissé derrière les façades et la terrasse où ils étaient installés était maintenant à l’ombre. Emma frissonna.
Comme à son habitude, il n’attendit pas son aval pour se lever. Une fois extraits de la terrasse, elle prit son bras et se serra contre lui, tant par tendresse que pour assurer sa démarche en talons hauts sur ces pavés qui déstabilisaient la chaussée. Quand elle était enceinte de Pauline, et qu’elle avait dépassé d’une semaine la date prévue de son accouchement, ils avaient fait plusieurs fois le tour de la Grande Place en voiture. Rouler sur les pavés qui déformaient la chaussée n’avait pas déclenché l’accouchement, mais cela les avait fait rire. Et ajouter des souvenirs dans le scellement de leur couple.
Élise se réveilla en sueur. Son studio n’était pourtant pas très chauffé, mais son rêve avait viré au cauchemar. Elle mit plusieurs secondes pour totalement émerger de ses idées noires. Pourquoi ? Pourquoi, mon dieu, méritait-elle cette souffrance, se demandait-elle. Non seulement, la rupture avait été douloureuse, pourquoi devait-elle encore en rêver. Un an ! Un an qu’il l’avait larguée violemment. Un an qu’elle se détestait. Qu’elle détestait ses bourrelets, ses jambes trop grosses, ses joues trop rondes et ses seins trop lourds. Un an qu’elle galérait pour oublier les mots qu’il lui avait dits. Au début, elle avait voulu mourir, mais penser à ses parents, lui avait fait éviter le pire. Ils ne s’en seraient jamais remis si elle s’était suicidée. Et ils ne méritaient pas ça. Eux qui l’aimaient sans faire attention à son apparence physique. Pour eux, elle n’était pas Élise la grosse, mais Élise leur fille adorée.
Son père, toujours attentionné, lui avait proposé de la conduire à Mulhouse. Elle savait que ses parents se faisaient du souci quand elle faisait du co-voiturage. Mais franchement ? Que pouvait-il lui arriver ? Qui s’en prendrait à une grosse dinde ? Qui aurait envie de violer une grosse dinde comme elle ?
Pour être prête pour son rendez-vous de co-voiturage, elle devait se lever et se préparer. Seulement, elle n’avait plus envie d’y aller. Pourquoi s’était-elle engagée dans ce voyage. Dieu l’avait abandonnée et ce n’est pas à Mulhouse qu’elle allait le rencontrer. Elle avait juste envie de se blottir un peu plus sous sa couette et se rendormir. Dormir lui faisait oublier ses mauvaises pensées et sa tristesse. Quand elle dormait, elle ne pensait plus à sa solitude. Sauf quand, comme cette nuit, elle rêvait de lui.
Elle savait que, pour ses quelques amis, elle était considérée comme une fillette. Ou au mieux, une adolescente attardée qui pleurait encore sur un amour disparu qui, d’après eux, n’en valait pas la peine. Sur un mec qui ne la méritait pas au vu de la façon dont il l’avait rejetée. Les peines de cœur comme la sienne ne pouvaient être partagées sans être dévalorisées, déconsidérées ou incomprises. Donc, elle gardait le plus souvent pour elle, la tristesse qui la submergeait par vagues successives depuis un an. Et elle ne parlerait pas de ce nouveau rêve tellement réaliste qu’il aurait pu être la retranscription parfaite de la vraie vie.
Les dialogues lui restaient empreints dans la mémoire, si vivaces, qu’ils auraient pu avoir été échangés il y a quelques secondes :
Ils étaient dans sa cuisine qu’elle distinguait parfaitement. Elle avait même pu voir, à travers la fenêtre, les traces d’humidité sur le mur d’en face. Il s’était servi un verre d’eau au robinet.
Elle sentait monter en elle une sensation de brûlure et de sensualité devant la peine qu’il affichait. Les poils de son torse dépassaient de son t-shirt. Pourtant la mode n’était plus au torse velu, mais elle, elle avait toujours préféré les hommes qui assumaient leur pilosité.
Il avait baissé sa voix. Il murmurait presque. Elle avait fait un pas vers lui et il avait plongé son regard dans le sien. Il avait l’air triste et sincère.
En symbiose, elle ressentait sa tristesse. À ce moment précis, elle se foutait du regard de ses amis ; et même du jugement désapprobateur de ses parents.
Bien sûr qu’elle lui en voulait, mais elle ne voulait pas le faire fuir en lui faisant des reproches. Elle ne répondit pas.
Il se colla contre elle et lui prit les mains. Elle commençait à ressentir un vide au fond de son ventre, signal précurseur d’une montée d’érotisme.
Elle sentait qu’ils allaient s’embrasser.
Il la repoussa.
Alors dans son rêve, elle eut envie de crier, de le gifler, de lui faire mal, mais la violence de l’émotion la réveilla, tremblante et malheureuse ; encore et encore. Sa douleur mit plusieurs secondes à s’estomper. Ce n’était qu’un mauvais rêve, mais il lui était difficile de se raisonner. D’autant que son inconscient ressemblait trop à sa réalité. Pourquoi fallait-il que ses rêves la fassent souffrir ? Sa vie n’était-elle pas suffisamment misérable pour que même dans le sommeil, elle ne puisse trouver l’apaisement ?
Pourquoi s’était-elle réveillée ? Elle aurait aimé partir dans un grand sommeil sans retour. Un grand sommeil éternel. Tous les jours, des êtres humains, dont des enfants, étaient capturés par la mort. Des êtres qui ne demandaient qu’à vivre et qui, par accident, ou maladie, étaient retirés à leurs proches. Alors que, elle, elle s’en moquait de mourir. Son existence inutile, sans amour ; avec des petits jobs sans intérêt. Des petits jobs de subsistance ; une vie de galère.
Mais voilà, elle était encore là. Un nouveau matin.
Elle s’était inscrite pour participer à ce rassemblement évangélique à Mulhouse et elle estimait ne plus avoir le choix. Elle avait déjà payé son logement dans un petit hôtel bon marché de la ville. Un moment, elle imagina des excuses pour ne pas y aller. Or elle avait sacrifié une partie de ses faibles économies pour financer ce voyage. Elle s’en voudrait encore plus d’avoir dépensé son argent pour rien. Le peu d’ego qui lui restait n’avait pas besoin de ses reproches supplémentaires. Après tout, c’était peut-être cela dont elle avait besoin pour se changer les idées : ce voyage à Mulhouse.
Le rendez-vous du Blablacar était à 14 h à la gare de Reims. Elle avait le temps de se préparer et de faire son sac. Puis de grignoter un truc avant de se rendre au lieu de rendez-vous. Elle se leva sans bonheur ; résignée.
Le paysage défilait. Le conducteur et la passagère avant discutaient, mais elle n’arrivait pas à distinguer la teneur de leur échange en raison du bruit du moteur et du léger ronflement de sa voisine, assoupie contre son épaule. Elle n’osait pas bouger pour ne pas la réveiller. Elle se contentait de regarder dehors le paysage et le soir qui tombait déjà.
Sa voisine assoupie revenait aussi du rassemblement évangélique. Protestante comme elle, elle avait participé à cette semaine de jeûne et de prière, cet avant Carême organisé à la mégachurch du quartier de Bourtzwiller à Mulhouse. Même si elles avaient participé toutes les deux à ce rassemblement, Élise avait seulement fait connaissance de sa voisine quelques heures plus tôt, devant la gare, lieu de rendez-vous pour le co-voiturage retour. Ce qui n’était pas surprenant. Ils étaient plus de deux milles à avoir participé à cette semaine précédant le carême. Deux mille personnes venues des quatre coins de l’hexagone et même quelques fois de plus loin. L’un de ses voisins dans l’église venait de Guyane.
Elle avait passé une semaine, assise sur une chaise en bois inconfortable. À prier en espérant que Dieu entende ses prières. Et elle était un peu déçue. La grande révélation qu’elle attendait n’avait pas eu lieu. Pas de miracle. Pas d’illumination inespérée. Au fond d’elle-même, même si elle refusait de le reconnaître ouvertement, elle espérait toujours rencontrer l’âme sœur. Et espérait qu’au détour de son chemin, chez des amis, ou au hasard d’une rencontre, elle rencontrerait celui qui tomberait amoureux d’elle et la rendrait par la même occasion heureuse. Cependant, les beaux célibataires n’avaient pas croisé son chemin dans cette immense église. Les prières et les messages de paix et d’amour durant cette semaine de recueillement n’avaient pas réchauffé son âme. Pas de bouleversement émotionnel. Rien d’intarissable. À l’exception de la soirée d’hier. Pour fêter la fin du rassemblement, elle avait accepté de se joindre à un petit groupe d’évangélistes pour aller manger avec eux dans une pizzéria du centre-ville. Afin de débuter la période des quarante jours de Carême par un dernier repas festif.
C’est cette soirée qu’elle avait à l’esprit en regardant le paysage défiler de l’autre côté de la vitre.
Il avait souri. Le bruit dans la pizzéria était important. Il y avait beaucoup de monde. Sans doute d’autres évangélistes qu’elles ne reconnaissaient pas. Des participants au rassemblement qui, comme elle et son petit groupe, avaient décidé de terminer la semaine au restaurant.
Ben, celui qui lui avait posé la question, était l’ami de Claire qui était assise à l’autre bout de la table. Il n’avait pas participé au rassemblement. Il avait juste rejoint le groupe pour manger. Jusqu’au dernier moment, il n’avait pas confirmé sa présence et Claire ne lui avait pas réservé de place à ses côtés. Quand il était arrivé, les convives s’étaient proposés de se pousser pour libérer une place auprès de Claire, mais il avait décliné. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé assis face à Élise.
Il avait reposé la question.
Elle avait répété sa réponse.
Et il avait souri à nouveau.
Était-elle croyante ? Elle ne savait plus. Elle n’en était plus sûre. Et encore moins après cette semaine de recueillement religieux. Ni les prières, ni la ferveur religieuse des autres participants qui, eux, semblaient habités par la foi, n’avaient atteint son cœur. Elle était venue chercher des réponses sur sa foi. Et elle repartait avec encore plus de doutes.
Pour combler le brouhaha ambiant, ils devaient s’avancer l’un vers l’autre, au-dessus de la table, pour s’entendre. Le service était long et les plats se faisaient attendre.
Sortir n’était pas le verbe exact. Un an de séparation, ce n’est plus une sortie. C’étaient les adieux de Sisyphe.
Les questions auraient pu sembler indiscrètes. Toutefois, la naïveté avec laquelle elles étaient posées faisait qu’elles ne choquaient pas Élise.
Il acquiesça par une mimique appropriée d’empathie. Ces petits gestes qui traduisent le non-jugement et qui favorisent les confidences.
Ils marquèrent un court silence, puis il reprit :
Elle ne lui laissa pas finir sa phrase :
Cela les fit rire de concert. À proprement parler, ce n’était pas vraiment un rire, mais plutôt un sourire sonore.
Il ne lui fit pas part de son étonnement même s’il fut surpris qu’elle captât son allusion à la chanson de Michel Jonasz.
De son côté, Elise pensait que Ben était le type d’homme qu’elle aurait peut-être aimé rencontrer dans un autre endroit, dans un autre moment. Mais surtout, s’il n’avait eu pas au moins quarante ans de plus qu’elle. La différence d’âge rendait caduque toute possibilité d’attirance.
Ni l’un ni l’autre n’était dans la séduction.
Élise avait rencontré Claire, l’amie de Ben, au début du rassemblement et très vite elle avait senti en elle de la bienveillance et du non-jugement. Très vite, elle l’avait considérée comme une mamie protectrice. Elle avait ainsi naturellement intégré son tout petit groupe, fait quand même un peu de bric et de broc, lui semblait-il. Mais toutes aussi sympathiques les unes que les autres.
Les plats n’étaient toujours pas arrivés. Le service semblait ralenti par une affluence sans doute exceptionnelle pour un dimanche soir. Or Élise ne s’impatientait pas. Comme Ben qui, lui aussi, semblait détendu. L’endroit était convivial. Composé de grandes tablées comme l’image des tavernes qu’Elise avait dans son imaginaire. Il y avait même une cheminée dans le fond de la salle. Et la lumière chaude de l’éclairage donnait au tout un certain charme.
Et voilà, elle se sentait cruche en sentant les larmes lui venir aux yeux ! Pourquoi fallait-il que cela se termine toujours comme cela ? Sans prévenir. Une seconde plus tôt, elle pensait pouvoir avoir cette conversation sans sentiment et bim ! Une seconde après, elle avait son cœur qui se pinçait et les larmes qui lui montaient aux yeux. Une vraie cruche ! Qui allait encore se donner en spectacle. Cependant, sa honte se dissipa un peu quand sa voisine, qui jusque-là s’était contentée d’écouter la conversation sans intervenir, lui avait caressé le dos d’un geste amical et réconfortant.
Ben, lui, le regard doux, gardait le silence.
Elle fit un haussement d’épaules et elle répondit, maîtrisant plus ou moins sa voix.
Après une longue inspiration, elle ajouta qu’il la trouvait trop grosse.
Ben lui prit alors la main.
Ne se sentant pas capable de répondre, elle renifla et acquiesça.
Les plats arrivèrent enfin et la soirée suivit son cours. Ben et Élise changèrent de conversation. Les larmes d’Élise séchèrent. Ce n’est qu’au moment de se dire au revoir que Ben s’approcha d’elle et lui murmura de ne pas oublier de laisser aux autres leurs problèmes.
Bien sûr, Élise pensa que cette recommandation était facile. Ben n’était pas dans sa vie. Ce n’est pas lui qui était amoureux d’un pauvre type qui l’avait plaquée parce qu’il la trouvait trop grosse. Or elle ne put effacer les paroles du vieux sage. Et c’est à ces paroles qu’elle pensait en regardant défiler le paysage qui tombait dans la nuit, sa voisine de trajet, toujours endormie sur son épaule.
Le conducteur parlait toujours avec la passagère avant, sans qu’elle puisse percevoir la teneur de leur conversation. C’était un bel homme. Bien carré d’épaule. Bien musclé. Quand ils avaient embarqué, en attendant que tous les passagers soient là, il lui avait dit qu’il était maître-nageur dans une piscine à Arras et qu’il revenait d’une compétition de natation qui s’était déroulée à Mulhouse. Le genre de mec qui ne devait pas laisser insensibles les femmes. Mais pas pour elle. Trop bien pour elle.
Elle avait dû prendre froid, car elle sentait un rhume arriver. Ce n’était pas le moment d’éternuer, pour ne pas réveiller l’endormie sur son épaule.
Dos à la porte, face à la fenêtre qui donnait sur le jardin Minelle, Henri regardait la pluie tomber. Il faisait très froid et cela ne donnait pas envie de se balader. D’ailleurs, ce matin, le parc urbain était désert.
Il avait encore en tête l’article de la Voix du Nord du jour sur la révélation des premiers cas de Coronavirus dans les Hauts-de-France. Néanmoins, les autorités de santé, comme l’Agence Régionale de Santé, se voulaient rassurantes malgré les chiffres inquiétants de la progression de l’épidémie dans certains pays, comme en Italie notamment. Il n’était toutefois pas totalement rassuré, même s’il ne voulait pas tomber dans le piège aliénant d’une phobie anxiogène. Comme le répétaient certains de ses confrères, ce virus n’était peut-être, après tout, qu’un « simple » virus de la grippe.
Cela le préoccupait. Parce que médecin, il se sentait le devoir de faire face au questionnement éventuel de ses patients. Même s’il n’était pas généraliste, mais médecin du sport, ses patients, comme tout un chacun, avaient le droit à la vérité sur ce virus. Ensuite, il était inquiet pour Emma, car ce maudit virus pouvait être à l’origine d’un SRAS, donc un syndrome respiratoire aigu sévère. Et Emma était asthmatique.
Cependant, à part quelques inquiétudes qui montaient dans une partie du corps médical, notamment les urgences hospitalières, rien ne lui permettait de remettre en cause les propos rassurants de l’ARS, du ministre de la Santé, de la porte-parole du gouvernement, du Premier ministre et du Président de la République. Tous s’accordaient pour dire qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.