Candélabre - Marius Andrée - E-Book

Candélabre E-Book

Marius Andrée

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Beschreibung

Au cœur des années soixante, une petite communauté prospère et paisible vit au rythme de ses traditions, sous la bienveillante protection de l’église, du temple et de la mairie. L’ordre, immuable et sacré, semble régner, respecté de tous. Mais un jour, cette quiétude est troublée par une série de disparitions mystérieuses qui jettent une ombre inquiétante sur le village. La clé de ce mystère réside dans une confession inattendue, dévoilant les désirs sombres d’un homme autrefois jugé irréprochable. Désormais, plus rien ne sera jamais comme avant.

À PROPOS DE L'AUTEUR

"Candélabre " est le deuxième roman de Marius Andrée. Sa formation classique, enrichie par une vie mouvementée, lui a permis de croiser des personnages fascinants, qui inspirent une écriture à la fois profonde et riche.

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Marius Andrée

Candélabre

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marius Andrée

ISBN : 979-10-422-4720-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Comment Mr Fernand rendit son âme à Dieu

— Pute borgne, dit le père Albert. Juron qu’il proféra à voix basse, les dents serrées.

Il serait inconvenant et inconcevable que quelqu’un entende ainsi jurer le curé de la paroisse, l’homme le plus respecté de la ville, la personnalité la plus en vue, la plus écoutée, autorité morale, incontestable et incontestée. La lune s’accroche, le jour pousse, le soleil se fait attendre. Derrière l’église, entre une rangée de buis centenaires et un escalier de pierres froides, le curé, une pelle à la main, creuse avec application : fébrile. La terre est dure. Des cailloux et les racines des buis rendent la progression de la pelle difficile. Le ciel commence à rosir. Des oiseaux vont et viennent d’arbre en arbre, de buisson en buisson. Le curé souffle, peine, souffre, pousse la pelle avec le pied, demande au ciel de lui venir en aide. De temps en temps, il passe la manche de sa soutane sur son front où coulent de grosses gouttes de sueur. Le jour arrive, le curé accélère la cadence. Inquiet, il regarde le trou et mesure le travail qui lui reste à faire. Il faut que le trou soit fini avant la première messe, qu’avant la première messe, il ait le temps d’aller se raser pour être présentable, aux yeux des quatre bigotes qui tous les matins, sans coup férir, viennent entendre la messe. Vieilles commères, à la langue acérée, qui si elles remarquent quelque chose d’inhabituel, dans ou en dehors de l’église, ne manquent pas de faire des commentaires, de supputer et de médire. Vieilles peaux décharnées à l’haleine fétide, au regard torve, au cœur sec. Depuis des années, tous les matins, en maniant le goupillon, au moment de la bénédiction, le curé rêve de défoncer le crâne de ces vipères.

Le trou est presque fini. Encore un petit effort. Il doit être assez grand et profond. Le curé s’arrête quelques secondes, s’étire, reprend son souffle. La nuit a été longue, difficile, violente, mais tellement bénéfique, porteuse d’espoir et de renouveau. Une nuit de grâce, de beauté, de prières et d’abandon entre les mains du Seigneur Dieu tout puissant. Une nuit comme il en existe peu dans la vie d’un curé. Une nuit où avec l’aide de Jésus, de Marie, de Joseph et de tous les saints, la main vengeresse de Dieu a guidé le bras du pasteur pour frapper la brebis égarée. Il va faire grand jour, le bras du pasteur est fatigué, la brebis égarée, enroulée dans un drap, attend le moment où Mr le curé la jettera dans le trou. Un peu de sang s’écoule entre les plis du drap. Encore un effort, le curé descend la brebis. Avant de la recouvrir de terre, il récite une dernière prière.

— Seigneur, pardonne, si tu le peux, à cet homme de mauvaise vie, ce salopard dévoyé, ce fornicateur, ce débauché, ce suppôt de Satan, qui a osé m’avouer, en riant, qu’il soumettait à ses caprices des femmes dans le besoin contre un peu de viande. Et donne-moi la force de poursuivre ton œuvre. Amen.

La fosse refermée, le curé se dirige vers une petite serre, qui jouxte un des murs de l’église, revient avec une brouette pleine de fleurs qu’il plante sur et tout autour du monticule, se donne un petit air guilleret et agréable. Après avoir regardé l’ensemble de son œuvre, rangé ses outils, le curé regagne le presbytère, avec la satisfaction du devoir accompli. Un peu de toilette, un coup de rasoir, un coup de brosse sur la soutane et les chaussures, un coup de peigne, et le voilà prêt pour la première messe de la journée. Il lui reste du temps avant que la cloche de l’église sonne pour l’angélus du matin qui, par la même occasion, annonce le premier office. Cette nuit agitée, longue, épuisante, pour le prélat, demande un peu de réconfort. Il sort du buffet de la cuisine, une assiette de charcuterie, un reste de pain de Beaucaire, enroulé dans un grand torchon à carreaux, un verre et une bouteille de vin de messe. Il mange avec appétit, se verse à boire.

— À la santé de monsieur Fernand, homme de peu de foi, grand pêcheur devant l’éternel.

Une tasse de café bien chaude termine ce petit déjeuner pris en toute illégalité, le curé devant être à jeun pour pouvoir communier, mais il n’est plus à une incartade près. Avant de partir officier, il s’assied à son bureau, ouvre un cahier et écrit avec application : « Aujourd’hui, après l’avoir entendu en confession, j’ai tué à coup de candélabre, le boucher de la rue des Barris, parce que trop c’est trop. Je peux tout entendre, mais il y a des limites. Dieu ou Satan ait son âme. » Il range son cahier, prend sa barrette, qu’il pose sur son crâne aux cheveux épars et blanchâtres, puis sort du presbytère d’un pas assuré.

Direction la sacristie où l’attend Trottinette, de son vrai nom Antoine, le sacristain qui sonne les cloches. On le surnomme Trottinette parce qu’il marche à petits pas rapides. « On dirait qu’il trottine », disent les gens. Homme de confiance de l’église, il sert la messe, range, époussette, nettoie, fait briller la maison de Dieu du sol au plafond et rapporte au pasteur, tous les commérages de la ville et des hameaux environnants. Le curé traverse le perron, en évitant de regarder sur sa droite, où, fidèles au poste et en avance, le missel dans une main, le chapelet dans l’autre, les quatre vieilles rombières attendent en papotant devant la porte de l’Église. Il se dirige sur le côté gauche, où une allée bordée de pierre froide le mène vers la sacristie. En bordure de l’allée, un parterre de fleurs fraîchement planté agrémente l’ensemble. Trottinette, debout, les mains derrière le dos, contemple le massif.

— Bonjour Mr le curé.

— Bonjour Antoine.

— Ce parterre de fleurs est très joli.

— Ah, vous trouvez ?

— C’est la première fois que je le vois. Il n’était pas là hier.

— Non.

— Par quel miracle, est-ce un cadeau du Saint-Esprit ?

— Le Saint-Esprit a bien des vertus, mais il ne jardine pas. C’est moi qui, ce matin de bonne heure, à la fraîche, ai planté ces quelques fleurs. Mme Germain, la femme du pépiniériste, me les a apportées hier après-midi après le marché. Un don généreux qui tombe à point. Je trouvais que ce grand jardin manquait de vie, un peu de couleur ne lui fera pas de mal. La terre est grasse, les fleurs devraient se plaire et embellir. Tous les jours, avant de sonner l’angélus, pensez à mettre un broc d’eau sur ces fleurs, merci.

Trottinette sonne l’angélus, puis ouvre les portes de l’église. La journée peut commencer sous le regard du Père Éternel et celui de ces quatre vieilles salopes qui, par leurs commérages, leurs propos fielleux et médisants pourrissent la vie de la paroisse. Benoîtement, les yeux baissés, elles communient. Bouches édentées, haleine putride, lèvres soulignées de poils noirs retroussées sur une langue visqueuse, démesurée et avide, elles attendent que le curé leur donne le corps du Christ. « Ite, Missa est. Deo gratias » : La messe est dite.

Trottinette, prend l’éteignoir, coiffe les bougies une à une, il aime ce moment où la mèche ne brûle plus, mais laisse échapper un filet de fumée blanche qui sent bon la cire. Monsieur le curé range les habits sacerdotaux dans les grands tiroirs prévus à cet effet, puis son bréviaire à la main, il regagne le presbytère. Au passage, il s’arrête près du massif de fleurs. Il a une pensée pour Mr Fernand, homme gras et ventripotent, qui, au fil du temps, enrichira la terre et nourrira les fleurs. Le soleil éclaire l’église et le jardin, la ville s’anime, les paysans sont partis aux champs, les ouvriers à l’usine, les enfants vont à l’école, les commerçants ouvrent leur boutique, l’épicier sort les fruits et les légumes, de la boulangerie monte une odeur de pain qui embaume la rue, la boucherie reste fermée. Mr le curé, la barrette sur les yeux, allongé sur un vieux canapé, ronfle.

Madame Picot

Madame Picot, après avoir frappé à la porte de Mr Fernand et l’avoir appelé en vain, inquiète, se dirige vers la Mairie pour avertir Mr le Maire que quelque chose ne tourne pas rond. C’est le jour où Mr Fernand a du foie de veau et Madame Picot aime le foie de veau. Foie de veau qu’elle cuisine avec amour. Dans une poêle bien chaude, avec un bon morceau de beurre et un peu d’huile, elle cuit sa tranche de foie avec précaution et, en fin de cuisson, elle jette en pluie tout autour de la tranche de petits morceaux d’ail qu’elle laisse roussir, et pour finir elle ajoute un bon filet de vinaigre de vin. Vinaigre de vin fait maison, rangé au fond de la cave à côté de la bonbonne de vin. Vin que lui portent son gendre et sa fille toutes les deux semaines quand ils viennent la voir. Vin de leur vigne, infâme tord-boyaux, qui anesthésie le palais et brûle l’estomac, compagnon fidèle de la tranche de foie de veau du mardi. Tout en marchant, elle vitupère et râle contre ce commerçant inconséquent et imbécile qui la prive de son repas, de son met préféré. « Que lui est-il arrivé à Fernand ? Où est-il passé cet abruti ? Où est-il encore aller traîner ? Dans le lit de quelle gueuse se vautre-t-il encore au lieu de se tenir à son commerce ? »

Dégénéré, ventripotent, au visage boursouflé, cramoisi, brûlé par les mauvais alcools et le vin, homme vulgaire, grossier, sans mesure, sans manière, sans retenue, sans délicatesse. Dans sa boucherie, son royaume, il parle, se moque des uns, médit sur les autres, raconte tout et n’importe quoi sur tout le monde à longueur de journée. Les villageois ne l’aiment pas, ils viennent chez lui à contrecœur, il est désobligeant, mais sa viande est de qualité, appréciée des habitants du quartier.

Mme Picot se moque bien de savoir comment va Mr Fernand, sa santé ne la préoccupe pas, qu’il ait eu un accident ou qu’il soit tombé malade un autre jour ne l’aurait pas inquiétée, ni troublée, ni alarmée, pour tout dire elle s’en serait foutue éperdument, mais : « Bordel de merde, pas le jour du foie de veau. » Mme Picot jure rarement et ne s’emporte jamais. Veuve d’un entrepreneur en maçonnerie, elle vit aisément de la location de deux ou trois appartements que son mari avait achetés de son vivant à la ville voisine. Pour vivre heureux, vivons cachés et les appartements, loin de chez elle, soustraits au regard des villageois, ne suscitent pas la jalousie. Mme Picot à la réputation d’être une personne discrète, mesurée, affable, prévenante, toujours prête à rendre service, sans ostentation ni flagornerie. Coquette, encore bien mise de sa personne, elle est une des villageoises les plus en vue. On aime la rencontrer, parler avec elle, et, si le besoin s’en fait sentir, prendre conseil. Veuve jeune, mère d’une fille, elle n’éprouva pas le besoin de chercher la compagnie d’un autre homme. Son mari, grand bâtisseur devant l’éternel, travailleur infatigable à la santé robuste, et à l’appétit pour la chose insatiable, lui avait mené la vie dure. Il aimait rappeler ce que son père lui avait appris : « Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage ». Formule qu’il appliquait à son travail et à sa femme. En dix ans de mariage, Mme Picot avait subi plus d’assauts de la part de son époux qu’une femme de trottoir et n’était jamais arrivée à contenir ou à repousser les élans de son insatiable mari. Un jour d’hiver, cet homme vigoureux, glissa sur les planches d’un échafaudage, faisant une orpheline et une veuve heureuse de pouvoir se coucher sans risquer de se faire sauter dessus. Elle porta les habits du deuil. Sur son petit chapeau rond du dimanche, elle cousit une voilette noire. Le visage fermé, les mains jointes et le cœur léger, elle suivit le cercueil de son époux au cimetière, versa une larme de circonstance et remercia le ciel d’avoir mis fin à des années de fornications, plus subies que consenties.

Va-et-vient

Elle éleva seule sa fille. Si Mme Picot, jeune, était fluette et gracieuse, elle ne donna rien à sa progéniture qui prit tout du père. À la naissance, une grosse tête et des épaules de terrassier avaient compliqué l’accouchement en la faisant souffrir plus que de raison. Mme Picot en garda un souvenir désagréable. Si encore la beauté de la petite fille avait atténué les douleurs d’une venue au monde longue et difficile, en contemplant sa fille, Mme Picot aurait comme toutes les mères oublié ce mauvais moment. Hélas, la petite était laide, aux traits vulgaires, à la démarche lourde, à l’esprit aussi vif et délicat qu’une compagnie d’oies. Ni grâce, ni charme, ni beauté ! Rien qui puisse la rendre désirable, la faire aimer. Sa mère la regardait grandir, surprise par cette chose qui était sortie de son ventre et qui lui ressemblait si peu. Elle l’aima comme elle put, sans excès, modérément, sans enthousiasme et la supporta comme on supporte un rhume, en se disant que ça va passer. La petite Eglantine montra très tôt des dispositions, non pour les études en général, mais pour l’anatomie en particulier. Science qu’elle acquit sur le tas, aidée en cela par les garçons du village qui se bousculaient pour lui permettre de parfaire ses connaissances en se prêtant volontiers aux expériences et manipulations de toutes sortes qu’elle effectuait sur eux. Au fil du temps, ces garnements lui donnèrent le sobriquet de « Va-et-vient ». Par respect pour Mme Picot, ils ne se moquèrent jamais d’Eglantine devant elle ni ne firent allusion où prononcèrent son surnom en sa présence. Avec le temps, bien qu’elle fût très appréciée des adolescents du village, sa réputation d’âme charitable et de bienfaitrice, forgée après des années à prendre soin des jeunes boutonneux timides et empruntés de tout poil, souleva une question : qui finira par épouser « Va-et-vient » ? En dehors des granges ou derrière les tas de foin, elle soulageait avec application et enthousiasme le mal-être des petits mâles de la ville où elle avait sa cour, le reste du temps, ingrats et peu reconnaissants, ceux-ci la fuyaient comme la peste et faisaient semblant de ne pas la connaître. Mme Picot, bien consciente de l’appétit et des grandes inclinations de sa fille pour le péché de la chair, savait que cette dernière était tenue à l’écart des familles respectables possédant un ou plusieurs mâles en âge de procréer. Pour marier sa fille, elle comprit que le salut ne pouvait venir que de la ville voisine où Églantine, en raison de la distance, n’avait pas encore eu l’occasion de sévir ni de se faire une réputation d’escaladeuse de braguette. Le hasard fit que Madame Picot loua un appartement à un couple de vieux. Lequel couple avait des parents éloignés qui avaient un fils. Fils qui, malgré un âge avancé, était toujours célibataire, ce qui inquiétait ses parents et rendait le fiston malheureux. Il faut dire que, si les parents avaient quelques biens et notamment des vignes qui auraient pu éveiller de la convoitise chez de nombreuses demoiselles, la balourdise du garçon, sa laideur, son physique de brut, flasque et son manque d’intelligence avaient tenu les éventuelles prétendantes loin de lui et des arpents de vignes. Mme Picot flaira la bonne affaire. Elle manœuvra de sorte que les vieux, leurs parents, leur fils, elle et sa fille se rencontrent. De prime à bord, le premier contact ne fut pas une réussite. Le fils des vignerons regarda la grosse fille sans enthousiasme. Quoique gros, laid, bête et vulgaire, il prétendait avoir les moyens de marier une belle fille, élégante, distinguée, à la taille fine et à la poitrine généreuse. Eglantine, qui avait pourtant un physique avantageux, ne le bouleversa pas plus que ça. Pareil pour la fille que la balourdise et la laideur du garçon laissèrent indifférente. Les parents et Mme Picot trouvèrent le couple bien assorti. Ils misèrent sur le temps et le désir qu’ils ne manqueraient pas de susciter pour conclure l’affaire. Le garçon, privé de filles depuis toujours, et la libido exacerbée de la jouvencelle firent le reste : l’union des deux familles se scella un dimanche après-midi contre un tonneau de mauvais vin. Eglantine quitta la ville au bras de son époux, Mme Picot respira plus librement, le plus dur était passé. Avec le temps, le sobriquet de « Va-et-vient » s’effaça peu à peu. Églantine et son mari, tout comme le père d’Églantine avant eux, cent fois sur le métier, et plus, remirent leur ouvrage. Dieu ou la nature décidèrent de mettre fin à une lignée qui n’aurait produit que laideur, grossièreté, vulgarité, bêtise. Eglantine ne tomba pas enceinte. Pour remédier à la chose, elle tenta tout et n’importe quoi, de la tisane à la potion magique, des régimes aux positions acrobatiques. Rien n’y fit. Elle pensa au fil du temps que la faute venait de son époux, que la quantité des rapports n’avait rien à voir avec la qualité de la semence. À quoi te sert de labourer ton champ cent fois par an si tu ne mets pas de graines ? Le désir d’enfant la poussa à regarder du côté des journaliers qui, au moment des vendanges, venaient donner un coup de main. Elle savait ces hommes pour la plupart jeunes et robustes, privés de femmes pendant des mois, prêts à tout pour un moment de tendresse sauvage entre deux rangées de vigne. Pas très regardante, consciente que son physique n’excitait pas les hommes outre mesure, après les avoir fait boire plus que de raison, sous un soleil de plomb, et profitant que son mari était parti à la ville faire des achats, elle offrit au deux ou trois plus hardis des journaliers un moment d’extase. Elle se dit que pour une fois la quantité pouvait jouer en sa faveur et lui être bénéfique. Le fait qu’un des participants à cette orgie soit noir ne l’inquiéta pas outre mesure, suivant le résultat elle trouverait une explication. Après les vendanges, les journaliers s’en retournèrent chez eux, sans laisser la moindre trace de leur passage. Le ventre d’Eglantine resta ce qu’il avait toujours été, gros et gras, flasque et mou sans aucun signe d’une éventuelle grossesse. En désespoir de cause, elle tenta ce qui lui parut être la dernière solution, un pèlerinage à Lourdes pour supplier la Vierge Marie de la rendre fertile ou d’améliorer la semence de son mari. Elle redouta la rencontre avec la Vierge Marie, elle qui avait perdu son pucelage à treize ans et commis maintes et maintes fois le péché de la chair. Après une semaine de processions, de messes, de chemins de croix, d’incantations de toutes sortes, sans oublier les confessions qui laissèrent les jeunes vicaires dubitatifs, entrecoupée le soir dans l’intimité de la chambre d’exercices pratiques, elle rentra chez elle dépitée, mais confortée dans l’idée qu’elle pourrait tromper son abruti de mari sans risquer d’accident désagréable. Quant à Mme Picot, de son côté, elle priait pour que sa fille reste stérile, redoutant d’être la grand-mère d’une ribambelle de petits fils ou de petites filles plus laids, plus bêtes et plus grossiers les uns que les autres et ainsi dépasser, dans ces différentes disciplines, leurs parents qui en étaient pourtant grandement pourvus. Le seigneur exauça sa prière. La vie continua à être ce qu’elle est, monotone, sauf aujourd’hui où il se passe un événement extraordinaire, Mr Fernand n’a pas ouvert sa boucherie et a disparu de la circulation. Mme Picot trouva sur le chemin Mr le Maire qui partait au café boire son premier bock de la journée. La disparition de Fernand le rendit perplexe, mais pas vraiment inquiet. Il se dit que Fernand, après une bonne cuite, devait cuver son vin dans quelque fossé et que l’on ne manquerait pas de le voir apparaître avant le premier coup de midi. Midi sonna deux fois à l’horloge de la mairie sans que Fernand se soit manifesté d’une manière ou d’une autre. Mme Picot, dépitée, après avoir fait le pied de grue une partie de la matinée devant la boucherie, la mort dans l’âme rentra chez elle, et à défaut de foie de veau, elle finit un reste de blanquette.

La ville

Mr le Curé, après un sommeil réparateur, s’étira, se passa un peu d’eau sur le visage, il se dit qu’il serait peut-être temps de sortir pour aller prendre la température de la ville et surtout du quartier, savoir ce que la population pouvait dire et penser de la disparition de Mr Fernand. Mr le Curé regarda sa montre, deux heures de l’après-midi, heure peu propice à faire des rencontres, vu qu’une chaleur écrasante tient tout le monde à la maison, à l’abri des rayons du soleil, pour une sieste bienfaitrice. Mr le Curé ouvrit son bréviaire en commença la lecture, assis sur un grand fauteuil, dans la pénombre de son bureau. Dans cette pièce agréable et calme, il eut une pensée pour Mr Fernand, allongé bien au frais, six pieds sous terre. La ville ne reprendra vie que vers cinq heures, autant ne pas faire d’imprudence en s’exposant plus que de raisonnable, aux rayons du soleil. La ville compte onze cafés, avec le Bar des Amis, pour trois milles habitants, deux buralistes, deux bouchers, trois boulangers, un pâtissier, deux épiciers, un grossiste en fruits et légumes, deux garages, un fabricant de matelas qui carde la laine à même le trottoir devant son échoppe, un droguiste bien de sa personne, un marchand de meubles vieux et vermoulu, un quincaillier affable, un marchand de vêtements acariâtre, un vendeur d’appareils ménagers antipathique, et vous avez fait le tour des commerces. La ville, bien située, au bord d’une rivière agréable, est coquette, bien entretenue et prospère. Les usines de bas de soie donnent du travail à la population et permettent à l’ensemble des travailleurs des revenus qui les autorisent à vivre non dans l’opulence certes, mais dans un certain confort. La population se divise en trois catégories. Un tiers de catholiques convaincus, pratiquants, assidus, dévots, accros à la messe du dimanche et aux grandes cérémonies qui jalonnent l’année liturgique. Un tiers de protestants qui ont pignon sur rue et un Temple qui rivalise en hauteur et en grandeur avec l’église. Les catholiques et les protestants ne se détestent pas, mais ne s’aiment pas vraiment non plus. Une indifférence polie, une courtoisie de bon aloi, leur permet de vivre côte à côte, sans jamais se recevoir ou manifester intérêt ou amitié. Catholiques et protestants se marient entre eux, se reproduisent entre eux, naissent, grandissent et meurent entre eux. Chacun chez soi. Leur seul lien, la religion qui, différente, les oblige à une certaine tenue, à l’observation de règles de bonne conduite qui les rendent supportables les uns envers les autres. Pas comme le dernier tiers de la population, les rouges, qui ne respectent rien, insultent Dieu, se moquent des lois et méprisent l’institution. Leur quartier se situe loin derrière la mairie. Territoire interdit aux bien-pensants de tout poil et de toutes obédiences. Dans l’ensemble, la vie est paisible, sans problème, ponctuée par les événements qui accompagnent toute cité : naissances, mariages, décès, fêtes païennes et liturgiques, maladies. La population, dans son ensemble, est en bonne santé, les trois docteurs et les deux dentistes ont beaucoup de mal à remplir leur salle d’attente. Les gens robustes, en majorité, avant de consulter, passent en revue les remèdes de grand-mère et les médications de derrière les fagots. Pour les catholiques, l’eau de Lourdes coule à flots sur les égratignures et les bobos de toutes sortes, sans compter les prières, les demandes de guérison aux Saints, à la vierge Marie, aux anges gardiens, à toutes divinités susceptibles d’améliorer la situation, sans avoir à sortir un sou. Incantations, inefficaces au demeurant, mais qui retardent le passage chez le docteur qui se fait en désespoir de cause, ou la visite chez le dentiste, après des jours et des jours de souffrance, vécue comme une punition. Les lieux de cultes et les bistros sont plus fréquentés que les cabinets des médecins et des arracheurs de dents. La seule pharmacie, au bout d’une allée de tilleuls, coincée entre une épicerie et une boucherie, en face d’un café, est grande, froide, austère, peu accueillante. Les gens s’y rendent à contrecœur, ne s’y attardent pas, se contentent de prendre uniquement leurs médicaments, ne ressortent pas avec des crèmes imbéciles pour le visage et le corps, qui promettent beaucoup oui, mais ne tiennent rien, et vident le porte-monnaie.

La pharmacienne