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Un car-jacking à Quimper lance le capitaine Paoli sur une nouvelle enquête en Bretagne.
Alors qu'il travaille sur une série de braquages à domicile, le capitaine Paoli est témoin d'un car-jacking en plein centre-ville de Quimper et l'enquête va s'accélérer, d'autant que les agressions se font de plus en plus violentes.
Avec ce cadavre découvert dans les bois, les malfrats sont-ils en train de passer la vitesse supérieure ?
Paoli se doit d'arrêter au plus vite leurs agissements, surtout que l'un de ses collègues vient à compter au nombre de leurs victimes...
Avec cette intrigue menée tambour battant, découvrez sans plus attendre le 7e tome des enquêtes du capitaine Paoli !
À PROPOS DE L'AUTEURE
Annie LeCoz, lorsqu’elle n’exerce pas sa profession de technicienne de laboratoire, lance son héros, François Paoli, un policier d’origine corse établi en Bretagne, à la poursuite de personnages plus retors les uns que les autres. Cette fois, ses investigations le mèneront à travers la Cornouaille, des rochers de Beg-Meil à la forêt de Laz, car les malfaiteurs qu’il traque, volent des véhicules.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Merci Nicole et Fred, pour votre disponibilité et vos bons conseils, chacun dans votre domaine.
Il était rentré ; fatigué, mais pas au point de se vautrer dans le canapé dont le tissu déteint et usé trahissait les longues heures que son propriétaire y passait. Il se dirigea dans un coin de la pièce après avoir jeté négligemment sa veste sur les coussins enfoncés. Là, debout, se tenait son instrument. Paul le prit et le regarda comme s’il le tenait pour la première fois. Il l’avait rapporté d’un voyage en Australie, voyage dont il n’avait pas gardé que de bons souvenirs. L’instrument, lui, faisait partie des bons moments.
Il emballa le long tuyau d’eucalyptus sculpté dans une housse adaptée, sortit de chez lui et monta à bord de son 4x4, avec cet air coupable de celui qui n’a que 500 mètres à faire. Mais il se déculpabilisa très vite en se disant qu’il irait faire quelques courses après avoir joué de la musique.
Il sortit de son 4x4. Le soleil commençait sa lente descente vers l’horizon et les promeneurs se raréfiaient. Il quitta le chemin des douaniers et se retrouva dans les rochers polis par la mer. Portant le didgeridoo en travers du dos, Paul se déplaça de roche en roche à la recherche d’une anfractuosité différente de la dernière fois.
L’ayant enfin dénichée, il sortit l’instrument de son étui. Il souffla dedans – un coup pour rien – puis s’assit et posa l’extrémité la plus large dans le creux des rochers.
Cela faisait une demi-heure qu’il jouait de sa trompe du bout du monde avec le bruit des vagues en fond sonore, quand il perçut une présence. Le vent lui avait apporté les effluves d’un parfum féminin. Paul ouvrit les yeux – il jouait toujours les yeux fermés – et les leva vers les premiers rochers qui faisaient suite au chemin. Une jeune femme s’était assise et avait croisé les bras autour de ses genoux. Unique auditrice de son concert, elle découvrait des sons jusque-là inconnus.
Il continua son morceau, modulant son souffle et son rythme, ainsi qu’il avait vu les aborigènes le faire. Quand il l’eut achevé, il but quelques gorgées d’eau au goulot de la bouteille qu’il avait emportée. Elle profita de cet intermède pour quitter sa place et le rejoindre en s’aidant des mains pour se déplacer entre les rochers.
— Bonjour !
— Bonsoir.
— Oui… bonsoir… c’est vrai que la lumière a bien baissé.
Il lui sourit brièvement.
— C’est la première fois que j’entends de tels sons, poursuivit-elle. Ce n’est pas un instrument courant, n’est-ce pas ?
Il ignora sa réflexion.
— Je vous dérange, je crois…
— Un peu, oui.
— Excusez-moi. Je vous laisse.
Elle se retira et regagna le sentier tandis que Paul se remettait à jouer.
La nuit allait l’envelopper quand il s’arrêta. Des nuages venant de l’ouest approchaient, poussés par le vent qui se levait. De l’autre côté de la baie, le phare s’était allumé et envoyait ses pinceaux lumineux vers le large. Paul se déplia et rangea l’instrument. En quelques souples enjambées, il retrouva le chemin de terre et de sable. Il télécommanda l’ouverture de sa voiture qui clignota. Le didgeridoo soigneusement déposé sur la banquette arrière, il se mit au volant et démarra. La radio de bord s’alluma sur un programme de musique classique qui fit bientôt place au flash d’informations.
*
Il coupa le moteur de son 4x4 et soupira. Il avait mis plus de temps que prévu au supermarché. Et maintenant, il fallait encore ranger les diverses denrées à leur place : les surgelés au congélateur, l’épicerie dans les placards, le liquide dans la cave moderne qu’il s’était offerte dernièrement.
Lorsqu’il eut fini, il ferma sa porte et rangea son compagnon en bois exotique. Un détour par la chambre pour enfiler un chandail et retour au salon où il monologua :
— Bon, mon petit Paulo, si je te payais un petit verre, qu’en penserais-tu ?
— Ma foi, ce n’est pas de refus.
— Whisky ?
— Pas ce soir.
— Alors, quoi ?
— Et si tu débouchais une bonne bouteille de Bourgogne, pour une fois ? se proposa-t-il.
— Va pour un Bourgogne !
Il ouvrit la porte de sa cave, caressa des yeux des étiquettes de grands crus, avant que ses doigts ne se posent sur une bouteille de Nuits-Saint-Georges.
— Nuits-Saint-Georges ? Eh bien, mon cher, tu ne te refuses rien !
— Et pourquoi le ferais-je ? On n’a que le bon temps qu’on se donne !
Paul n’avait pas pour habitude de parler tout seul, hormis les jours – et surtout les soirs – où la solitude lui pesait de trop. Comme à ce moment-là.
Il prit le tire-bouchon et l’enfonça lentement dans le liège. Il débouchait consciencieusement sa bouteille lorsqu’on sonna.
— J’arrive ! cria-t-il en abandonnant la bouteille sur une table.
Il prit le temps de humer le bouchon avant d’aller ouvrir.
— Vous ? fit-il en reconnaissant la jeune femme des rochers.
— Si vous me voyez…
— Que puis-je pour vous ?
— Me dépanner, mais si je vous dérange…
— J’allais juste boire un verre.
Au bout d’un moment qu’elle jugea suffisant pour qu’il l’ait détaillée, elle demanda :
— Alors, vous venez m’aider ou vous restez planté, là ?
— Vous êtes pressée ?
— En général, ce sont les citrons que l’on presse…
— Vous avez de l’humour…
— Il en faut en face d’un homme qui ne vous a même pas proposé d’entrer !
— Pourquoi ce ton agressif ? Je ne vous ai rien fait.
— Justement, vous ne faites rien ! Je suis venue demander de l’aide et…
— Ah oui ! Excusez-moi.
— Croyez bien que si on m’avait répondu là où j’ai sonné, je ne serais pas venue jusque chez vous.
— C’est logique. Bon, qu’est-ce qu’elle a votre bagnole ?
— Si je le savais ! Elle a fait « touf, touf » et puis, plus rien. J’aurais dû être rentrée depuis une heure. De plus, ce n’est pas ma voiture.
— Bon, allons voir. Où est-elle ?
— À cinq ou six cents mètres, environ, répondit-elle en allumant sa lampe-torche.
Ils arrivèrent au véhicule et elle ouvrit la portière pour s’installer à l’intérieur.
— Mettez le contact, ordonna-t-il.
Rien ne se produisit en dehors du bruit du démarreur.
— Je vous ouvre le capot ? Tenez, prenez la pile, sinon vous ne verrez rien.
La tête sous le capot, Paul promena le faisceau de la lampe sur les divers organes du moteur tandis qu’elle faisait un nouvel essai de démarrage.
— Vous voyez quelque chose ?
— Le moteur.
— Évidemment, le moteur, et heureusement encore ! Vous avez de ces réponses !
— Vous avez de ces questions ! lui répliqua-t-il en revenant à la portière.
— Quand je vous demandais si vous voyiez quelque chose, cela sous-entendait quelque chose d’anormal !
— J’avais compris.
— Oh, vous alors !
— Au lieu de râler, remettez donc le contact.
Il se pencha dans l’habitacle sombre, éclaira le tableau de bord et regarda les divers voyants.
— Je parie que vous avez essayé de démarrer la voiture plusieurs fois.
— Ben, oui, admit-elle.
Paul ressortit.
— Alors ? Vous ne faites rien ?
— Que voulez-vous que je fasse ?
— Comment ?
— Il n’y a rien à faire.
— Comment ça ?
— Regardez la jauge, elle indique que vous n’avez plus d’essence.
— Plus d’essence ! Mais… mais, l’aiguille est toujours dans cette position.
Paul partit d’un grand éclat de rire.
— Ha, ha, ha, ha ! C’est bien la première fois qu’on me fait le coup de la panne de cette façon !
— Et ça vous fait rire ! s’indigna-t-elle.
— Vous ne pensez quand même pas que je vais me mettre à pleurer.
— Ce n’est pas drôle !
— Oh si ! En plus, vous avez déchargé la batterie en essayant de démarrer.
— Arrêtez de vous moquer de moi !
Il s’éloigna de la voiture en continuant à rire.
— Où allez-vous ? cria-t-elle.
— Chez moi.
— Revenez ! Monsieur Forestier !
— Vous savez mon nom ? s’étonna-t-il en pivotant sur lui-même.
— Il est écrit sous le bouton de votre sonnette, il faudrait que je sois illettrée ou aveugle pour ne pas le lire, répliqua-t-elle en verrouillant la portière.
— Et vous n’êtes ni l’un ni l’autre…
Elle rattrapa Paul.
— Je pourrai téléphoner de chez vous ?
— Vous n’avez pas de téléphone mobile ?
— Si, mais… heu… il est déchargé, lui aussi.
— Ah !
Il pressa le pas.
— Pourquoi marchez-vous si vite ? Attendez-moi ! Et merde, voilà la pluie !
— Dépêchez-vous, vous allez être trempée.
Il avait pris quelques pas d’avance quand il entendit un cri, suivi d’une bordée de jurons.
— Aïe ! Merde ! Fait chier ! Merde !
— Alors, vous venez ?
— Ça va, j’arrive !
Cent mètres plus loin, alors qu’il marchait dix pas devant elle, un hurlement déchira l’obscurité.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ?
— Je suis tombée.
— Eh bien, relevez-vous !
— Je… je ne peux pas…
Cette fois, le ton avait changé. Il crut déceler des pleurs dans sa voix étranglée. Alors il revint sur ses pas, jusqu’à la lampe-torche dont la lumière avait faibli.
— Allez, debout, lui ordonna-t-il en la prenant par le coude.
— Aïe ! Aïe !
— Vous avez mal ?
— Je dis ça pour le plaisir, vous croyez ? Aïe ! Punaise, ça fait mal !
— Bon, on y va.
Comme s’il s’était agi d’une plume, il la souleva.
*
Il la déposa dans l’entrée où elle s’adossa contre le mur.
— Merci.
— Déshabillez-vous.
— Quoi ! Vous n’êtes pas bien ? Moi, me déshabiller devant un inconnu ! Et quoi encore !
— Obéissez, sinon vous allez prendre froid.
Lui-même retira son pull-over qu’il portait à même la peau et défit son jean en partant à la salle de bains. Il reparut dans un jean sec, une chemise de flanelle ouverte sur le torse.
— Qu’attendez-vous pour retirer vos vêtements ? Tenez, je vous ai apporté une serviette et un peignoir. Allez, ôtez-moi ça.
— C’est que…
— Oh ! Madame veut sans doute faire ça à l’abri de mon regard… D’accord, la salle de bains est par ici, dit-il en désignant la porte.
Elle passa devant lui en sautant à cloche-pied et en lui jetant un :
— Trop aimable !
Cinq minutes plus tard, elle sortit de la salle de bains en peignoir. Paul lui proposa le bras pour lui faire gagner le canapé.
— Je ne sais toujours pas qui vous êtes, dit-il. Comment vous appelez-vous ?
— Tina Mars.
— Enchanté, mademoiselle Tina Mars.
— Qu’est-ce qui vous dit que je ne suis pas mariée ?
— Pas d’alliance. Bon, montrez-moi votre cheville.
Avec précaution, il examina l’articulation qui avait doublé de volume.
— Jolie foulure.
— Aïe !
— Excusez-moi. Je vous ai à peine touchée. Ne bougez pas, je vais chercher de la glace.
— Vous pouvez me passer le téléphone ? C’est pour la voiture…
— Oubliez donc votre voiture, il fera jour demain, dit-il de la cuisine.
— Quoi ! Mais… mais, je ne vais pas rester là !
— Tenez, mettez déjà ça sur votre cheville. Je vais fouiller mon armoire à pharmacie.
— Mais… Paul ! Paul !
— Oui, je crois que j’ai le nécessaire, lui cria-t-il de la salle de bains.
Tina dut attendre son retour avant de réclamer à nouveau le téléphone.
— Il faut que je donne un coup de fil.
— À qui ?
— Ça ne vous regarde pas.
— Tout ce qui se passe sous mon toit me regarde.
— Oh, vous alors !
— Vous l’avez déjà dit, tout à l’heure.
— Aïe ! Espèce de brute ! Vous me faites mal !
— Tenez, avalez donc ça, ça soulagera la douleur.
— Non.
— Allons, ne soyez pas stupide et prenez ces cachets.
— Et si je les avale, vous me donnerez le téléphone ?
Il hocha la tête et se mit en devoir de bander la cheville de Tina. Du vrai travail de secouriste.
— Voilà, je les ai pris.
— Bien. Vous aimez le vin ? Je venais d’ouvrir ce Nuits-Saint-Georges quand vous avez sonné…
— Et le téléphone ?
— D’abord le vin, d’accord ? Car si je ne verse pas ce nectar dans les verres qui s’imposent, son arôme n’aura pas le temps de se réveiller.
— Vous êtes impossible, il n’y a que votre vin qui compte.
— Vous feriez bien de vous calmer un peu avant que je ne décide de vous jeter dehors.
— Vous oseriez ?
— Vous voulez parier ?
Leurs regards s’affrontèrent un moment, puis Paul sortit des verres du buffet et versa religieusement le vin dedans.
— Tenez, voici le téléphone.
— Enfin ! Ce n’est pas trop tôt !
— Vous pourriez dire merci…
Elle haussa les épaules et composa un numéro.
— Vous n’avez eu que son répondeur ? interrogea Paul lorsqu’elle raccrocha.
— Oui.
— Drôle de mec que vous avez. D’abord, il vous prête une voiture dont la jauge est nase, ensuite, vu l’heure qu’il est, il n’est même pas à la maison.
— L’heure qu’il est ? Mais… quelle heure est-il ?
— Vingt et une heures. Si vous voulez mon avis…
— Je ne vous le demande pas, coupa sèchement Tina, et je n’en ai rien à foutre !
Cependant, quand elle consulta la pendule du salon, Paul devina qu’elle se posait des questions. Elle ne s’était sûrement pas attendue à entendre le répondeur et, visiblement, elle en était contrariée.
— Vous aimez la saucisse sèche ?
— Comment ?
— Ça, vous aimez ? la questionna-t-il en commençant à découper des rondelles de saucisse.
— Oh ! Oui, oui…
— Et le fromage ?
— Aussi.
Tina avait répondu distraitement. Paul revint de la cuisine avec une baguette de pain et un assortiment de fromages posé sur une assiette. Il s’assit près de Tina.
— Alors, mademoiselle Tina Mars, si nous faisions un peu connaissance…
— Pardon ?
— Je vous l’ai dit tout à l’heure, tout ce qui se passe sous mon toit m’intéresse, et je n’ai pas pour habitude de prêter mon peignoir à n’importe qui sans savoir à qui j’ai affaire. Je pense que c’est normal, non ?
Il lui tendit l’un des deux verres et prit l’autre. Après s’être renversé contre le dossier du canapé, il fit tourner légèrement le vin, approcha le verre de son nez et ferma les yeux.
— Hum ! Quelle merveille ! s’extasia-t-il. Sentez-moi ça comme ça sent bon !
— Ça sent le vin.
— Sentez mieux, lui conseilla Paul. Vous découvrirez des parfums de fruits rouges.
Elle fit mine de s’exécuter, mais il ne fut pas dupe.
— Bon, ce n’est pas grave, mais c’est dommage.
— Qu’est-ce qui est dommage ?
Il ignora sa question et prit une gorgée de vin qu’il fit tourner dans sa bouche pour en découvrir ses subtilités.
— Je savais qu’il était bon, jubila-t-il. Bon ? Que dis-je, c’est un délice des papilles !
Pendant quelques instants, Paul concentra son attention sur son Nuits-Saint-Georges pour oublier l’agressivité latente de Tina, laquelle avalait deux bouchées de fromage du Cantal après une rondelle de saucisse. Quand elle eut fini son fromage, elle avala une gorgée de vin, puis une autre, et reposa son verre.
— Alors, qu’en pensez-vous ?
— De votre vin ?
— Oui.
— Il se laisse boire, mais j’avoue ne pas connaître grand-chose dans ce domaine.
Paul la regarda, se retenant de lui demander dans quel domaine elle connaissait quelque chose. Bien sûr, la mécanique n’en faisait pas partie, et, apparemment, le vin non plus.
— Je suis guide touristique, commença-t-elle. Aujourd’hui, le groupe que j’accompagnais, a repris le car pour Paris. J’avais donc mon après-midi libre et j’ai pris la voiture pour venir ici. Après avoir arpenté les rues de Quimper et piétiné dans la cathédrale, j’ai eu envie de changer d’air. Je n’aime déjà pas beaucoup l’odeur de l’encens, mais quand une femme dont la veste sent l’antimite se presse contre moi parce que la pile de son sonotone est usée, j’ai la nausée.
— Je comprends, fit-il avec un petit sourire en coin.
— Vous permettez que je rappelle Laurent ?
— Faites.
Tandis qu’elle téléphonait, Paul reversa un peu de vin dans leurs verres.
— C’était encore le répondeur, soupira-t-elle en reposant le combiné. Il faut que je rentre. Puis-je vous demander de me ramener à Quimper ?
— Demandez toujours, mais je crains que ce soit impossible.
— Pourquoi ? Le 4x4 qui est devant la maison n’est pas à vous ?
— Si.
— Eh bien, alors, qu’attendez-vous pour vous lever de votre fauteuil, prendre votre clef et me conduire ?
— Demain matin, peut-être…
— Quoi ! Demain matin ? Mais… vous n’y songez pas !
— Oh si ! Avec ce que j’ai bu, je dépasse certainement le taux maximal autorisé d’alcoolémie. Appelez un taxi si vous tenez absolument à rentrer.
— Je n’ai pas assez d’argent.
Paul regarda Tina un instant et récapitula :
— Alors, panne de voiture, batterie de téléphone à plat, et pas un sou en poche ! C’est la totale, ce soir, dites-moi !
— Oh, ça suffit, arrêtez vos sarcasmes !
Paul vida son verre, se leva et fouilla son portefeuille.
— J’ai un peu d’espèces, mais pas assez pour payer une course de nuit. Donc, la question est réglée. En plus, dans cette tenue… je ne voudrais pas être désobligeant, mais vous pourriez vous faire arrêter pour attentat à la pudeur.
— Oh !
— Bien, je vais vous prêter mon lit.
— Je refuse de dormir avec vous !
— Qui vous a parlé de ça ? À moins que vous ne vouliez réaliser un quelconque fantasme…
— Mes fantasmes ne regardent que moi et, si vous voulez le savoir, vous n’êtes pas mon type de mec !
— Eh bien, tant mieux ! Comme ça, je suis tranquille, vous ne viendrez pas me déranger au milieu de la nuit.
Paul la souleva du canapé et traversa la moitié de la maison pour emmener Tina à sa chambre. Il la déposa près du lit et alluma la lampe de chevet, puis il rabattit un coin de la couette.
— Voilà, vous n’avez plus qu’à vous coucher. Bonsoir, Tina.
Paul ferma la porte du salon et se déshabilla. Il était presque minuit quand il s’installa en chien de fusil dans le canapé, un coussin calé sous la tête, et qu’il se recouvrit du duvet.
Dehors, la pluie avait redoublé et ses gouttes martelaient le pavage de la terrasse.
Il remonta le duvet jusqu’à son front, ne laissant dépasser que le haut de ses cheveux châtains. Ainsi couvert, il se laissa bercer et ne tarda pas à s’endormir.
*
Dans le lit de Paul, Tina essayait en vain de trouver le sommeil.
Non seulement sa cheville lui faisait de nouveau mal, mais elle pensait à Laurent. Elle ralluma la lampe de chevet et repoussa la couette. Le réveil indiquait une heure du matin.
Elle se mit debout et renoua les liens du peignoir. Puis, s’aidant des quelques meubles de la pièce, elle progressa en serrant les dents et en tendant l’oreille.
Le silence était total, même dehors où la pluie avait cessé.
Laissant la porte de la chambre ouverte, elle se dirigea vers la salle de bains. Elle tâtonna un instant à la recherche de l’interrupteur et l’actionna. L’armoire à pharmacie surplombait le lavabo. Elle en ouvrit la porte et fit l’inventaire de son contenu. Ce fut rapide. Un tube d’aspirine, un flacon de désinfectant, une boîte de pansements, un tube de pommade anti-inflammatoire – celui-là même qu’il avait employé pour la cheville enflée – et une boîte de cachets contre les acidités gastriques.
« Où a-t-il foutu ses cachets ? » pensa-t-elle. « Ah ! Peut-être dans la cuisine… Allons voir. »
Elle reprit son déplacement à cloche-pied vers la cuisine.
Hélas, son pied blessé heurta un objet qu’elle n’avait pas vu.
— Aïe ! Merde ! Qu’est-ce que ce machin foutait là ?
En réponse à sa question, la voix de Paul s’éleva.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
— C’est moi, je cherche les cachets que vous m’avez donnés tout à l’heure.
— Ils sont ici, au salon.
— Zut, lâcha Tina, j’aurais dû m’en douter.
Elle allait ouvrir la porte du salon quand la stature de Paul s’inscrivit dans son encadrement.
— Je… je…
— Je sais, vous ne vouliez pas me réveiller, mais vous l’avez fait.
— C’est ma faute, à moi, si tout traîne dans votre baraque ?
— À part vous, je ne vois pas ce qui traîne ici.
— Votre truc, là, dans lequel je me suis cogné le pied.
— Oh, vous parlez du pot de ma plante verte !
— Vous avez une plante verte, vous ?
— Ben oui, pourquoi ? C’est si extraordinaire que ça d’en avoir chez soi ?
— Où sont les cachets ?
— Vous ne les voyez pas sur le buffet ?
— Je vous prends toute la boîte, je vous la remplacerai.
— D’accord. Bonne nuit.
— Comme si ma nuit pouvait être bonne ! N’importe quoi ! Je souffre, je suis chez un inconnu, et il me souhaite une bonne nuit ! Je vous jure, il y a des moments… Et merde !
Elle venait de se cogner contre un meuble en se déplaçant. Paul s’esclaffa, malgré lui.
— Ça suffit ! explosa Tina. J’en ai assez de vos moqueries à mes dépens ! Assez !
— Je vais vous ramener au lit.
— Non, fichez-moi la paix !
— Dans ce cas, je vous laisse et je retourne dans mon canapé.
Il était au seuil de la chambre quand il se retourna et ajouta :
— Si vous avez besoin de quelque chose, appelez, je viendrai.
*
Tina était retournée sous la couette. Elle entendit Paul tapoter son oreiller, puis plus rien : il avait dû se rendormir.
Elle sortit le bras droit du lit et prit son téléphone posé sur le chevet. Elle l’alluma, composa son code PIN : l’appareil était prêt à fonctionner.
Elle patienta encore une demi-heure, puis se releva. Son expédition précédente lui avait permis un ultime repérage. Il ne restait plus qu’à expédier un MMS.
Cela ne lui prit pas plus de deux minutes, après quoi, elle repartit se coucher.
La nuit se dissipa, faisant place à une journée qui s’annonçait ensoleillée. Paul ouvrit les yeux et se déplia du canapé, quelque peu ankylosé. Il s’étira, puis ouvrit la baie vitrée. L’air frais du matin entra dans la pièce.
En se frottant énergiquement le cuir chevelu d’une main, de l’autre, il ouvrit un placard. Il déplaça un paquet de nouilles et attrapa la boîte à café. Elle était légère dans sa main, mais, après vérification, il y aurait suffisamment de mouture pour faire deux bols de café et même trois. Son petit-déjeuner fini, il partit sous la douche, puis se rasa et retourna se vêtir au salon.
— Bon, maintenant que je suis prêt, je vais la réveiller, soliloqua-t-il devant la porte de la chambre.
Et il frappa trois fois avant de pousser la porte.
— Debout, Tina !
— Hein ? Quoi ?
— Le café est en train de refroidir, dit-il en poussant les volets. Et il fait beau !
— Ça va, ça va, j’ai compris !
Dix minutes plus tard, Tina s’asseyait devant un bol de café et une tartine beurrée.
Et quand elle eut fini, elle remercia Paul et sortit.
— Hé ! Où allez-vous ?
— Ben… chercher de l’essence !
— Vous ne voulez pas que je vous y conduise ?
— Ben…
— Allez, montez !
*
Le 4x4 s’éloigna, suivi par deux paires d’yeux cachées derrière des lunettes de soleil.
— Ça ne devrait pas poser de problème.
— Non.
— Ce soir ?
— Ou demain. Il faut voir.
— Bonjour monsieur Forestier.
— Bonjour monsieur Martin. Alors, vous êtes descendu de Paris pour profiter du grand air ?
— Oui. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le soleil soit de la partie.
— Le vent est passé au nord, ça devrait pouvoir se faire.
— Bon, je vous laisse. Venez donc ce soir prendre un verre à la maison, Simone sera ravie de vous voir. Vers dix-neuf heures, ça vous va ?
— Très bien.
— Alors, à ce soir !
Tandis qu’il échangeait ces quelques paroles avec son voisin occasionnel, Paul avait sorti une partie de ses achats du jour. Trois sacs dans une main, il ouvrit la porte d’entrée de l’autre. Le parfum de Tina flottait encore dans la maison.
*
Vers trois heures et demie de l’après-midi, alors qu’il somnolait au soleil dans une chaise longue, à l’abri du vent, le téléphone sonna. Il se cala encore mieux et ignora la sonnerie.
— N’avez qu’à parler à mon secrétaire particulier, moi, je ne bouge pas, je suis trop bien ici. Pour une fois que je me chauffe la couenne…
Le secrétaire particulier de Paul était, en fait, sa voix enregistrée sur le répondeur et qui débitait le message suivant : « Si Paul Forestier ne vous répond pas, c’est qu’il est occupé. Alors, soyez gentil et laissez-lui un message, il vous rappellera dès qu’il aura pris connaissance de votre appel. Merci. » Suivait le signal sonore derrière lequel le correspondant pouvait parler.
Paul sourit en pensant au début de son message, mais son sourire s’effaça quand le téléphone sonna pour la deuxième fois, cinq minutes plus tard.
— Zut, je ne bougerai pas !
Mais quand l’appareil se fit entendre pour la troisième fois, il dut se résoudre à quitter sa chaise longue pour décrocher.
— Allô !
— Ah, quand même, vous y avez mis le temps !
— Tina ! Mais… pourquoi n’avez-vous pas parlé à mon secrétaire ?
— Qui ça ?
— Non, ce n’est rien, oubliez. Alors, que me vaut cet appel ?
— J’ai perdu une boucle d’oreille et je voulais savoir si, à tout hasard, vous ne l’auriez pas vue.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que vous l’avez perdue chez moi ?
— Vous pouvez vérifier ou pas ?
— Ça peut me demander un bon moment.
— Pourquoi ?
— Parce que vous vous êtes baladée dans toute la maison en sautillant, voilà, pourquoi.
— Je vous rappelle dans une heure, OK ?
— Non, pas OK du tout. Téléphonez-moi ce soir, vers… disons, vingt et une heures.
Et il raccrocha, décidé à profiter encore du soleil et de sa chaise longue. Il se réinstalla et sortit le bijou de la poche poitrine de sa chemise.
*
Vers dix-sept heures, le soleil se voila et contraignit Paul à quitter son rôle de chat paresseux. Il se leva et s’étira. Il avait deux heures devant lui avant d’aller chez ses voisins et quatre avant d’entendre à nouveau la voix de Tina. Il se sentit gagné par une certaine morosité à laquelle la disparition du soleil n’était pas étrangère.
L’espace d’un instant, il pensa prendre le didgeridoo et aller en jouer dans les rochers, mais il renonça et monta à son bureau.
Paul passa une heure et demie chez ses voisins. Alors qu’il mettait la main à la poche pour prendre sa clef, le téléphone sonna.
— Oui, j’arrive, j’arrive ! Merde, où est passée cette fichue clef ?
— Monsieur Forestier, vous avez oublié votre clef chez nous, fit une voix dans son dos.
— Quel distrait je fais ! Merci monsieur Martin.
À l’intérieur, le secrétaire allait finir son laïus quand il décrocha.
— Oui ?
— C’est Tina.
— Je m’en doutais.
— Alors, vous l’avez trouvée ?
— Que vous êtes impatiente ! Il n’est pas vingt et une heures.
— Oui ou non ?
— Et si je vous disais non ?
— Je pensais l’avoir perdue chez vous, dit-elle avec une pointe de déception dans la voix.
Après un court silence, elle reprit d’une voix plus ferme :
— À bien y réfléchir, je n’ai pas pu perdre ma boucle d’oreille ailleurs que chez vous. Vous êtes sûr d’avoir bien regardé partout ?
— Que suis-je censé répondre ? Oui ? Alors, c’est oui.
— Et vous ne l’avez pas trouvée ?
— Si.
— Pourquoi disiez-vous non, à l’instant ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, Tina.
— Oh, vous m’embrouillez, à la fin ! Donc, vous l’avez ?
— Sous les yeux.
— Ah ! fit-elle, soulagée.
— Vous pourriez dire merci.
— Oui, merci, répliqua-t-elle assez sèchement. J’irai la chercher demain matin.
— Et votre cheville ? Comment va-t-elle ?
— C’est moins douloureux.
— Tant mieux.
— Bon, à demain !
— Bon… soir…
La fin du mot mourut sur ses lèvres, juste après que Tina eut coupé la communication. Paul resta quelque peu perplexe, puis raccrocha et partit se doucher.
Il avait enfilé son peignoir et écoutait de la musique. Un CD de musique traditionnelle australienne tournait sur sa platine laser ; il essayerait, plus tard, de s’en inspirer pour « faire chanter les cailloux ». Cette curieuse expression était sortie, un jour, de la bouche d’un enfant de six ans, tombé sous le charme du didgeridoo de Paul. Le gosse ne l’avait pas vu, caché derrière un gros rocher, et avait cru que le son venait de la pierre. Quand il eut achevé son morceau, il l’entendit dire à sa mère : « T’as entendu, maman ? Le monsieur a fait chanter les cailloux. » Il l’avait trouvée amusante, puis, à la réflexion, s’était dit que l’enfant n’avait pas tout à fait tort. Depuis ce jour, quand quelqu’un lui demandait où il allait avec son instrument, il répondait : « Je vais faire chanter les cailloux. »
Le disque s’acheva. Le téléphone sonna, il était vingt-trois heures.
— Tina ?
Mais personne ne répondit et on raccrocha. Il soupira en levant les yeux au plafond, mit son secrétaire au travail – sans trop savoir pourquoi – et partit se coucher. Avant d’éteindre la lumière, il tourna la tête de côté, vers son chevet. La boucle d’oreille étincelait sous l’éclairage de la lampe.
*
Lunettes de soleil sur le nez, Tina sortit du taxi et paya le chauffeur qui repartit immédiatement. Elle regarda autour d’elle avant de suivre la courte allée qui menait à la porte de Paul. En équilibre sur son pied valide, elle pressa plusieurs fois le bouton de la sonnette. Mais il n’y avait que le silence derrière la porte.
— Paul ! Paul, c’est moi, Tina !
Alors qu’elle collait l’oreille à la porte, une mobylette pétaradante transportant deux adolescents passa. Elle attendit que l’engin eût disparu pour renouveler ses coups de sonnette et ses appels :
— Paul, ouvrez ! C’est moi, Tina !
Une de ses cannes lui échappa. Déséquilibrée, Tina se rattrapa à la poignée de la porte qui céda.
— Tiens, c’est ouvert… Paul, vous êtes là ? demanda-t-elle en franchissant le seuil. Paul !
Toujours pas de réponse. Tina releva ses lunettes au-dessus de son front. Lorsque ses yeux furent accoutumés à l’obscurité relative de la maison, elle nota immédiatement le désordre qui y régnait : des chaises renversées, les coussins du canapé par terre ; des livres avaient glissé de deux étagères descellées d’un mur et jonchaient le sol, et le pot de la plante verte qu’elle avait heurté était renversé. Comme en témoignaient deux rectangles de teinte plus claire, deux tableaux manquaient au-dessus du buffet.
— Paul ?