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"Des parcelles d’or" relate les aventures, amours et voyages de l’auteur qui ont eu pour témoins sept chats, des créatures connues pour leurs sept vies. Depuis le premier qui dormait dans son berceau jusqu’au dernier qui observe silencieusement derrière l’écran, ils ont été ses compagnons. C’est avec eux qu’il revoit son passé, sous leur regard constellé de parcelles d’or.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christian Wacrenier, auteur de recueils de poésie, romans et nouvelles, exprime sa sensibilité pour les animaux et sa compassion envers les vies marginales à travers ses œuvres. "Des parcelles d’or" témoigne de son histoire et d’une profonde relation avec les chats.
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Seitenzahl: 160
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Christian Wacrenier
Des parcelles d’or
© Lys Bleu Éditions – Christian Wacrenier
ISBN : 979-10-422-2328-1
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Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
Baudelaire
J’ai débarqué sur notre planète après la guerre, la deuxième, celle de l’holocauste et d’Oradour. Mon père, élève pilote dans la promotion Z, avait répondu à l’appel de De Gaulle en dérobant nuitamment avec un copain un Morane Saulnier qui faute de carburant termina son vol dans la campagne, entre les vaches un instant interrompues dans leur rumination. Il a été arrêté, emprisonné, jugé puis acquitté par un tribunal encore indépendant. Ma mère, brillante helléniste, a interrompu sa carrière dès la naissance de Loup, son premier enfant, mon frère aîné. Après moi viendront un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième, un septième. Elle mettra au monde sept vies.
Je suis né en janvier, un mois glacé où un vent aiguisé passait sur les ruines d’Arras dont les quartiers en ruine n’avaient pas encore été relevés. L’eau des bénitiers gelait dans la cathédrale où mes parents s’étaient mariés, emmitouflés et gantés. Les invités, bourgeois et notables de la ville, avaient enduré la messe en se pourléchant à l’avance les babines. Il y aurait après l’épreuve un buffet copieux d’autant plus apprécié que depuis des mois on se serrait la ceinture et ne trouvait qu’au marché noir viandes et charcuterie. Mon grand-père, directeur de l’Artésienne, compagnie d’électricité qui serait nationalisée après la guerre, passait pour avoir les moyens de régaler ses convives le jour du mariage de sa fille. Dans la grande cuisine du boulevard Vauban, on s’activait depuis l’aube pour fourrer les petits pains de jambon, de pâté, de rosette, achetés à prix d’or. Après la messe, les invités affamés se précipitèrent sur le buffet, mordirent en fermant les yeux de plaisir anticipé les petits pains dorés. Ils mâchèrent et mâchèrent. Ils ne sentirent sur leurs papilles que le goût ordinaire du pain à peine beurré. Mon oncle de santé fragile avait été dispensé de messe. Il avait rameuté quelques copains pour investir le salon où étaient dressées les tables. La petite bande avait systématiquement dégarni les petits pains et s’était gavée au point pour l’un de ses membres de se précipiter aux toilettes et restituer ce qu’il avait dérobé, sans se préoccuper de déboucher la cuvette. Mes grands-parents digérèrent mal cette razzia qui le jour des noces leur imposa une humiliation dont ma grand-mère qui avait mis son plus beau chapeau à plume se remit avec peine. Pour ma mère, ce jour fut d’autant plus triste que la veille, Isis, sa chienne adorée avait été écrasée par un convoi allemand. Elle pleura pendant toute la cérémonie. L’assistance mit sur le compte de l’émotion les larmes qui coulaient sur son visage et qu’elle n’essayait pas de retenir. De retour à la maison, devant les invités, les larmes ne se tarissaient pas. Entre la joie d’épouser l’homme qu’elle convoitait et la douleur d’avoir perdu Isis, c’est la douleur qui l’emporta. La douleur et les larmes. Toutes les larmes à venir. Elles ne couleraient jamais plus sur son visage. Ni pour la mort de son père, celle de sa mère, celle de son fils aîné, celle de sa plus jeune fille. Elle épuisa ce jour-là toutes les larmes de sa vie.
Il paraît qu’il ne faut jamais laisser un chat sauter dans un berceau où il risque d’étouffer le bébé en se couchant sur lui. Tiotio dormit dans mon berceau aussi longtemps que moi. Il se lovait contre ma tête et parfois me léchait le visage. J’étais à l’âge où rien de précis ne se grave dans le cerveau pour devenir souvenir. Je n’ai donc aucun souvenir de mes années berceau. Dommage, il y aurait de la douceur, de la sérénité, des coups de langue sur ma peau, des ronronnements protecteurs. On m’a raconté que je remuais les bras, en écarquillant les doigts, en gazouillant à n’en plus finir quand Tiotio me léchait les oreilles et pédalait sur mon ventre. Je n’ai pas plus de souvenir de cette tendresse féline que de ma mère qui n’avait pas le temps de nous bercer et passait d’un changement de couche à l’autre, d’un biberon à l’autre. Les cinq premiers nous nous suivions, nous étions nés à la queue leu leu, à un an à peine d’intervalle. De Gaulle est venu à Arras dans une Citroën noire pour décorer ma mère de la médaille de la Famille Française qui honorait les femmes pour leur mérite reproducteur. Beaucoup de mères du Pas-de-Calais furent récompensées. J’avais cinq ans et nous étions déjà trois frères et une sœur. Je me rappelle le théâtre d’Arras, le décor de feuillage automnal qui encadrait la scène et se perdait au loin dans un tunnel mordoré. Ma mère est montée sur scène, sa fille dans les bras et ses trois garçons à sa suite, Loup accroché à sa jupe, Saadi mon petit frère et moi main dans la main. De Gaulle s’est penché sur nous et nous a caressés sous le menton comme on caresse les chats. Saadi a eu peur et s’est réfugié en pleurant dans les jambes de ma mère. C’est ce que je vois sur une photo de Nord-Matin, parce que moi je ne me rappelle que le décor de feuillage et la jupe longue de ma mère, rayée de toutes les couleurs, comme un drapeau anticipé des LGBTQIA+.
Quelques décennies plus tard, notre génération serait vilipendée pour sa désinvolture écologique et pour son égoïsme. Elle serait stigmatisée sous le nom de boomers, un nom bien français utilisé par les jeunes pour désigner les vieux égoïstes que nous étions. Une fois traité de boomer, le vieil égoïste n’avait plus qu’à fermer sa vieille gueule même si les jeunes moralisateurs étaient les plus assidus utilisateurs de l’avion, du smartphone et d’Internet. Nous ne parlerions pas de boomers pour stigmatiser les générations qui nous avaient précédés. Celle de nos grands-pères avait connu la Der des Ders et avait été massacrée. Les enfants nés après la boucherie de 14 étaient ceux des survivants et n’avaient rien à leur reprocher. Notre génération élevée dans le mythe gaulliste ne cherchait pas à accuser ses pères qui furent pourtant rares à donner leur vie pour la patrie. Tous pétainistes, ou presque. Y avait pas foule de résistants qui rejoignaient l’Angleterre ou le maquis. Quelques-uns par-ci par-là. Juste assez nombreux pour qu’on écrive la légende à coup de Morvan, d’île de Sein et de Jean Moulin. Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle, nos frères dans l’ordre de la Nuit. Il suffit d’un Malraux pour remettre le train qui avait déraillé sur les rails. Il me plaît ce Malraux qui parlait comme un ivrogne, pillait les temples d’Angkor et vénérait les chats. Le chat Fourrure qui dormait comme Tiotio contre sa tête, le chat Essuie-Plume qui se couchait sur la feuille de ses anti-mémoires, et tant d’autres qui l’avaient accompagné toute sa vie. Quand il vivait avec la Vilmorin dans le château de Verrières, un monument classé, vieux de trois siècles, il avait fait découper des chatières dans les portes afin que les chats n’aient pas à miauler pour se les faire ouvrir. La Vilmorin en a piqué des colères tempérées par sa bonne éducation, mais le mal était fait, les portes blanc et or vandalisées. Les chats de Malraux ont vécu comme des seigneurs d’une chatière à l’autre, le poil soyeux et la queue verticale.
Mes premiers souvenirs de gamin sont le plus souvent liés à mon chat Tiotio parce qu’il était mon chat, le seul être qui me montrait qu’il m’aimait et me suivait partout où j’allais. Il est présent dans ce qui survit en moi de ces années lointaines. Il authentifie mes souvenirs. Quand par hasard il n’est pas présent dans le tableau, je doute de sa véracité. Pendant les premiers mois d’apprentissage de la station verticale et de la marche, il se tenait à mes côtés et si je tombais sur les fesses, il se plantait devant moi et me regardait de toutes ses forces jusqu’à ce que je me redresse et retrouve un équilibre branlant. Plusieurs fois, je me suis appuyé sur lui pour me relever. Jamais il n’a protesté et n’a tenté de fuir.
Quand je suis entré dans la chambre rose, celle de mon arrière-grand-mère, la chambre où je suis né, il est entré avec moi. Mémée était allongée sur son lit, habillée comme pour la messe, sauf le chapeau à voilette et le parapluie. Elle avait gardé ses chaussures, ce qui en temps normal rendait ma mère furieuse. Je revois la chambre, la lumière tamisée par les persiennes, les adultes en rond, droits comme des piquets. Je me suis appuyé sur le lit pour mieux voir Mémée et l’embrasser comme je le faisais d’habitude, sur la joue, pas sur le menton qui était piquant. Tiotio m’a devancé, il a sauté sur le drap blanc bien tendu. Il y a eu un cri et Tiotio effrayé s’est enfui et s’est caché sous le lit. Mon souvenir s’arrête là. Tout s’éteint avec la fuite de Tiotio. L’écran reste noir. La lumière se rallume au cimetière, sans Tiotio mais avec Pinpin. Je jette dans le trou où on a descendu le cercueil mon petit lapin bleu avec des oreilles plus grandes que lui, mon Pinpin, le seul animal en peluche que j’aie jamais eu, offert par ma marraine qui a disparu sur un marché de Thaïlande et n’a jamais été retrouvée. Tiotio n’est pas là, alors peut-être que ça n’est pas un vrai souvenir qui vient de ma tête, mais un souvenir qu’on m’a raconté. Ce qui est sûr c’est que je n’ai plus jamais eu de peluche après l’enterrement de Mémée et de Pinpin.
Pendant les vacances, nous allions à Berck, chez ma grand-mère préférée. Chez elle, tout était différent. Chacun de nous existait. La douceur et le calme remplaçaient les cris et la tension. Elle était autoritaire. Nous acceptions de bon cœur les règles qu’elle nous imposait. Tiotio avait compris que s’il ne rentrait pas avant le soir, il trouverait porte close et devrait passer la nuit dans le jardin, les portes n’ayant pas de chatière. Il y a rarement des Malraux dans la vie d’un chat. Il le savait et revenait toujours avant la fermeture, un mulot dans la gueule. C’est à moi qu’il l’apportait. Je le prenais dans mes mains, le déposais dans une enveloppe dont je collais le rabat, le cachais dans l’armoire et le lendemain, après le petit déjeuner j’allais, suivi de Tiotio, l’enterrer dans le sable. Je recouvrais la tombe d’aiguilles de pin et de coquillages. Je ne grondais pas Tiotio parce qu’on ne gronde pas ceux qui nous font un cadeau, même si ce cadeau ne nous plaît pas. Aujourd’hui quand mon chat me rapporte des mulots, j’essaie de les faire disparaître avant que Lucie ne les voie. Elle ne les supporte pas alors qu’ils sont morts et inoffensifs, couchés en rond avec leurs petites pattes repliées. Quand ils sont vivants c’est pire, elle s’enferme dans sa chambre et attend que l’animal soit tué ou chassé. Il est beau pourtant ce petit animal, modeste, les yeux vifs et brillants. Paraît qu’un jour si on en croit le prophète Isaïe, tous les animaux s’aimeront. Le veau dormira à côté du lion. Le petit de l’homme qui est aussi un animal jouera sur le nid des serpents et le chat fera des câlins au mulot. Ça fait partie des pages qui vous feraient moins détester la religion, le judaïsme en l’occurrence parce que je ne trouve pas de pages semblables chez les chrétiens ou les musulmans. Faudrait peut-être aller fouiner du côté des hindouistes ou des bouddhistes, mais c’est pas sûr à cent pour cent. Des bouddhistes carnivores j’en ai rencontré pas mal. Ils remercient l’animal qui est dans leur assiette. Je ne sais pas si l’animal en sauce est capable d’apprécier leur prière de reconnaissance.
Tiotio était respecté dans la maison et dans le quartier depuis le jour de juillet où il m’avait sauvé la vie. Je jouais dans les dunes. Jamais je n’ai vu de plus belles dunes que celles de Berck, hautes, soyeuses, hérissées d’oyats qui vous piquent les jambes, mais sont doux et liquides quand vous vous couchez dessus et vous laissez glisser. Les dunes étaient notre Far West, nous y étions Indiens et cow-boys. J’étais toujours indien. Je préférais les Indiens. Ils étaient beaux avec leurs muscles bronzés, leurs plumes et leurs dents blanches. Je n’aimais pas les cow-boys. Je les trouvais sales et méchants. Je n’avais d’admiration que pour la désinvolture avec laquelle ils enflammaient leurs allumettes en les frottant sur leur selle ou leurs semelles. Ce jour de juillet j’étais un mohican traqué par les méchants. Je parvenais à fuir et à disparaître derrière une dune, entre oyats et argousiers. Je disparus vraiment. La bande de mes poursuivants avait perdu ma trace. Elle avait d’autres mohicans à poursuivre. J’étais tombé dans un trou dissimulé par les arbustes. Au fond du trou, il y avait un carré de ciment avec une plaque de fonte. J’essayais de remonter. En vain. J’appelais au secours. Ma voix ne sortait pas du trou. Je ne sais pas combien de temps je suis resté assis sur la plaque d’où s’échappaient de vilaines odeurs. Des heures, assurément. Je me résignais peu à peu à mon sort. Je pleurais en silence. Le soir tombait, on voyait entre les ronces flotter des nuages rouges. J’ai entendu miauler. J’ai vu contre le ciel la petite tête de Tiotio. La lumière du soir faisait briller des paillettes d’or dans ses yeux qui me fixaient avec intensité. Il a tout de suite compris. Il a miaulé de nouveau, plusieurs fois comme s’il voulait m’expliquer quelque chose. Il a couru à la maison. Avec sa patte griffue, il a attrapé mon grand-père par le pantalon. Malgré plusieurs coups de pied qui l’ont envoyé bouler, il ne s’est pas découragé. Les cow-boys et les Indiens étaient rentrés et avaient donné l’alerte. J’avais disparu dans les dunes, ils ne savaient où. Ma grand-mère comprit. Comme toutes les femmes ou presque, elle comprend plus vite que tous les hommes ou presque. Elle a dit à mon grand-père de suivre Tiotio. Elle-même et toute la bande ont suivi mon grand-père qui suivait Tiotio qui suivait son idée fixe, se retournant de temps en temps pour s’assurer que tout son monde était bien derrière lui. Il est passé sous les argousiers qu’il fallut écarter tant bien que mal. Il s’est arrêté au bord du trou. J’ai vu de nouveau sa petite tête. Je l’ai appelé. Il a sauté. Il est arrivé directement sur mon épaule. Mon grand-père est allé chercher une échelle et je suis sorti de mon tombeau comme Jonas de la baleine. Tiotio a été félicité, il a reçu une double ration de croquettes. Il est devenu célèbre dans notre quartier. Sa bouille est apparue en première page d’un journal local suivie d’un article louangeur et d’une critique acerbe contre le maire, la mairie, les services communaux qui ne protégeaient pas les puits d’accès aux égouts. Aux élections municipales, le maire ne fut pas réélu.
J’avais onze ans quand mes parents déménagèrent pour Créteil. Une banlieue qui en ces temps lointains avait encore des allures campagnardes. Notre lotissement avait poussé entre champs de maïs et jardins de l’abbaye où Charles Vildrac et un groupe de poètes rêveurs avaient fondé un phalanstère littéraire. Notre Cité de béton était si représentative des années 60 qu’elle avait servi de décor à Jacques Tati pour « Mon oncle ». Une ribambelle de petits chiens bas sur patte et truffe en l’air venaient pisser au pied des murs sur la musique pimpante de Barcelli. Le film se termine avec ce carrousel de chiens pisseurs devant la tour grise où nous vivions.
Non loin de chez nous subsistait une ferme où l’on achetait du lait et des œufs. Créteil se métamorphosait sous nos yeux, plus vite que nous ne grandissions. Tiotio qui vieillissait à son allure de chat, cinq fois plus rapide que la nôtre, sortait de moins en moins. Il y avait partout, au-delà des champs de maïs qui rétrécissaient, des bruits de chantier, de moteurs, de pelleteuses, de marteaux piqueurs. Le seul jardin où il aurait pu trouver refuge, celui de l’abbaye, était entouré de murs infranchissables. Il dormit de plus en plus longtemps. Il rêva de plus en plus souvent. Je le voyais au mouvement de ses pattes, au tremblement de sa mâchoire. Il décida que mon lit était son territoire et il se mit à gronder, le poil hérissé, quand ma mère, après notre départ pour l’école, voulait le refaire. Le soir, c’est moi qui tendais draps et couverture et tapotais sur l’oreiller. Grâce à lui, j’ai été féministe avant l’heure et n’ai jamais laissé une femme faire mon lit.
Mes parents qui survivaient de scène de ménage en scène de ménage et tiraient le diable par la queue, pauvre queue sans poils à force d’être empoignée, prirent la décision de nous envoyer, Loup et moi, en pension au lycée d’Arras. Mes grands-parents nous prendraient pendant le week-end. Ici se situent deux années sombres de mon enfance. Deux années qui se détachent en relief noir sur un fond gris. Le vieux lycée était situé dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle en face de l’église Notre-Dame-des-Ardents, tout un programme. Au Moyen Âge, les malheureux atteints du mal des Ardents furent guéris grâce à un cierge miraculeux offert par la Vierge. Il suffisait de laisser couler une goutte de cire sur un malade pour qu’aussitôt il guérisse. J’étais impressionné par ce cierge qui était bien là, dans une niche protégée par une grille. Ceux qui ne croient pas aux miracles pouvaient le voir, constater qu’il existait. Le mal des Ardents à ce que m’expliqua l’aumônier c’était une torture inimaginable, une préfiguration de l’enfer provoquée par une intoxication causée par l’ergot du seigle. Les malheureux avaient l’impression de brûler vifs et se tordaient de douleur sur le sol. Leurs membres noircissaient comme des tisons et se détachaient de leur corps. Un scénario pour film d’horreur. J’avais tendance à croire à ces histoires qui, je l’appris plus tard, n’en étaient pas. Je dévorais tous les livres de la collection Contes et Légendes et grâce à ces fables à dormir debout, je m’endormais vite et bien.