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La vie prend une dimension inquiétante lorsque la maladie d’un proche se confond avec son rôle de cobaye. Doit-on tout tenter, ignorant les conséquences ? Mélodine et Emma en font l’amère expérience. Liées par un destin inattendu, elles se retrouvent à devoir écrire leur avenir ensemble. Un dilemme déchirant pour ces jeunes femmes d’autant plus que le temps joue contre elles car « Le Clairvoyant » a déjà pris parti.
À PROPOS DES AUTEURS
« Hotline Déjà-vu, bonjour ? » – C’est ainsi que tout a commencé.
Maureen Opsomer et
Jean-Luc Brera, partageant un bureau dans un open-space, ont scellé un pacte : publier un livre. Et c’est ce livre que vous tenez entre vos mains. Ils espèrent qu’il vous procurera autant de plaisir à le lire qu’ils en ont eu à l’écrire.
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Maureen Opsomer
& Jean-Luc Brera
Déjà-vu ?
Roman
© Lys Bleu Éditions – Maureen Opsomer & Jean-Luc Brera
ISBN : 979-10-422-3346-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
« Papa… J’ai mal, j’ai trop mal à la tête, j’ai l’impression… Que mon cerveau va sortir de mon crâne, qu’il va exploser. » Le jeune homme, devenu malingre à force de combats acharnés contre la maladie, blotti sous son drap, tremblait de douleur. La fièvre, de nouveau à l’assaut de son frêle corps, faisait perler de grosses gouttes tièdes sur son front, tombant jusque dans ses yeux, le piquant comme mille lames d’acide.
Romuald voulut regarder son fils le plus tendrement possible, l’entourer et le chérir comme il l’avait toujours fait jusqu’à ce moment. Mais, dans ses yeux, transparaissait son inquiétude. Il ne pouvait chasser son angoisse grandissante. La prunelle de ses yeux, sa chair, son sang, agonisait devant lui et il ne pouvait plus rien faire. Alors, il détourna la tête et chercha un soutien auprès de son épouse. Il ne trouva qu’un visage fermé aux pupilles dilatées, et au chignon défait par les heures de dettes de sommeil. Elle exprimait un mélange de colère contenue et de tristesse inconsolable à son encontre, il le savait. Se savoir seul responsable augmentait son sentiment de culpabilité. Bientôt, il ne pourrait plus regarder son fils dans les yeux. Il en serait incapable.
Charline n’en voulait pas à son mari d’avoir tenté l’impossible pour sauver leur fils. Bien au contraire, il avait fait de son mieux, elle le savait… Mais cela n’avait pas suffi et la brutalité de la réalité était dure à accepter pour elle. Pris par l’urgence des symptômes et leur aggravation, Romuald était allé trop vite, trop loin, et sans le recul nécessaire. Dans ces circonstances, le temps est un luxe qu’il ne put s’offrir. L’espoir ne fait pas vivre. Il peut détruire aussi.
Jérôme se tourna alors vers sa mère et lui demanda d’une voix faible, presque dans un murmure :
« S’il te plaît, raconte-moi des histoires. Tu sais, comme celles que tu inventais quand j’étais petit, quand je craignais le noir.
— Je ne suis pas certaine de me souvenir, je ne suis pas sûre de pouvoir…
Charline craignait d’être incapable de terminer la moindre histoire. D’être incapable de ne pas s’écrouler dans un long sanglot au milieu d’une phrase. N’importe laquelle, même la plus anodine.
— S’il te plaît. Je ne sais pas pourquoi, mais elles m’apaisent. implora doucement son fils unique. »
Charline ne pouvait pas lui refuser cela. Malgré le fait qu’il avait dépassé sa deuxième décennie, ce soir-là, en cet instant précis, elle avait devant elle son petit garçon, son bébé. La seule fleur qu’elle aura portée en elle, le seul fruit qu’elle aura vu mûrir. Alors elle déglutit, réprima un début de sanglot, se leva du fauteuil installé à côté de son enfant, disciplina avec dextérité ses cheveux pour se donner une contenance et s’assit sur son lit. D’un geste tendre, elle caressa sa joue, s’approcha de son visage et commença à lui conter une de ses histoires de la voix la plus douce qu’elle puisse. Peut-être l’histoire la plus tendre, sûrement la plus épique, mais assurément la plus belle, la plus débordante d’amour.
Lorsque Charline releva les yeux vers Jérôme, son fils bien aimé, elle vit qu’il souriait.
Son visage n’était plus figé par la crispation de la douleur. Cette lâche guerrière avait fini par abandonner la bataille, préférant fuir ce corps pour venir se figer, métamorphosée, dans le cœur maternel. Relâché, il était enfin apaisé.
Ces courts récits, Charline ne savait pas par quel prodige, avaient toujours réussi à calmer les douleurs de Jérôme. Un répit miraculeux, un calme inespéré au milieu de ces tempêtes destructrices qui ravageaient sans cesse son cerveau et lui grignotaient ses neurones un par un. Comme ces vagues qui façonnent d’énormes rochers à coup d’assauts répétés, inépuisables. Le plus solide des rocs n’est jamais à l’abri d’un vacillement, d’une rupture, d’un éboulement. Les vagues le savaient et n’hésitaient jamais à laisser leur macabre écume dans leur sillage.
Délicatement, Charline approcha ses doigts du regard désormais éteint de son fils. Cherchant en vain la présence de son époux. C’est seule et avec mille précautions, qu’elle abaissa les paupières de son garçon. De fines larmes descendirent sur les joues de Jérôme.
Ses souffrances avaient pris fin.
En premier, le bip du réveil.
Puis une main fatiguée met fin à ce supplice matinal.
Un corps encore dans les vapeurs de Morphée s’ébranle doucement et pousse ce petit cri caractéristique qui lui valut le surnom de Guizmo durant toutes ces longues années d’internat. Viennent ensuite les bruits de l’eau, le typhon démoniaque des toilettes, les gouttelettes revigorantes de la douche et enfin le crépitement crescendo de la bouilloire. Après le sursaut des toasts éjectés du grille-pain, viennent la délicieuse odeur des tartines croustillantes, beurrées avec attention et le parfum délicat de l’infusion bergamote.
Maigre accalmie avant d’affronter l’extérieur. Soigneusement éviter le métro, sa foule, son bruit et ses odeurs. Mais préférer parcourir les vingt petites minutes à pied. La route est simple : le quartier des artistes et ensuite celui des cafés. Le premier est son favori, il y a toujours de nouvelles œuvres à voir malgré le temps qui passe. Un nouveau tableau exposé aux yeux des passants, un graphe ici et là, ou un local changeant de propriétaire, passant d’un peintre à un atelier de danse. La diversité ambiante lui plaît. Puis, quelques mètres plus loin, place aux cafés. Dans cette rue, ils se chevauchent presque tous les uns sur les autres. Les cafetiers s’étonnent parfois des ardoises qui rivalisent d’inventivité pour attirer le chaland sur leurs terrasses. Il y a aussi plus de monde ici.
Croiser tous ces gens. Chaque jour. Tous différents et pourtant tous semblables. Et ces visages qui reviennent, jour après jour, devenant presque familiers et qui se saluent parfois d’un timide et poli hochement de tête.
Combien possède l’application, le médaillon ou encore, rares ceux-là, la puce In Cute ?
Enfin, le bâtiment apparaît, s’étalant sur de nombreux étages. Sa couleur béton ne donne guère envie d’y mettre les pieds. Néanmoins, se trouve à l’intérieur une véritable fourmilière, nichée dans un décor moderne. Les salariés se croisent sans discontinuer. Il y a de nombreux services, chacun installé à un étage. Dont celui de sa destination, au 3ᵉ, nécessitant un badge pour y pénétrer. Une enceinte sécurisée en open space s’étalant sur plus de 200 mètres carrés. Encore des regards à croiser et enfin le sas, dernière issue avant le vrai démarrage de la journée.
D’abord, il faut passer devant Samuel, le trublion de l’équipe, qui chaque jour ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Une chanson ! Une chanson ! »
Le siège, enfin. Confortable, mais pas trop, car il est essentiel de rester concentré. L’installation se doit d’être précise et pratique, afin d’avoir tous les outils et renseignements sous la main, chaque chose à sa place. Le tapotement des doigts, agiles sur le clavier, ouverture de session, mots de passe, les diverses applications s’ouvrent les unes à la suite des autres. Enfin, le Graal, COR, le Centre Opérationnel de Réception est ouvert, reste à attendre le frissonnement de Pandore, le gestionnaire d’appels.
Le plateau se remet en marche avec la relève. Les transmissions se font entre les managers de la nuit et du matin, les agents se saluent en se souhaitant mutuellement « bon courage » ou « à demain ». Le brouhaha monte doucement. Tout est lumineux ici, les grandes baies vitrées donnent sur un parc immense et bien arboré. Ça respire le propre, trop, et l’air frais de la climatisation ne fait que renforcer cet aspect froid et aseptisé.
Le premier son à sortir de sa bouche arrive enfin, clair, souriant :
« Déjà-Vu Hotline, Mélodine, bonjour !
— Bonjour, M. Tutle, numéro client 31815. J’ai eu une séquence de déjà-vu mais le médaillon n’a pas réagi, encore, pourriez-vous me mettre en relation avec la technique s’il vous plaît Mélodine ?
— Bien sûr M. Tutle, un instant s’il vous plaît. »
Elle commence sa journée avec un habitué. Ce cher monsieur Tutle a tellement de séquences de déjà-vu que son médaillon en devient fou. Même s’il n’est pas rare qu’il y ait des défaillances ou de légers bugs, comme dans tout système électronique, ceux de M. Tutle sont particulièrement redondants et malgré plusieurs changements et autres évolutions de médaillons, il s’est avéré impossible de stabiliser le système. Trop de déjà-vu, là où l’entreprise a pour mission de les traquer, de les répertorier. Mélodine, une fois de plus, se demande pourquoi ce client en particulier a autant de ses étranges manifestations. Elle sait qu’un nouvel algorithme de traitement de la récurrence des déjà-vu arrivait. Et avec lui peut-être un début de réponse.
Mélodine sort de ses pensées et, profitant d’une accalmie dans les appels, se joint aux discussions alentour. Celles-ci, plus ou moins claires, rendent l’endroit un peu plus vivant. On entend de-ci de-là quelques éclats de rire, une ambiance plus détendue, que ne peut le laisser croire l’austérité du bâtiment, se met ainsi en place.
« Et donc voici le plateau de la Hotline, c’est ici que les agents traitent les appels de nos bien-aimés clients. Le service continue de grandir, nous faisons face à une forte croissance, voyez-vous ! »
M. Blobac, le directeur du site pavane, encore et encore, devant les caméras et les micros de télévisions. Cet homme est la caricature du businessman qui n’en a jamais assez. Il aime leur raconter l’histoire du dirigeant qui a racheté Déjà-Vu quand le projet de ces deux étudiants commençait à faire du bruit. Il a eu le nez creux, la firme lui rapporte désormais 100 fois ce qu’elle lui a coûté. Il finit par s’éloigner lorsqu’une voix au fond du plateau s’élève :
« Allez quoi ! Une chanson pour notre bonne humeur ! Samuel a su rallier Tom et Mylène à sa cause et tous réclament maintenant en cœur de quoi bien démarrer leur journée de travail.
— Bon d’accord… Allez, balance un mot. Mélodine finit par céder.
— Temps ! lui répond Samuel.
— Mmmmh… Mélodine prend quelques secondes pour choisir. “Retrouver le temps de l’enfance, passant tout doucem…”
— Chuuuuut ! S’il vous plaît, je n’entends pas mon client, il se passe un truc ! Pierre met fin à leur petit concert improvisé.
Silence radio. La concentration reprend ses droits. Les agents replongent dans leurs écrans, attendent le bip qui leur annoncera leur prochain appel. La tension est palpable. Quelques regards se dirigent vers leur collègue, se demandant ce qu’il se passe à l’autre bout du fil.
Pierre se masse les tempes, il a un mauvais pressentiment.
— Je… il…
— Veuillez m’excuser, je ne vous entends pas.
— … il. laît… Ils…
— La liaison est très mauvaise madame. Pierre presse le casque sur ses oreilles, le son à fond, mais rien n’y fait, il y a de la friture sur la ligne.
— … ère… de… a… ai…de…
Il appuie alors sur le bouton mute de son téléphone Nan mais on ne va pas s’en sortir là… Elle a l’air paniquée mais je ne la comprends pas !
Ses collègues se retournent alors, comprenant l’urgence, certains se mettent à chercher la localisation de l’abonnée. Le manager arrive à côté de Pierre et branche son casque afin de l’aider à déceler des indices.
— A… a… À l’aide !
— La communication a coupé ! dit Pierre.
— C’est bon, intervient au même instant Tom, je l’ai localisé, Mme Chatelain au… »
8 bis rue de la Gribondière, Toulouse, France, le vendredi 15 juillet 2016, 7 h 12
L’air était chargé, électrique, les lumières peinaient à tenir le bastion, attendre la cavalerie solaire et éloigner de cette frêle forteresse les ténèbres impitoyables.
Soudain, une ombre encore plus noire et lugubre obscurcie brièvement la pièce principale. La maîtresse des lieux poussa un cri et manqua de tomber à la renverse. Ses yeux écarquillés, le visage figé par la peur, elle cherchait un endroit où se cacher. Mais, avant, elle voulait s’assurer que les issues étaient fermées. Au moment où sa main agrippait la poignée de la porte de derrière, l’ombre repassa encore plus imposante. Ne laissant aucune échappatoire possible.
Désespérée, elle courait, trébuchait. Le sang commença à couler. Alors, dans un dernier espoir, dans un dernier sursaut de vie, elle se jeta sur son téléphone et actionna la touche « Alerte-Déjà-Vu » de son smartphone.
« Voilà, ça c’est la séquence d’il y a deux ans.
— Ça fout les jetons n’empêche…
— Oui, bon, relativisons, l’ombre, c’était le camion-conteneur pour le verre, d’ailleurs sa blessure venait de là, en préparant son sac trimestriel de verres et autres bocaux, patatras, le drame tout ça, précisa M. Blobac.
— Une fan hardcore de Die Hard quoi…
Les regards, réprobateurs, se tournèrent vers Henri. Lui et ses blagues sans retenue ni subtilité sont une habitude dont ses collègues aimeraient se passer.
— Donc je disais, reprit M. Blobac, qu’une fois notre Chargé de Mission sur place, rapport avec la Police, etc., il s’avère que ce n’était pas grand-chose finalement, une mauvaise nuit, un orage.
— Et les similitudes avec l’appel d’aujourd’hui ? demande le collègue assis en face de lui.
— Les infos sont en train de nous parvenir, c’est très similaire, énormément même, reste plus que notre CM et…
Ronan n’a pas frappé, la porte de la Cellule de Crise a presque été éjectée de ses gonds, il a le souffle court, le teint pâle, il a à peine la force de déclarer :
— C’est Madame Chatelain… Elle est… M… Morte…
— Nous voilà bien, s’exclame Henri.
— Morte… Chez elle, écrasée par un conteneur à verre.
— Quoi ?! le cri est unanime. Un silence glaçant s’installe dans la pièce. » Ronan ne peut en dire plus, à bout, il s’écroule devant son auditoire. Les regards des agents du plateau se tournent vers la Cellule de Crise, deux d’entre eux se sont immédiatement levés pour prendre en charge l’évanoui.
— Ronan qui fait du Ronan quoi. Un rien l’affole !
— Avec cet appel étrange, la CC qui est ouverte, je ne pense pas que ce ne soit rien Sam. »
Mélodine est déjà dans l’analyse, la recherche et la compréhension de ce qui se passe sous ses yeux. Ses instincts d’ancienne enquêtrice ne l’ont pas quitté malgré la terrible envie de les refouler. C’est dans son sang, dans ses tripes. C’est ça qui la faisait vibrer à l’époque où elle était à son compte en tant que détective privée. L’adrénaline des planques, le suspense des écoutes, les documents découverts et copiés à la hâte. Puis, il a suffi d’une affaire, une seule, pour la faire regretter d’avoir fouillé dans la vie des autres.
Après s’être gavée d’anxiolytiques qui la zombifiaient, elle s’est décidée à reprendre le cours de sa vie, à se reprendre en main. Quoi de mieux qu’un quotidien, fait de routine, d’habitude, pour reprendre une vie normale ? C’est de cette manière qu’elle s’est retrouvée ici, à Déjà-Vu Corporation, un plateau, des appels simples en apparence, des collègues sympas, de l’entraide. Mais, chasser le naturel…
« Hey ! N’oublie pas ta pause, tellement plongée dans ses pensées, elle n’a pas vu l’heure tourner.
— Ah, oui, merci Tom !
— Tu me dois un cookie ! Hahaha.
— C’est ça, compte là-dessus. »
La journée se poursuit l’air de rien. La vie du plateau doit reprendre son cours. Appels, conversations entre collègues, un client qui râle, nouvelle pause-café. Déjà, le milieu de journée approche et l’équipe de l’après-midi prend possession de sa partie du plateau afin de renforcer l’équipe du matin durant les deux heures qu’ils leur restent. M. Blobac, pendant ce temps, tourne en rond dans son bureau. Il a réuni son équipe et organise la conférence de presse. Armé de ses requins, il sait manier les mots, détourner les questions, y répondre sans réellement donner d’informations. En bref, un vrai homme politique. Mais quelque chose le rend plus nerveux que d’habitude.
« Tu devrais arrêter le café, t’es tendu Robert.
— J’y penserai, merci du conseil Tony, répondit M. Blobac en essuyant une goutte qui perle sur son front.
— Bon, aucun mot sur l’affaire d’il y a deux ans, on évite au maximum de comparer ces deux situations. Attends-toi à avoir des questions là-dessus, dévie au mieux, change de sujet. Bref, je ne te fais pas de dessin, tu gères à ce niveau. Tony lui fait un clin d’œil.
— Et pour demain, arrête de suer mec, sérieusement, asperge-toi de déo, je m’en tape, mais hors de question que tu apparaisses comme ça devant les journaleux, ça craint. »
M. Blobac pousse un soupir d’exaspération, mais Tony avait raison malgré tout. La journée se termine enfin. La direction, les agents des différents services quittent le grand bâtiment. Certains vont rejoindre leur famille, leur animal de compagnie, ou encore la salle de sport. L’équipe de nuit a déjà repris ses marques, les dossiers sensibles ont été transmis. Les agents de l’après-midi donnent leurs derniers « bonsoir » et « bon courage » avant d’emprunter le sas, dernière barrière avant le retour à la vie extérieure.
Mélodine, éreintée par les heures supplémentaires qu’elle a dû concéder, rentre néanmoins chez elle à pied, comme chaque jour. Un appartement de taille moyenne, plutôt récent, dans un quartier résidentiel longeant l’artère principale. Pas trop agité, pas trop calme, c’est l’équilibre parfait pour elle. « Une de cuite, voilà pour toi Michel. » Elle sort un pot et déverse quelques granulés dans l’aquarium se trouvant dans son salon. Le décor est simple, épuré. Un peu de sable blanc, une branche déposée en travers, quelques plantes aux couleurs variées. Posée, pensive devant la cuve, elle observe Michel, son poisson-paradis. Elle adore le regarder voguer dans son espace. Passer entre les plantes, fouiller dans le sol, les courbures de ses nageoires, leur manière d’onduler gracieusement telle une danse. C’est presque hypnotique pour elle, et lui permet de se vider la tête de sa journée. Une sorte de pause après la tempête. Son moment de détente à elle.
Une sonnerie lui indiquant une nouvelle notification la sort de sa contemplation. Un nouveau mail est arrivé dans sa boîte, ayant pour objet : Ce qui s’est passé arrivera encore.
En premier, le bip du réveil.
Puis une main fatiguée met fin à ce supplice matinal.
Un corps encore dans les vapeurs de Morphée s’ébranle doucement et pousse ce petit cri caractéristique qui lui valu le surnom de Guizmo pendant toutes ces trop longues années d’internat. Elle n’était pas une mauvaise élève qui avait besoin de discipline, non. Elle fait partie de ces jeunes dont les parents vouent leur vie à leur carrière. Peu de place pour s’occuper correctement des enfants, l’internat était bien pratique. Elle y apprit l’autonomie, mais aussi l’action de groupe, la solidarité.
Viennent ensuite les bruits d’eau, le typhon démoniaque des toilettes, les gouttelettes revigorantes de la douche et un hurlement. Mélodine agrippe, tétanisée, le rideau de la douche qui se détache sous la violence du geste. Elle s’extirpe de l’étreinte glaciale en rampant, peinant à reprendre son souffle. Elle attrape alors une serviette, s’y enveloppe et arrête l’eau qui devait lui permettre un réveil en douceur.
« Foutue coupure de courant ! »
Elle a oublié que sans électricité, pas d’eau chaude. Aucun sursaut toasté non plus, aucune infusion, aucun réconfort ne semble possible. Son rituel matinal était présent depuis tellement d’années, réalisé jour après jour sans même que Mélodine y prête attention, que ce brusque empêchement la perturba profondément.
Aucune accalmie avant la rue. Le métro fermé, une foule impatiente, stressée et bruyante est jetée sur le trottoir, errante vers une destination quotidienne maintenant inconnue. Sa pire crainte est devenue réelle. Croiser tous ces gens, et « Lui » est-il là, parmi eux ? Ces visages qui reviennent, jour après jour, n’ont plus rien de familier, Mélodine n’a plus envie de saluer personne. Elle a peur. Elle se presse tout comme les individus autour d’elle. La boule au ventre, elle se fraye un chemin jusqu’à son but.
Ce qui s’est passé arrivera encore. Cela n’est pas possible, c’était avant, c’était dans une autre vie. L’humain, misérable, a apprivoisé le feu pour se protéger. Croyant repousser sa peur du noir. Le phrasé, la ponctuation caractéristique et cette haine viscérale en l’humanité. « IL » revient, « IL » ne l’a pas oublié.