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Extrait : "La plupart des arguments qui militent en faveur de l'éducation ont été si souvent développés, qu'en prenant la parole pour traiter ce sujet devant vous, je ne peux que faire appel à votre jugement et à votre bon sens pour en attester l'importance, persuadé qu'il n'est pas besoin de mon propre témoignage pour affermir et fortifier vos sentiments et vos convictions à cet égard."
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Seitenzahl: 90
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EAN : 9782335050189
©Ligaran 2015
En publiant la conférence d’Horace Mann sur l’Importance de l’éducation dans une république, nous avons en pour but d’appeler l’attention sur les garanties que le peuple le plus libre à la fois et le plus sage de l’univers considère comme les seules propres à assurer son repos. On a toujours beaucoup compté, en France, sur la protection de la force ; aux États-Unis, c’est de l’éducation dans l’école nationale qu’on attend et qu’on obtient tout. L’expérience des soixante dernières années semble avoir démontré l’inanité de la force comme moyen de gouvernement ; peut-être est-il temps encore d’essayer du système américain.
Nous livrons les pages qui suivent aux méditations des amis de la liberté, à celles de tous les hommes réfléchis, à quelque parti qu’ils se rattachent. On pourra contester certaines assertions de l’auteur, mais nul ne saurait mettre en doute l’actualité du sujet dans un pays régi par le Suffrage universel.
E.G.
L’œuvre d’Horace Mann. – Horace Mann est peu connu en Europe ; cependant les idées qu’il a soutenues gagnent chaque jour du terrain, et le moment approche où son nom sera placé parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Horace Mann n’est pas seulement le réformateur des écoles d’Amérique ; le premier il a compris que l’éducation populaire était aujourd’hui le grand problème de la politique et de la civilisation. Ce problème, il ne s’est pas contenté de le poser, il l’a résolu.
Origines d’Horace Mann. Horace Mann à l’école. – Né le 4 mai 1796, dans la petite ville de Franklin (Massachusetts), Horace Mann était le fils d’un de ces petits propriétaires, si communs en Amérique, qui vivent du travail de leurs mains. Il perdit son père de bonne heure et fut obligé de labourer pour soutenir sa mère et sa sœur. Aussi n’eut-il d’autre éducation que celle que donnait une misérable école ouverte à tous les vents. « Le seul avantage qu’il y trouva, disait-il plus tard en riant de ses maux passés, fut d’y apprendre la géographie. On brûlait près du poêle, on gelait dix pieds plus loin, si bien qu’en sept pas on avait passé par les cinq zones et connu tous les climats. » Un jour, il occupait une place éloignée du poêle, on était au milieu d’une composition intéressante, et il se tenait immobile. Le professeur lui dit : « Qu’avez-vous ? Vos idées ne coulent pas de source. – Non, Monsieur, répondit l’enfant en lui montrant son encrier ; c’est l’encre qui ne coule pas. »
La famille était si pauvre et Horace si courageux, qu’il paya lui-même ses livres d’étude avec l’argent qu’il trouva le moyen de gagner en tressant de la paille. C’est de cette rude façon que fut élevé Horace Mann, il n’eut jamais un jour de récréation. Aussi, ne comprenait-il rien aux gens qui se plaignent que telle ou telle besogne ne leur plaît point. « Pour moi, disait-il, le travail est mon élément ; j’y vis comme le poisson dans l’eau. » Quelquefois cependant, faisant un triste retour sur sa santé détruite par les fatigues de son enfance, il ajoutait : « La peine est la nourrice de l’homme, mais elle m’a donné son lait le plus amer. » Du moins voulut-il que son expérience profitât aux autres : c’est lui qui le premier a fait construire des écoles saines, bien chauffées, bien aérées, élégantes et gaies ; c’est lui qui a fait à l’hygiène, aux soins du corps, à la gymnastique, aux jeux mêmes, une large part dans l’éducation.
La bibliothèque de Franklin. « Le sens vaut mieux que le son. » – En 1785, les fondateurs de la ville de Franklin avaient demandé une cloche à l’illustre parrain de leur cité naissante. Le vieux et malin philosophe leur avait répondu par l’envoi d’une petite bibliothèque, en disant que, pour des gens aussi raisonnables, le sens valait mieux que le son. Horace Mann dévora ces livres qui ne parlaient que d’histoire et de théologie ; il y prit ce goût de s’instruire qui ne l’abandonna qu’avec la vie. « Quand donc, disait-il souvent, quand donc s’occupera-t-on de l’enfance ? Nous veillons sur la semence que nous confions à la terre, et nous ne nous occupons de l’âme humaine que lorsque le soleil de la jeunesse est passé. Si j’en étais le maître, je sèmerai des livres par toute la terre, comme on sème du blé dans les sillons. »
L’ambition d’Horace Mann. – Jusqu’à l’âge de vingt ans, Horace Mann resta auprès de sa mère, femme distinguée et qu’il aimait tendrement. Tout en travaillant à la terre, le jeune homme rêvait d’un meilleur avenir ; « mais, écrivait-il plus tard à un ami, jamais mes désirs n’allaient à la richesse ni à la gloire. Il y a un instinct qui nous pousse à l’étude, comme il y a un instinct qui pousse les oiseaux à émigrer quand vient la saison du départ. Tous mes châteaux en Espagne, quand j’étais enfant, avaient pour unique objet de faire quelque chose d’utile à l’humanité. Cette direction d’idées, je la devais aux excellents principes que mes parents m’avaient inculqués. J’étais convaincu que pour réussir il ne manquait que d’étudier. »
À force de travail et de sacrifices, Horace Mann finit par entrer à l’Université de Brown, dans la ville de Providence. Il s’y distingua, et lorsqu’il y prit ses degrés, en 1819, il y prononça un discours sur le caractère progressif de la race humaine. C’était le sujet même que, soixante ans plus tôt, avait traité à Paris, avec tant de succès, le jeune Turgot, prieur de Sorbonne.
Horace Mann, avocat et homme politique – En 1823, devenu avocat, il s’établit à Norfolk ; quelques années plus tard, il transporta son cabinet à Boston. En peu de temps, grâce à un labeur opiniâtre, il fut un des avocats les plus estimés et les plus occupés de l’État. Aussi, dès l’année 1827, ses concitoyens le firent-ils entrer dans la vie publique, en le nommant député à la Chambre des représentants du Massachusetts. Six ans plus tard, il fut élu au Sénat de la province, qu’il présida en 1836.
Horace Mann était l’ami du peuple ; mais, par cela même, il ne fut jamais un homme de parti. Il s’occupa des intérêts moraux et matériels du pays beaucoup plus que des querelles du jour. Son premier discours eut pour objet de défendre la liberté religieuse ; le second fut prononcé en faveur des chemins de fer, qui étaient alors une nouveauté… Il fit abolir la loterie publique ; il fit établir l’hôpital des fous de Worcester, le premier asile où, en Amérique, on ait traité ces malheureux avec les égards et les soins que mérite la plus déplorable des misères. Par-dessus tout, il poursuivit et combattit sans relâche l’ivrognerie, qui fait de si grands ravages en Amérique…
Placé par son talent à la tête de sa profession, président du premier corps politique de l’État, considéré par ses concitoyens, qui l’avaient chargé de réviser et de codifier les lois et statuts du Massachusetts, Horace Mann n’avait plus qu’à réaliser le fruit de ses longs travaux ; la fortune venait à lui. Tout à coup, en 1837, il abandonna une carrière qui lui donnait honneurs et richesses, pour se consacrer à une œuvre plus humble en apparence, plus grande en effet, l’éducation du peuple.
L’éducation du peuple ; le bureau d’éducation de Boston. – Dès sa jeunesse, Horace Mann s’était senti né pour aider à l’élévation physique, intellectuelle et morale de ses concitoyens. Tandis que des rivaux plus ambitieux écrivaient des articles politiques, Horace Mann écrivait sur l’éducation, et, quand il avait un peu de temps à lui, il faisait des lectures et des cours. « Quoi, disait-il à ses auditeurs, si demain on vous apprenait qu’on a trouvé une mine de houille qui rapportera 10 p 100, vous y courriez tous, et il y a des hommes que vous laissez croupir dans l’ignorance quand vous pouvez en tirer 40 et 50 p 100 ; vous vous occupez sans cesse de capitaux et de machines, mais la première machine, c’est l’homme, le premier capital, c’est l’homme, et vous le négligez ! Vous savez tourner à votre profit les plantes et les animaux ; d’un chiendent stérile vous avez tiré le blé, du chacal vous avez fait le chien, et vous avez des enfants dont vous ne savez rien faire.
« Vous construisez des tribunaux, des hospices, pourquoi ? pour punir des gens que l’ignorance a rendus criminels, pour recueillir des misérables qui n’ont pu réussir ici-bas faute d’instruction. N’êtes-vous pas auteurs ou complices de ces maux que vous essayez en vain d’empêcher ou de guérir ? Établissez des écoles, vous chasserez l’ignorance, le crime et la misère ; vous diminuerez les haines et vous ferez la fortune et la grandeur du pays par l’aisance, la moralité et le bonheur de chacun. »
Rien donc de plus naturel que le choix qu’on fit de lui pour être secrétaire du bureau d’éducation qu’on venait d’établir à Boston. Ce fut le célèbre Édouard Everett, alors gouverneur du Massachusetts, qui lui demanda cette preuve de dévouement.
Il fallait, en effet, un véritable dévouement pour échanger une riche clientèle et une belle position politique contre la situation modeste d’un secrétaire à 5 000 fr. d’appointements. Tout était à créer ; on ne savait même pas ce que ferait le bureau, et il fallait dix ans au moins avant que les réformes portassent fruit. « Mais, écrivait Horace Mann sa sœur, ne vaut-il pas mieux faire le bien que d’être loué pour l’avoir fait ? Si, grâce à mes efforts, on arrive à savoir quelle est la meilleure construction des écoles, quels sont les meilleurs livres, la meilleure organisation des études, les meilleures méthodes ; si je puis découvrir par quels procédés un enfant qui ne raisonne pas, qui ne réfléchit pas, qui ne parle pas, peut à coup sûr être élevé à la condition d’un noble citoyen prêt à combattre et mourir pour la justice ; si je puis seulement répandre dans mon pays quelques bonnes idées sur ce sujet, est-ce que mon ministère aura été inutile ? » L’humble titre qu’on lui donnait, la modestie de son emploi, ne l’inquiétaient guère : « Si Dieu m’aide dans cette grande œuvre, disait-il, on verra quelle est la dignité de ma place ; quant au titre, que m’importe ? Si maintenant on ne l’honore pas assez, c’est à moi de le rendre honorable. D’ailleurs, j’aime mieux faire crédit à mon titre que de lui devoir ma considération. »
La méthode d’Horace Mann.