Contes - Tome I - Marie Catherine d'Aulnoy - E-Book

Contes - Tome I E-Book

MARIE CATHERINE D'AULNOY

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La Belle aux cheveux d'or - L'Oiseau bleu - Gracieuse et Percinet - La Biche au bois - Babiole - Finette Cendron - Fortunée - La bonne petite souris - La Princesse Rosette - Le Mouton - Le Nain jaune - Le Prince lutin - La Grenouille bienfaisante

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Seitenzahl: 481

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Contes - Tome I

Marie Catherine d'Aulnoy

Booklassic 2015 ISBN 978-963-525-891-8

La Belle aux cheveux d’or

 

Il y avait une fois la fille d’un roi qui était si belle qu’il n’y avait rien de si beau au monde ; et à cause qu’elle était si belle on la nommait la Belle aux cheveux d’or car ses cheveux étaient plus fins que de l’or, et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brodés de diamants et de perles : tant y a qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer.

Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n’était point marié, et qui était bien fait et bien riche. Quand il eut appris tout ce qu’on disait de la Belle aux cheveux d’or, bien qu’il ne l’eût point encore vue, il se prit à l’aimer si fort, qu’il en perdait le boire et le manger, et il se résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais, et lui recommanda bien de lui amener la princesse.

Quand il eut pris congé du roi et qu’il fut parti, toute la cour ne parlait d’autre chose ; et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux cheveux d’or ne consentît à ce qu’il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l’ambassadeur, arrivé chez la Belle aux cheveux d’or, lui fit son petit message ; mais, soit qu’elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur, ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l’ambassadeur qu’elle remerciait le roi, mais qu’elle n’avait point envie de se marier.

L’ambassadeur partit de la cour de cette princesse, bien triste de ne la pas amener avec lui ; il rapporta tous les présents qu’il lui avait portés de la part du roi, car elle était fort sage, et savait bien qu’il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons : aussi elle ne voulut jamais accepter les beaux diamants et le reste ; et, pour ne pas mécontenter le roi, elle prit seulement un quarteron d’épingles d’Angleterre.

Quand l’ambassadeur arriva à la grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s’affligea de ce qu’il n’amenait point la Belle aux cheveux d’or. Le roi se mit à pleurer comme un enfant : on le consolait sans en pouvoir venir à bout.

Il y avait un jeune garçon à la cour qui était beau comme le soleil, et le mieux fait de tout le royaume : à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l’aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que le roi lui fît du bien et qu’il lui confiât tous les jours ses affaires.

Avenant se trouva avec des personnes qui parlaient du retour de l’ambassadeur, et qui disaient qu’il n’avait rien fait qui vaille. Il leur dit, sans y prendre garde :

– Si le roi m’avait envoyé vers la Belle aux cheveux d’or, je suis certain qu’elle serait venue avec moi. Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au roi :

– Sire, vous ne savez pas ce que dit Avenant ? Que, si vous l’aviez envoyé chez la Belle aux cheveux d’or, il l’aurait ramenée. Considérez bien sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu’elle l’aurait tant aimé, qu’elle l’aurait suivi partout.

Voilà le roi qui se met en colère, en colère tant et tant, qu’il était hors de lui.

– Ha ! ha ! dit-il, ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu’on le mette dans ma grosse tour, et qu’il y meure de faim !

Les gardes du roi furent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu’il avait dit. Ils le traînèrent en prison et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paille pour se coucher et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraîchir, car la faim lui avait bien séché la bouche.

Un jour qu’il n’en pouvait plus, il disait en soupirant :

– De quoi se plaint le roi ? Il n’a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l’ai jamais offensé.

Le roi, par hasard, passait près de la tour, et quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, il s’arrêta pour l’écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi :

– À quoi vous amusez-vous, sire ! ne savez-vous pas que c’est un fripon ?

Le roi répondit :

– Laissez-moi là, je veux l’écouter.

Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui vinrent aux yeux. Il ouvrit la porte de la tour et l’appela. Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds :

– Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si durement ?

– Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu as dit que si je t’avais envoyé chez la Belle aux cheveux d’or, tu l’aurais bien amenée.

– Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suis persuadé qu’elle n’aurait pu s’en défendre ; et en cela je n’ai rien dit qui ne vous dût être agréable.

Le roi trouva qu’effectivement il n’avait point de tort ; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l’emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu’il lui avait faite.

Après l’avoir fait souper à merveille, il l’appela dans son cabinet, et lui dit :

– Avenant, j’aime toujours la Belle aux cheveux d’or, ses refus ne m’ont point rebuté ; mais je ne sais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser : j’ai envie de t’y envoyer pour voir si tu pourras réussir.

Avenant répliqua qu’il était disposé à lui obéir en toutes choses, et qu’il partirait dès le lendemain.

– Ho ! dit le roi, je veux te donner un grand équipage.

– Cela n’est point nécessaire, répondit-il ; il ne me faut qu’un bon cheval, avec des lettres de votre part. Le roi l’embrassa, car il était ravi de le voir sitôt prêt.

Ce fut le lundi matin qu’il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d’engager la Belle aux cheveux d’or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans sa poche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval et s’asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin qu’il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie ; il mit pied à terre, et se plaça contre des saules et des peupliers qui étaient plantés le long d’une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu’il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit. Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe dorée qui bâillait et qui n’en pouvait plus, car, ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si hors de l’eau, qu’elle s’était élancée sur l’herbe, où elle était près de mourir. Avenant en eut pitié ; et, quoiqu’il fût jour maigre et qu’il eût pu l’emporter pour son dîner, il fut la prendre et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sent la fraîcheur de l’eau, elle commence à se réjouir, et se laisse couler jusqu’au fond ; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière :

– Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans vous je serais morte, et vous m’avez sauvée ; je vous le revaudrai.

Après ce petit compliment, elle s’enfonça dans l’eau ; et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de la grande civilité de la carpe.

Un autre jour qu’il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle grand mangeur de corbeaux ; il était près de l’attraper, et il l’aurait avalé comme une lentille, si Avenant n’eût éprouvé de la compassion pour cet oiseau.

– Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus faibles : quelle raison a l’aigle de manger le corbeau ?

Il prend son arc qu’il portait toujours, et une flèche, puis, visant bien l’aigle, croc ! il lui décoche la flèche dans le corps et le perce de part en part. L’aigle tombe mort, et le corbeau, ravi, vient se percher sur un arbre.

– Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau ; mais je ne demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai.

Avenant admira le bon esprit du corbeau et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si matin qu’il ne voyait qu’à peine son chemin, il entendit un hibou qui criait en hibou désespéré.

– Ouais ! dit-il, voilà un hibou bien affligé, il pourrait s’être laissé prendre dans quelque filet.

Il chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pour attraper des oisillons.

– Quelle pitié ! dit-il ; les hommes ne sont faits que pour s’entre-tourmenter, ou pour persécuter de pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage.

Il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit l’essor ; mais, revenant à tire-d’aile :

– Avenant, dit-il, il n’est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre l’obligation que je vous ai ; elle parle assez d’elle-même : les chasseurs allaient venir, j’étais pris, j’étais mort sans votre secours. J’ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai.

Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage. Il était si pressé d’arriver, qu’il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux cheveux d’or. Tout y était admirable ; l’on y voyait les diamants entassés comme des pierres ; les beaux habits, le bonbon, l’argent ; c’étaient des choses merveilleuses ; et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître, il faudrait qu’il ait bien de la chance. Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches ; il se peigna, se poudra, se lava le visage, mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien, qu’il avait acheté en passant à Boulogne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toute chose avec tant de grâce, que, lorsqu’il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence ; et l’on courut dire à la Belle aux cheveux d’or qu’Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir.

Sur ce nom d’Avenant, la princesse dit :

– Cela me porte bonne signification ; je gagerais qu’il est joli et qu’il plaît à tout le monde.

– Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d’honneur, nous l’avons vu du grenier où nous accommodions votre filasse, et tant qu’il est demeuré sous les fenêtres nous n’avons pu rien faire.

– Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux cheveux d’or, de vous amuser à regarder les garçons ! Çà, que l’on me donne ma grande robe de satin bleu brodée, et que l’on éparpille bien mes blonds cheveux ; que l’on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles ; que l’on me donne mes souliers hauts et mon éventail ; que l’on balaie ma chambre et mon trône : car je veux qu’il dise partout que je suis vraiment la Belle aux cheveux d’or.

Voilà toutes les femmes qui s’empressaient de la parer comme une reine ; elles montraient tant de hâte qu’elles s’entrecognaient et n’avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait. Puis elle monta sur son trône d’or, d’ivoire, et d’ébène, qui sentait comme baume ; et elle commanda à ses filles de prendre des instruments et de chanter tout doucement pour n’étourdir personne.

On conduisit Avenant dans la salle d’audience. Il demeura si transporté d’admiration qu’il a dit depuis bien des fois qu’il ne pouvait presque parler. Néanmoins il reprit courage et fit sa harangue à merveille : il pria la princesse qu’il n’eût pas le déplaisir de s’en retourner sans elle.

– Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes, et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre. Mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames ; et comme l’on me servit ma collation, en ôtant mon gant je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière. Je la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse à juger de quelle affliction cette perte fut suivie. J’ai fait serment de n’écouter jamais aucune proposition de mariage, que l’ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment.

Avenant demeura bien étonné de cette réponse. Il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l’écharpe ; mais elle lui répliqua qu’elle ne voulait point de présents, et qu’il songeât à ce qu’elle venait de lui dire.

Quand il fut retourné chez lui, il se coucha sans souper. Son petit chien, qui s’appelait Cabriolle, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. De toute la nuit, Avenant ne cessa point de soupirer.

– Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ? disait-il. C’est toute folie de l’entreprendre ! La princesse ne m’a dit cela que pour me mettre dans l’impossibilité de lui obéir.

Il soupirait et s’affligeait fort. Cabriolle, qui l’écoutait, lui dit :

– Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable pour n’être pas heureux. Allons dès qu’il fera jour au bord de la rivière.

Avenant lui donna deux petits coups de la main et ne répondit rien ; mais, tout accablé de tristesse, il s’endormit. Cabriolle, voyant le jour, cabriola tant qu’il l’éveilla, et lui dit :

– Mon maître, habillez-vous, et sortons. Avenant le voulut bien. Il se lève, s’habille et descend dans le jardin, et du jardin il va insensiblement au bord de la rivière, où il se promenait son chapeau sur les yeux et ses bras croisés l’un sur l’autre, ne pensant qu’à son départ, quand tout d’un coup il entendit qu’on l’appelait :

– Avenant ! Avenant !

Il regarde de tous côtés et ne voit personne ; il crut rêver. Il continue sa promenade ; on le rappelle :

– Avenant ! Avenant !

– Qui m’appelle ? dit-il.

Cabriolle, qui était fort petit, et qui regardait de près l’eau, lui répliqua :

– Ne me croyez jamais, si ce n’est une carpe dorée que j’aperçois.

Aussitôt la grosse carpe paraît, et lui dit :

– Vous m’avez sauvé la vie dans le pré des alisiers, où je serais restée sans vous ; je vous promis de vous le revaloir. Tenez, cher Avenant, voici la bague de la Belle aux cheveux d’or.

Il se baissa et la prit dans la gueule de ma commère la carpe, qu’il remercia mille fois.

Au lieu de retourner chez lui, il fut droit au palais avec le petit Cabriolle, qui était bien aise d’avoir fait venir son maître au bord de l’eau. On alla dire à la princesse qu’il demandait à la voir.

– Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon, il vient prendre congé de moi. Il a considéré que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître.

On fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague et lui dit :

– Madame la princesse, voilà votre commandement fait ; vous plaît-il recevoir le roi mon maître pour époux ?

Quand elle vit sa bague où il ne manquait rien, elle resta si étonnée, qu’elle croyait rêver.

– Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, il faut que vous soyez favorisé de quelque fée, car naturellement cela n’est pas possible.

– Madame, dit-il, je n’en connais aucune, mais j’avais bien envie de vous obéir.

– Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans lequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n’est pas éloigné d’ici, appelé Galifron, lequel s’était mis dans l’esprit de m’épouser. Il me fit déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, que si je le refusais il désolerait mon royaume. Mais jugez si je pouvais l’accepter : c’est un géant qui est plus haut qu’une haute tour ; il mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans ses poches de petits canons, dont il se sert de pistolets ; et, lorsqu’il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui fis répondre que je ne voulais point me marier, et qu’il m’excusât ; cependant, il n’a point laissé de me persécuter ; il tue tous mes sujets et, avant toutes choses, il faut vous battre contre lui et m’apporter sa tête.

Avenant demeura un peu étourdi de cette proposition. Il rêva quelque temps, puis il dit :

– Eh bien, madame, je combattrai Galifron. Je crois que je serai vaincu ; mais je mourrai en homme brave.

La princesse resta bien étonnée : elle lui dit mille choses pour l’empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit à rien : il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qu’il lui fallait. Quand il eut ce qu’il voulait, il remit le petit Cabriolle dans son panier, monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de ses nouvelles à ceux qu’il rencontrait, et chacun lui disait que c’était un vrai démon dont on n’osait approcher : plus il entendait dire cela, plus il avait peur. Cabriolle le rassurait, en lui disant :

– Mon cher maître, pendant que vous vous battrez, j’irai lui mordre les jambes ; il baissera la tête pour me chasser, et vous le tuerez.

Avenant admirait l’esprit du petit chien, mais il savait assez que son secours ne suffirait pas.

Enfin, il arriva près du château de Galifron. Tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l’attendit pas longtemps, qu’il le vit venir à travers un bois. Sa tête dépassait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix épouvantable :

Où sont les petits enfants,

Que je les croque à belles dents ?

Il m’en faut tant, tant et tant

Que le monde n’est suffisant.

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :

Approche, voici Avenant,

Qui t’arrachera les dents ;

Bien qu’il ne soit pas des plus grands,

Pour te battre il est suffisant.

Les rimes n’étaient pas bien régulières mais il fit la chanson fort vite, et c’est même un miracle qu’il ne la fît pas plus mal, car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et aperçut Avenant l’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Il n’en fallut pas tant : il se mit dans une colère effroyable ; et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu’il les creva ; le sang coulait sur son visage, il était comme un désespéré, frappant de tous côtés. Avenant l’évitait et lui portait de grands coups d’épée qu’il enfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang qu’il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d’avoir été si heureux ; et le corbeau, qui s’était perché sur un arbre, lui dit :

– Je n’ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l’aigle qui me poursuivait. Je vous promis de m’en acquitter : je crois l’avoir fait aujourd’hui.

– C’est moi qui vous dois tout, monsieur du Corbeau, répliqua Avenant ; je demeure votre serviteur. Il monta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête de Galifron.

Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait et criait : « Voici le brave Avenant qui vient de tuer le monstre », de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit et qui tremblait qu’on ne lui vînt apprendre la mort d’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé ; mais elle vit entrer Avenant avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu’il n’y eût plus rien à craindre.

– Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort ; j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître ?

– Ah ! si fait, dit la Belle aux cheveux d’or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse.

« Il y a proche d’ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour. On trouve à l’entrée deux dragons qui empêchent qu’on y entre. Ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux. Puis, lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre : il est plein de crapauds, de couleuvres et de serpents. Au fond de ce trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé : c’est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en lave devient merveilleux : si l’on est belle, on demeure toujours belle ; si l’on est laide, on devient belle ; si l’on est jeune, on reste jeune ; si l’on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter.

– Madame, lui dit-il, vous êtes si belle que cette eau vous est bien inutile ; mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n’en pouvoir revenir.

La Belle aux cheveux d’or ne changea point de dessein, et Avenant partit avec le petit chien Cabriolle, pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de beauté. Tous ceux qu’il rencontrait sur le chemin disaient :

– C’est une pitié de voir un garçon si aimable aller se perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte, et quand irait-il accompagné de cent braves, il n’en pourrait venir à bout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que des choses impossibles ?

Il continuait de marcher, et ne disait pas un mot ; mais il était bien triste.

Il arriva vers le haut d’une montagne où il s’assit pour se reposer un peu, et il laissa paître son cheval et courir Cabriolle après des mouches. Il savait que la grotte ténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verrait point. Enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre, d’où sortait une grosse fumée, et au bout d’un moment un des dragons, qui jetait du feu par les yeux et par la gueule : il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. Cabriolle vit tout cela ; il ne savait où se cacher, tant il avait peur.

Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, descendit avec une fiole que la Belle aux cheveux d’or lui avait donnée pour la remplir de l’eau de beauté. Il dit à son chien Cabriolle :

– C’est fait de moi ! je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons. Quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang et porte-la à la princesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte ; et puis va trouver le roi mon maître et conte-lui mon malheur.

Comme il parlait ainsi, il entendit qu’on appelait :

– Avenant ! Avenant !

Il dit :

– Qui m’appelle ?

Et il vit un hibou dans le trou d’un vieil arbre, qui lui dit :

– Vous m’avez retiré du filet des chasseurs où j’étais pris, et vous me sauvâtes la vie, je vous promis que je vous le revaudrais : en voici le temps. Donnez-moi votre fiole : je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse ; je vais vous chercher de l’eau de beauté.

Dame ! qui fut bien aise ? je vous le laisse à penser. Avenant lui donna vite la fiole, et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d’un quart d’heure, il revint rapporter la bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi, il le remercia de tout son cœur, et, remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.

Il alla droit au palais ; il présenta la fiole à la Belle aux cheveux d’or, qui n’eut plus rien à dire : elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu’il fallait pour partir ; puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable et lui disait quelquefois :

– Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi, nous ne serions point partis de mon royaume.

Mais il répondit :

– Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maître pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil.

Enfin ils arrivèrent à la grande ville du roi, qui, sachant que la Belle aux cheveux d’or venait, alla au-devant d’elle et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousa avec tant de réjouissances que l’on ne parlait d’autre chose. Mais la Belle aux cheveux d’or, qu’aimait Avenant dans le fond de son cœur, n’était heureuse que quand elle le voyait, et elle le louait toujours.

– Je ne serais point venue sans Avenant, disait-elle au roi. Il a fallu qu’il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous lui devez être obligé. Il m’a donné de l’eau de beauté : je ne vieillirai jamais, je serai toujours belle.

Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi :

– Vous n’êtes point jaloux, et vous en avez sujet de l’être. La reine aime si fort Avenant qu’elle en perd le boire et le manger. Elle ne fait que parler de lui et des obligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriez envoyé n’en eût pas fait autant.

Le roi dit :

– Vraiment, je m’en avise ; qu’on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains.

L’on prit Avenant, et, pour sa récompense d’avoir si bien servi le roi, on l’enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier, qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou, et de l’eau dans une écuelle de terre. Pourtant son petit chien Cabriolle ne le quittait point ; il le consolait et venait lui dire toutes les nouvelles.

Quand la Belle aux cheveux d’or sut sa disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi, et, tout en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, songeant : « C’est qu’elle l’aime », et il n’en voulut rien faire. Elle n’en parla plus ; elle était bien triste.

Le roi s’avisa qu’elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l’eau de beauté, afin que la reine l’aimât plus qu’elle ne faisait. Cette eau était dans une fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine, elle l’avait mise là pour la regarder plus souvent ; mais une de ses femmes de chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balaya vitement, et, ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable pleine d’eau claire comme était l’eau de beauté ; elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.

L’eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminels ; au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau : ils s’endormaient, et ne se réveillaient plus. Un soir donc, le roi prit la fiole et se frotta bien le visage, puis il s’endormit et mourut. Le petit chien Cabriolle l’apprit parmi les premiers et ne manqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouver la Belle aux cheveux d’or et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.

Cabriolle se glissa doucement dans la presse, car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine :

– Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant.

Elle se souvint aussitôt des peines qu’il avait souffertes à cause d’elle et de sa grande fidélité. Elle sortit sans parler à personne, et fut droit à la tour, où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant. Et, lui mettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur les épaules, elle lui dit :

– Venez, aimable Avenant, je vous fais roi et vous prends pour mon époux.

Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître. Il se fit la plus belle noce du monde, et la Belle aux cheveux d’or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.

Si par hasard un malheureux

Te demande ton assistance,

Ne lui refuse point un secours généreux.

Un bienfait tôt ou tard reçoit sa récompense.

Quand Avenant, avec tant de bonté,

Servati carpe et corbeau ; quand jusqu’au hibou même,

Sans être rebuté de sa laideur extrême,

Il conservait la liberté !

Aurait-on pu jamais pu le croire,

Que ces animaux quelque jour

Le conduiraient au comble de la gloire,

Lorsqu’il voudrait du roi servir le tendre amour ?

Malgré tous les attraits d’une beauté charmante,

Qui commençait pour lui de sentir des désirs,

Il conserve à son maître, étouffant ses soupirs,

Une fidélité constante.

Toutefois, sans raison, il se voit accusé :

Mais quand à son bonheur il paraît plus d’obstacle,

Le Ciel lui devait un miracle,

Qu’à la vertu jamais le Ciel n’a refusé.

L’Oiseau bleu

 

C’était une fois un roi fort riche en terres et en argent ; sa femme mourut, il en fut inconsolable. Il s’enferma huit jours entiers dans un petit cabinet, où il se cassait la tête contre les murs tant il était affligé. On craignit qu’il ne se tuât, on mit des matelas entre la tapisserie et la muraille, de sorte qu’il avait beau se frapper, il ne se faisait point de mal. Tous ses sujets résolurent de l’aller voir, et de lui dire ce qu’ils pourraient pour soulager sa tristesse. Les uns préparaient des discours graves et sérieux ; d’autres d’agréables et réjouissants : mais cela ne faisait aucune impression sur son esprit, à peine entendait-il ce qu’on lui disait. Enfin, il se présenta devant lui une femme si couverte de crêpes noirs, de voiles, de mantes, de longs habits de deuil, et qui pleurait et sanglotait si fort et si haut, qu’il en demeura surpris. Elle lui dit qu’elle n’entreprenait point comme les autres de diminuer sa douleur, quelle venait pour l’augmenter, parce que rien n’était plus juste que de pleurer une bonne femme ; que pour elle, qui avait eu le meilleur de tous les maris, elle faisait bien son compte de pleurer tant qu’il lui resterait des yeux à la tête. Là-dessus elle redoubla ses cris, et le roi, à son exemple, se mit à hurler.

Il la reçut mieux que les autres ; il l’entretint des belles qualités de sa chère défunte, et elle renchérit celles de son cher défunt : ils causèrent tant et tant, qu’ils ne savaient plus que dire sur leur douleur. Quand la fine veuve vit la matière presque épuisée, elle leva un peu ses voiles, et le roi affligé se récréa la vue à regarder cette pauvre affligée, qui tournait et retournait fort à propos deux grands yeux bleus, bordés de longues paupières noires : son teint était assez fleuri. Le roi la considéra avec beaucoup d’attention ; peu à peu il parla moins de sa femme, puis il n’en parla plus du tout. La veuve disait qu’elle voulait toujours pleurer son mari ; le roi la pria de ne point immortaliser son chagrin. Pour conclusion, l’on fut tout étonné qu’il l’épousât, et que le noir se changeât en vert et en couleur de rose : il suffit très souvent de connaître le faible des gens pour entrer dans leur cœur et pour en faire tout ce que l’on veut.

Le roi n’avait eu qu’une fille de son premier mariage, qui passait pour la huitième merveille du monde ; on la nommait Florine, parce qu’elle ressemblait à Flore, tant elle était fraîche, jeune et belle. On ne lui voyait guère d’habits magnifiques ; elle aimait les robes de taffetas volant, avec quelques agrafes de pierreries et force guirlandes de fleurs, qui faisaient un effet admirable quand elles étaient placées dans ses beaux cheveux. Elle n’avait que quinze ans lorsque le roi se remaria.

La nouvelle reine envoya quérir sa fille, qui avait été nourrie chez sa marraine, la fée Soussio ; mais elle n’en était ni plus gracieuse ni plus belle : Soussio y avait voulu travailler et n’avait rien gagné. Elle ne laissait pas de l’aimer chèrement. On l’appelait Truitonne, car son visage avait autant de taches de rousseur qu’une truite ; ses cheveux noirs étaient si gras et si crasseux que l’on n’y pouvait toucher, sa peau jaune distillait de l’huile. La reine ne laissait pas de l’aimer à la folie ; elle ne parlait que de la charmante Truitonne, et, comme Florine avait toutes sortes d’avantages au-dessus d’elle, la reine s’en désespérait ; elle cherchait tous les moyens possibles de la mettre mal auprès du roi. Il n’y avait point de jour que la reine et Truitonne ne fissent quelque pièce à Florine. La princesse, qui était douce et spirituelle, tâchait de se mettre au-dessus des mauvais procédés.

Le roi dit un jour à la reine que Florine et Truitonne étaient assez grandes pour être mariées, et que le premier prince qui viendrait à la cour, il fallait faire en sorte de lui en donner l’une des deux.

– Je prétends, répliqua la reine, que ma fille soit la première établie ; elle est plus âgée que la vôtre, et, comme elle est mille fois plus aimable, il n’y a point à balancer là-dessus.

Le roi, qui n’aimait point la dispute, lui dit qu’il le voulait bien et qu’il l’en faisait la maîtresse.

À quelque temps de là, on apprit que le roi Charmant devait arriver. Jamais prince n’avait porté plus loin la galanterie et la magnificence ; son esprit et sa personne n’avaient rien qui ne répondît à son nom. Quand la reine sut ces nouvelles, elle employa tous les brodeurs, tous les tailleurs et tous les ouvriers à faire des ajustements à Truitonne. Elle pria le roi que Florine n’eût rien de neuf, et, ayant gagné ses femmes, elle lui fit voler tous ses habits, toutes ses coiffures et toutes ses pierreries le jour même que Charmant arriva, de sorte que, lorsqu’elle se voulut parer, elle ne trouva pas un ruban. Elle vit bien d’où lui venait ce bon office. Elle envoya chez les marchands pour avoir des étoffes ; ils répondirent que la reine avait défendu qu’on lui en donnât. Elle demeura donc avec une petite robe fort crasseuse, et sa honte était si grande, qu’elle se mit dans le coin de la salle lorsque le roi Charmant arriva.

La reine le reçut avec de grandes cérémonies ; elle lui présenta sa fille, plus brillante que le soleil et plus laide par toutes ses parures qu’elle ne l’était ordinairement. Le roi en détourna ses yeux ; la reine voulait se persuader qu’elle lui plaisait trop et qu’il craignait de s’engager, de sorte qu’elle la faisait toujours mettre devant lui. Il demanda s’il n’y avait pas encore une autre princesse appelée Florine.

– Oui, dit Truitonne en la montrant avec le doigt ; la voilà qui se cache, parce qu’elle n’est pas brave.

Florine rougit, et devint si belle, si belle, que le roi Charmant demeura comme un homme ébloui. Il se leva promptement, et fit une profonde révérence à la princesse :

– Madame, lui dit-il, votre incomparable beauté vous pare trop pour que vous ayez besoin d’aucun secours étranger.

– Seigneur, répliqua-t-elle, je vous avoue que je suis peu accoutumée à porter un habit aussi malpropre que l’est celui-ci, et vous m’auriez fait plaisir de ne vous pas apercevoir de moi.

– Il serait impossible, s’écria Charmant, qu’une si merveilleuse princesse pût être en quelque lieu, et que l’on eût des yeux pour d’autres que pour elle.

– Ah ! dit la reine irritée, je passe bien mon temps à vous entendre. Croyez-moi, seigneur, Florine est déjà assez coquette, et elle n’a pas besoin qu’on lui dise tant de galanteries.

Le roi Charmant démêla aussitôt les motifs qui faisaient ainsi parler la reine ; mais, comme il n’était pas de condition à se contraindre, il laissa paraître toute son admiration pour Florine, et l’entretint trois heures de suite.

La reine au désespoir, et Truitonne inconsolable de n’avoir pas la préférence sur la princesse, firent de grandes plaintes au roi et l’obligèrent de consentir que, pendant le séjour du roi Charmant, l’on enfermerait Florine dans une tour, où ils ne se verraient point. En effet, aussitôt qu’elle fut retournée dans sa chambre, quatre hommes masqués la portèrent au haut de la tour, et l’y laissèrent dans la dernière désolation ; car elle vit bien que l’on n’en usait ainsi que pour l’empêcher de plaire au roi qui lui plaisait déjà fort, et qu’elle aurait bien voulu pour époux.

Comme il ne savait pas les violences que l’on venait de faire à la princesse, il attendait l’heure de la revoir avec mille impatiences. Il voulut parler d’elle à ceux que le roi avait mis auprès de lui pour lui faire plus d’honneur ; mais, par l’ordre de la reine, ils lui dirent tout le mal qu’ils purent : qu’elle était coquette, inégale, de méchante humeur ; qu’elle tourmentait ses amis et ses domestiques, qu’on ne pouvait être plus malpropre, et qu’elle poussait si loin l’avarice, quelles aimait mieux être habillée comme une petite bergère, que d’acheter de riches étoffes de l’argent que lui donnait le roi son père. À tout ce détail, Charmant souffrait et se sentait des mouvements de colère qu’il avait bien de la peine à modérer.

– Non, disait-il en lui-même, il est impossible que le Ciel ait mis une âme si mal faite dans le chef-d’œuvre de la nature. Je conviens qu’elle n’était pas proprement mise quand je l’ai vue, mais la honte qu’elle en avait prouve assez qu’elle n’était point accoutumée à se voir ainsi. Quoi ! elle serait mauvaise avec cet air de modestie et de douceur qui enchante ? Ce n’est pas une chose qui me tombe sous le sens ; il m’est bien plus aisé de croire que c’est la reine qui la décrie ainsi : l’on n’est pas belle-mère pour rien ; et la princesse Truitonne est une si laide bête, qu’il ne serait point extraordinaire qu’elle portât envie à la plus parfaite de toutes les créatures.

Pendant qu’il raisonnait là-dessus, des courtisans qui l’environnaient devinaient bien à son air qu’ils ne lui avaient pas fait plaisir de parler mal de Florine. Il y en eut un plus adroit que les autres, qui, changeant de ton et de langage pour connaître les sentiments du prince, se mit à dire des merveilles de la princesse. À ces mots il se réveilla comme d’un profond sommeil, il entra dans la conversation, la joie se répandit sur son visage. Amour, amour, que l’on te cache difficilement ! Tu parais partout, sur les lèvres d’un amant, dans ses yeux, au son de sa voix ; lorsque l’on aime, le silence, la conversation, la joie ou la tristesse, tout parle de ce qu’on ressent.

La reine, impatiente de savoir si le roi Charmant était bien touché, envoya quérir ceux qu’elle avait mis dans sa confidence, et elle passa le reste de la nuit à les questionner. Tout ce qu’ils lui disaient ne servait qu’à confirmer l’opinion où elle était, que le roi aimait Florine. Mais que vous dirai-je de la mélancolie de cette pauvre princesse ? Elle était couchée par terre dans le donjon de cette horrible tour où les hommes masqués l’avaient emportée.

– Je serais moins à plaindre, disait-elle, si l’on m’avait mise ici avant que j’eusse vu cet aimable roi : l’idée que j’en conserve ne peut servir qu’à augmenter mes peines. Je ne dois pas douter que c’est pour m’empêcher de le voir davantage que la reine me traite si cruellement. Hélas ! que le peu de beauté dont le Ciel m’a pourvue coûtera cher à mon repos !

Elle pleurait ensuite si amèrement, si amèrement que sa propre ennemie en aurait eu pitié si elle avait été témoin de ses douleurs.

C’est ainsi que cette nuit se passa. La reine, qui voulait engager le roi Charmant par tous les témoignages qu’elle pourrait lui donner de son attention, lui envoya des habits d’une richesse et d’une magnificence sans pareille, faits à la mode du pays, et l’ordre des chevaliers d’amour, qu’elle avait obligé le roi d’instituer le jour de leurs noces. C’était un cœur d’or émaillé de couleur de feu, entouré de plusieurs flèches, et percé d’une, avec ces mots : Une seule me blesse. La reine avait fait tailler pour Charmant un cœur d’un rubis gros comme un œuf d’autruche ; chaque flèche était d’un seul diamant, longue comme le doigt, et la chaîne où ce cœur tenait était faite de perles, dont la plus petite pesait une livre : enfin, depuis que le monde est monde, il n’avait rien paru de tel.

Le roi, à cette vue, demeura si surpris qu’il fut quelque temps sans parler. On lui présenta en même temps un livre dont les feuilles étaient de vélin, avec des miniatures admirables, la couverture d’or, chargée de pierreries ; et les statuts de l’ordre des chevaliers d’amour y étaient écrits d’un style fort tendre et fort galant. L’on dit au roi que la princesse qu’il avait vue le priait d’être son chevalier, et qu’elle lui envoyait ce présent. À ces mots, il osa se flatter que c’était celle qu’il aimait.

– Quoi ! la belle princesse Florine, s’écria-t-il, pense à moi d’une manière si généreuse et si engageante ?

– Seigneur, lui dit-on, vous vous méprenez au nom, nous venons de la part de l’aimable Truitonne.

– C’est Truitonne qui me veut pour son chevalier ! dit le roi d’un air froid et sérieux, je suis fâché de ne pouvoir accepter cet honneur ; mais un souverain n’est pas assez maître de lui pour prendre les engagements qu’il voudrait. Je sais ceux d’un chevalier, je voudrais les remplir tous, et j’aime mieux ne pas recevoir la grâce qu’elle m’offre que de m’en rendre indigne.

Il remit aussitôt le cœur, la chaîne et le livre dans la même corbeille ; puis il envoya tout chez la reine, qui pensa étouffer de rage avec sa fille, de la manière méprisante dont le roi étranger avait reçu une faveur si particulière.

Lorsqu’il put aller chez le roi et la reine, il se rendit dans leur appartement : il espérait que Florine y serait ; il regardait de tous côtés pour la voir. Dès qu’il entendait entrer quelqu’un dans la chambre, il tournait la tête brusquement vers la porte ; il paraissait inquiet et chagrin. La malicieuse reine devinait assez ce qui se passait dans son âme, mais elle n’en faisait pas semblant. Elle ne lui parlait que de parties de plaisir ; il lui répondait tout de travers. Enfin il demanda où était la princesse Florine.

– Seigneur, lui dit fièrement la reine, le roi son père a défendu qu’elle sorte de chez elle, jusqu’à ce que ma fille soit mariée.

– Et quelle raison, répliqua le roi, peut-on avoir de tenir cette belle personne prisonnière ?

– Je l’ignore, dit la reine ; et quand je le saurais, je pourrais me dispenser de vous le dire.

Le roi se sentait dans une colère inconcevable ; il regardait Truitonne de travers, et songeait en lui-même que c’était à cause de ce petit monstre qu’on lui dérobait le plaisir de voir la princesse. Il quitta promptement la reine : sa présence lui causait trop de peine.

Quand il fut revenu dans sa chambre, il dit à un jeune prince qui l’avait accompagné, et qu’il aimait fort, de donner tout ce qu’on voudrait au monde pour gagner quelqu’une des femmes de la princesse, afin qu’il pût lui parler un moment. Ce prince trouva aisément des dames du palais qui entrèrent dans la confidence ; il y en eut une qui l’assura que le soir même Florine serait à une petite fenêtre basse qui répondait sur le jardin, et que par là elle pourrait lui parler, pourvu qu’il prît de grandes précautions afin qu’on ne le sût pas, « car, ajouta-t-elle, le roi et la reine sont si sévères, qu’ils me feraient mourir s’ils découvraient que j’eusse favorisé la passion de Charmant ». Le prince, ravi d’avoir amené l’affaire jusque-là, lui promit tout ce qu’elle voulait, et courut faire sa cour au roi, en lui annonçant l’heure du rendez-vous. Mais la mauvaise confidente ne manqua pas d’aller avertir la reine de ce qui se passait et de prendre ses ordres. Aussitôt elle pensa qu’il fallait envoyer sa fille à la petite fenêtre ; elle l’instruisit bien ; et Truitonne ne manqua rien, quoiqu’elle fût naturellement une grande bête.

La nuit était si noire, qu’il aurait été impossible au roi de s’apercevoir de la tromperie qu’on lui faisait, quand même il n’aurait pas été aussi prévenu qu’il l’était de sorte qu’il s’approcha de la fenêtre avec des transports de joie inexprimables. Il dit à Truitonne tout ce qu’il aurait dit à Florine pour la persuader de sa passion. Truitonne, profitant de la conjoncture, lui dit qu’elle se trouvait la plus malheureuse personne du monde d’avoir une belle-mère si cruelle, et qu’elle aurait toujours à souffrir jusqu’à ce que sa fille fût mariée. Le roi l’assura que, si elle le voulait pour son époux, il serait ravi de partager avec elle sa couronne et son cœur. Là-dessus, il tira sa bague de son doigt ; et, la mettant au doigt de Truitonne, il ajouta que c’était un gage éternel de sa foi, et qu’elle n’avait qu’à prendre l’heure pour partir en diligence. Truitonne répondit le mieux qu’elle put à ses empressements. Il s’apercevait bien qu’elle ne disait rien qui vaille ; et cela lui aurait fait de la peine, s’il ne se fût persuadé que la crainte d’être surprise par la reine lui ôtait la liberté de son esprit. Il ne la quitta qu’à la condition de revenir le lendemain à pareille heure, ce qu’elle lui promit de tout son cœur.

La reine ayant su l’heureux succès de cette entrevue, elle s’en promit tout. Et, en effet, le jour étant concerté, le roi vint la prendre dans une chaise volante, traînée par des grenouilles ailées : un enchanteur de ses amis lui avait fait ce présent. La nuit était fort noire ; Truitonne sortit mystérieusement par une petite porte, et le roi, qui l’attendait, la reçut dans ses bras et lui jura cent fois une fidélité éternelle. Mais comme il n’était pas d’humeur à voler longtemps dans sa chaise volante sans épouser la princesse qu’il aimait, il lui demanda où elle voulait que les noces se fissent. Elle lui dit qu’elle avait pour marraine une fée qu’on appelait Soussio, qui était fort célèbre ; qu’elle était d’avis d’aller au château. Quoique le roi ne sût pas le chemin, il n’eut qu’à dire à ses grosses grenouilles de l’y conduire ; elles connaissaient la carte générale de l’univers et en peu de temps elles rendirent le roi et Truitonne chez Soussio.

Le château était si bien éclairé, qu’en arrivant le roi aurait reconnu son erreur, si la princesse ne s’était soigneusement couverte de son voile. Elle demanda sa marraine ; elle lui parla en particulier, et lui conta comme quoi elle avait attrapé Charmant, et qu’elle la priait de l’apaiser.

– Ah ! ma fille, dit la fée, la chose ne sera pas facile : il aime trop Florine ; je suis certaine qu’il va nous faire désespérer.

Cependant le roi les attendait dans une salle dont les murs étaient de diamants, si clairs et si nets, qu’il vit au travers Soussio et Truitonne causer ensemble. Il croyait rêver.

– Quoi ! disait-il, ai-je été trahi ? Les démons ont-ils apporté cette ennemie de notre repos ? Vient-elle pour troubler mon mariage ? Ma chère Florine ne paraît point ! Son père l’a peut-être suivie !

Il pensait mille choses qui commençaient à le désoler. Mais ce fut bien pis quand elles entrèrent dans la salle et que Soussio lui dit d’un ton absolu :

– Roi Charmant, voici la princesse Truitonne, à laquelle vous avez donné votre foi ; elle est ma filleule, et je souhaite que vous l’épousiez tout à l’heure.

– Moi, s’écria-t-il, moi, j’épouserais ce petit monstre ! Vous me croyez d’un naturel bien docile, quand vous me faites de telles propositions : sachez que je ne lui ai rien promis ; si elle dit autrement, elle en a…

– N’achevez pas, interrompit Soussio, et ne soyez jamais assez hardi pour me manquer de respect.

– Je consens, répliqua le roi, de vous respecter autant qu’une fée est respectable, pourvu que vous me rendiez ma princesse.

– Est-ce que je ne la suis pas, parjure ? dit Truitonne en lui montrant sa bague. À qui as-tu donné cet anneau pour gage de ta foi ? À qui as-tu parlé à la petite fenêtre, si ce n’est pas à moi ?

– Comment donc ! reprit-il, j’ai été déçu et trompé ? Non, non, je n’en serai point la dupe. Allons, allons, mes grenouilles, mes grenouilles, je veux partir tout à l’heure.

– Ho ! ce n’est pas une chose en votre pouvoir, si je n’y consens, dit Soussio.

Elle le toucha, et ses pieds s’attachèrent au parquet, comme si on les y avait cloués.

– Quand vous me lapideriez, lui dit le roi, quand vous m’écorcheriez, je ne serais point à une autre qu’à Florine ; j’y suis résolu, et vous pouvez après cela user de votre pouvoir à votre gré.

Soussio employa la douceur, les menaces, les promesses, les prières. Truitonne pleura, cria, gémit, se fâcha, s’apaisa. Le roi ne disait pas un mot, et, les regardant toutes deux avec l’air du monde le plus indigné, il ne répondait rien à tous leurs verbiages.

Il se passa ainsi vingt jours et vingt nuits, sans qu’elles cessassent de parler, sans manger, sans dormir et sans s’asseoir. Enfin Soussio, à bout et fatiguée, dit au roi :

– Ho bien, vous êtes un opiniâtre qui ne voulez pas entendre raison ; choisissez, ou d’être sept ans en pénitence, pour avoir donné votre parole sans la tenir, ou d’épouser ma filleule.

Le roi, qui avait gardé un profond silence, s’écria tout d’un coup :

– Faites de moi tout ce que vous voudrez, pourvu que je sois délivré de cette maussade.

– Maussade vous-même, dit Truitonne en colère ; je vous trouve un plaisant roitelet, avec votre équipage marécageux, de venir jusqu’en mon pays pour me dire des injures et manquer à votre parole. Si vous aviez quatre deniers d’honneur, en useriez-vous ainsi ?

– Voilà des reproches touchants, dit le roi d’un ton railleur. Voyez-vous, qu’on a tort de ne pas prendre une aussi belle personne pour sa femme !

– Non, non, elle ne le sera pas, s’écria Soussio en colère. Tu n’as qu’à t’envoler par cette fenêtre, si tu veux, car tu seras sept ans oiseau bleu. »

En même temps le roi change de figure ; ses bras se couvrent de plumes et forment des ailes ; ses jambes et ses pieds deviennent noirs et menus ; il lui croît des ongles crochus ; son corps s’apetisse, il est tout garni de longues plumes fines et mêlées de bleu céleste ; ses yeux s’arrondissent et brillent comme des soleils ; son nez n’est plus qu’un bec d’ivoire ; il s’élève sur sa tête une aigrette blanche, qui forme une couronne ; il chante à ravir, et parle de même. En cet état il jette un cri douloureux de se voir ainsi métamorphosé, et s’envole à tire-d’aile pour fuir le funeste palais de Soussio.

Dans la mélancolie qui l’accable, il voltige de branche en branche, et ne choisit que les arbres consacrés à l’amour ou à la tristesse, tantôt sur les myrtes, tantôt sur les cyprès ; il chante des airs pitoyables, où il déplore sa méchante fortune et celle de Florine.

– En quel lieu ses ennemis l’ont-ils cachée ? disait-il. Qu’est devenue cette belle victime ? La barbarie de la reine la laisse-t-elle encore respirer ? Où la chercherai-je ? Suis-je condamné à passer sept ans sans elle ? Peut-être que pendant ce temps on la mariera, et que je perdrai pour jamais l’espérance qui soutient ma vie.

Ces différentes pensées affligeaient l’oiseau bleu à tel point qu’il voulait se laisser mourir.

D’un autre côté, la fée Soussio renvoya Truitonne à la reine, qui était bien inquiète comment les noces se seraient passées. Mais quand elle vit sa fille, et qu’elle lui raconta tout ce qui venait d’arriver, elle se mit dans une colère terrible, dont le contrecoup retomba sur la pauvre Florine.

– Il faut, dit-elle, qu’elle se repente plus d’une fois d’avoir su plaire à Charmant.

Elle monta dans la tour avec Truitonne, qu’elle avait parée de ses plus riches habits : elle portait une couronne de diamants sur sa tête, et trois filles des plus riches barons de l’État tenaient la queue de son manteau royal ; elle avait au pouce l’anneau du roi Charmant, que Florine remarqua le jour qu’ils parlèrent ensemble. Elle fut étrangement surprise de voir Truitonne dans un si pompeux appareil.

– Voilà ma fille qui vient vous apporter des présents de sa noce, dit la reine ; le roi Charmant l’a épousée, il l’aime à la folie, il n’a jamais été de gens plus satisfaits. »

Aussitôt on étale devant la princesse des étoffes d’or et d’argent, des pierreries, des dentelles, des rubans, qui étaient dans de grandes corbeilles de filigrane d’or. En lui présentant toutes ces choses, Truitonne ne manquait pas de faire briller l’anneau du roi ; de sorte que la princesse Florine ne pouvait plus douter de son malheur. Elle s’écria, d’un air désespéré, qu’on ôtât de ses yeux tous ces présents si funestes ; qu’elle ne pouvait plus porter que du noir, ou plutôt qu’elle voulait présentement mourir. Elle s’évanouit ; et la cruelle reine, ravie d’avoir si bien réussi, ne permit pas qu’on la secourût : elle la laissa seule dans le plus déplorable état du monde, et alla conter malicieusement au roi que sa fille était si transportée de tendresse que rien n’égalait les extravagances qu’elle faisait ; qu’il fallait bien se donner de garde de la laisser sortir de la tour. Le roi lui dit qu’elle pouvait gouverner cette affaire à sa fantaisie et qu’il en serait toujours satisfait.

Lorsque la princesse revint de son évanouissement, et qu’elle réfléchit sur la conduite qu’on tenait avec elle, aux mauvais traitements qu’elle recevait de son indigne marâtre, et à l’espérance qu’elle perdait pour jamais d’épouser le roi Charmant, sa douleur devint si vive, qu’elle pleura toute la nuit ; en cet état elle se mit à sa fenêtre, où elle fit des regrets fort tendres et fort touchants. Quand le jour approcha, elle la ferma et continua de pleurer.

La nuit suivante, elle ouvrit la fenêtre, elle poussa de profonds soupirs et des sanglots, elle versa un torrent de larmes : le jour venu, elle se cacha dans sa chambre. Cependant le roi Charmant, ou pour mieux dire le bel oiseau bleu, ne cessait point de voltiger autour du palais ; il jugeait que sa chère princesse y était enfermée, et, si elle faisait de tristes plaintes, les siennes ne l’étaient pas moins. Il s’approchait des fenêtres le plus qu’il pouvait, pour regarder dans les chambres ; mais la crainte que Truitonne ne l’aperçût et ne se doutât que c’était lui, l’empêchait de faire ce qu’il aurait voulu.

– Il y va de ma vie, disait-il en lui-même : si ces mauvaises découvraient où je suis, elles voudraient se venger ; il faudrait que je m’éloignasse, ou que je fusse exposé aux derniers dangers.

Ces raisons l’obligèrent à garder de grandes mesures, et d’ordinaire il ne chantait que la nuit.

Il y avait vis-à-vis de la fenêtre où Florine se mettait, un cyprès d’une hauteur prodigieuse : l’oiseau bleu vint s’y percher. Il y fut à peine, qu’il entendit une personne qui se plaignait :

– Souffrirai-je encore longtemps ? disait-elle. La mort ne viendra-t-elle point à mon secours ? Ceux qui la craignent ne la voient que trop tôt ; je la désire et la cruelle me fuit. Ah ! barbare reine, que t’ai-je fait, pour me retenir dans une captivité si affreuse ? N’as-tu pas assez d’autres endroits pour me désoler ? Tu n’as qu’à me rendre témoin du bonheur que ton indigne fille goûte avec le roi Charmant !

L’oiseau bleu n’avait pas perdu un mot de cette plainte ; il en demeura bien surpris, et il attendit le jour avec la dernière impatience, pour voir la dame affligée ; mais avant qu’il vînt, elle avait fermé la fenêtre et s’était retirée.

L’oiseau curieux ne manqua pas de revenir la nuit suivante. Il faisait clair de lune : il vit une fille à la fenêtre de la tour, qui commençait ses regrets :

– Fortune, disait-elle, toi qui me flattais de régner, toi qui m’avais rendu l’amour de mon père, que t’ai-je fait pour me plonger tout d’un coup dans les plus amères douleurs ? Est-ce dans un âge aussi tendre que le mien qu’on doit commencer à ressentir ton inconstance ? Reviens, barbare, s’il est possible ; je te demande, pour toutes faveurs, de terminer ma fatale destinée.

L’oiseau bleu écoutait ; et plus il écoutait, plus il se persuadait que c’était son aimable princesse qui se plaignait. Il lui dit :

– Adorable Florine, merveille de nos jours, pourquoi voulez-vous finir si promptement les vôtres ? Vos maux ne sont point sans remède.

– Hé ! qui me parle, s’écria-t-elle, d’une manière si consolante ?

– Un roi malheureux, reprit l’oiseau, qui vous aime et n’aimera jamais que vous.

– Un roi qui m’aime ! ajouta-t-elle. Est-ce ici un piège que me tend mon ennemie ? Mais, au fond, qu’y gagnera-t-elle ? Si elle cherche à découvrir mes sentiments, je suis prête à lui en faire l’aveu.

– Non, ma princesse, répondit-il, l’amant qui vous parle n’est point capable de vous trahir.

En achevant ces mots, il vola sur la fenêtre. Florine eut d’abord grande peur d’un oiseau si extraordinaire, qui parlait avec autant d’esprit que s’il avait été homme, quoiqu’il conservât le petit son de voix d’un rossignol ; mais la beauté de son plumage et ce qu’il lui dit la rassura.

– M’est-il permis de vous revoir, ma princesse ? s’écria-t-il. Puis-je goûter un bonheur si parfait sans mourir de joie ? Mais, hélas ! que cette joie est troublée par votre captivité et l’état où la méchante Soussio m’a réduit pour sept ans !

– Et qui êtes-vous, charmant oiseau ? dit la princesse en le caressant.

– Vous avez dit mon nom, ajouta le roi, et vous feignez de ne pas me connaître.

– Quoi ! le plus grand roi du monde ! Quoi ! le roi Charmant, dit la princesse, serait le petit oiseau que je tiens ?

– Hélas ! belle Florine, il n’est que trop vrai, reprit-il ; et, si quelque chose m’en peut consoler, c’est que j’ai préféré cette peine à celle de renoncer à la passion que j’ai pour vous.

– Pour moi ! dit Florine. Ah ! ne cherchez point à me tromper ! Je sais, je sais que vous avez épousé Truitonne ; j’ai reconnu votre anneau à son doigt : je l’ai vue toute brillante des diamants que vous lui avez donnés. Elle est venue m’insulter dans ma triste prison, chargée d’une riche couronne et d’un manteau royal qu’elle tenait de votre main pendant que j’étais chargée de chaînes et de fers.

– Vous avez vu Truitonne en cet équipage ? interrompit le roi ; sa mère et elle ont osé vous dire que ces joyaux venaient de moi ? Ô ciel ! est-il possible que j’entende des mensonges si affreux, et que je ne puisse m’en venger aussitôt que je le souhaite ? Sachez qu’elles ont voulu me décevoir, qu’abusant de votre nom, elles m’ont engagé d’enlever cette laide Truitonne ; mais, aussitôt que je connus mon erreur, je voulus l’abandonner, et je choisis enfin d’être oiseau bleu sept ans de suite, plutôt que de manquer à la fidélité que je vous ai vouée.

Florine avait un plaisir si sensible d’entendre parler son aimable amant qu’elle ne se souvenait plus des malheurs de sa prison. Que ne lui dit-elle pas pour le consoler de sa triste aventure, et pour le persuader qu’elle ne ferait pas moins pour lui qu’il n’avait fait pour elle ? Le jour paraissait, la plupart des officiers étaient déjà levés, que l’oiseau bleu et la princesse parlaient encore ensemble. Ils se séparèrent avec mille peines, après s’être promis que toutes les nuits ils s’entretiendraient ainsi.

La joie de s’être trouvés était si extrême, qu’il n’est point de termes capables de l’exprimer ; chacun de son côté remerciait l’amour et la fortune. Cependant Florine s’inquiétait pour l’oiseau bleu :

– Qui le garantira des chasseurs, disait-elle, ou de la serre aiguë de quelque aigle, ou de quelque vautour affamé, qui le mangerait avec autant d’appétit que si ce n’était pas un grand roi ? Ô ciel ! que deviendrais-je si ses plumes légères et fines, poussées par le vent, venaient jusque dans ma prison m’annoncer le désastre que je crains ?

Cette pensée empêcha que la pauvre princesse fermât les yeux : car, lorsque l’on aime, les illusions paraissent des vérités, et ce que l’on croyait impossible dans un autre temps semble aisé en celui-là, de sorte qu’elle passa le jour à pleurer, jusqu’à ce que l’heure fût venue de se mettre à sa fenêtre.

Le charmant oiseau, caché dans le creux d’un arbre, avait été tout le jour occupé à penser à sa belle princesse.

– Que je suis content, disait-il, de l’avoir retrouvée ! qu’elle est engageante ! que je sens vivement les bontés qu’elle me témoigne !

Ce tendre amant comptait jusqu’aux moindres moments de la pénitence qui l’empêchait de l’épouser, et jamais on n’en a désiré la fin avec plus de passion. Comme il voulait faire à Florine toutes les galanteries dont il était capable, il vola jusqu’à la ville capitale de son royaume ; il alla à son palais, il entra dans son cabinet par une vitre qui était cassée ; il prit des pendants d’oreilles de diamants, si parfaits et si beaux qu’il n’y en avait point au monde qui en approchassent ; il les apporta le soir à Florine, et la pria de s’en parer.

– J’y consentirais, lui dit-elle, si vous me voyiez le jour ; mais, puisque je ne vous parle que la nuit, je ne les mettrai pas.

L’oiseau lui promit de prendre si bien son temps, qu’il viendrait à la tour à l’heure qu’elle voudrait : aussitôt elle mit les pendants d’oreilles, et la nuit se passa à causer comme s’était passée l’autre.

Le lendemain l’oiseau bleu retourna dans son royaume ; il alla à son palais ; il entra dans son cabinet par la vitre rompue, et il en apporta les plus riches bracelets que l’on eût encore vus : ils étaient d’une seule émeraude, taillés en facettes, creusés par le milieu, pour y passer la main et le bras.