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Au cœur des récentes attaques terroristes en mer, une atmosphère de tension règne. Malgré les efforts déployés par les services internationaux pour élucider ces mystères, la trouvaille de cadavres dans la cuisine d’un yacht suscite de multiples questions et appréhensions. Quels secrets dissimule cette découverte macabre, et quelles seront ses implications pour la sécurité maritime mondiale ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien expert en sûreté,
Franck Berneo aborde dans ses romans le travail des services de renseignements, mettant en lumière les conséquences des attentats sur les voies maritimes cruciales pour l’économie mondiale. Ses récits captivants offrent une analyse approfondie des enjeux de sécurité internationale.
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Franck Berneo
Cuisine dangereuse
Roman
© Lys Bleu Éditions – Franck Berneo
ISBN : 979-10-422-2884-2
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Jamais la côte occidentale corse n’avait attiré autant de navires de guerre depuis la 2e guerre mondiale. Antoine Giudicelli essayait de compter les nationalités représentées, son « pointu » tanguant dangereusement sous l’effet des vagues provoquées par les mastodontes. Il s’éloigna rapidement pour ne pas chavirer et perdre le résultat de sa pêche matinale : il n’avait pas envie de se faire étriper par Magali, son épouse et parfaite cuisinière, à qui il avait promis de ramener à temps le nécessaire pour sa fameuse soupe de poisson.
C’était la seule chose qu’il lui avait autorisée à importer de Marseille, sa ville natale. L’ambiance des jours de foot entre Ajaccio et l’O.M restait tendue à la maison, malgré les années.
Tournant le dos à la flottille, il ne put admirer les 4 navires qui la composaient : pour les Espagnols, la frégate « Canarias », le navire d’attaque rapide « Kormoran » pour les Allemands, le sous-marin hollandais « Zeeleeuw » reconnaissable à ses nouveaux mâts optroniques, et le porte-hélicoptères « Dixmude » qui en tant que bâtiment de commandement coordonnait les manœuvres.
Tout ce beau monde n’était que la partie visible : d’autres nations étaient bien présentes soit sous l’eau, soit en surface à quelques centaines de miles de là. La tension dans cette région du globe était montée d’un cran depuis que les chars turcs étaient intervenus à la frontière syrienne. La crise des réfugiés africains n’avait pas amélioré les choses : tous les pays se renvoyaient la patate chaude. Depuis que l’Union européenne avait lancé l’opération navale « Navfor Med » contre les trafiquants, il y avait embouteillage de Malte à Bastia, sans compter la guerre entre Israël et le Hamas.
Antoine Giudicelli n’était qu’à quelques encablures de son ancrage de Galeria quand il fut éberlué par la vision de trois autres navires au mouillage. Ce n’étaient pas des navires de guerre cette fois : de magnifiques yachts au design ultramoderne. Le plus petit ne devait pas faire moins de 110 mètres, le plus grand devait bien approcher les 135 mètres.
Réduisant sa vitesse au minimum, il laissa le « pointu » s’approcher du plus imposant.
Ses 3 ponts aux fenêtres-vérandas étaient surplombés d’un quatrième, lui-même hérissé de deux cheminées et quatre énormes boules blanches. Il n’en avait jamais vu de pareilles. Le plus extraordinaire c’était cependant que ce plateau servait lui-même de support à un mât sur lequel tournoyaient deux radars ; une autre de ces boules blanches complétait le tout.
Passant sur l’arrière du navire, il découvrit son nom : « Mawa ».
Antoine se demanda ce que cela voulait dire ; il ne connaissait pas le cyrillique, sinon il aurait su que « Mawa » en russe, ou « Macha » était le diminutif de Maria : « sa » Marie devait commencer à le maudire pour son retard. Il laissa la barque filer vers son attache, rangeant rapidement les quelques casiers éparpillés, prenant soin de la glacière tant attendue. Ce n’était pas par hasard que les trois yachts se trouvaient en face de Galeria. L’endroit est tout simplement d’une beauté extraordinaire. Même blasés comme ils l’étaient, les propriétaires de ces merveilles flottantes ne pouvaient s’empêcher d’admirer la somptuosité du décor.
Ils n’étaient pas les seuls à le faire.
Les invités plus ou moins étalés sur tous les ponts, s’ils n’étaient pas occupés à vider leurs verres ou à lorgner les courbes voluptueuses des nymphettes quasiment nues en train de bronzer, admiraient la magnifique baie.
Les deux autres bâtiments appartenaient à un prince saoudien pour l’un, et à un homme d’affaires libanais pour l’autre.
Le « Jida » qui faisait la fierté du prince Bin Al-Sharbatly, un homonyme sans relation avec le célèbre cavalier de l’équipe olympique saoudienne, il y a encore quelques années, était devenu sa honte depuis qu’il avait été dépassé en dimensions par « Mawa ». Il avait aussitôt commandé aux chantiers Lloyd-Werft de Bremerhaven un plus gros. Sur un point cependant, le Saoudien l’emportait haut la main sur ses concurrents : l’or dégoulinait de partout, à croire que le navire était la succursale de Fort Knox.
Le « Yara » du libanais Rachid Achkar était le plus petit des trois, ou le moins grand si on veut ! C’était sans doute le plus fin, le plus élancé : l’architecte hollandais qui l’avait conçu s’était laissé aller dans son délire d’en faire le yacht le plus design du monde. Il avait réussi son pari. Le libanais aussi dur qu’il était en affaires, plus ou moins honnêtes, s’était laissé attendrir quand sa femme lui avait proposé « Yara » : c’était le prénom de son futur bébé, et signifiait de plus « princesse de la mer ».
Sur le « Mawa », c’était plus ou moins l’heure de la sieste, crapuleuse ou pas.
Les membres de l’équipage s’affairaient aux différentes tâches habituelles et continues sur ce genre de bateau. Ils étaient plus de cinquante !
Le second, Vladimir Vassiliev, tenait ses chefs d’équipe d’une main de fer. Originaire de Vladivostok, il avait fait ses débuts dans la marine de guerre russe ; son sens de la discipline, mêlé à son naturel plaisir de rabaisser les sous-officiers n’avait d’égal que son mépris pour les autres membres d’équipage.
Parmi ceux-ci figuraient tous ceux en charge des cuisines et du commissariat.
Pourtant il savait en profiter discrètement : pour avoir une bouteille de la meilleure vodka quand il en avait besoin. Il connaissait la sanction si on le trouvait en possession d’alcool : au mieux un renvoi en Sibérie, au pire une plongée en apnée prolongée dans les eaux profondes de la Méditerranée. On n’était plus à l’époque où l’on pendait haut et court, la civilisation avait fait des progrès.
De toute façon depuis le début de ce voyage, il y avait interdiction de se rendre aux cuisines. L’ordre en avait été donné personnellement par le propriétaire Adnan Petrovitch.
Et on ne contrevenait pas aux ordres d’Adnan.
En fait, cet ordre avait été relayé suite à une demande du « patron » des cuisines pour ce périple. Lemaître l’avait imposé à Adnan Petrovitch pour participer avec sa brigade aux festivités.
Depuis quelque temps, c’était du dernier chic d’emmener en croisière avec soi, un chef renommé.
Tant qu’à faire Adnan avait pris ce qu’on faisait de mieux sur le marché, depuis le décès de Joël Rebuchon : Alain Lemaître, trois fois « étoilés », évidemment. D’autres avaient pourtant plus d’étoiles, car ils possédaient plusieurs établissements.
Les tractations n’avaient pas duré. Adnan connaissait le prix de ce genre de personnage et il était pressé. Lemaître mit la barre très haut ; aussi bien sur le plan financier, justifié par sa renommée mondiale et le temps qu’il ne passerait pas dans son propre établissement, que sur les aspects annexes : on est une diva ou pas !
Les problèmes liés au Covid-19 étaient toujours latents et se devaient d’être parfaitement maîtrisés. Le docteur responsable à bord du « Mawa » avait été instruit dans ce sens. Tous devraient être testés, voire vaccinés avant le départ.
Une de ses exigences avait été de déclarer la zone de la cuisine « zone interdite ». Sauf à une liste de personnes indispensables à son bon fonctionnement ; elle devait rester une machine à fournir un service exceptionnel au propriétaire.
La rencontre entre les deux parties avait eu lieu discrètement dans son antre parisien : le repas avait été à la hauteur de ses attentes. Adnan n’était pas particulièrement un gastronome, mais le service impeccable et la qualité des très rares convives l’avaient pleinement convaincu. Il saurait remercier son cousin Abraham du judicieux conseil qu’il lui avait fourni en lui recommandant Alain Lemaître.
On était le 22 avril : ça tombait bien, c’était la Saint Alexandre. Très croyant, surtout en lui, il avait trouvé que le présage était favorable : n’est pas Alexandre le Grand qui veut.
La croisière démarrait le 29 ; hors de question d’attendre le 1er mai : ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça la fête du Travail ! Lemaître avait 5 jours pour tout mettre en place sur « Mawa » ancré à Cannes. Bien sûr, tout était mis à sa disposition pour y parvenir : il avait carte blanche et l’avion personnel d’Adnan Petrovitch. Il y avait des choses qu’on ne saurait refuser à un chef trois étoiles.
Lemaître se mit immédiatement au travail ; après une réunion avec ses équipes, il désigna ceux qui seraient de la partie et ceux qui géreraient la maison jusqu’à son retour. Les volontaires furent nombreux : l’idée d’une prime substantielle, la fuite des embouteillages et de la froideur parisienne décuplèrent les candidatures.
Il y eut peu d’élus, donc beaucoup de déçus. Le chef décida d’emmener seulement une brigade réduite.
Les locaux, qu’il ne connaissait que par les vidéos remises lors du repas, semblaient assez semblables à ses locaux parisiens, mais il ne devrait fournir qu’une vingtaine de convives par repas contre plus d’une cinquantaine chez lui avant l’apparition du virus : depuis le début des grèves et des pandémies à répétition, la fréquentation était en chute libre et il se disait qu’on allait carrément fermer le restaurant. En ce qui concernait l’équipage, une partie de la cuisine serait réservée aux habituels responsables ; on devrait donc se serrer un peu sans se gêner et en respectant une distanciation minimale. Lui-même se transformerait en chef de cuisine, comme à ses débuts.
Avec précision « Mawa » leva l’ancre le 29 à 17 h.
La destination lui était inconnue, et ça n’était pas son problème. On lui avait seulement demandé de venir avec son équipe, muni d’un passeport en cours de validité de plus de six mois.
Voyageant énormément, ça ne l’avait pas surpris.
Tous les médias étaient en effervescence depuis quelques jours ; un avion israélien avait été abattu, sans qu’on sache avec précision par qui : la zone du Moyen-Orient était en guerre permanente, avec des hauts et des bas.
Ça n’était pas arrivé depuis 30 ans ; la région menaçait de s’embraser. C’était sans conteste l’incident le plus grave dans cette région depuis des mois.
Giudicelli profita de la disparition de son épouse dans la cuisine pour regarder les nouvelles.
« Mon Ange », comme il l’appelait avec tendresse, l’avait accueilli fraîchement à cause du retard ; la qualité de sa pêche avait à peine amadoué Marie-Ange.
Le présentateur du journal télévisé commentait maintenant les allées-venues des responsables militaires et politiques à Matignon. Le Premier ministre raccompagnait certains d’entre eux, dont son chef d’état-major.
Il avait l’air grave, mais on sentait que ses ministres aussi partageaient ses préoccupations.
Antoine suivit subitement le reportage avec plus d’intérêt quand il découvrit la Corse vue du ciel, reconnaissant aisément sa région : on indiquait les positions respectives des forces en présence en Méditerranée ; la Corse en faisait partie à cause de ses bases militaires.
L’arrivée de Marie-Ange et de sa soupe de poisson lui fit instantanément oublier l’activité internationale. Sa femme, puis la Corse, enfin le reste du monde : c’était l’ordre immuable.
À bord de « Jida », le prince Bin Al-Sharbatly regardait d’autres nouvelles du média Sabq, lié au gouvernement saoudien.
Il y était question de la poursuite de la lutte anti-corruption du gouvernement de Riyad et des hauts dignitaires emprisonnés à Al-Hayer.
Un léger frisson et une crispation de son visage trahirent les sentiments de nervosité du prince : il n’avait pas du tout envie de connaître les geôles du sud de Riyad. Il faut dire que Mohammed Ben Salman, le prince héritier du régime s’était lancé dans une purge sans précédent.
Lissant sa barbe impeccable, il porta son attention sur les derniers développements de la crise dans le golfe arabo-persique. Il était urgent d’entreprendre une action internationale : les cours du pétrole risquaient de flamber, en même temps que les puits, si la situation dégénérait.
La réunion prévue dans la soirée sur « Mawa », le yacht voisin, permettrait sans doute une première approche entre différents représentants des pays impliqués, à un titre ou à un autre.
Lui, ce qui l’intéressait c’était les royalties à percevoir ; on a beau être prince, on n’en est pas moins regardant sur les rentrées financières. Les frais avaient beaucoup augmenté ces dernières années, surtout à cause de la construction navale : on ne trouvait plus rien à moins de 600 millions de dollars. Certes, le dollar avait baissé, mais tout de même ! Sans compter les frais d’entretien, l’équipage, le carburant ! Ça, c’était le comble : payer le carburant que son pays produisait, mais ne raffinait pas. À cela il fallait ajouter les frais de mouillage ; bref, une calamité. Il se consola en pensant qu’ici au large de Galeria le mouillage était gratuit. À propos de réduction de frais, il se dit qu’il allait en profiter pour réduire le salaire annuel de son capitaine d’au moins 20 000 dollars : 10 % de moins. Normal, puisque les frais annuels représentaient environ 10 % du coût du navire !
Réconforté par cette noble pensée, il délaissa le salon faisant un signe à ses deux gardes du corps de ne pas bouger. Il allait rendre une petite visite à ses nouvelles conquêtes : une paire de jumelles qui n’avaient rien de marine, puisqu’elles étaient scandinaves et fort avenantes.
Justement sur le « Mawa », les équipes en cuisine faisaient un débriefing de ces premières journées passées ensemble. La French team ne pouvait que se féliciter de la bonne entente avec l’équipe habituelle. Les consignes données par Adnan produisaient leur effet : on s’était bien réparti les locaux et les tâches ; tout ce qui touchait à la cuisine moyen-orientale ou musulmane en général, ou à celle de l’équipage, restait de la responsabilité des cuisiniers du « Mawa » ; Lemaître s’occupait à la perfection des invités ou des désirs du propriétaire : ils étaient nombreux et raffinés, surtout pour les desserts. En tant qu’ancien meilleur ouvrier de France en pâtisserie-chocolaterie, le chef étoilé mettait un point d’honneur à proposer des chefs-d’œuvre d’élégance, de légèreté aérienne, de succulence, notamment pour ses pièces montées.
C’est lors des félicitations d’Adnan, devant tout le parterre de ses invités, qu’il fit la connaissance d’Irina.
Irina Sotcha réalisait son rêve depuis près de quatre mois ; arriver à devenir la maîtresse attitrée d’Adnan, comme on le lui avait demandé.
Elle n’était pas idiote au point de croire qu’elle était la seule, mais elle avait la faiblesse de croire qu’elle était la meilleure. La différence avec les autres, en dehors de la couleur de peau, car Adnan était très porté sur l’Asie et l’Amérique du Sud, venait de sa culture et de sa discrétion. Elle parlait, en dehors du russe, cinq autres langues européennes, dont l’anglais évidemment.
Ses connaissances de l’art avaient séduit son amant, quand en pleine action sur un lit rond couvert de satin comme dans les films hollywoodiens, elle lui avait fait remarquer que le Picasso, qui ornait sa tête de lit, n’était pas le meilleur de la période bleue.
Comme c’était la période dépressive de l’artiste, avec comme thème la pauvreté, elle lui conseilla d’en acheter un autre, de la période rose, période plus heureuse, symbole de réussite.
Tout occupé à terminer sa prestation, il baragouina un « oui » approximatif ; la remarque mettant toutefois illico un terme à la libido du malheureux propriétaire. En bonne professionnelle, elle eut la courtoisie de lui offrir une deuxième chance en se retournant avec grâce. Il apprécia le geste et se remit à l’ouvrage : pour faire bonne mesure, elle le gratifia d’un orgasme plus ou moins réel.
Quelques jours plus tard, le tableau solitaire ne l’était plus ; en remerciement, elle eut droit à un avantage salarial adéquat, et à une séance sexuelle supplémentaire. Les deux lui firent plaisir, lui confirmant sa promotion auprès du Russe.
La tension internationale monta subitement d’un nouveau cran.
Depuis le déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, les Israéliens se sentaient pousser des ailes. Pas celles de l’archange Gabriel, mais plutôt celles des bombardiers F35. Certes Gloria Epstein était à la retraite, mais ses élèves étaient toujours parmi les meilleurs pilotes du monde, et ils venaient encore de le prouver récemment en s’attaquant à des bases du Hezbollah. Juste à la frontière avec la Syrie ; le prochain coup risquait d’être en Syrie…
L’Égypte, qui venait de réélire son président, n’avait qu’une idée en tête : éviter tout incident grave sur son territoire. Elle avait assez à faire avec les infiltrations terroristes qui entamaient la confiance des touristes. Et les finances n’étaient pas au mieux avec tous les achats militaires en cours, même si elle avait été contente d’acheter aux Français deux bâtiments de type « Mistral » pour une poignée de figues.
Il fallait faire rentrer des devises. La tentation d’augmenter les droits de passage du canal de Suez, surtout depuis son élargissement, avait fait son chemin à la vitesse du Simoun.
Adnan en était là, dans ses réflexions quand son majordome vint lui annoncer que les embarcations des premiers invités allaient se présenter sous peu. Il se rendit aussitôt à la coupée.
En tenue blanche impeccable, il prit soin d’enlever ses lunettes noires pour faire bénéficier ses hôtes de son regard, qui intimidait obligatoirement qui le croisait.
Ses yeux bleus pouvaient virer au gris indiquant un avis de tempête : personne n’avait envie de les voir muter dans cette couleur. Grand, large d’épaules, les cheveux drus et coupés en brosse, il donnait une très bonne idée de l’exemplaire parfait du modèle russe choyé par Poutine. Dans sa jeunesse, l’acteur suédois Dolph Lundgren aurait pu passer pour son sosie.
En se rendant à l’arrière du bâtiment, il croisa Lemaître qui corrigeait les derniers détails du somptueux buffet.
Les amateurs de caviar allaient être gâtés : d’une superbe montagne de glace vive, surmontée du drapeau russe, descendaient des petites barques de blinis supportant chacune leur livraison de caviar blanc « Almas » ; à près de 40 000 euros le kilo, Petrossian avait fait une ristourne pour les 3 kilos emmenés par le chef étoilé.
Message subtil, l’origine iranienne du produit était masquée par les couleurs tricolores de la Fédération de Russie, le thème iranien serait abordé suffisamment tôt dans la soirée.
Attention délicate, un petit diamant ornait chacune des embarcations : traduction joaillière de bon goût du mot « Almas », c’est-à-dire « diamant ». Les deux tables étaient couvertes de petits toasts plus raffinés les uns que les autres : ris de veau rissolé en brochette, saumon tranché à la demande, etc., mais le plus étonnant restait la pyramide des desserts. Avec ingéniosité Pierre Dejean, son chef pâtissier avait construit un Kremlin en chocolat, avec sur la Place Rouge un ensemble de personnages en sucre qui entouraient une chorale des chœurs de l’armée : le mécanisme musical avait demandé une nuit de travail au concepteur, mais le résultat était à la hauteur. Compte tenu de la guerre en Ukraine, ce serait apprécié…
Adnan n’avait pas le temps de s’attarder devant le chef-d’œuvre, mais il se promit d’être le premier à le déguster.
De l’autre côté, Dimitri Boulganov, le chef habituel du « Mawa », avait fait aussi des prouesses : pas question de se laisser impressionner par le Français ! Son buffet russe allait ravir ses hôtes saoudiens et libanais. Certes ils devaient être habitués sur leur propre bâtiment à une cuisine parfaite, mais on peut toujours faire mieux. Il se rappelait chaque jour ce que disait le grand cuisinier Anatoli Komm chez qui il avait débuté : « La nourriture est ce qui rassemble, elle est en dehors de la politique ! » Il ne savait pas qu’il était à côté de la plaque.
Le premier « Riva » accostait sur bâbord ; c’était celui du « Jida », du prince Bin Al-Sharbatly.
Accompagné de son secrétaire et d’un garde du corps, il monta avec précaution sur le pont du « Mawa » ; il avait troqué sa tenue habituelle saoudienne contre un costume blanc ; ses lunettes noires dissimulaient son regard ; sa chemise légèrement entrouverte laissait entrevoir une grosse chaîne en or. Au poignet, la montre commandée spécialement à Genève chez Rolex, une Oyster Perpétual Deepsea, devait par sa taille, déclencher tous les détecteurs de métaux à l’approche d’un aéroport.
Il salua Adnan à l’Oriental, évitant ainsi de se faire broyer les phalanges ; grâce à ses lunettes, il évita son regard et se dirigea sur le côté, encadré par ses deux sbires.
Adnan allait faire une remarque quand le capitaine, légèrement en retrait, lui fit discrètement signe que d’autres invités se présentaient ; il se retourna à temps pour saluer Rachid Achkar, le Libanais.
Il était seulement accompagné d’un secrétaire, en fait un bagagiste de luxe. Beaucoup plus volubile et expansif, il donna une accolade généreuse à son hôte. La masse musculaire d’Adnan repoussa avec discrétion les effusions de Rachid, qui découvrit alors les somptueuses créatures élégamment installées sur un sofa de cuir blanc, en retrait des buffets. Sur un signe d’Adnan, elles se dirigèrent vers le pont inférieur, et laissant tomber leurs peignoirs de bain, se glissèrent dans l’immense jacuzzi de marbre. Le bain bouillonnant dissimula leurs formes généreuses à Achkar qui avait déjà oublié sa femme enceinte.
Bin Al-Sharbatly, très hypocritement, fit semblant de n’avoir rien vu.