Des adieux à la nuit - Fabian Sorel - E-Book

Des adieux à la nuit E-Book

Fabian Sorel

0,0
7,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

"Des adieux à la nuit" est une autobiographie dans laquelle Fabian Sorel partage sa vision de l’humanité. Il se présente sous les traits d’un randonneur moderne qui a vécu plusieurs expériences surprenantes comme se perdre dans les forêts d’eucalyptus, marcher sur les pas des pèlerins espagnols ou encore se lier d’amitié avec un mafieux turc. En tant qu’insatiable baroudeur, il savoure pleinement les beautés de la nature malgré les troubles psychiques qui freinent ses élans de découvertes. Loin d’être un simple récit de ses aventures, cet ouvrage est une ode profonde à la vie et à l’amour.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Les lectures de Fabian Sorel l’ont poussé à passer de simple spectateur à acteur de la nature humaine primaire. Animé par le besoin d’agir, il a décidé de partager son expérience d’auteur en mettant des mots sur ses maux à travers cette œuvre.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Fabian Sorel

Des adieux à la nuit

© Lys Bleu Éditions – Fabian Sorel

ISBN : 979-10-422-3148-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Pour bien commencer

Et pourquoi pas ? C’est par cette phrase que je réponds à la plupart des questions qu’on me pose.

« Pourquoi tu es parti ? » ou « Pourquoi tu veux aller dans ces pays-là ? » ou encore « Pourquoi tu fais tout ça ? »

Ben… Pourquoi pas ? Ces deux petits mots, bien qu’ils m’aient parfois posé quelques problèmes, en ontréglé un très grand nombre !

Quand tout n’est plus qu’une illusion, il n’y a que deux solutions possibles : la voix de la paix qui consiste à continuer à se droguer aveuglément et la voix du vide qui consiste à briser les miroirs. Vous savez, ces miroirs que l’on nous tend à la figure depuis qu’on est né, ces miroirs qui nous observent chaque matin et nous disent avec un sourire narquois aux lèvres : « Ce que tu es laid ! » « Et ce programme de régime, il en est où ? » « Si tu crois pouvoir rencontrer quelqu’un avec cette tronche » ou encore « Coupe-toi les cheveux si tu veux trouver un job ! »

Ces maudits miroirs, il faut les envoyer valdinguer par terre. Qu’ils se brisent en mille morceaux et restent jonchés sur le sol glacial d’une salle de bain humide, impuissants et futiles… C’est le choix que j’ai fait. Je sentais en moi comme une pulsion, un instinct de survie qui me disait : « Vas-y, fais-le, fais-le maintenant et d’un coup… ou tu vas crever là ! »

Alors j’y suis allé ! J’avais pourtant lu sur le Nord (Jack London), écouté un peu de Sud (Demis Roussos) et vu l’Est à la télé (BFM TV)… J’aurais pu m’en contenter, mais je désirais voir avec mes yeux, entendre avec mes oreilles et sentir avec mon petit nez à moi, bref, vivre par mon propre corps !

Je suis né avec des jambes qui se plient bien, des mains solides et, malgré une paire de lunettes, avec un regard qui porte loin… Alors, pourquoi hésiter ?

« Pas de piscine, pas de cigarettes, juste ma carabine et ma p’tite tête. »

Alors je suis parti, chaussures aux pieds et chapeau sur le crâne.

Et c’est ce goudron noir sous mes pieds, ce bitume toujours sombre qui m’a fait lever les yeux vers une autre obscurité infinie, un ciel de ténèbres parsemé de petits éclats de lumière… Dans ce monde de poésie brute où les mots ne semblent pas avoir leur place, j’ouvre la bouche pour avaler tout l’air que mes poumons peuvent contenir… Je veux absorber tout l’oxygène de cette planète, ainsi que le ponant, le zéphyr, le mistral, le sirocco, tous les vents ! Je veux respirer les cieux déchaînés, je veux inspirer toutes les tornades du monde…

Avoir envie de dévorer le monde, voilà quelque chose qui n’est pas commun.

Beaucoup de gens ne comprennent pas cela, mais ils le ressentent néanmoins. Ressentir le monde c’est humain, c’est animal, c’est… mondial ! Ça signifie : faire partie de l’humanité. Beaucoup interrogent, certains admirent et d’autres blâment.

Peut-être que vous comprenez ce que je veux dire, peut-être pas… En soi, ce n’est pas très important, ce n’est pas mon objectif, et comme je ne peux ni vous voir ni vous entendre, je me contente de sentir vos doigts pour savoir ce que vous ressentez ! Ne vous inquiétez pas, ça marche même avec un écran.

Je ne vous demande pas de me comprendre, ni même de chercher à me comprendre.

Parce que quoi qu’il arrive, il y aura toujours quelqu’un qui sera allé plus loin, qui sera parti plus longtemps, qui aura vécu plus de choses… Je ne suis pas un de ces champions, un de ces explorateurs ou globe-trotteurs et ça n’est pas dans mes objectifs d’en être un. Non, je ne suis qu’un parmi tant d’autres, un binoclard aux yeux grand ouverts et à l’esprit curieux et sensible.

Aussi, je trouve important de préciser quelque chose avant de débuter : si vous vous attendez à un livre de voyage, n’allez pas plus loin. Ce n’est pas le cas. Ce que vous tenez entre vos mains, c’est une œuvre et non pas un récit, c’est un message et non une narration. C’est aussi un guide pour appels à l’aide, c’est un héritage ainsi que mon legs à l’aventure…

Et pour « finir ce début », il y a une question que je veux vous poser : selon vous, est-il plus important d’être le meilleur de tous ou d’être meilleur que celui ou celle qu’on était hier ?

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Radicelles

Enfance aventureuse

 

 

 

« Alors du coup, Fabian, tu as toujours voyagé ? »

« Euh… Alors non. Euh, si. Enfin oui et non… Aaah je ne sais pas en fait ! »

Ceci est un exemple de scène banale de ma vie quotidienne lorsque je commence à parler de moi. Mes interlocuteurs me questionnent régulièrement quant à l’origine de mon goût du voyage, mon attirance du risque et surtout de cette habitude à oser.

Mais généralement, je ne sais pas vraiment quoi leur répondre ! J’ai envie de leur parler de mon enfance et de mon adolescence, des chapitres clés où beaucoup de choses se sont jouées pour moi…

« Eh bien, oui, d’une certaine façon, j’ai vécu, j’étais jeune, mais moins que ce que je pensais à ce moment plus ou moins précis, car avant d’être jeune j’étais vieux, ou pas, et…

— Attends… Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je ne comprends rien, navrée… »

Il faut dire que j’ai l’esprit embrumé. Embrumé par tout ce qui s’est passé et par ce que je redoute.

Les peurs peuplent le monde, et la peur, elle, peuple mes différents mondes…

Dans ma tête, mes souvenirs sont confus et m’apparaissent comme une vaste vague à la fois déferlante et stagnante.

Alors, afin de transmettre un héritage, aussi humble soit-il, je m’en suis remis à mes parents ainsi qu’à mes deux grands frères afin d’obtenir des réponses à mes questions ainsi que des souvenirs à raconter…

 

Un jour, alors que je marchais paisiblement dans un vaste bois proche de Brocéliande, je rencontrai un grand monsieur à l’étrange allure.

Il était vêtu d’écorce et de lichen, et me regardait avec ses grands yeux de pollen encore fleurissant.

« Qui es-tu, toi ? » me demanda-t-il.

« Ah, on ne va pas commencer avec les questions qui fâchent ! » lui répondis-je.

« Qui suis-je, que fais-je, pourquoi… J’en ai marre de répondre à tout ça. Tu ne veux pas me demander quelque chose d’autre ?

— Tu es bien énergique. Tu as toujours été comme ça ?
— Je l’ignore… À vrai dire, je pense que non.
— Alors, il s’est passé quelque chose dans ta vie. Quelque chose qui fait que tu as changé. Je me trompe ?
— Hum… Non, en effet… Il s’est bel et bien passé quelque chose. Mais comment tu…
— On ne parle pas de moi, il me semble. Chaque chose en son temps. »

Soudain, mon esprit s’est retourné. À l’image d’une crêpe qui saute un jour de Chandeleur… !

Comment diable connaissait-il ma phrase fétiche ? Qui était-il pour me connaître si bien, et en plus, en quelques secondes ? Définitivement, ce bonhomme de bois était vraiment intéressant. Je décidai donc de poursuivre ma conversation avec lui…

« Je suis d’accord avec ce que tu me dis là.

— Quel égoïsme...
— Comment ? Attends, de quoi tu parles ?
— Je ne te le dis pas à toi. Je le dis, c’est tout. Essaye de ne pas prendre personnellement ce qui est universel. »

OK. Je parle à un arbre qui vient de me baisser le pantalon et de me foutre une fessée à la fois philosophique et monumentale. On peut dire que la suite, elle promet !

« Bon, je suis égoïste. Soit. Et après ?

— Après ? Eh bien, là par exemple, tu es énervé. C’est ta plus grande peur, qui te ronge… La colère.
— Et quelle est ma plus grande colère ?
— C’est la peur, naturellement. »

Ouh là là là là là là là…

« Tu es donc un sage ?

— Je ne sais pas. Mais je sais que je suis vieux, et que j’ai vu beaucoup de choses.
— Et donc, quand tu me regardes, qu’est-ce que tu vois ?
— Je vois le temps. Seulement, je ne connais pas le temps que tu as vécu. Que tu vis. Que tu vivras. Et quelque chose me dit que j’ai besoin de t’écouter.
— Tu es curieux ? À propos de quoi ?
— Je m’avoue intéressé par ton passé. Et plus spécifiquement par l’origine de ce que tu es maintenant… »

Je n’avais jamais vraiment parlé de mon enfance à quelqu’un, et encore moins à un inconnu ! Pourtant, malgré ce doute évident, je ne pouvais m’empêcher de désirer ce récit. Ce récit que j’allais entreprendre. Entreprendre moi-même !

Bon, du coup, j’ai décidé de m’asseoir à côté du vieil arbre… Ce n’était certainement pas comme s’il allait partir en vadrouille de sitôt ! Confortablement installé dans le creux de ses racines, j’hésitai à m’assoupir lorsqu’un souvenir me traversa l’esprit à une vitesse fulgurante.

J’allais donc me questionner au sujet de son origine lorsque Papy Écorce prit la parole.

« Tu ne croyais tout de même pas que tu allais oublier ça ? »

Je ne répondis rien.

« Selon moi, il s’agit d’un de tes souvenirs les plus importants, les plus essentiels. C’est le jour où tu as connu la mort pour la première fois. Cette mort, qui est devenue et qui…

— Ça va. J’ai compris. J’ai compris ! Je vais en parler. »

 

 

Mes parents aimaient et aiment toujours beaucoup vadrouiller. Ma mère, d’origine parisienne, a pendant longtemps pratiqué de nombreux sports d’aventure et a même gravi le Mont-Blanc avant ses vingt ans.

Mon père, né dans la ravissante secrète vallée du Diois, a toujours fréquenté les montagnes et été très sportif grâce à son propre père, alors garde forestier.

Et aussi loin que je puisse me souvenir, ils ont toujours eu en leur possession un vieux fourgon aménagé pour nous emmener mes frères et moi un peu partout en France.

J’ai ainsi accès à une enfance de nature généreuse, de mystère sauvage et de culture curieuse.

Nous découvrons ensemble les plages méditerranéennes et l’océan, les grottes de la Lozère et les grands fleuves français, les vastes forêts du Jura et les cerfs de la Loire…

À ce moment-là, mes parents ne sont en aucun cas des nomades, car ils ont chacun leur travail fixe et mes deux frères et moi allons à l’école. En revanche, à la première opportunité qui se présente, bim ! On part ! Nos affaires précieuses sont limitées à la contenance d’un petit sac en tissu jaune ainsi qu’à tout le barda que se coltine notre bon vieux camion sur le dos : vélos, cible de tir à l’arc, matériel d’escalade et de « via ferrata », maillots de bain et bouées… Bref, un véritable arsenal pour les p’tits aventuriers que nous sommes !

En fonction des gens que nous rencontrons, nous semblons être des vagabonds sans objectif ou bien des explorateurs à l’emploi du temps bien précis. Il faut dire que cette ambivalence est due aux deux pôles qui entouraient nos voyages, à savoir mon père et ma mère.

Mon père est le conducteur, le mécano, le bricoleur, mais aussi celui qui ose… Combien de fois nous as-tu emmenés explorer des cavernes intrépides, papa ? Combien de fois nous as-tu montré tel oiseau, telle vipère, tel type de rocher ?

Quant à ma mère, elle est à la fois la grande logisticienne et la guide touristique. Elle ne manque pas un musée à visiter, pas une forêt où dormir, pas un sommet à atteindre… Avec elle, on ne s’ennuie jamais, sauf bien sûr lorsque l’ennui est prévu sur notre planning.

C’est par la nature et le sauvage que nous avons appris, mes frères et moi, à vivre et même un peu à survivre ou à « sur » vivre ?

La survie est toujours placée en dessous de la vie, comme si vivre tous les jours ne relevait pas du challenge et du défi extrême. Nous sommes cachés dans nos maisons de ciment, dégustant notre cuisine de plastique et patientant que le ciel ait fini de pleurer pour fouler le goudron de nos pieds enveloppés. Serait-ce donc ça, la vie ? Plus aucun contact avec la nature originelle, si ce n’est par quelques images que l’on découvre jalousement à travers un écran ?

Et puis quand on parle de survie, on imagine aussitôt une personne solitaire qui traverse des climats hostiles avec son barda à la pointe de la technologie, bravant les dangers pour chasser, pêcher et ainsi durer plus longtemps pour découvrir de nouvelles contrées jusqu’alors inexplorées…

Mais supposons que nous ayons tort et que ce n’est pas la seule possible vision des choses.

La survie, ça peut simplement être du plaisir, une sorte de jeu même. Il suffirait, au lieu de balayer du regard les plaines et les montagnes, d’aller les caresser du pied. Au détour des rues d’une ville, aller explorer la cathédrale qui se présente un peu plus loin. Et quand on croise quelqu’un que l’on ne connaît pas, simplement oser croiser le regard de cette personne pour peut-être échanger quelques mots, quelques phrases, quelques heures avec elle. C’est ainsi que parfois, on peut en venir à croiser le chemin d’inconnus et à se surprendre soi-même.

Et si la survie était, comme ses racines étymologiques l’indiquent, au-dessus de la vie ? Si c’était une meilleure façon de découvrir et d’apprendre ?

C’est aussi par les Éléments qu’en tant qu’enfant j’apprends à me délecter de cette jeune vie pérégrine. La Terre, l’Eau, l’Air, et le Feu… Nous foulons la Terre par nos pieds, ces premières racines de chair qui nous relient à nos origines. Par les pieds, il faut canaliser et se recentrer. C’est la base, le socle. On pense souvent que la Terre permet la guérison, mais à condition de ne rien enfouir, car tout ce qui est enfoui est comme une graine qui finit par germer. Parfois, le germe devient plante, et la plante grimpante devient fleur de poison… Après ça, nous plongeons au cœur de l’Eau, qu’elle soit fraîche ou chaude, pour jouer avec l’inconsistance et l’abondance marquantes de cet élément au premier aspect fuyant et pourtant polymorphe : il peut se changer en glace comme en vapeur… L’Eau permet la sensibilité et la sensation des sentiments ainsi que des événements. Elle invite à l’intériorisation des émotions et, à l’image d’un flux sanguin, elle exerce l’analyse et l’introspection. Ensuite, nous partons à l’assaut des parois avec des cordes et des baudriers, afin d’être en équilibre entre terre et ciel. L’Air est alors notre meilleur ennemi… Tantôt attrayant, tantôt terrifiant, cet élément invite à l’expression des troubles, à l’extériorisation souvent orale et généralement éphémère des nœuds et des peurs. Enfin, nous nous reposons le soir autour d’un feu de camp, les yeux dévorant les flammes qui elles-mêmes dévorent les bûches de bois mousseux… Le Feu est l’expression ultime, il est l’aboiement intemporel de la jubilation et surtout il représente une capacité de destruction extrême. Détruire ses souvenirs malsains, détruire sa propre vie, détruire ses ennemis…

Tous les Éléments sont extrêmement intéressants, mais n’en demeurent pas moins éternellement dangereux. Nous pensons les connaître, les comprendre, mais nous ne faisons que nous en approcher. À l’image d’une bête sauvage, nous nous en approchons, persuadés qu’elle est inoffensive et qu’elle nous comprend, jusqu’à ce que la surprise opère. Avec la lettre D – drame, douleur et difficile – ou avec la lettre E – étonnement, emmagasinage et évidemment –. Mais même tous les alphabets et les mots du monde ne suffiraient pas à résumer les infinies possibilités de lecture, d’interprétation et d’utilisations des Éléments.

Ainsi, tous les cinq, nous explorons une grande partie de la France. Cette habitude qu’on a de bouger et de vadrouiller nous aide tous les cinq à goûter la vie ainsi qu’à en apprécier grandement la saveur…

Les bosquets vert émeraude ne cessent de défiler le long de la route, cachant puis dévoilant de temps à autre des champs d’orge et de blé doré desquels s’envolaient des oiseaux aux plumes noires de pétrole. Le voyage se transforme en stroboscope infini où se confondent les lumières des saisons et les odeurs du pays dans une grande fleur, dont chaque pétale semble être une région et dont le cœur n’est rien d’autre que notre camion. Oui, j’ai beau savoir que notre planète tourne autour du soleil, je ne peux pas m’empêcher de croire que nous sommes le centre du monde et que celui-ci tourne autour de nous, à l’image d’un théâtre d’ombres chinoises.

On m’enseigne à découvrir le monde par des yeux collectifs et familiaux ainsi qu’à affûter mon esprit de jeune garçon par la nature et le sauvage. Et comme dirait Mike Horn dans son ouvrage Objectif : Pôle-Nord de nuit : La nature est l’arbitre suprême.

Mais à un moment donné, je suis tellement curieux que je ne peux m’empêcher de fuir pour découvrir… J’ai ce besoin de partir vite et loin pour dévorer, avaler, digérer et comprendre le monde. Brûle en moi un feu intérieur redoutable et inextinguible qui ravage toutes mes peurs sur son passage… Aussi, très rapidement, ma mère prend des mesures préventives et noue autour de ma taille une cordelette reliée à son poignet !

Cette continuité du cordon ombilical dure pendant un certain temps, avant que j’apprenne à « voler de mes propres ailes » ou du moins avec davantage de précaution et de modération. Car à quoi servirait une escapade audacieuse vers le soleil si l’on s’en trouvait si proche que nos ailes brûleraient ? Je n’ai pas oublié le sort tragique d’Icare et la leçon qu’en a tirée son propre père, Dédale. Personne ne veut finir brûlé, que ce soit par la fougue enflammée de la vie ou les braises du passé que l’on regrette…

Mais cette énergie solaire n’était pas venue à moi par la voie divine… Ma famille dispose de cette même foi magique.

Et je me souviens d’un jour où, mes parents et moi, nous avons même visé un peu trop haut ! Notre objectif, pourtant facile de base, consiste alors à effectuer l’intégralité de la « via ferrata » du Pas de l’Échelle.

Pour les non-initiés à la pratique, la « via ferrata » est un parcours aménagé dans la roche où l’on place ses pieds et ses mains sur des barreaux en métal et où un câble est en permanence relié à notre baudrier. Bien que parfois physique, peut-être même impressionnante, cette pratique n’a rien de réellement dangereux du moment que l’on respecte les consignes de sécurité.

Ainsi, à l’âge de huit ans environ, mes parents m’emmènent dans cette aventure verticale quelque peu ambitieuse pour ma taille de l’époque. En effet, sur les panneaux à l’entrée du parcours, il est très clairement écrit qu’il faut avoir minimum dix ans.

« Taïaut ! » s’exprime mon père avant de m’aider à installer mon harnais d’escalade. Suivant ma famille et ne pensant pas trouver quelque chose de très insurmontable, je m’élance sur ce jeu d’obstacles, l’air insouciant. Seulement, au bout d’une centaine de mètres, je fais face à un problème, qui, contrairement à ce que certains pourraient affirmer, n’est clairement pas « un détail » : mes mains n’atteignent pas les barreaux au-dessus de ma tête ! Zut de zut ! Je me dandine, me contorsionne et m’étire tant bien que mal pour finalement parvenir à poser seulement mes deux premières phalanges sur le barreau métallique… L’effort est intense, si ce n’est atroce. J’avance lentement et péniblement, suivant mes parents qui n’ont clairement pas le même rythme. Heureusement, je les ai avertis de ma mise en difficulté et ils ont tout mis en œuvre pour me venir en aide.

Mais bon, vous savez, quand on est trop petit pour toucher à la fois les barreaux du bas et les barreaux du haut, les autres ne peuvent pas faire grand-chose ! Alors, au fur et à mesure que je progresse sur cette loooongue « via ferrata », je m’allonge… Et je m’étiiiire ! Finalement, la sortie. Il y a sûrement eu quelques échappatoires avant ça, mais tout ce que je veux, c’est en finir.

J’aperçois au-dessus de ma tête les derniers barreaux qui s’accumulent dans une vire rocheuse avant de disparaître à gauche d’un bosquet verdoyant. Dans un ultime effort, je m’accroche à la moindre prise, avant de sortir et retrouver le sol… Enfin… Enfin !

J’ai vraiment l’impression d’être un élastique distendu, un fil sur lequel on avait tiré et tiré avant de le propulser au loin. Alors, physiquement ou mentalement, je suis sorti de cette épreuve… Grandi. C’est le moins qu’on puisse dire !

 

En tant que Briançonnais (habitant de la ville de Briançon), mon quotidien de jeune garçon se résume à mon école, mes copains, ma famille ainsi que les sports que je pratique en la compagnie des trois milieux précédemment évoqués. Étant donné que nous habitons à environ 1300 mètres d’altitude, soit dans la plus haute ville de France et dans un secteur typique alpin, la plupart de nos sorties étaient plutôt très sportives et montagnardes.

L’hiver, nous enchaînons le ski avec la piscine ainsi que de grandes sorties en luge, tandis que le reste de l’année est consacré à la randonnée, au vélo et aux sports d’eaux vives. Tout ce temps libre passé dehors me forge évidemment un esprit d’aventurier.

Mes parents représentent eux-mêmes une contradiction que je trouve d’ores et déjà géniale : être de l’ancienne école et pourtant demeurer résolument modernes…

Nous écoutons notre musique avec des Walkmans et des cassettes audio qu’il faut rembobiner avec des stylos.

Nous regardons de vieux films avec des cassettes VHS. On regardait Jason et les Argonautes, La Grande Vadrouille, Blanche-Neige, LeCorniaud, LaGrande Évasion, Le Capitan, King-Kong de 1933 ainsi que des émissions de télé comme L’Homme qui valait 3 milliards, Les Envahisseurs, Mac Gyver, Thierry la Fronde ou encore Kung-Fu avec David Carradine…

Je raffole de ces vieilles images. Elles me parlent davantage que les plus récentes et me font ressentir une certaine aise et une facilité de compréhension exacerbée. Tout semble alors si simple…

Étant en admiration devant ces œuvres d’un ancien temps, je vis un certain décalage avec ce que vivent mes camarades de classe à l’école. Eux sont déjà dans l’ère des mangas et des jeux vidéo, alors que je traîne encore à lire La Roue du Temps de Robert Jordan et à jouer à l’ancienne version de Tetris sur ma console portable de Game-Boy Advance…

Ce décalage, cette différence, ne me cause aucun problème. Bien au contraire, ça en devient une force. J’ai davantage de culture que les enfants de mon âge et je m’en sers fréquemment pour leur parler de choses qu’ils ne comprennent pas.

Seulement, je ne suis qu’un gosse ! Et en tant que gosse né en 1998, avoir comme fantasmes et comme références Kirk Douglas et Charlton Heston ou Édith Piaf et Betty Boop, et bien ce n’est pas normal du tout ! Cette anormalité finit donc par me causer défaut tout seul puisque, arrivé en milieu d’école primaire, je ne peux m’empêcher de me sentir plus vieux que je ne le suis déjà.

Ainsi, lorsqu’on me propose de faire du théâtre pour la première fois, tout paraît parfaitement logique.

 

 

Septembre 2005 – Premier rôle !

 

Une fois, alors que je reviens tout juste d’une formidable escapade en Dordogne, je dois jouer une scène de théâtre devant tous mes camarades d’école. Les rôles ont été distribués à la va-vite, et pourtant, pour la professeure, ça ne fait aucun doute : je dois absolument interpréter Harpagon ! Pour les non-initiés, il s’agit là d’un personnage inventé par Molière, inspiré de la Commedia dell’arte, qui se caractérise par son âge gâteux et son côté drôlement libidineux.

Lorsque l’institutrice me donna ce rôle, je me vexai. Pourquoi j’avais le rôle de ce pervers ? C’est horrible ! Pourquoi moi ?

« Fabian, je ne te demande pas de faire Harpagon, car tu lui ressembles. Je crois simplement avoir entendu l’autre jour que… tu te sentais vieux ? Enfin, c’est ce que Jérôme m’a dit. Alors, voici ta chance de paraître vieux ! »

Cette chance, elle me faisait peur.

Cette chance, je l’ai saisie.

Cette chance, je l’ai jouée.