Crash - Yann Mallet - E-Book

Crash E-Book

Yann Mallet

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Beschreibung

Depuis peu, Simonne et Victor ont élu domicile à Marrakech. Le 10 décembre 1945, le temps est magnifique, et Simonne attend avec impatience le retour de son mari, pilote de guerre, mobilisé pour servir son pays. Cependant, un drame se déroule simultanément dans un ciel beaucoup plus sombre, à des centaines de kilomètres au nord, au-dessus de Ceuta : Victor est porté disparu. Comment Simonne affrontera-t-elle cette tragédie ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Médecin spécialiste ORL, Yann Mallet est l’auteur du roman "Correspondances : la troisième voix", paru en 2023 aux éditions Librinova. Son deuxième ouvrage, "Crash – Porté disparu", vous plonge dans une expérience captivante vécue par ses grands-parents, vous offrant une histoire intrigante à découvrir.

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Yann Mallet

Crash

Porté disparu

© Lys Bleu Éditions – Yann Mallet

ISBN : 979-10-422-2096-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Un week-end, Paris VIIIe, début des années 80

— Passe-moi le sel, Simonne, s’il te plaît.
— Mais enfin Vic, tu as déjà ce qu’il faut !

De passage chez mes grands-parents dans leur bel appartement, j’assiste, amusé à cet échange presque théâtral. Rassemblés autour d’une vieille table en Formica posée au milieu d’une cuisine émaillée et jaunie par le temps, nous mangeons gaiement une tranche de rôti entourée de pommes de terre vapeur. Et papy se contente de grimacer devant sa microsalière, sauvé d’un déjeuner à bord d’un vol Air France quelques années plus tôt par l’épouse économe. Enfermant quelques grains si précieux, presque comptés, sans doute pesés, elle matérialise toute l’attention portée par ma grand-mère au « régime » de son mari. Souffrant d’hypertension, le cœur déjà fatigué de décennies de tabagisme et aggravé d’un accident cardiaque quelques années plus tôt, mon grand-père n’est pas tout à fait maître chez lui. Et certainement pas dans cette cuisine. J’ai d’ailleurs accès librement à celle qu’il convoitait. À raison, car avec son petit ventre en verre généreusement rempli et sa tête en plastique noir grossièrement criblée, elle offre cette fois, à qui la retourne, bien davantage qu’il en aurait espéré. Il se console alors d’une courte rasade de vin rouge, délivrée par une mini-carafe, toujours individuelle, renfermant les 10 cl de vin dictés par un obscur règlement dont seule mamy possède un exemplaire. Et ma grand-mère maintient la pression jusqu’au fromage, une portion congrue de camembert calibrée dans sa boîte en plastique, que je crois spécialement conçue pour cela. En se levant, après une bonne pomme au couteau de son verger de Vaux-sur-Seine, il quitte libre, mais vaincu, le théâtre des opérations de ma grand-mère. Il se réfugie alors dans sa chambre pour une bonne sieste.

De cette relation plutôt autoritaire, mon grand-père s’en amusait volontiers et lui pardonnait toujours.

Il ne livrait pas bataille sur ce terrain-là, car il était miné des bonnes intentions de son épouse. Ces petits gestes au quotidien étaient une traduction évidente de l’amour qu’elle lui portait. Elle l’étouffait sans doute, un peu, mais pour le protéger. Et l’étouffé survivait toujours avec le sourire, heureux d’être à ses côtés. Car très gaie et souriante, positive et particulièrement bavarde, Simonne rayonnait toujours dans le cœur de Victor.

Ils formaient un très beau couple dans mes yeux adolescents. Et longtemps je n’ai vu dans ces anecdotes que de simples manies, polies par les années. Ma grand-mère en particulier, me semblait parfois futile et un peu hors du temps, s’inquiétant de mille petites choses qui me paraissaient sans importance.

C’est en replongeant dans leurs jeunes années que je découvris qu’il n’en était rien. Bien sûr…

J’ai alors écrit cette fiction.

Pour leur rendre hommage.

Et ainsi jusqu’au simple berger.

Car celui-là qui veille modestement quelques moutons sous les

étoiles, s’il prend conscience de son

rôle, se découvre plus qu’un serviteur. Il est une

sentinelle. Et chaque sentinelle est responsable de

tout l’empire.

Antoine de Saint-Exupéry

Terre des Hommes

Remerciements

Je remercie mes relecteurs pour leurs conseils avisés, en particulier Blandine Bricout-Mallet, Florence Cortot, Julie Cyl, Jean Deshorgue, Ghislaine Gellé-Guéguen, Nathalie Grospiron et Jeremy Lacourrege.

Je remercie également Ghislaine, mais aussi Valérie Savani-Gellé et Philippe Savani, pour leurs recherches dans les archives familiales et militaires.

Je remercie Thierry Gellé pour m’avoir accompagné dans ce parcours mémoriel, toujours à l’écoute et partageant de nombreux échanges très enrichissants.

Je remercie tout particulièrement ma tante Ghislaine, fille aînée de Victor, pour toute son affection et sa bienveillance dans la conception de cet ouvrage.

Je remercie tout particulièrement ma sœur Blandine Bricout-Mallet pour la correction approfondie de ce texte.

Enfin, ma gratitude va à mon épouse Aïda Mallet-Hitache, qui a eu la sagesse et la patience d’accepter ces nombreuses heures de lecture, de recherche et d’écriture, nous privant de précieux moments de partage.

Prologue

Marrakech, lundi 10 décembre 1945, pas loin de 15 h

Flûte, Vic n’est toujours pas là. J’ai préparé un très bon déjeuner avec toutes les choses qu’il aime : un gigot piqué à l’ail, des pommes frites, une bonne salade verte et comme dessert la tarte aux pommes, celle qu’il préfère, soupire Simonne en contemplant une énième fois sa jolie table apprêtée.

C’est un déjeuner de prince. Inespéré. L’époque ne prête pas aux festins. La bonne chair est rare et chère, rationnée par une guerre qui n’a que trop duré et par une paix encore chancelante. Mais Simonne a su économiser assez de tickets. Elle a été chanceuse pour la pièce de viande, tout à fait exceptionnelle. Car elle a profité d’un arrivage sur la base. Mais aussi d’un gros coup de pouce en rapport avec les nouvelles fonctions de son mari. Car il commande depuis quelques semaines la division d’instruction de l’école de bombardement.

Ils viennent de s’installer à Marrakech.

Simonne fait une dernière fois le tour de la petite table de la salle à manger. La nappe de Madagascar, sa préférée, est blanche et égayée de petits motifs brodés. Colorés, ils évoquent des scénettes de la vie quotidienne malgache, la marchande de fleurs, le pousse-pousse ou bien une maison traditionnelle… Ils n’y sont jamais allés. Mais cette nappe est la promesse d’une terre ensoleillée, chaleureuse et belle. Il le sait : elle rêve de s’y rendre. Elle l’a déjà plus d’une fois agacé en insistant un peu comme un caprice d’enfant. Elle en est consciente, bien sûr, mais au fond elle sait qu’il l’aime ainsi, avec cet enthousiasme parfois futile. Simonne habille de ses récits et de ses désirs l’amour qu’elle lui porte, embellissant encore davantage un avenir déjà prometteur. Tananarive n’est jamais si proche que lorsqu’elle l’évoque ; la cité se matérialise dans ses mots, ses sourires et ses baisers qui ponctuent le discours. Elle veut être la magicienne de son couple ; et elle en est certaine, Vic est heureux lorsqu’il l’écoute, car il s’évade d’un quotidien qu’elle imagine parfois dur et triste. Simonne est son plus bel avion, car elle l’emporte là où personne ne peut l’emmener.

Pas d’argenterie, car il n’a jamais apprécié. Les assiettes appartenaient à ses grands-parents. Très simples, en faïence vaguement jaunâtre ou bien jaunies par le temps, le motif est floral. Certaines sont ébréchées, ce qui oblige Simonne à un examen minutieux avant de les disposer, car évidemment, il n’a jamais voulu s’en séparer. Aujourd’hui, la maison est lumineuse malgré de très petites fenêtres habillées de rideaux. Le temps est merveilleux ce lundi sur Marrakech. Tout est parfait.

Il m’avait bien dit qu’il serait à l’heure pour le déjeuner, ressasse-t-elle franchement déçue.

Victor s’est rendu quelques jours à l’état-major, à Alger.

Ses déplacements sont fréquents, certes, mais Simonne ne s’y fait toujours pas. Ils sont pourtant nettement plus sûrs depuis quelques mois. L’Allemagne a capitulé en mai dernier…

Ce qui n’est pas le problème principal pour Simonne, car elle a toujours su exorciser la peur qu’il ne rentre pas.

« Je l’aime tant, qu’il ne peut rien lui arriver ! » se plaît-elle à répéter à qui veut bien l’entendre.

Élevée dans la tradition protestante à Aix, elle n’a pas hésité à quitter sa famille au bras du jeune pilote catholique. Elle a fait alors de son amour pour lui, sa principale religion. Et Victor l’incarne si bien que ça le rend, aux yeux de sa très jeune épouse, indestructible.

C’est donc naturellement ses absences, quel qu’en soit le motif, qui chagrinent Simonne. Car l’amoureuse n’est pas partageuse et à chaque fois qu’il la quitte, elle se perd un peu plus dans une solitude non désirée.

Elle n’est pourtant jamais seule, car depuis qu’ils se sont mariés, 4 ans déjà, elle a appris à rythmer sa vie en fonction des contraintes de service de son mari.

Lorsqu’il part, elle organise ses journées autour de leur bébé, Ghislaine, qui n’a pas trois ans, et se ménage ces derniers temps une bonne sieste, chaque jour, car elle est enceinte. Les nausées ne sont jamais très loin et ses nuits sont rarement complètes.

Alors qu’en sa présence, les maux s’éloignent. Simonne récupère, fatiguée de cette solitude, dans les bras de l’amant. Elle se nourrit largement de son regard chargé d’amour, de ses mots doux. Victor anime sa vie tant qu’elle s’oublie, heureuse cette fois de se perdre dans une relation si complète, exclusive.

Il est de retour aujourd’hui.

Elle a mis la robe qu’il préfère, unie et crème avec un décolleté court, celle qui descend aux genoux. Elle n’a jamais bien compris pourquoi il apprécie tant cette robe plutôt sage, alors qu’elle en a d’autres qu’elle trouve plus jolies avec des motifs travaillés, parfois échancrées ou bien mettant ses épaules davantage en valeur. Elle pensera à le lui demander cette fois.

Mais il ne rentre pas et le gigot refroidi.

C’est sûr, il est retenu à la base, comme c’est arrivé si souvent. Mais il aurait pu au moins envoyer une estafette pour me prévenir… Il est 15 h. Franchement, il exagère et puis maintenant je n’ai plus faim. Cela ne sert à rien, il a dû déjeuner quelque part ou bien à bord. Je ne sais pas.

La maison se réveille alors brutalement avec les pleurs de Ghislaine, finissant sa sieste. La petite est souriante, facile et très éveillée. C’est un bonheur. Elle est toujours partante pour jouer, câliner et est tout particulièrement motivée pour manger, préférant sans ambiguïté les desserts sucrés aux mets salés. Mais les réveils sont difficiles. Elle est souvent grognon et n’appelle jamais, car elle pleure bruyamment le dernier rêve disparu.

C’est à ce moment précis que l’on frappe à la porte. Avec insistance.

C’est bizarre, pourquoi tape-t-il ainsi ? Il lui suffit de rentrer… Bon, puisqu’il le souhaite, je vais lui ouvrir cette fois.

Mais Vic n’est pas là et Simonne fait face à un autre capitaine.

Le visage de Loïc Le Saulnier, habituellement net et bien découpé, semble froissé, un peu vieilli…

— Mais enfin Loïc, que vous arrive-t-il ? Que se passe-t-il ? Vous êtes blessé ? Un accident ? Entrez donc et asseyez-vous.

Simonne le dirige vers le canapé en rotin où Loïc s’affale un peu trop vite, comme alourdi par le poids d’une tenue de vol. Mais elle note immédiatement qu’il est en grande tenue. Impeccable et un peu troublante d’ailleurs, car hier encore, une chemisette l’habillait simplement. Bleue ? Rose pâle ? Elle ne le sait plus, mais peu importe. Et puis il n’est pas blessé, aucune égratignure visible. Que se passe-t-il ?

— Enfin, Loïc, expliquez-vous !
— Simonne… Je viens de la base… Victor n’est pas rentré.
— Comment ça, pas rentré. Il a pris du retard ?
— Non, non, ils ont décollé à l’heure. Nous avons eu confirmation de cela. Mais ils n’ont jamais atterri.
— Loïc… Vous voulez me dire qu’il a eu un accident, lui dit-elle alertée.
— Nous… Nous n’avons aucune nouvelle de l’équipage… depuis plusieurs heures maintenant.
— Comment, aucune nouvelle… aucune nouvelle, ce n’est pas possible ! Il y a une radio à bord. Voulez-vous me dire que…
— Victor est porté disparu.

Ghislaine hurle.

Ghislaine

Marrakech, lundi 10 décembre 1945, 15 h passées

Simonne s’effondre, sourde et décomposée. Un fauteuil la reçoit machinalement. Elle fait alors face à Loïc et regarde, hébétée, l’homme retenir ses larmes. Il ne devrait pas être là, pas aujourd’hui. Et il n’est pas de service. Elle en est sûre, car ils ont déjeuné ensemble hier, avec Gabrielle, son épouse. Elle se réjouissait de cet exceptionnel week-end prolongé au lundi, accordé à Loïc compte tenu de la très faible activité anticipée sur la base pour ce début de semaine.

Loïc est le meilleur ami de Victor. Ils se sont connus étudiants à Versailles. Compagnons d’infortune pendant les années de guerre, ils vécurent des moments si douloureux qu’ils pansèrent leurs plaies entre eux. Elle en est certaine, car Victor lui a toujours épargné les récits tragiques. Et lorsqu’elle partageait ses interrogations avec Gabrielle, l’épouse de Loïc, elle s’apercevait qu’elle aussi était épargnée par son mari. Alors elles se nourrissaient l’une l’autre de l’admiration qu’elles portaient pour leurs époux respectifs. Elles comprirent ensemble que le comportement de leur mari était un témoignage d’amour, étrange pour elles, mais indiscutable. Glanant les quelques informations du front transpirant dans leur vie en garnison, elles prirent l’habitude de les partager et devinrent, elles aussi, amies.

Vic chéri, tu es vivant. Je le sens bien. Tu n’as pas pu m’abandonner. Pas maintenant après tant d’années terribles… Toujours raisonnable, tu m’as appris à te faire confiance. Avec ton intelligence des situations et ta capacité à t’adapter plus vite que l’adversaire, je crois que, sur la fin, j’étais convaincue que tu avais la prescience suffisante pour échapper aux tirs ennemis.

De mon côté, je me battais aussi, chaque jour, chaque heure. Tu ne le savais pas, mais j’étais au combat. Avec toi. Je partageais tes souffrances et les doutes que tu cherchais vainement à me cacher. Dans tes lettres par exemple…

Au domicile de Simonne, l’année 1944

Chaque courrier que je recevais lorsque tu étais basé à Villacidro en Sardaigne mêlait une joie immense à une profonde angoisse. Sale période. La première de cette fichue guerre où je n’avais pas pu te suivre, être à tes côtés… Je savais que tu enchaînais les missions de combat, avec la campagne d’Italie, puis le débarquement de Provence…

Alors tu imagines bien comme j’étais heureuse d’avoir de tes nouvelles, car c’était une victoire sur la vie. Une victoire pour notre couple. J’étais fébrile à en pleurer, de te lire et te relire. Je m’imprégnais de chacun de tes mots, du lié de ton écriture et de la tournure de tes phrases. Tous ces petits signes qui me permettaient d’établir le diagnostic de tes états d’âme, de ton moral, de la situation aussi. Mais je n’étais pas dupe des faits relatés.

Tu m’écrivais à propos du nouveau cuistot qui avait su améliorer l’ordinaire de la popote des officiers. Moi, j’imaginais aussitôt toutes ces soirées où tu pleurais tes camarades disparus, la boule au ventre et sans pouvoir avaler ne serait-ce qu’un verre.

Tu m’annonçais bravache que Joséphine Baker s’était déplacée à Villacidro, spécialement pour te divertir ! Tu voulais sans doute me faire rire, imaginant je ne sais quelle jalousie ? J’y voyais en réalité l’effort de guerre d’une femme trop consciente des risques que vous preniez chaque jour. Et sa merveilleuse voix, son corps aussi je te l’accorde, portaient en réalité un message d’amour universel, celui de vos épouses, de vos fiancées.

Et quand tu m’informais fièrement de la venue du Général de Gaulle… Sans doute voulais-tu me rassurer sur l’excellence des troupes ou me signifier je ne sais quelle reconnaissance de votre valeur militaire. Mais je lisais bien autre chose, car pour moi ce n’était pas une bonne nouvelle ! Le Général ne se serait jamais déplacé pour une troupe de deuxième ligne.

Tu m’écrivais que le moral était bon et les équipages efficaces. Pour ne pas me citer ceux qui disparaissaient et qui pourtant faisaient la une des conversations entre épouses, dans la garnison. Tu m’annonçais parfois des victoires, espérant sans doute me rassurer par ces bonnes nouvelles. Mais c’était tout l’inverse, car cela ne te ressemblait pas du tout !

Mon chéri n’avait rien d’un coq de basse-cour en quête de l’ultime décoration. Comme toi, ces victoires, je les savais catastrophiques, car jonchées de cadavres, ennemis, amis. Avec tant de couples déchirés, de familles anéanties.

J’aurais aimé être comme votre petite mascotte, la chienne Billy. Elle devait être adorable et vous apporter beaucoup de réconfort dans votre quotidien. J’ai même appris qu’elle partait en mission de guerre. Elle en aurait des dizaines à son actif ! Au moins elle était à vos côtés tous les jours, à sa manière, en jappant et en se faisant câliner. Elle a dû vous apporter tant, en notre absence…

J’espère qu’elle, au moins, sera décorée à sa juste valeur militaire. Car je suis sûre qu’elle a été la première à jouer, insouciante, avec votre part enfantine, chassant dans l’oubli l’amertume et l’ennui. La peur aussi.

À chaque lettre, je pleurais du bonheur de te lire, car c’était ma seule preuve de vie. Mais à chaque fois, j’inondais ma dixième, ou ma quinzième lecture d’autres larmes, profondément angoissée de t’avoir peut-être perdu entre le temps de ton écriture, et celui de ma lecture. Car dans cette période, tu sortais si souvent en mission de guerre.

Alors, à tes côtés, je priais chaque jour. Pour toi, pour nous. En secret, sans t’en parler, j’intercédais auprès de Dieu pour qu’il te protège, qu’il te ramène sain et sauf de chacune de ces missions. Tu me parlais parfois d’une bonne étoile. Mais je te répondais en silence que cette bonne étoile, c’était moi. Mes prières. Elles étaient toutes destinées exclusivement pour ton salut, pour que notre amour perdure. J’ai prié sans répit, sans compter, à m’épuiser. J’ai tant prié pour toi qu’il est certain que ça a fait la différence. Mes prières t’ont protégé, j’en suis certaine. Elles me permirent aussi d’être plus sereine, plus proche de Ghislaine, de nos amis.

Et tu revenais chaque fois plus heureux de nous revoir. Ta présence me comblait. Mais surtout elle validait ma secrète stratégie pour te sauver des griffes de cette horrible guerre. Et c’était ma plus grande victoire.

Tout comme toi, je n’en faisais pas étalage.

***

— Loïc, vous m’annoncez qu’il est mort ? Ce n’est pas possible. Pas possible, je vous dis ! On ne disparaît pas comme ça, après des années de guerre. Il… enfin, vous deux, vous êtes des survivants. Il y a le mot vivre là-dedans ! hurle-t-elle.

Et la maison s’anime aux cris du bébé. Simonne les entend à nouveau. Depuis combien de temps Ghislaine pleure-t-elle ? Impossible à dire. Elle l’attend peut-être depuis longtemps dans son petit lit à barreaux, car elle semble énervée.

Simonne se lève. Elle s’éloigne de Loïc pour libérer Ghislaine. L’enfant se calme instantanément dans les bras de la mère automate. Le biberon au chocolat est déjà prêt et Ghislaine apprécie.

Simonne rejoint alors Loïc. Cette fois il est inconsolable. Il veut s’éloigner du couple pour ne pas attrister l’enfant. Elle le retient alors d’un geste instinctif, presque impudique, en lui touchant l’épaule. Elle ne veut pas qu’il parte, pas maintenant. Et quand il se retourne un peu surpris, elle tombe dans ses bras, encombrée par l’enfant écrasé et goulu. Simonne pleure enfin, brutalement, infiniment. L’épouse se déchire. Loïc soutient la mère à l’enfant pour qu’elle ne tombe pas, mais il n’est d’aucune aide pour l’amoureuse.