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« À nouveau, la brève illusion d’espoir fit place à une fin lisible et sans mystère. Inévitable. Le tout était de se mettre d’accord. Choisir le bon moment. »
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Seitenzahl: 32
Frédérique Bassu
Chair rose
suivie de Python
Nouvelles cruelles
© Lys Bleu Éditions – Frédérique Bassu
ISBN : 979-10-422-1954-3
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Elle s’appelle Édith. Elle le porte bien. Une coordination paradoxalement parfaite entre deux syllabes à la résonance tranchante et métallique et un être de chair rose animé de la plus vive énergie. Il commence par une voyelle mi-fermée antérieure non arrondie et finit par une consonne finale muette. Un son sourd, incolore, inodore, imperceptible, annonciateur peut-être d’une quelconque dissolution dans le temps et dans l’espace. En fait, elle porterait n’importe quel prénom avec l’aisance souhaitée.
Je suis Félix, le voisin d’en face, plus précisément de l’immeuble en vis-à-vis, édifice crevassé bringuebalant sa vieille carcasse de béton, de verre et de fer dans le centre-ville.
Mon immeuble compte trois étages pour neuf appartements et celui d’Édith est d’égale mesure.
Il semble tenir à un cheveu, aussi fin que ceux de la chevelure cendrée d’Édith. Tout semble plus beau chez elle, plus spacieux. Mais ce n’est qu’apparat de mon imagination.
Son immeuble n’est pas plus cossu, mieux portant, plus agile. Il a déjà les tics communs de ces structures en pierre qui ont vu plus d’une révolution et connu la morsure classique des auteurs du XIXe siècle. Nous naviguons tous les deux dans des objets qui semblent pouvoir céder sous nos pas d’un instant à l’autre, de manière inattendue quand bien même nos consciences en avaient déjà déterminé la probabilité.
Édith est l’œillet fringant et perlé de rosée dans la pochette légèrement décousue de ce complet de pierre de taille, noirci par les relents impurs de la ville, aux contours déformés et au tissu élimé. On remarque tout de suite Édith. Ronde, rose nacré, aux chairs gonflées.
Il s’exhale de sa présence lointaine ou proche l’idée paradoxale d’une éternité parfaitement délimitée, sans débordements sombrement douteux ou d’anomalies disproportionnées.
Elle avait investi le quartier depuis quelques jours et avait fait sien ce fragment de la ville, rejetant le reste dans une pénombre limbique.
Je n’étais pas le seul à l’avoir remarquée. Une nouvelle ère s’était ouverte à son arrivée. Elle ne fut certes pas tonitruante ; il ne s’agissait pas d’une naissance poétique grondante ou orageuse, mais d’un quelque chose de déclaré et manifeste qui ne cessait de croître, modifiant par là même l’ADN de nos existences. L’enchantement hypnotique avait créé un halo brumeux et ouateux qui encerclait désormais nos petites vies jusqu’ici calmes et ternes.
Je ne sais comment tout ceci avait débuté. Je la regardais à heure fixe. Mes journées étaient doucement rythmées par ses entrées et sorties. J’étais un jeune prince indien assis sous sa tente au tissu doré, lévitant dans les airs, gentiment bercé par le pas lourd et assuré d’un noble pachyderme au cuir gris sanglé d’or et de rubis. Ce léger balancement éléphantesque m’engourdissait, m’opiaçait légèrement l’esprit et les sens.
Jusqu’à l’invitation de Mme Circé, locataire d’un appartement au troisième étage et doyenne émérite de mon immeuble, pour un repas de bienvenue en l’honneur de la nouvelle locataire, seules nos deux présences me semblaient réelles dans cette atmosphère lente et emprunte d’un symbolisme précieux et ouvragé. Ce repas en l’honneur d’Edith brisa quelque peu notre entente naissante.