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"Dansons sur les ruines du vieux monde vacillant" offre une mosaïque poétique qui scrute la vie foisonnante de Paris à travers une variété de lentilles. Cette exploration emmène le lecteur dans les méandres des souvenirs d’enfance, des moments de célébration vibrants et des liens profonds de l’amitié.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Geoffroy Pagès, un écrivain émergent, affiche un intérêt profond pour la poésie, bien qu’il ne se limite pas à ce seul domaine. Son exploration le conduit à travers divers genres littéraires, où il s’efforce à chaque fois d’apporter une lumière nouvelle à ses textes.
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Seitenzahl: 252
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Geoffroy Pagès
Dansons sur les ruines
du vieux monde vacillant
© Lys Bleu Éditions – Geoffroy Pagès
ISBN : 979-10-422-3262-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma grand-mère Paule, quelque part entre le Ciel et mon Cœur
À tous mes amis présents dans ce livre,
ces amis si merveilleusement imparfaits
J’aurais aimé qu’on soit du miel
J’regarde les oiseaux migrateurs,
Faire des flash-mobs dans le Ciel…
Disiz La Peste,
« Qu’ils ont de la chance »
Était-ce donc ça, le sens de la vie ? Danser sans trêve, danser sans quête, danser sans aucun but ? Aimer sans fin, danser toujours.
Gilles était sur la route. Enfin Gilles, Grégoire ou Gabriel, appelez-le comme vous le voulez. Il s’était fixé comme unique principe d’être toujours en route. Alors, il voyageait, et cette inscription trônait sur l’un des murs de la ville de Dié.
Dansons sur les ruines
du vieux monde vacillant
Elle l’interpella, un peu comme le ferait une très bonne amie, de loin.
Notre ami se rendait à une course de vélo, dans les montagnes dieppoises. Lorsqu’il vit ce tag sur le mur, il ne put s’empêcher de le fixer durant de longues minutes, tout le temps que son bus mit à le dépasser.
Et il fila, insouciant comme un enfant, vers la course cyclosportive.
Et nous dansions, précisément. Sur le balcon d’un appartement à Boulogne, nous étions tous réunis afin de célébrer l’anniversaire surprise d’un ami. Des vapeurs de joie montaient en l’air de tous côtés.
Tandis que la tour Eiffel nous éclairait abondamment et allègrement, nous partagions des sourires et de grands projets sous les jets d’une lumière blanche.
Comme par enchantement, les rues de Paris se garnissaient à nouveau de chaises et de tables, disposées en tout point à accueillir les passants et les touristes bienheureux.
On revoyait même une rareté, le garçon de café. Lui, l’emblème de Paris, porté disparu depuis de longs mois, refaisait son apparition héroïque au cœur de la Cité, au cœur même de ses bistrots. Bientôt on reviendrait y boire son café, son digestif, sa bière entre amis, son je ne sais quoi comme avant l’épidémie, comme avant.
C’est aujourd’hui ! Les Parisiens sont en fête. Les lycéens déambulent, un large sourire aux lèvres accentue toute leur jeunesse triomphante, et nous relègue au ban de l’humanité. Ils commandent des monaco et en sourient d’aise.
Mais laissons là les ados, ils vivront, ils apprendront.
L’autre soir, j’ai rencontré Gatsby The Great à un café, j’étais passablement ivre… Je ne l’ai pas reconnu immédiatement, il était en bout de table, un peu silencieux, comme l’autre Gatsby de Francis Scott.
Puis je lui ai parlé, et j’ai alors compris. J’ai vu le talent, l’audace, des yeux bleus inoubliables réunis en un seul homme, la verve, j’ai entendu les mitos à droite à gauche pour arrondir les angles.
Figurez-vous, chers lecteurs, qu’il organisait également des soirées. Son métier consistait à amuser la galerie, tout en l’éduquant. Il employait des gens un peu perdus dans la vie, qui lui rappelaient sa vie d’avant. Gatsby, vous dis-je.
Enfin, ces yeux bleus qui vous dévoraient avaient quitté les bancs de l’école, sans demander son reste, sentant qu’il était appelé ailleurs. Un pari réussi !
Puis, le week-end suivant, je fus invité à une partie de campagne en Bourgogne.
On aurait cru un carnaval. La nuit avançant, nous étions plongés dans une onde bleue et chaleureuse tandis que chacun s’était revêtu d’une parure étrange.
Je décidai, envers et contre tout, de suivre « les geishas ». Dans chacun de leurs gestes, du fard de leurs joues au rouge de leurs yeux, elles disséminaient une trace de bien-être et d’envie de sombrer dans une joie, presque une hystérie, collective.
Dans leur course folle contre le temps, elles avaient dilapidé la nuit dans une lumière resplendissante au petit matin quand nous sortîmes de la salle de danse.
Nous grimpions à 8 heures du matin sur le foin d’une grange abandonnée, ce qui me rappelait un jeu que j’avais dans mon enfance avec mes petits cousins de Sinhalac.
Danser sur des ruines, c’est un peu inconfortable comme position, et tout aussi bancal, un peu foireux. Et pour autant, c’est si agréable ! Si incertain, si périlleux !
Vaciller, pour un monde, c’est étrange également, j’essaye en vain d’y trouver des analogies. Je vois un boxeur qui chancelle sur son ring. Il est un peu malade, son coach l’emmerde, c’est pas son jour, mais il vit quand même, et il boxe malgré tout.
Ses coups sonnent faux, le ring sonne creux, mais il s’y accroche ! Son regard est un peu dans le vague, il n’est pas de braise comme à l’accoutumée. D’habitude, c’est un fauve qui monte sur son estrade.
Moi je dansais beaucoup, mais je boxais pas, j’étais poids « beaucoup trop léger ». Mais pour danser, c’est pratique d’être un poids léger !
Parfois, sur la piste de danse, on a un peu l’impression qu’on flotte… Un demi-ecstasy et le paradis s’offre à nous, un peu rose, un peu gris. En fait, on découvre que le paradis c’est les autres.
Sartre s’était bien gouré ce jour-là. C’est pas l’enfer du tout, l’enfer c’est vivre avec soi-même trop longtemps.
La vie, c’est une vraie machine à sous. Elle nous aspire dans son jeu aléatoire de bonnes fortunes et de grandes déconvenues, et nous on est coincés au fin fond de la partie. C’est comme une chimère qui aspire toutes nos énergies, et toutes nos pensées.
Ça nous fascine, parfois on parle à nos voisins dans le casino, ça devient nos potes : eux aussi bloqués sur leur propre machine à sous. On réinjecte de la thune pour vivre des expériences, avoir des boulots, vivre l’amour, rencontrer des gens…
Et, au bout du bout, quand on a plus de sous, ça s’arrête brutalement ! On nous sort du casino, et puis on part mendier sur les routes des sous pour reprendre la partie là où elle s’est arrêtée.
Dans ma vie urbaine, le soleil m’irradiait un peu plus chaque jour. C’était au début du mois de juin, nous visitions des allées de Paris qui nous semblaient il y a quelque temps encore interdites.
J’étais invité par un ami au tournoi de Roland Garros, date symbolique de l’entrée de l’agglomération parisienne dans la période du Printemps.
Sur le cours annexe no 9, la Force défiait l’Adresse. La Force envoyait des pralines qui fusaient de tous côtés et ravissaient un public béat, enflammé, et acquis à la cause des biceps saillants et de son charisme virevoltant.
L’Adresse n’était pas en reste. Svelte, presque stoïque dans son attitude, il ripostait à chaque coup avec une précision diabolique.
La Force fut défait en trois sets, mais sortit sous les ovations de spectateurs aux anges.
Je me remémorais alors nos matchs enragés disputés avec mon frère, sous un soleil de plomb, et lorsque la vie nous séparait pour de bon, quelques années plus tard, je fis de nombreuses fois ce rêve d’un affrontement homérique contre celui-ci. Je me souviens que ce match ne finissait jamais vraiment.
Désormais, c’était la vie qui nous avait placés des deux côtés du filet, et nous nous démenions chacun dans notre propre voie.
Le week-end suivant : ce fut rebelote ! Je passais le week-end à sillonner Paris dans tous les sens imaginables avec un ami d’enfance et sa copine, armés seulement d’une ferme volonté et d’un vélib flambant neuf.
Tandis que nous buvions des coups sur une petite placette vers Hôtel de Ville, dans le 1er arrondissement, le soleil éclairant Robin conférait à ses paroles philosophiques un appui indéfectible. Il nous expliquait sa vision de l’amour.
Pendant ce temps, et alors même que nous évoquions nos souvenirs d’enfance, un manège tournait dans le décor qui emportait à chaque nouveau tour une flopée d’enfants qui rougissaient de joie. Puis, notre conversation arriva à court d’anecdotes et le rideau vint plonger le manège dans un long sommeil nocturne.
Être en couple, à Paris, c’est laisser le monde venir à soi. Les sourires s’élargissent chez les commerçants, les gens nous laissent passer, c’est un laissez-passer.
Sinon, concernant la société, je la trouvais un peu coincée. Autrement dit, je trouvais cela étrange que nos désirs devenus indésirables, « l’ennemi public » n° 1 dans les parcs, le métro, la rue, soient relégués au pouvoir de Tinder, soit une jolie multinationale américaine.
Le capitalisme avait donc gagné la bataille sur l’espace public. Bientôt, on confierait à une application de smartphone l’entièreté de nos désirs. Je trouvais ça un peu idiot.
Les bourgeois étaient donc heureux de consommer, de leur café équitable, de leur chocolat bio, de leurs maisons, leurs emprunts immobiliers. Les ignorants ravis d’ignorer également.
C’était verre sur verre, embrassade sur embrassade, amis sur amis, désormais le Tout-Paris dansait au rythme d’une ivresse infernale et toujours renouvelée.
J’en vins à retourner au Vélo. Cher lecteur, tu ne peux t’imaginer le sentiment de liberté qu’éprouve un Parisien au contact des champs clairs et lumineux, des vastes espaces, de l’air dans les cheveux… C’est un peu le bonheur.
Au bout de 80 kilomètres dans le parc naturel du Vexin, je fus exténué.
Nous prîmes avec mon camarade d’excursion une bière avant d’effectuer les derniers kilomètres de notre balade. Le houblon me permettait un regain de vigueur et un allant retrouvé qui me donna la force d’avaler nos derniers kilomètres.
De la force, je n’en avais plus, mais j’avais de la joie.
Je zigzaguai légèrement aussi, ne sachant vraiment s’il fallait attribuer ça à l’ivresse légère et passagère ou à un signal de fatigue intense.
À notre dernière distribution du mois de juin, tandis que Flore distribuait les derniers thés à la menthe et que l’apéro débutait, une pluie féroce vint s’abattre sur ce qu’il restait de bénévole.
Aussitôt nous nous réfugiâmes sous un arbre, que je dénommais « l’arbre de la solidarité », et tandis que je dialoguais avec un inconnu à l’air amical, les conversations fusaient, tout aussi rapides que les traits de la pluie.
C’est alors que le journaliste s’élança. Étaient-ce les vapeurs d’alcool, bien aidés que nous étions par le ponch du responsable, ou un élan soudain de courage ou encore l’image attendrissante de volontaires égalitairement trempés jusqu’aux os, mais celui-ci fit un grand discours.
Il raconta son parcours, sa crise morale et le réconfort que lui avait prodigué cette distribution où chacun cherche sa place, comme au sein de la société.
Il nous quittait pour l’ouest, rêvant des États-Unis, et entreprit un éloge vibrant de l’empathie que nous déversions çà et là au gré de nos distributions.
Côté sentimental ; ma vie était un vrai jeu d’échecs. J’avançais mes pions vers la reine, snobant le roi, et il me semblait que la partie se déroulait dans les règles de l’art.
Alors que le début de l’été approchait, je me mis en tête de rejoindre une amie dont j’étais follement amoureux sur la côte basque.
Ça y est, je suis dans le train.
Je sens l’émotion qui monte, c’est imperceptible au début. Et puis c’est irrésistible. C’est comme quelque chose dans le cœur qui nous titille. On la garde en tête tout le voyage, on essaye de reconstituer ses traits et son visage, ses mains, son odeur.
Ça nous travaille, ça nous démange, et ça nous obsède un peu.
Et puis le paysage nous parle, tranquillement. Il nous rassure de ses champs jaunes au parfum estival. C’est orange, vert, bleu ciel.
Puis vient le café qui se distille dans nos veines, et ajoute à l’excitation du voyage. Et le soleil se promenant parmi les nuages semble jouer à cache – cache.
Puis le train arriva à destination, et j’en descendis. Le bus qui me conduisait à mon auberge reprit le trajet des méfaits de ma jeunesse, à Biarritz : le casino où j’avais empoché la coquette somme de 100 € à l’âge (presque) légal de 17 ans, les locations de nos premières beuveries, les plages de nos (presque) premiers baisers. Tout ça nous dessinait un charmant sentier de souvenirs.
Enfin, nous arrivâmes à Bayonne où une odeur de sole meunière me tortura l’estomac.
Par la fenêtre de mon auberge, bien plus tard et alors que notre rendez-vous était fixé au lendemain, j’aperçois une femme en pyjama intégral. Soudain, elle se dénude. Elle est prodigieusement jolie. Je savoure cet instant.
Je trouve ça agréable de l’observer béat, contemplatif, comme devant un joli tableau dans un musée, rêvassant au milieu d’un dortoir chargé en testostérone, et sans ce réflexe idiot « Pourrais-je un jour coucher avec elle ? »
En m’endormant, je me rendis compte que j’aimais ces fenêtres entrebâillées sur la rue, ces façades abyssales et creusées de fissures éparses, ces fleurs rouges aux fenêtres, ces volets dépareillés !
C’était là tout l’écho de ma zizanie intérieure qui emplissait la rue.
J’aimais aussi les gens, j’aimais leurs danses, leurs étrangetés.
Alors que notre rendez-vous du lendemain se prolongeait, d’un café qui signifiait « baiser » (Muchu en langue basque) et qui n’y avait pourtant pas donné cours, je découvris dans Bayonne petit à petit la vie que j’aurais pu y mener.
Enfin, Emilie partit. Que faire ? M’offrir à la rivière ?
Non ! Il fallait vivre, vivre pour aimer, vivre pour oublier cet amour et ce baiser envolés.
C’est apaisant un train, on y voit le paysage qui défile. Parfois même, on ne pense à rien. J’essayais de me fondre dans le décor que je traverserai, héroïque et affûté, en vélo de course le week-end suivant.
À présent, les nuages se découpaient dans le ciel telle la fumée. C’était splendide, un spectacle de couleurs singulières. Le gris jouxtant l’orange et même un bleu clair entremêlé de notes d’un bleu océan.
C’était un spectacle fabuleux, onirique, et on eut juré qu’un monde de fées naviguait au gré des vents au-dessus des voyageurs.
Et le cercle rougeoyant se consuma alors par un jet de petites flammes dans le ciel, dont les braises furent bientôt éteintes par l’arrivée d’une nuit obscure.
Sur le trajet, dans le TGV du retour, dont divers incidents avaient émacié la marche habituelle, j’étais assis à côté d’une jeune fille vive, pétillante et folâtre dont les gestes énergiques me réanimèrent à mon tour.
On sentait, on respirait une joie à ses côtés qui raviva les notes légèrement caramélisées d’un espoir enfin retrouvé.
Dans mon 19e arrondissement, le café Sunny n’avait jamais aussi bien porté son nom. Les passants et les clients profitaient d’une terrasse ensoleillée à ravir.
Je sortais d’un travail dans une école, la tête comme un sceau, mais dans le bon sens du terme. Un sceau rempli de petits grains de sable qu’égrenaient les enfants de l’école maternelle au fil de nos discussions, de nos échanges, de leur affection.
Au-dessus des quelques tours de Colonel Fabien, les mouettes hurlaient d’ores et déjà l’entrée dans la période estivale, et gâtaient les Parisiens aux balcons de quelques acrobaties aériennes, afin de singer les avions en ce 14 juillet.
On humait aussi les relans de bars à chichas, un mélange bien senti de fruits rouges et de réglisse.
Une trompette exécutait brillamment un solo dans le parc des Buttes Chaumont. On eut juré que les dieux du Jazz s’étaient penchés sur son berceau et l’accompagnaient aujourd’hui dans son chef-d’œuvre musical.
Parfois sur les hippodromes à vélo, on a l’impression que le temps se fige. On fait des tours de manège à n’en plus finir et autour le temps s’écoule, les minutes s’égrènent, la vie gazouille, et nous on tourne.
Dans les pelotons, y’a les « grosses cuisses » devant, et les petits cuissards bien au chaud derrière. Parfois, on tente une incursion sur le devant de la scène et le vent nous ramène à l’arrière, telle une simple feuille morte.
Un peu comme pour faire l’amour, il y a une « première fois » avec la drogue. Souvent, c’est joyeux !
Et, comme avec l’amour, la première fois est souvent la meilleure de toutes.
Par exemple, ma première fois avec la MDMA, à tout juste 19 ans sur la péniche du célèbre club parisien « La concrète ». J’avais embrassé une fille toute la soirée, ivre de joie et un peu amoureux. Ensuite, perte de mes souvenirs…
Ma première fois avec la cocaïne, c’est Hambourg ! Cité industrielle, ambiance électrique, compagnon tout feu tout flamme et hop, à même la cuvette d’un stade de football de deuxième division, le FC Sankt Paoli !
On avait passé la soirée à crier des chants inconnus avec des amis… étrangers. C’était du plaisir brut, je chantais des chants insolites avec des amis tous neufs et éphémères, que j’avais suivis jusqu’au club des supporters ultras.
Puis, on sillonna de nombreuses boîtes de nuit avec mon ami déjanté jusqu’à échouer dans une boîte un peu miteuse, semblable au radeau de la méduse. Le radeau naviguait convenablement, la méduse s’approcha et me chuchota trois mots en allemand, les plus beaux mots du monde.
Enfin, nous rentrâmes à l’appartement où nous gagna un sommeil de plomb.
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu un penchant pour l’addiction. Le sucre tout gamin, à m’en péter l’estomac, le café en Colombie jusqu’à en avoir des hauts le cœur à l’université, le banania et tout ce qui ajoute du piquant.
À présent, nous sommes trois jeunes gens dans un nouveau train qui nous emmène vers les Alpes.
Un jeune homme dort, la tête inclinée contre mon épaule, la main presque sur ma cuisse, à l’aise et confortable, une fille est en face qui semble dénudée sous sa couverture.
Elle a une position gracieuse, la couverture épouse ses formes et enrobe son sommeil d’un voile épais. Tandis que le jeune éphèbe caresse lentement ma cuisse, je dévore des yeux l’Aphrodite qui somnole face à moi.
Elle a un bracelet andin qui enlace sa cheville. C’est donc une jeune femme forte et courageuse qui danse une valse avec Morphée.
Nous formons un drôle de triangle amoureux.
L’air remua alors les rideaux, et l’heure figée me semblait suspendue au sommeil de mes deux loustics. Caché derrière mon masque bleu, j’aimais naviguer ainsi au sein de la société.
J’y dissimulais à souhait mes fantasmes, mes désirs, mes peurs.
Quand le train redémarre, on sent quelque chose qui palpite, qui s’actionne tandis que le vent balaye légèrement sous nos pieds.
À présent, les Alpes se dressaient devant moi, immenses et magnanimes, dans un premier soleil qui embellissait l’horizon.
Le train, à peine arrivé en gare de Modane, me confia à un sympathique chauffeur de bus qui nous fit serpenter le long d’un ruisseau qui semblait recouvert de fins carreaux dorés, sous les lueurs de l’astre solaire.
Les Alpes donc, immenses et magnanimes.
Des rayons tombaient au loin d’un éclat diagonal, étrangement inclinés, avec des couleurs métissées qui ressemblaient à un véritable arc-en-ciel dans la vallée.
Devant le fort de Briançon trônait l’inscription « Au-delà », écrite sur les herbes. Je me dis que cet adage résumait bien à lui seul ce que je venais y chercher, à savoir l’ivresse de ses sommets alpestres.
Au-delà des hommes, des villes, de leurs lois, de leurs contraintes…
Et tout avait défilé si vite cette semaine – là : Cols de Vars, de Moissière, du Granon que j’avalais en vélo de course comme autant de réjouissances. Des paysages éblouissants, des émotions mélangées de joie et de douleur.
À moins qu’elles ne s’y rassemblent ?
Ici aussi, le soleil m’irradiait, bien plus fort qu’à Paris. Chacune de mes sorties était accompagnée de son regard bienveillant.
Je me promenais dans le hameau où j’avais séjourné. En grimpant, je ressentis une vive douleur dans les jambes, comme des muscles en gestation.
Les montagnes se dressaient face à moi. Celle du fond avait un chapeau de nuages, comme une dame mondaine et élégante, d’autres recouvertes de sapins laissaient pousser de jolies maisons éparses, et enfin celles sombres qu’on ne distinguait plus sous l’ombre implacable du soleil.
Et puis, on savoure surtout le calme. Le silence m’enchante, le vent murmure aux arbres de délicieuses complaintes si bien que l’oiseau ose à peine chanter, la couleuvre ose à peine siffler.
À l’auberge, mon hôte (en vérité il s’agit d’un gérant, mais ne nous accueillent – ils pas chez eux ?) était doté d’un calme olympien. Il émanait de chacun de ses gestes une grande sérénité intérieure.
Son sourire était franc, chaleureux et évanescent. Je me dis qu’il aurait fait un redoutable joueur de poker dans une autre vie.
Après dîner, j’entrais dans une église sans âme qui vive à l’intérieur. C’est marrant, que l’on soit croyant ou non, on ne peut être indifférent à l’énergie qu’ont déployé les bâtisseurs d’églises et de cathédrales.
Il y a une âme dans les lieux saints, comme une force enfouie dans le bois des bancs et les failles saillantes de la roche. Ici, une gargouille sculptée à même la roche semblait m’adresser des grimaces étranges.
Ça me rappelait mon enfance, les messes de minuit avec mes parents où je passais mon temps à scruter l’auditoire, à la recherche de jolies jeunes filles.
Au petit matin, l’entièreté de l’hôtel était hantée par le manque de sommeil, en raison de l’alarme incendie qui s’était déclenchée au beau milieu de la nuit.
Celle-ci avait été aspirée par un réveil en sursaut.
Me voici dans le Gard, au village de Quissac, où de jeunes hommes en tee-shirt de sport malmènent un taureau d’un bout à l’autre de la rivière devant les yeux incrédules des vacanciers. Parmi eux, très peu de femmes.
Quand donc une fille prendra-t-elle le taureau par les cornes ?
Puis, je traversai la France de part en part afin de me rendre dans l’Aveyron. Rejoignant la gare de Nîmes, me voici dans un TER qui file à travers la campagne et offre à notre vue le paysage des Cévennes.
Une couronne de brouillard encercle le monticule qui se dresse dans toute sa majesté face à mes yeux ébahis. Partout, comme un écran de fumée, des nappes de nuages s’étendent çà et là sur les monts cévenols.
À perte de vue, la forêt ! Elle recouvre ces monts comme un manteau sur un corps dans cette région préservée des œuvres de la civilisation. Tout ici murmure : adieu immeubles, adieu folie.
Et un grand pont scinde la forêt cévenole, qui s’étend à l’horizon par la fenêtre du TER, seulement coupée d’un lac dont les eaux me semblent extatiques.
Puis viennent les eaux vives, rapides qui slaloment entre des rochers épars. Le soleil par de puissants rayons crée un étincelant tableau lumineux.
Il y a la roche sous les arbres, immuable sous l’éphémère. Et le visage d’Emilie m’apparaît dans ce paysage de rêve.
Pendant mes vacances en Aveyron, où mon oncle m’avait accueilli, je me résolus à une longue marche sur mes terres d’origine.
J’enfilai mes chaussures beiges de marche, achetées au prix modique de 4 € dans le marché de Villa de Leyva, en Colombie, et filai à travers champs et rivières. Ma montre indiquait 9 h 15.
Soudain, un troupeau de vaches de race Aubrac me défia d’un regard mauvais, ou du moins interrogatif, qui sembla me signifier que je n’étais pas des leurs. L’histoire de ma vie !
Je n’étais donc pas plus à ma place parmi ces vaches en Aveyron que je ne l’avais été parmi les étudiants à Sciences – Po. Il me sembla alors que je venais de nulle part, comme cette variété si rare de vache Salers noire.
Plus haut sur le sentier, un gros oiseau s’enfuit à mon passage comme si j’allais lui tirer un coup de pétoire. C’est vrai, l’Aveyron est un peu le far-west français !
Quand j’atteignis le haut plateau, les milans aux airs de deltaplane décrivaient des cercles sur les hauteurs du ciel, sous un soleil ardent de 11 h. Ceux-ci semblaient avoir repéré une proie.
Sous un soleil qui réchauffait la campagne, je poursuivis ma marche poursuivant les hirondelles, croisant un ragondin sur la route et le regard mauvais (cette fois-ci, j’en étais sûr !) d’une habitante. Je crois que l’étranger nous fait peur, peu importe sa couleur de peau.
Enfin j’arrivai au village de Thérondels et peu avant le panneau gisait un serpent, une couleuvre or et vert dont deux entailles rouges sur son corps signifiaient que la vie lui avait été arrachée.
Majestueuse, sa dépouille semblait prévenir les crotales qu’ils n’étaient pas les bienvenus parmi les hommes.
Lorsque je dévorai mon pique – nique, un agriculteur me fit un signe tandis qu’il fauchait les foins, aux épis virevoltant à sa suite dans les airs. Il était juché sur un engin rouge Massey Ferguson.
Lors du trajet retour jusque chez mon oncle Lucien, je toisai un instant deux taureaux, masses de muscles dont le cou est choyé par une toison noire, isolés dans un pré, avant de me préparer à dévaler la pente à tout instant. Courage, fuyons !
Fort heureusement, ces animaux à l’orgueil légendaire ne bougèrent pas de leur petit coin de paradis.
Ce fut donc sain et sauf, le visage balayé par le vent frais et généreux du plateau de Sinhalac, que je rentrai à mon auberge après m’être aspergé d’une bonne gerbe d’eau à la rivière du village de Brommes.
Le seul problème ici, c’est l’activité nocturne ! Alors pour combattre l’ennui, j’ouvre la fenêtre de ma chambre et observe les étoiles. J’assiste médusé au bal incessant des chauve – souris qui descendent en piqué sur l’atelier blanc de machines agricoles.
Je me remémore nos fêtes d’enfance, la fête à Thérondels, les auto tamponneuses, les bières en cachette, nos copains gitans et nos coups mémorables dans le punching-ball suspendu. C’était assez délirant comme ambiance.
Sur la fin de mon séjour, mon petit cousin me montra ses créations (ou inventions) auxquelles il avait dédié son temps : bouclier en liège, poulie qui lui servirait d’ascenseur à sa cabane dans les arbres, épée et même une catapulte.
Que de créativité pour son jeune âge !
Sa petite tête blonde épouse les traits d’une physionomie sauvage, tout en préservant une beauté singulière avec ses épis d’or et ses yeux bleus resplendissants.
Celui-ci doublait une curiosité à toute épreuve d’une assurance décapante à tout juste 10 ans.
Nous fîmes un tour du village, et l’obscurité gagna rapidement le hameau dont le ciel couleur gris clair traversé de minces nuages prodiguait une délicieuse clarté.
Enfin, je préparai cet été-là une course cyclosportive dans la ville de Saint – Flour, la célèbre Étape Sanfloraine qui avait lieu au 15 août.
Dans cette ville où je passai la nuit, la veille de notre envolée cycliste, je m’installai dans un ancien séminaire où le soleil rayonnait à nouveau du plus vif éclat.
C’était le paradis des lézards, qui parcouraient sans trêve les murs en pierre de l’établissement ainsi que la ville fortifiée tout entière. À la tombée de la nuit, un ciel bleu argenté vint recouvrir la ville et le monastère dont certaines chambres baignées d’un jaune vif résistaient encore et toujours au sommeil.
Je sortis alors dans la cour admirer le charme des hauteurs, traversé par un feu d’artifice, tandis que de minces silhouettes noires s’élançaient des toits. Encore des chauves-souris !
Cet animal me ressemble, me dis-je, il aime la nuit et l’étrangeté.
Je finis mes vacances à grand renfort de beuh et de Tolstoï, tout en essayant vainement d’oublier Emilie.
Je n’avais su vraiment lui exprimer mes sentiments, je n’avais su la rassurer ni l’aimer comme je l’avais rêvé. Pour me changer les idées, je vis l’exposition de Henri Cartier Bresson à la Bibliothèque nationale de France. C’était magique !
Mais au sublime des photos encadrées, aux bandes de gamins rieurs sur les photos répondait la tristesse de ma solitude. Je n’avais personne à qui confier mon admiration pour l’artiste qu’il fut, ou partager mon ressenti devant chacun de ses traits de génie.
J’en étais bien affligé, et ne pus y rester qu’une heure.
La techno est un temple, un sanctuaire, un refuge.
Cher lecteur, j’ai oublié de te présenter les bénévoles des restaurants du cœur, voici une séance de rattrapage :